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taire, et même fief de l'Eglise romaine; et le cens fut augmenté dans la suite, à l'occasion de l'assassinat de Thomas, archevêque de Cantorbéry, exécuté aussi par l'ordre, ou du moins avec l'agrément du roi d'Angleterre. Les Papes n'obligèrent-ils pas les souverains de Pologne de quitter le titre de roi, depuis que l'un d'entre eux eut fait mourir Stanislas, archevêque de Gnesne? Et ce ne fut que longtemps après, sous le pontificat de Jean XXII, et par son autorité, qu'ils recouvrèrent leur ancien titre. Bodin dit avoir vu la formule par laquelle Ladislas I", roi de Hongrie, se déclarait vassal ou feudataire de Benoît XII. Ladislas II se constitua aussi tributaire, à l'occasion de l'excommunication dont il avait été frappé pour je ne sais quel meurtre. Pierre, roi d'Aragon, fit encore hommage de son royaume, avec une redevance annuelle, au Pape Innocent III. Quant au royaume de Naples et de Sicile, il n'y a point de doute sur leur dépendance. Il paraît même que la Sardaigne, les îles Canaries et Hespérides, ont autrefois relevé de l'Eglise romaine; et les rois de Castille et de Portugal ne se sont-ils pas arrogé, le premier, les Indes occidentales, et le second, les orientales, comme une donation, ou plutôt comme un fief qu'ils tenaient du Pape Alexandre VI? Je ne cherche point actuellement par quel droit ces choses se sont faites, mais quelle a été dans les siècles précédents l'opinion des

hommes.

On appliquait là les oracles de l'Ecriture qui concernent le royaume de Jésus-Christ : par exemple, qu'il dominera d'une mer à l'autre, et qu'il gouvernera les nations avec un sceptre de fer. Et il est remarquable que lorsque l'empereur Frédéric I", prosterné à terre, demandait grâce au Pape Alexandre III, et que ce Pontife, ayant le pied sur sa tête, prononçait ces paroles de l'Ecriture: Vous marcherez sur l'aspic et le basilic, l'empereur répondit: Ce n'est pas à vous, mais à Pierre: comme s'il avait été persuadé qu'au moins saint Pierre, c'est-à-dire l'Eglise universelle, avait reçu quelque autorité sur sa personne, autorité dont on abusait alors à son égard. Je sais que plusieurs savants hommes révoquent en doute cette histoire..., et que le Pape Urbain VIII, qui fit effacer la peinture où elle était représentée, était dans le même sentiment; mais il est pourtant incontestable qu'on l'a crue pendant longtemps, ce qui me suffit. Au moins on ne doute pas que l'empereur Henri IV a fait pénitence à jeûn et nu-pieds au milieu de l'hiver, par ordre du Pape; que tous les empereurs et les rois qui ont eu, depuis plusieurs siècles, des entrevues avec les Papes, les ont honorés avec les plus grandes marques de soumission, jusqu'à leur tenir quelquefois l'étrier lorsqu'ils montaient à cheval, les accompagner à pied dans leur cavalcade, et leur rendre plusieurs autres services de même genre. Un doge de Venise, désirant faire lever l'interdit jeté sur la ville et rentrer en grâce avec le Pape

Jules II, se mit une corde au cou, et s'avan cant en rampant vers le Pape, lui demanda pardon, d'où lui vient le surnom de Chien, de la part même de ses compatriotes. Les Espagnols doivent la Navarre à l'autorité du Pape. C'est sur le même titre que Philippe II tenta de s'emparer à main armée de l'Angleterre, qui lui avait été donnée par SixteQuint. Les Papes ont entendu les plaintes des sujets contre leurs souverains. Innocent III défendit au comte de Toulouse de charger ses sujets d'impositions trop fortes. Innocent IV donna un curateur à Jean, roi de Portugal, Urbain V légitima Henri le Bâtard, roi de Castille, qui depuis, avec le secours des Français, enleva à son frère Pierre, héritier légitime, la couronne et la vie. Il y a d'ailleurs deux articles de grande. importance, dont autrefois on n'a pas même douté qu'ils ressortissent au tribunal du Pape je veux dire les causes de serments et celles de mariages. Henri IV ne demandat-il pas au Pape et n'en obtint-il pas la cassation de son mariage avec Marguerite de Valois? Et il n'y a pas bien longtemps qu'une reine de Portugal a fait aussi déclarer son mariage nul par l'autorité du cardinal de Vendôme, légat a latere. Mais le Pape a-t-il le pouvoir de déposer les rois, et d'absoudre leurs sujets du serment de fidélité? C'est un point qu'on a souvent mis en question; et les arguments de Bellarmin, qui, de la supposition que les Papes ont la juridiction sur le spirituel, infère qu'ils ont une juridiction au moins indirecte sur le temporel, n'ont pas pacu méprisables à Hobbes même. Effectivement il est certain que celui qui a reçu une pleine puissance de Dieu, pour procurer le salut des âmes, a le pouvoir de réprimer la tyrannie et l'ambition des grands qui font périr un si grand nombre d'âmes. On peut douter, je l'avoue, si le Pape a reçu de Dieu une telle puissance; mais personne ne doute, du moins parmi les Catholiques romains, que cette puissance ne réside dans l'Eglise universelle, à laquelle toutes les consciences sont soumises. Philippe le Bel, roi de France, paraît en avoir été persuadé, lorsqu'il appela de la sentence de Boniface VIII, qui l'excommuniait et le privait de son royaume, au concile général appel qui a été souvent interjeté par des rois et des empereurs en de semblables circonstances, et auquel les Vénitiens se proposaient de recourir au commencement de ce siècle. Utilité de rétablir l'ancienne autorité du Pape.

(T. V, p. 65, Deuxième lettre à M. Grimarest.)

J'ai vu quelque chose du projet de l'abbé de Saint-Pierre, pour maintenir une paix perpétuelle en Europe. Je me souviens de la devise d'un cimetière, avec ce mot: Paz perpetua; car les morts ne se battent point: mais les vivants sont d'une autre humeur, et les plus puissants ne respectent guère les tribunaux. Il faudrait que tous ces messieurs donnassent caution bourgeoise, ou dépo

sassent dans la banque du tribunal, un roi de France, par exemple, cent millions d'écus, et un roi de la Grande-Bretagne à proportion, afin que les sentences du tribunal pussent être exécutées sur leur argent, en cas qu'ils fussent réfractaires... Je me souviens qu'un prince savant d'autrefois, de ma connaissance, fit un discours approchant, et voulut que Lucerne en Suisse fût le siége du tribunal. Pour moi, je serais d'avis de l'établir à Rome même, et d'en faire le Pape président, comme en effet il faisait autrefois figure de juge entre les princes chrétiens. Mais il faudrait en même temps que les ecclésiastiques reprissent leur ancienne. autorité, et qu'un interdit et une excommunication fit trembler des rois et des royaumes, comme du temps de Nicolas I ou de Grégoire VII (65). Voilà des projets qui réussiront aussi aisément que celui de l'abbé de Saint-Pierre (66); mais puisqu'il est permis de faire des romans, pourquoi trouverons-nous mauvaise la fiction qui nous ramènerait le siècle d'or?

Autorité de l'empereur dans la république chrétienne.

(T. IV, part. 11, p. 298, Dissertatio de auctorum publicorum usu.)

Les Chrétiens, outre le droit des gens

(65) Leibnitz parle encore quelquefois du Pape Grégoire VII, et il le fait toujours avec les égards convenables; en cela, bien différent encore de nos écrivains français, même Catholiques, qui ne citent presque jamais ce Pontife sans charger d'outrages sa mémoire. Ce n'est pas seulement Leibnitz, auteur protestant, dont nous leur proposerions de suivre l'exemple, c'est encore un auteur catholique, infiniment distingué par sa sagesse et son savoir, qui écrivait au milieu de nous, et qui n'a pas craint de rendre à Grégoire VII ce glorieux témoignage; je parle du P. Mabillon.

Gregorium VII magnum virum fuisse, et magnos in exiguo corpore gessisse spiritus, etsi non consentirent omnes, certe satis superque contestarentur præclara facta, quæ pro instauratione ecclesiastica disciplinæ aggressus est, et maxima ex parte perfecit. Quod, si in quibusdam videtur excessisse modum, ut difficile est eum in rebus arduis et difficillimis semper lenere, excusare eum debent tantorum factorum merita, quæ in rempublicam Christianam redundarunt, a nemine jure improbanda. Quid enim probabilius, quid vero difficilius, quam ecclesiasticarum investiturarum abusus, tanto temporum decursu, tanta sæcularium polestatum auctoritate obfirmatos, penitus evellere, simoniam fere ubique grassantem exstirpare, cælibatum clericorum pene ab interitu revocare.... In his porro aliisque ita modum semper tenere, ut in aliquo non excedatur, impossibile est..... Sed ad auctores illius temporis haud ignobiles remittere præstat, quam de re trita et lubrica plura dicere. (Præfatio in sæculum vi, Benedictinum, § 6.)

(66) Leibnitz disait encore dans une Lettre à M. Vidou, sénateur de Hambourg: « Quelques raisons que l'abbé de Saint-Pierre apporte, les plus grandes puissances, l'empereur, le roi de la Grande-Bretagne, la France, l'Espagne, ne seront pas fort disposés à se soumettre à une espèce d'empire nouveau. Si l'abbé de Saint-Pierre les pouvait rendre tous Romains, et leur faire croire l'infaillibilité du Pape, on n'aurait point besoin d'autre empire que celui de ce vicaire de Jésus-Christ. (T. V, p. 476.)

commun à toutes les nations, ont un autre lien qui les unit entre eux, je veux dire, le droit divin positif qui est contenu dans leurs livres sacrés à quoi on doit ajouter encore les saints canons reçus dans toute l'Eglise, et les droits acquis au Pape en Occident du consentement des princes et des peuples. Je vois effectivement qu'avant le chisme du siècle précédent, on s'accordait depuis longtemps, et certainement ce n'était pas sans raison, à regarder les nations chrétiennes, comme formant une espèce de république qui avait pour chef le Pape dans le spirituel, et l'empereur dans le temporel et l'on croyait que le dernier avait, malgré le démembrement de l'ancien empire romain, conservé une espèce d'autorité sur toutes ses parties, relative au bien commun de la chrétienté, sauf le droit des rois et la liberté des princes (67). C'est sur ce fondement que le Pape Grégoire VIII, écrivant à Henri VI, roi des Romains, sur la concorde du sacerdoce et de l'empire, l'avertit de prendre garde que le peuple chrétien ne souffre, par la division de ceux auxquels son gouvernement a été principalement confié; et l'empereur Sigismond, en 1412, accordant une espèce de vicariat de l'empire au duc de Savoie, déclare que par la disposition du roi éternel, il a été appelé, quoique indigne, au gouvernement de tout l'univers. Il est cons

(67) Voici sur ce sujet, une note d'un habile jurisconsulte de Turin, qui a fait une Préface aux OEuvres de Leibni z, sur la jurisprudence. L'em pereur, dit-il, a bien une juridiction sur les princes qui sont ses feudataires, quand il s'agit des fi-fs auxquels la juridiction est annexée : il a de plus, comme chef de la république germanique, juridiction sur les princes qui sont soumis à la même république; mais à l'égard des autres princes, il n'a aucune sorte de juridiction, il n'a qu'une prééminence de dignité. Sa qualité d'avoué de l'Eglise romaine, lui donne bien un droit de la protéger dans son propre territoire, que les autres princes ont aussi dans leurs Etats et hors de son propre territoire, cette qualité suppose encore en lui un droit plus particulier de la protéger par ses armes et ses conseils, mais elle ne lui confère aucune sorte de juridiction sur les nations étrangères qui sont attachées à la même Eglise. Les juriscon sultes allemands disputent si l'empereur conserve encore quelque droit sur la ville de Rome, malgré la prescription acquise aux Papes, et la cession de tous les droits que l'empire pouvait conserver sur cette ville, faite par l'empereur Charles IV. Mais il serait bien difficile de prouver que la juridiction sur tout l'univers catholique est attachée à la domination temporelle de la ville de Rome. Il est certain, suivant ces premiers principes du droit, qu'on n'acquiert de juridiction sur les peuples, que par leur consentement ou le droit de la guerre; et certains faits extraordinaires, par lesquels quelques princes, pour des raisons particulières, auraient jugé à propos de demander à l'empereur la confirmation de quelques actes, n'ont pu lui donner une juridiction perpétuelle sur les mêmes princes, et à plus forte raison sur les autres. Si les empereurs ont été quelquefois créés chefs des armées chrétiennes contre les infidèles, cela prouve seulement ce qu'il convient de faire dans certains cas de nécessité, et non pas qu'ils aient une juridiction universelle sur tous les Chrétiens. (J. B. BoN, t. IV, part. III, Præfatio ad partem jurisprudentiæ, p. 39.)

tant que le même empereur a présidé dans deux conciles de tout l'Occident, en ce sens qu'il en a eu, si je peux m'exprimer ainsi, la direction extérieure et lorsqu'il s'absentait, il nommait un vice-gérant, ou comme on parlait alors, un protecteur du concile : tel fut, par exemple, dans le concile de Bâle, Jean, comte de Thierstein. C'est encore sur le même principe que le Pape Pie II, préparant une expédition contre les Turcs pour le recouvrement de Constantinople, écrit de Mantoue à l'empereur Frédéric, l'an 1460, que le commandement de toute l'armée chrétienne lui est dévolu par le droit de l'empire en cherchant, dit le Pape, quel serait le chef de l'entreprise importante que nous méditons, vous vous êtes aussitôt présenté à notre esprit. C'est à vous effectivement à titre d'empereur, qu'est censé appartenir un commandement si glorieux et si important; c'est à vous, à qui toutes les nations ne dédaigneront pas d'obéir et d'être soumises. Le Pape le déclare donc chef et capitaine général des armées générales et particulières, que les rois, les souverains, les princes quelconques enverraient au secours des Chrétiens, en sorte que s'il ne peut commander en personne, il choisira pour commander à sa place, celui des princes allemands qu'il en jugera plus digne par sa valeur et ses exploits. L'auteur du traité De jure suprematus à donc été fondé à dire que l'empereur est le chefné de tous les Chrétiens contre les infidèles. Il est aussi nommé très-fréquemment dans les actes publics l'avoué de l'Eglise romaine et de l'Eglise universelle. C'est encore, ce semble, par une suite de cette liaison entre les nations chrétiennes qui est un reste de l'ancienne monarchie romaine, qu'il est arrivé que le droit romain a été regardé en quelque manière comme le droit commun des nations. Aussi les Anglais qui ont des lois particulières à leur fle, administrent la justice aux étrangers conformément aux lois romaines; et l'on voit par une multitude d'actes, que des princes souverains dans leurs traités, leurs testaments et les autres actes du droit des gens ou du droit public, observaient les mêmes lois avec une ponctualité qui parait quelquefois excessive..... Mais je veux que l'insertion de ces causes du droit romain soit une précaution superflue des officiers chargés de régler leurs actes; au moins on ne peut guère contester que les droits de l'Eglise ne fussent alors censés s'étendre à tous.

Alexandre VI, et César Borgia.

(T. IV, part. 11, Præfatio libro inscripto: Historia arcana, p. 74.)

Je ne crois pas que Rome et l'univers aient jamais rien vu de plus corrompa que la cour du Pape Alexandre VI. L'impudicíté, la perfidie, la cruauté y régnaient à l'envi; et l'impiété couverte du manteau de la reli

gion y mettait le comble. Lucrèce, fille du Pape, est encore plus fameuse par ses débordements, que l'ancienne Lucrèce par sa continence. César Borgia, duc de Valentinois, coupable de l'inceste de sa sœur et d'un double fratricide, digne de son père par ses parjures, ses empoisonnements et ses assassinats, fournit pourtant un exemple mémorable de crimes infructueusement commis. Captif enfin, chassé de sa patrie, victime de la haine publique, il servira toujours, quoi qu'en dise Machiavel, à faire détester plutôt qu'à faire rechercher la tyrannie. On dirait que la Providence nous a donné dans l'histoire de ce fameux personnage, le spectacle d'une scène tragique, telle que l'imagineraient les poëtes.... Au reste, il y aurait de l'injustice à tirer avantage des crimes d'Alexandre VI contre la papauté; à moins, peut-être, que ce ne fût par voie de récrimination, voie dont j'aime mieux qu'on ne se serve jamais. Les sectateurs les plus zélés de l'Eglise romaine conviennent qu'Alexandre était un méchant homme. On peut même dire qu'il est de l'honneur des Papes qu'il paraisse combien la face qu'offre actuellement leur cour, est différente de celle que présentait la même cour il y a deux cents ans. Car on doit dire à la gloire du siége de Rome, qu'on n'y élève aujourd'hui que des hommes d'un très-grand mérite, et qui à leur tour choisissent des cardinaux dont la plupart ne sont pas moins estimables qu'eux. Mais tandis qu'il y aura des hommes, il y aura des vices. Cependant ceux qui sont le moins favorables à la papauté, féliciteront notre siècle d'avoir vu régner dans une place si éminente, au lieu des crimes, les plus éminentes vertus.

Papesse Jeanne.

(T. II, p. 284, Epist. ad P. de Bosses.)

Je viens de mettre au net une dissertation

(67*), composée dans le temps où j'étudiais pais beaucoup de discussions chronolol'histoire du Ix siècle, où je m'occugiques. Je l'ai intitulée: Flores sparsi in tumulum Joanne Papissæ, « Fleurs jetées sur le tombeau de la papesse Jeanne. »J'achève de détruire en cet ouvrage la fable de cette papesse, soit en confirmant les preuves déjà connues, soit en en fournissant de nouvelles. Je répands beaucoup de lumière sur la chronologie de ces temps qui avait très-grand besoin d'être éclaircie; et je réponds aux derniers arguments de Frédéric Spanheim qui, dans un livre imprimé en Hollande, il n'y a que quelques années, entreprenait de réhabiliter cette fable. J'y ai inséré quelques traits inconnus aux auteurs modernes. Car j'ai découvert un certain livre de magie, attribué à cette papesse, et qui n'a point encore été imprimé. Enfin j'ai tiré des manuscrits beaucoup d'autres choses dignes de la curiosité des savants.

(67) Cette Dissertation n'a point encore été imp: imée.

Cérémonies et fêtes de l'Eglise romaine.

(T. V, p. 263, epist. 59, Ad Fabricium.)

Si l'auteur du livre intitulé, Arcanum regium, met au rang des abus qu'il faut absolument détruire des rites et des usages dont on peut réellement douter si ce sont des abus, ou même qui ont été observés de tout temps dans l'Eglise (sans parler des priviléges et des concordats), i! se trompe fort, et il ouvrirait la porte à de plus grands abus que ceux qu'il prétend corriger. Tout le monde sait, par exemple, que les exorcismes ont été pratiqués de tout temps dans l'Eglise, et qu'ils peuvent souffrir un très-bon sens : car, par l'empire des démons sur les méchants, on n'entend point une sorte de possession corporelle. Rien de plus dur encore et de plus indécent que les termes dans lesquels il veut insinuer que les ornements sacrés, les vêtements, les cierges et les hosties sont des parties du culte de l'Eglise romaine, vraiment détestables.... Et si la raison qu'il apporte pour supprimer les fêtes, tirée des dissolutions qui se commettent dans ces jours, était péremptoire, il faudrait aussi supprimer le dimanche. Qu'on ôte les abus, et qu'on laisse subsister les choses, voilà la grande règle: Tollatur abusus, non res. Cardinaux.

(T. VI, p. 326, Leibniziana.)

Il y avait autrefois des cardinaux, nonseulement dans l'Eglise de la ville de Rome, mais encore dans les autres grandes Eglises; et ceux de Ravenne ont maintenu longtemps leur nom, malgré la cour de Rome. C'étaient les principaux ecclésiastiques du lieu. Le passage du pontifical romain, qui dit que les rois des Romains, avant la réception de la couronne impériale, doivent être assis après le doyen des cardinaux, ne sera jamais mis en pratique. Les anecdotes du Pape Alexandre VI, que j'ai fait publier, marquent coment Charles VIII, roi de France, fut reçu à Rome; et les cardinaux furent bien éloignés de former de telles prétentions. Il est vrai que les ambassadeurs donnaient la visite au doyen du Sacré Collége avant la reine Christine; mais en cela ils ne dérogeaient

comme si l'on était obligé de croire un auteur sur son seul témoignage. Cette manière d'écrire pourrait être tolérée, jusqu'à un certain point, dans les auteurs contemporains, surtout si leur situation particulière les mettait à portée de savoir parfaitement tout ce qu'ils transmettaient à la postérité. Mais lorsque des auteurs ont écrit dans des temps et des lieux éloignés des événements, leur facilité et leur confiance à nous les donner pour vrais, sans les avoir auparavant vérifiés, ont été cause que les faux bruits, la partialité, l'infidélité des témoins leur out fait commettre des erreurs intolérables, erreurs qu'on a remarquées peu à peu, depuis qu'à la faveur de l'imprimerie, les anciens écrivains ont commencé d'être entre les mains de tout le monde. Et c'est mal à propos qu'on nous oppose l'exemple des anciens, qui étaient moins assujettis que nous dans leur manière d'écrire : car si nous exigeons aujourd'hui d'un historien qu'il fournisse ses preuves, en cela nous sommes plus sages que les anciens. Aussi a-t-on comblé d'éloges le plan sur lequel les centuriateurs de Magdebourg ont composé leur histoire de l'Eglise, histoire où les intérêts même de la religion demandent qu'on porte la plus rigoureuse exactitude. Il est vrai qu'ils avaient déjà sous les yeux l'illustre exemple d'Eusèbe de Césarée, qui nous a conservé plusieurs fragments d'auteurs, infiniment précieux. Matthias Flaccus Illiricus, à l'imitation de ce grand homme, avait rassemblé un nombre considérable de manuscrits sauvés des bibliothèques de monastères, dispersées ou négligées, comme des débris d'un naufrage. Ce savant s'associa plusieurs hommes de mérite, qui subsistaient des secours qu'on leur envoyait de différents endroits, et qui espéraient écrire à Magdebourg en sûreté et avec liberté, quoique pourtant ils furent obligés quelquefois de changer de domicile. C'est de là que sont venus entin ces fameuses Centuries, qui ont été fort utiles à l'Eglise. Rome voulut leur opposer une histoire plus fidèle, justifiée aussi par les monuments. Elle chargea d'y travailler Onuphre de Vérone, moine Augustin. Celui-ci mit la première main à l'œuvre, dont la consommation était réservée à Baronius.

dans les monastères.

point à la dignité royale, puisque étant pro- Etude de l'histoire naturelle, convenable prement destinés au Pape, et par conséquent aussi au Sacré Collége qui est comme de son corps, et que le doyen représente, ils font d'abord cette visite essentielle, qui est comme une partie et une suite de l'audience qu'ils ont eue du Pape.

(T. V, p. 80, epist. 2, Ad Magliabechium.)

C'est alors que le genre humain fera les plus grands progrès dans la connaissance des choses naturelles, lorsqu'une sage curio

Méthode d'écrire l'histoire, et Centuries de sité aura enfin pénétré dans les cloîtres, et

Magdebourg,

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qu'on fera consister une partie de la piété à découvrir tous les jours de nouvelles merveilles dans la nature, pour pouvoir tous les jours chanter à la sagesse de Dieu de nouveaux cantiques. Car puisque tant de milliers d'hommes sont entretenus aux dépens du public, dans la seule vue qu'ils s'appliquent entièrement à célébrer les louanges de

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L'abbé de la Trappe, dont on vante le savoir et la piété, vient de soutenir un grand paradoxe contre le P. Mabillon; comme si les moines devaient être totalement ignorants, et que les sciences fussent incompatibles avec le soin du salut et les exercices de piété. Si ce sentiment avait prévalu autrefois, aujourd'hui nous n'aurions aucun livre: car il est constant que les ouvrages des anciens, et les lettres en général, nous ont été conservés par les moines. Et où prendrait-on les abbés réguliers, sinon dans les monastères; à moins qu'on ne veuille que des abbés commandataires achèvent de dévorer toutes les abbayes? Le plus souvent, autrefois, on tirait de l'ordre de Saint-Benoît, ou des congrégations de chanoines réguliers, les évêques, les cardinaux et les Papes. La nouvelle Corbie, sur le Veser, nourrissait des religieux également distingués par leur science et leur piété et c'est à leurs missions procurées par les soins des empereurs, que tout le Nord est redevable de la lumière de l'Evangile. Mais enfin qu'y a-t-il de plus convenable à la piété, que la méditation des œuvres admirables de Dieu et de sa providence, qui n'éclate pas moins dans la nature des choses,

(68) On découvre bientôt, en lisant les OEuvres de Leibnitz, que dans tout le cours de sa vie, il a eu les liaisons les plus intimes avec plusieurs Jésuites; et que, sans dissimuler ce que la conduite de quelques-uns d'entre eux pouvait avoir de répréhenble, il faisait en général le plus grand cas de leur société. Nous croyons devoir citer ici en témoignage, une pièce dont les Jésuites d'Anvers possédaient l'original, et dont nous avons vu une copie authentique entre les mains de l'abbé de Saint-Léger, bibliothécaire de Sainte-Geneviève; il ne parait pas qu'elle ait encore été imprimée. C'est apparemment ce te pièce qui a fondé les Bollandistes à dire à l'empereur, dans l'Epitre dédicatoire du dernier volume des Acla sanciorum, que Leibnitz estinait beaucoup leur travail.

Nous Jean-Philippe Eugène, comte de Mérode et du saint-empire, et grand d'Espagne, de la preinière classe, chevalier de la Toison d'or, certifions qu'ayant fait connaissance et amitié pendant notre séjour de Vienne, de l'année XI, jusqu'à XIII, avec feu Leibnitz, et étant resté en correspondance avec Jui jusqu'à sa mort; dans une des lettres de sa correspondance littéraire, lui ayant dit que nous avions acheté les Acta sanctorum des révérends Pères de la Compagnie des Jésuites d'Anvers, il nous réponpondit dans les termes de la plus grande estime

que dans la suite de l'histoire et dans le gouvernement de l'Eglise et du genre humain?

(T. V, p. 400, Epist. ad Tentzelium.)

Le P. Mabillon a répondu à l'abbé de la Trappe, qui avait attaqué son Traité des l'autre ont raison. L'abbé de la Trappe paétudes monastiques: Je crois que l'un et raît ne parler que des religieux qui veulent vivre à la manière des anachorètes et des solitaires, ainsi que l'indique l'étymologie du mot moine et le P. Mabillon parle des religieux qui vivent sous l'institut des ordres modernes, institut qui leur permet, en servant Dieu, de chercher aussi à être utiles aux hommes, surtout à la faveur de la science.

Jésuites.

(T. V. p. 400, epist. 2. Ad Tentzelium.)

Je suis persuadé que très-souvent on calomnie les Jésuites, et qu'on leur prête des opinions qui ne leur sont pas seulement venues dans la pensée: tel a été Titus Oatès, qui a débité sur leur compte je ne sais combien d'impertinences; par exemple, que leurs généraux disposaient souverainement de tous les emplois civils et militaires, en Angleterre. Je ne dis rien des inepties que contient le livre intitulé: L'empereur et l'empire trahis. Il est encore très-certain qu'il y à dans leur société beaucoup de sujets qui sont les plus honnêtes gens du monde; il est vrai qu'on en compte aussi quelques-uns d'un caractère bouillant, qui, à quelque prix que ce soit, et même par des moyens peu convenables, travaillent à l'agrandissement de leur ordre. Mais ce dernier mal est commun; et si on l'a observé plus particulièrement chez les Jésuites, c'est que eux-mêmes sont plus observés que les autres (68).

pour cet ouvrage, concluant que si lesdits Pères n'avaient fait que ce seul ouvrage, ils mériteraient d'être venus au monde, et d'en être souhaites et estimés.

Nous devons avoir encore quelque part l'ori ginale lettre.

En foi de quoi nous avons signé cette attestation, et y fait apposer le sceau de nos armes. Fait à Mérode ce 8 juillet 1728. ›

Quelque estime que fit Leibnitz des travaux des Jésuites, et quoique bien persuadé qu'ils avaient rendu de très-grands services à l'éducation de la jeunesse, il croyait qu'ils auraient pu en rendre de bien plus grands encore. J'ai toujours pensé, écrivait-il à Placcius (t. VI, p. 65), « qu'on réformerait le genre humain, si l'on réformait l'éducation de la jeunesse. Mais on ne pouria facilement venir à bout de ce dernier point, qu'avec le concours de personnes qui, à la bonne volonté et aux connaissances, joignent encore l'autorité. Les Jésuites pouvaient faire de grandes choses, surtout quand je considère que l'education des jeunes gens fait en partie l'objet de leur institut religieux. Mais, à en juger par ce que nous voyons aujourd'hui, le suc cés n'a pas pleinement répondu à l'attente; et je suis bien éloigné de penser sur ce point comine Bacon, qui. lorsqu'il s'agit d'une meilleure éduca

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