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quoiqu'il ait encore plus fortement que les autres soutenu que le fondement du salut était conservé dans l'Eglise romaine, cependant n'en a pas moins relevé avec force les abus et les erreurs qui y régnaient... Vous savez que tout le droit de notre prince sur le royaume d'Angleterre est fondé sur la haine et la proscription de la religion romaine dans ce royaume : il ne faut donc pas traiter avec tant de ménagement cette Eglise. Dans la lettre que vous écrivez à Snapius, théologien anglais, et que vous m'avez communiquée, j'ai supprimé le mot indifféremment, promiscue, dans la phrase où vous dites que c'est calomnieusement qu'on vous impute d'avoir dit qu'il était indifféremment permis à tout le monde de passer de l'Eglise des luthériens à l'Eglise romaine car d'une dénégation ainsi restreinte, on inférera, par un argument en sens contraire, que vous avez au moins répondu qu'il était permis à la princesse de passer à cette Eglise; ce que je crois que vous n'avez pas répondu, et ce dont il ne faut pas convenir...

J'en reviens encore à dire que dans votre défense adressée aux Anglais, la plupart ne croiront point qu'il suffise à votre justification de dire que votre écrit a été interpolé ou défiguré, et qu'il a été rendu public contre votre gré, où d'alléguer l'autorité d'une personne dont les signes ont été pour vous des ordres. D'ailleurs, les écrits de Calixte et d'Horneius ne vous favorisent pas en tout et ils n'auraient pas, comme vous, répondu affirmativement à la seconde question; il ne paraît pas encore que vous ayez été dans votre sentiment, merveilleusement d'accord les uns avec les autres dans votre faculté.

ANALYSE DE LA CONTROVERSE ENTRE LEIBNITZ ET BOSSUET,

Sur un projet de réunion des luthériens à l'Eglise romaine, et particulièrement sur la suspension des anathèmes du concile de Trente, et la réception de ce concile en France, quant aux articles de foi.

(T. I, p. 507.)

L'empereur Léopold et quelques princes protestants d'Allemagne, travaillèrent, sur la fin du xvi siècle, à la réunion des luthériens avec l'Eglise romaine. L'évêque de Neustad, prélat habile, fut chargé par l'empereur, de conférer avec les théologiens protestants. Le duc Jean de Brunswich qui avait déjà renoncé au lutheranisme, et le duc de Hanovre, créé nouvellement par l'empereur neuvième électeur de l'empire, deux princes qui prenaient le plus grand intérêt à la réunion, choisirent de leur côté Molanus, abbé de Lokkum, le plus habile théologien de leur parti, pour conférer avec l'évêque. Le travail qui fut le résultat des conférences qu'ils tinrent pendant sept mois, fut communiqué par l'évêque de Neustadt à Bossuet qui eucouragea beaucoup ce prélat à ne point négliger une si belle occasion de servir l'Eglise.

Il ne pensait point alors qu'il devait bientôt avoir la principale part à la discussion de cette importante affaire; et voici comment cela arriva.

L'abbaye de Maubuisson avait alors une abbesse qui était née fille de l'électeur palatin, et dont la sœur était duchesse de Hanovre. Cette pieuse abbesse, instruite du projet de réunion, et qui en avait le succès infiniment à cœur, engagea la cour de llanovre à faire demander à Bossuet ce qu'il pensait des articles proposés par les ministres luthériens. Cela fut exécuté. L'abbesse avait auprès d'elle une religieuse ursuline, fille de beaucoup d'esprit, et qui jouissait avec raison de toute sa confiance. On convint d'adresser à Mme de Brinon (c'est le nom de cette religieuse) tout ce qu'on écrirait de part et d'autre; c'était déjà par son entremise, que Pélisson et Leibnitz avaient entretenu cette correspondance, qu'on a imprimée du vivant de l'un et de l'autre, et qui a si vivement intéressé les Catholiques. Leibnitz fut chargé par la cour de Hanovre, de correspondre avec Maubuisson, pour le compte des théologiens protestants. Molanus demeura donc derrière la toile, et on ne le,voit plus reparaître. De là, entre Leibnitz et Bossuet, ce commerce de lettres dont nous allons rendre compte. Le plan proposé par Molanus, et combattu par Bossuet, était de commencer par rétablir la communion ecclésiastique entre l'Eglise romaine et l'Eglise protestante, et de former ensuite une assemblée de théologiens des deux partis, où l'on travaillerait à se concilier sur les points qui avaient été le sujet de la division; et reux sur lesquels on n'aurait pas pu s'accorder, seraient renvoyés au jugement d'un concile qui serait tenu incessamment, et auquel tous promettaient de se soumettre. Molanus avait déjà fait l'essai de la conciliation proposée, sur plusieurs points importants de nos controverses, et l'avait fait avec un succès qui mérita les éloges de Bossuet. Leibnitz n'est point entré avec l'évêque de Meaux dans la discussion particulière des articles contestés. Il ne s'est attaché qu'à la première partie du plan de Molanus, et pour la rendre plausible, toute choquante qu'elle est au premier coup d'œil, il a prétendu qu'on pouvait suspendre les décisions et les anathèmes du concile de Trente; et pour donner plus de poids à sa prétention, il a soutenu que ce concile n'était pas reçu en France, même quant à la foi.

Nous allons donc mettre sous les yeux de nos lecteurs les lettres de Leibnitz et de Bossuet, en les prévenant que dans cette correspondance, nous avons supprimé tout ce qui nous a paru inutile, ou d'un intérêt trop léger pour notre but. Il est dillicile de rien mettre sous les yeux du public, qui soit plus capable d'attacher des esprits bien faits el qui cherchent à connaître les grands principes de la religion qu'ils professent.

Pour mettre de l'enchaînement entre les parties, et ne point trop brusquer l'entrée de la controverse, il est nécessaire, avant de produire la première lettre de Leibnitz, de faire précéder une lettre de la duchesse de Hanovre et une de Bossuet.

Lettre de Mme la duchesse de Hanovre, du 10 septembre 1691, à Mme l'abbesse de Maubuisson.

J'ai envoyé la lettre de Mme de Brinon à M. de Leibnitz, qui est présentement dans la bibliothèque de Wolfembutel. Je ne sais si elle a lu un livre où il y a le voyage d'un nonce au mont Liban, où il a reçu les Grecs dans l'Eglise catholique, dont la différence est bien plus grande que la nôtre avec votre Eglise, et on les a laissés, comme vous ver rez dans cette histoire, comme ils étaien, donnant la liberté à leurs prêtres de se marier, et ainsi du reste. C'est pour cela que

je ne sais pas la raison pourquoi nous ne serions pas reçus aussi bien qu'eux, la différence étant bien moindre. Mais comme vous dites que chez vous il y en a qui y sont contraires, c'est aussi la même chose parmi nous; ce qui me fait appréhender que, quand on voudra s'accorder sur les points dont notre abbé Molanus de Lokkum est convenu, avec quelques autres des Eglises luthériennes, il y en aura d'autres qui y seront contraires. Je crois avoir envoyé autrefois à M. l'évêque de Meaux tous les points dont on est convenu avec M. l'évêque de Neustadt, ou Pélisson pourra les avoir, s'ils ne sont pas perdus.

Le fait de la réconciliation des Grecs qui habitent le mont Liban, opérée par un once apo-tolique, et proposée pour modèle par la duchesse de Hanovre, n'est qu'un malentendu, ainsi que Bossuet le prouve. Mais ce malentendu a donné lieu à ce prélat, de faire une exposition exacte de la discipline des Grecs, dans les points où elle s'écarte le plus de la nôtre, qui doit être remarquée avec soin, parce qu'il n'est que trop ordinaire de n'avoir sur cet objet intéressant, que des idées fausses ou confuses.

Lettre de M. l'évêque de Meaux à Mme de

Brinon du 29 septembre 1691.

Je me souviens bien, Madame, que Mme la duchesse de Hanovre me fit l'honneur de m'envoyer autrefois les articles qui avaient été arrêtés avec M. l'évêque de Neustadt; mais comme je ne crus pas que cette affaire dût avoir de la suite, j'avoue que j'ai laissé échapper ces papiers de dessous mes yeux, et que je ne sais plus où les retrouver; de sorte qu'il faudrait, s'il vous plaît, supplier très-humblement cette princesse de nous renvoyer ce projet d'accord. Car, encore qu'il ne soit pas suffisant, c'est quelque chose de de fort utile que de faire les premiers pas de la réunion, en attendant qu'on soit disposé à faire les autres. Les ouvrages de cette sorte ne s'achèvent pas tout d'un coup, et l'on ne revient pas aussi vite de ses préventions qu'on y est entré. Mais pour ne pas se tromper dans ces projets d'union, il faut être bien averti qu'en se relâchant, selon le temps et l'occasion, sur les articles indifférents et de discipline, l'Eglise romaine ne se relâchera jamais d'aucun point de la doctrine définie, ni en particulier de celle qui l'a été par le concile de Trente. M. de Leibnitz objecte souvent à M. Pélisson que ce concile n'est pas reçu dans le royaume. Cela est vrai pour quelque partie de la discipline indifférente, parce que c'est une matière où 'Eglise peut varier. Pour la doctrine révélée de Dieu, et définie comme telle, on ne l'a jamais altérée; et tout le concile de Trente est reçu unanimement à cet égard, tant en France que partout ailleurs. Aussi ne voyons-nous pas que ni l'empereur, ni le roi de France, qui étaient alors, et qui concouraient au même dessein de la réformation de l'Eglise, aient jamais demandé qu'on en réformat les dogmes, mais seulement qu'on

déterminât ce qu'il y avait à corriger dans la pratique, ou ce qu'on jugeait nécessaire pour rendre la discipline plus parfaite...

ils

Quant au voyage d'un nonce au mont Liban, ou Mme la duchesse de Hanovre dit qu'on a reçu les Grecs à notre communion, je ne sais rien de nouveau sur ce sujet-là. Ce qui est vrai, c'est, Madame, que le mont Liban est habité par les Maronites, qui sont, il y a longtemps, de votre communion, et conviennent en tout et partout de notre doctrine. Il n'y a pas à s'étonner qu'on les ait reçus dans notre Eglise, sans changer leurs rites; et peut-être même qu'on n'a été que trop rigoureux sur cela. Pour les Grecs, on n'a jamais fait de difficulté de laisser l'usage du mariage à leurs prêtres. Pour ce qui est de le contracter depuis leur ordination, ils ne le prétendent pas eux-mêmes. On sait aussi que tous leurs évêques sont obligés au célibat, et que pour cela ils n'en font point qu'ils ne tirent de l'ordre monastique où l'on en fait profession. On ne les trouble pas non plus sur l'usage du pain de l'Eucharistie, qu'ils font avec du levain communient sous les deux espèces, et on leur laisse, sans hésiter, toute leur coutume ancienne, Mais on ne trouvera pas qu'on les ait reçus dans notre communion, sans en exiger expressément la profession des dogmes qui séparaient les deux Eglises, et qui ont été définis conformément à notre doctrine, dans les conciles de Lyon et de Florence. Ces dogmes sont la procession du Saint-Esprit, du Père et du Fils, la prière pour les morts, la réception dans le ciel des ames suffisamment purifiées, et la primauté du Pape établie en la personne de saint Pierre. Il est, Madame, très-constant qu'on n'a jamais reçu les Grecs qu'avec la profession expresse de ces quatre articles qui sont les seuls où nous différons. Ainsi l'exemple de leur réunion ne peut rien faire au dessein qu'on a. L'Orient a toujours eu ses coutumes que l'Occident n'a pas improuvées; mais comme l'Eglise d'Orient n'a jamais souffert qu'on s'éloignât en Orient des pratiques qui y étaient unanimement reçues, l'Eglise d'Occident n'approuve pas que les nouvelles sectes d'Occcident aient renoncé d'elles-mêmes et de leur propre autorité, aux pratiques que le consentement unanime de l'Occident avait établies. C'est pourquoi nous ne croyons pas que les luthériens ni les calvinistes aient dû changer ces coutumes de l'Occident tout entier; et nous croyons au contraire que cela ne se doit faire que par ordre et avec l'autorité et le consentement du Chef de l'Eglise. Car sans subordination, l'Eglise même ne serait rien qu'un assemblage monstrueux, ou chacun ferait ce qu'il voudrait, et interromprait l'harmonie de tout le corps. J'avoue donc qu'on pourrait accorder aux luthériens certaines choses qu'ils semblent désirer beaucoup, comme sont les deux espèces; et en effet, il est bien constant que les Papes, à qui les Pères de Trente avaient renvoyé cette affaire, les ont accordées, depuis le concile, à quelques

pays d'Allemagne, qui les demandaient. C'est sur ce point, et sur les autres de cette nature, que la négociation pourrait tomber. On pourrait aussi convenir de certaines explications de notre doctrine; et c'est, s'il m'en souvient bien, ce qu'on avait fait utilement en quelques points dans les articles de M. de, Neustadt. Mais de croire qu'on fasse jamais aucune capitulation sur le fond des dogmes définis, là constitution de l'Eglise ne le souffre pas; et il est aisé de voir que d'en agir autrement, c'est renverser les fondements et mettre toute la religion en dispute. J'espère que M. de Leibnitz demeurera d'accord de cette vérité, s'il prend la peine de lire mon dernier écrit contre le ministre Jurieu.

Ce dernier écrit est apparemment un des avertissements de Bossuet.

On voit dans la réponse de Leibnitz, tout le plan de Molanus et des théologiens protestants, pour la réunion avec les Catholiques, ainsi que les moyens par lesquels ils prétendaient justifier la partie du plan qu'ils prevoyaient bien devoir souffrir, de la part des Catholiques, de grandes difficultés.

Lettre de M. de Leibnitz à Mme de Brinon.

M. de Meaux dit :

1° Que le projet donné à M. de Neustadt ne lui paraît point encore suffisant;

2° Qu'il ne laisse pas d'être fort utile, puisqu'il faut toujours quelque commencement;

3° Que Rome ne se relâchera jamais d'aucun point de la doctrine définie par l'Eglise, et qu'on ne pourrait faire aucune capitulation là-dessus ;

4° Que la doctrine définie dans le concile de Trente est reçue en France et ailleurs par tous les Catholiques romains;

5° Qu'on peut satisfaire aux protestants, à l'égard de certains points de discipline et d'explication, et qu'on l'avait fait utilement en quelques-uns touchés dans le projet de M. de Neustadt.

Voilà les propositions substantielles de la lettre de M. de Meaux, que je tiens toutes très-véritables, Il n'y en a qu'une seule encore dans cette même lettre, qu'on peut mettre en question; savoir, si les protestants ont eu droit de changer, de leur autorité, quelques rites reçus dans tout l'Occident. Mais elle n'est pas essentielle au point dont il s'agit, je n'y entre pas.

Quant aux cinq propositions susdites (autant que je comprends l'intention de M. de Neustadt, et de ceux qui ont traité avec lui), ils ne s'y opposent point, et il n'y a rien en cela qui ne soit conforme à leurs sentiments, surtout la troisième qu'on pourrait croire contraire à de tels projets d'accommodement, ne leur pouvait être inconnue, M. de Neustadt, aussi bien que M. Molanus, et une partie des autres qui avaient traité cette affaire, ayant régenté en théologie dans des universités. On peut dire même qu'ils ont bâti làdessus, parce qu'ils ont voulu voir ce qu'il est possible de faire entre des gens qui croient

avoir raison chacun, et qui ne se départent point de leurs principes; et c'est ce qu'il y a de singulier et de considérable dans ce projet.

Ils ne nieront point non plus la première, car ils n'ont regardé leur projet que comme un pourparler, pas un n'ayant charge de son parti de conclure quelque chose. La seconde et la cinquième contiennent une approbation de ce qu'ils ont fait qui ne saurait manquer de leur plaire. Je conviens aussi de la quatrième; mais elle n'est pas contraire à ce que j'avais avancé. Car quoique le royaume de France suive la doctrine du concile de Trente, ce n'est pas en vertu de la définition de ce concile, et on n'en peut pas inférer que la nation française ait rétracté ses protestations, ou doutes d'autrefois, ni qu'elle ait déclaré que ce concile est véritablement œcuménique.....

M. de Neudstadt m'a avoué avoir extrêmement profité de l'exposition de la doctrine catholique de M. Bossuet, qu'il considère comme un des plus excellents moyens de retrancher une bonne partie des contro

verses.

Mais comme il en reste quelques-unes où il n'y a pas encore eu moyen de contenter les esprits par la seule voie de l'explication, telle qu'est, par exemple, la controverse de la transsubstantiation, la question est : Si nonobstant des dissensions sur certains points qu'un parti tient pour vrais et définis, et que l'autre ne tient pas pour tels, il serait possible d'admettre ou de rétablir la communion ecclésiastique, je dis possible en soi-même d'une possibilité de droit, sans examiner ce qui est à espérer dans le temps et dans les circonstances où nous sommes. Ainsi il s'agit d'examiner si le schisme pourrait être levé par les trois moyens suivants joints ensemble. Premièrement, en accordant aux protestants certains points de discipline, comme seraient les deux espèces, le mariage des gens de l'Eglise, l'usage de la langue vulgaire, etc.... Et secondement, en leur donnant des expositions sur les points de controverse et de foi, telles que M. de Meaux a publiées, qui font voir, du moins de l'aveu de plusieurs protestants habiles et modérés, que des doctrines prises dans ce sens, quoiqu'elles ne leur paraissent pas encore toutes entièrement véritables, ne leur paraissent pas pourtant damnables non plus: et troisièmement, en remédiant à quelques scandales et abus de pratique, dont ils se peuvent plaindre, et que l'Eglise même et des gens de piété et de savoir de la communion romaine désapprouvent; en sorte qu'après cela, les uns pourraient communier chez les autres, suivant les rites de ceux où ils vont, et que la hiérarchie ecclésiasti que serait rétablie; ce que les différentes opinions sur les articles encore indécis, empêcheraient aussi peu que les controverses sur la grâce, sur la probabilité morale, sur la nécessité de l'amour de Dieu, et autres points; ou que le différend qu'il y a entre Rome et la France touchant les quatre arti

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cles du clergé de lcette nation a pu empêcher l'union ecclésiastique des disputants; quoique peut-être quelques-uns de ces points agités dans l'Eglise romaine soient aussi importants pour le moins que ceux qui demeuraient encore en dispute entre Rome et Augsbourg, à condition pourtant qu'on se soumettrait à ce que l'Eglise pourrait décider quelque jour dans un concile œcuménique nouveau, autorisé dans les formes, où les nations protestantes réconciliées interviendraient par leurs prélats et surintendants généraux reconnus pour évêques, et même confirmés de Sa Sainteté, aussi bien que les autres nations catholiques.... Voici, à ce que j'ai compris, la 'raison qui autorise le parti qu'on propose: c'est qu'on peut souvent se tromper même en matière de foi, sans être hérétique ni schismatique, tandis qu'on ne sait pas, et qu'on ignore invinciblement que l'Eglise catholique a défini le contraire, pourvu qu'on reconnaisse les principes de la catholicité, qui portent : que l'assistance que Dieu a promise à son Eglise, ne permettra jamais qu'un concile œcuménique s'éloigne de la vérité, en ce qui regarde le salut. Or, ceux qui doutent de l'œcuménicité d'un concile, ne savent point que l'Eglise a défini ce qui est défini dans ce concile; et s'ils ont des raisons d'en douter, fort apparentes pour eux, qu'ils n'ont pu surmonter, après avoir fait de bonne foi toutes les diligences et recherches convenables, on peut dire qu'ils ignorent invinciblement que le concile dont il s'agit estœcuménique; et pourvu qu'ils reconnaissent l'autorité de tels conciles en général, ils ne se trompent en cela que dans le fait, et ne sauraient être tenus pour hérétiques.

Et c'est dans cette assiette d'esprit que se trouvent les Eglises protestantes, qui peuvent prendre part à cette négociation, lesquelles se soumettent à un véritable concile cecuménique futur, à l'exemple de la confession d'Augsbourg même; et ceux qui déclarent de bonne foi, qu'il n'est pas à présent en leur pouvoir de tenir celui de Trente pour tel, font connaître qu'ils sont susceptibles de la communion ecclésiastique avec l'Eglise romaine, lors même qu'ils ne sont pas en état de recevoir tous les dogmes du concile de Trente....

La lettre précédente ayant été communiquée à Bossuet, et ce prélat en ayant reçu directement une autre, où Leibnitz lui annonçait l'envoi d'une partie de l'écrit de Molanus, Bossuet, dans sa réponse du 10 janvier 1692, déclare qu'il ne peut pas s'expliquer sur cette matière, avant d'avo r vu dans sa totalité le projet de Molanus, et il ajoute ensuite ces questions remarquables.

Tout ce que je puis vous dire en attendant, c'est, Monsieur, que si vous êtes véritablement d'accord des cinq propositions mentionnées dans votre lettre, vous ne pouvez pas demeurer longtemps dans l'état où vous êtes sur la religion; et je voudrais bien seu-. lement vous supplier de me dire: 1o si vous croyez que l'infaillibilité soit tellement dans le concile œcuménique, qu'elle ne soit pas OEUVRES COMPL. DE M. EMERY. Į,

encore davantage, s'il se peut, dans tout le corps de l'Eglise, sans qu'elle soit assemblée; 2° si vous croyez qu'on fût en sûreté de conscience après le concile de Nicée et de Chalcédoine, par exemple, en demeurant d'accord que le concile œcuménique est infaillible, et mettant toute la dispute à savoir si ces conciles méritaient le titre d'œcuménique; 3° s'il ne vous paraît pas que réduire la dispute à cette question, et se croire par ce moyen en sûreté de conscience, c'est ouvrir manifestement la porte à ceux qui ne voudront pas croire aux conciles, et leur donner une ouverture à en éluder l'autorité ; 4° si vous pouvez douter que les décrets du concile de Trente soient autant reçus en France et en Allemagne, parmi les Catholiques, qu'en Espagne et en Italie, en ce qui regarde la foi et si vous avez ouï un seul Catholique qui se crût libre à recevoir ou a ne pas recevoir la foi de ce concile; 5° si vous croyez que dans les points que ce concile a déterminés contre Luther, Zwingle et Calvin, et contre les confessions d'Augsbourg, de Strasbourg et de Genève, il ait fait autre chose que de proposer à croire à tous les fidèles ce qui était déjà cru et reçu, quand Luther a commencé de se séparer par exemple, s'il n'est pas certain qu'au temps de cette séparation, on croyait déjà la transsubstantiation, le sacrifice de la Messe, la nécessité du libre arbitre, l'honneur des saints, des reliques, des images, la prière et le sacrifice pour les morts; en un mot, tous les points pour lesquels Luther et Calvin se sont séparés. Si vous voulez, Monsieur, prendre la peine de répondre à ces cinq questions, avec votre brièveté, votre netteté et votre candeur ordinaires, j'espère que vous reconnaîtrez facilement que, quelque disposition qu'on ait pour la paix, on n'est jamais vraiment pacifique et en état de salut, jusqu'à ce qu'on soit actuellement réuni de communion avec nous.

Leibnitz, dans une lettre datée du même mois de janvier 1692, répondit aux cinq questions de Bossuet.

Lettre de Leibnitz à Bossuet.

Les questions que vous me proposez, Monseigneur, me paraissent un peu difliciles à résoudre, et je souhaiterais plutôt votre instruction là-dessus. La première de ces questions traite du sujet de l'infaillibilité, si elle réside proprement et uniquement dans le concile œcuménique, ou si elle appartient encore au corps de l'Eglise, c'est-à-dire, comme je l'entends, aux opinious qui y sont reçues le plus généralement? Mais puisque dans l'Eglise romaine, on n'est pas encore convenu du vrai sujet ou siége radical de l'infaillibilité, les uns le faisant consister dans le Pape, les autres dans le concile, quoique sans Pape; et que les auteurs qui ont écrit de l'analyse de la foi, sont infiniment différents les uns des autres, je serais bien empêché de dire comment on doit étendre cette infaillibilité encore au delà, à un certain sujet vague,

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qu'on appelle le corps de l'Eglise, hors de J'assemblée actuelle; et il me semble que la même difficulté se rencontrerait dans un Etat populaire, prenant le peuple hors de l'assemblée des Etats.

Il y entre encore cette question difficile : s'il est dans le pouvoir de l'Eglise moderne, ou d'un concile, et comment, de définir, comme de foi, ce qui autrefois ne passait pas encore dans l'opinion générale pour un point de foi; et je vous supplie de m'instruire là-dessus. On pourrait dire aussi que Dieu a attaché une grâce ou promesse particulière aux assemblées de l'Eglise et comme on distingue entre le Pape qui parle à l'ordinaire, et entre le Pape qui prononce ex cathedra, quelques-uns pourraient considérer aussi les conciles comme la voix de l'Eglise ex cathedra.

Quant à la seconde question: Si un homme qui, après le concile de Nicée ou de Chalcédoine, aurait voulu mettre en doute l'autorité œcuménique de ces conciles, eût été en sûreté de conscience? On pourrait répondre plusieurs choses; mais je vous représenterai seulement ceci, pour recevoir là-dessus des lumières de votre part. Premièrement, il semble qu'il soit difficile de douter de l'autorité œcuménique de tels conciles, et je ne vois pas ce que l'on pourrait dire à l'encontre de raisonnable, ni comment on trouvera des conciles œcuméniques, si ceux-ci ne le sont pas. Secondement, posons le cas qu'un homme de bonne foi y trouve de grandes apparences à l'encontre, la question sera, si les choses définies par ces conciles étaient déjà auparavant nécessaires au salut ou non. Si elles l'étaient, il faut dire que les apparences contraires à la forme légitime du concile, ne sauveront pas cet homme; mais si les points définis n'étaient pas nécessaires avant la définition, je dirais que la conscience de cet homme est en sûreté.

A la troisième question: Si une telle excuse n'ouvre point la porte à ceux qui voudront ruiner l'autorité des conciles ? J'oserais répondre que non; et je dirais que ce serait un scandale, plutôt pris que donné. Il s'agit de la mineure ou du fait particulier d'un certain concile, savoir s'il a toutes les conditions requises à un concile œcuménique, sans que la majeure de l'autorité des conciles en reçoive de la difficulté. Cela fait seulement voir que les choses humaines ne sont jamais sans quelque inconvénient, et que les meilleurs règlements ne sauraient exclure tous les abus in fraudem legis. On ne saurait rejeter, en général, l'exception du juge incompétent ou suspect, bien que les chicaneurs en abusent. Rien n'est sujet à de plus grands abus, que la torture des criminels; cependant on aurait bien de la peine à s'en passer entièrement. Un homme peut s'inscrire en faux contre une écriture qui ressemble à la sienne, et demander la comparaison des écritures. Cela donne moyen de chicaner contre le droit le plus liquide; mais on ne saurait cependant retrancher ce

remède en général. J'avoue qu'il est dangereux de fournir des prétextes pour douter des conciles, mais il n'est pas moins dangereux d'autoriser des conciles douteux et d'établir par là un moyen d'opprimer la vérité.

Quant à la quatrième question, si je doute que les décrets du concile de Trente soient aussi bien reçus en France et en Allemagne, qu'en Italie ou en Espagne; je pourrais me rapporter au sentiment de quelques docteurs espagnols ou italiens, qui reprochent aux Français de s'éloigner en certains points de la doctrine de ce concile, par exemple, à l'égard de ce qui est essentiel à la validité du mariage; ce qui n'est pas seulement de discipline, mais encore de doctrine, puisqu'il s'agit de l'essence d'un sacrement. Mais sans m'arrêter à cela, je répondrai comme j'ai déjà fait : Quand toute la doctrine du concile de Trente serait reçue en France, qu'il ne s'ensuit point qu'on l'ait reçue comme venue du concile œcuménique de Trente; puisqu'on a si souvent mis en doute cette qualité de ce concile.

:

La cinquième question est d'une plus grande discussion Savoir si tout ce qui a été défini à Trente, passait déjà généralement pour catholique et de foi avant cela, lorsque Luther commença d'enseigner sa doctrine. Je crois qu'on trouvera quantité de passages de bons auteurs qui ont écrit avant le concile de Trente, et qui ont révoqué en doute les choses définies dans ce concile: les livres des protestants en sout pleins; et il est très-sûr que depuis on n'a plus osé parler si librement. C'est pourquoi les livres appelés indices expurgatorii, ont

trouvé tant de choses à retrancher dans les auteurs antérieurs. Je crois qu'un passage d'un habile homme comme Erasine, mérite autant de réflexions que quantité d'écrivains du bas ordre, qui ne font que se copier les uns les autres. Mais quand on accorderait que toutes ces décisions passaient déjà pour vé ritables selon la plus commune opinion, il ne s'ensuit point qu'elles passaient toujours pour être de foi; et il semble que les anathèmes du concile de Trente ont bien changé l'état des choses. Enfin, quand ces décisions auraient déjà été enseignées comme de foi, par la plupart des docteurs, on retomberait dans la première question, pour savoir si ces sortes d'opinions communes sont infaillibles, et peuvent passer pour la voix de l'Eglise.

Leibnitz fait dans la même lettre des observations judicieuses sur la manière dont les parties doivent conférer entre elles, en supposant que les ministres luthériens avaient adopté cette manière, il semble vouloir avertir Bossuet de ne point s'en écarter lui-même; mais le prélat n'avait pas besoin de cette leçon.

On a fait ici de très-grands pas pour s tisfaire à ce qu'on a jugé dû à la charité et à l'amour de la paix; on a quitté exprès toutes ces manières qui sentent la dispute, et tous ces airs de su périorité que chacun a

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