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les raisons que nous connaissons; car elles nous apprennent cette immensité de Dieu dont l'Apôtre parle; mais c'est avouer notre ignorance sur les faits; c'est reconnaître cependant, avant que de voir, que Dieu fait tout le mieux qu'il est possible, suivant la sagesse infinie qui règle ses actions. Il est vrai que nous en avons déjà des preuves et des essais devant nos yeux, lorsque nous voyons quelque chose d'entier, quelque tout accompli en soi et isolé, pour ainsi dire, parmi les ouvrages de Dieu; un tel tout formé, pour ainsi dire, de la main de Dieu, est une plante, un animal, un homme. Nous ne saurions assez admirer la beauté et l'artifice de sa structure. Mais lorsque nous voyons quelques os cassés, quelque morceau de chair des animaux, quelque brin d'une plante, il n'y paraît que du désordre, à moins qu'un excellent anatomiste ne le regarde; et celui-là même n'y reconnaîtrait rien, s'il n'avait vu auparavant des morceaux semblables attachés à leur tout. Il en est de même du gouvernement de Dieu : ce que nous en pouvons voir jusqu'ici n'est pas un assez gros morceau pour y reconnaître la beauté et l'ordre du tout. Ainsi la nature même des choses porte que cet ordre de la cité divine, que nous ne voyons pas encore ici-bas, soit un objet de notre foi, de notre espérance, de notre confiance en Dieu. S'il y en a qui en jugent autrement, tant pis pour eux; ce sont des mécontents dans l'Etat du plus grand et du meilleur de tous les monarques, et ils ont tort de ne point profiter des échantillons qu'il leur a donnés de sa sagesse et de sa bonté infinies, pour se faire connaître non-seulement admirable, mais encore aimable au delà de toutes choses.

MANIÈRE DE PROCÉDER DANS LA JUSTIFICATION DE LA PROVIDENCE.

(Théodicée: Discours sur la conformité, § 32.)

Une des choses qui pourraient avoir contribué le plus à faire croire à Bayle qu'on ne saurait satisfaire aux difficultés de la raison contre la foi, c'est qu'il semble demander que Dieu soit justifié d'une manière pareille à celle dont on se sert ordinairement pour plaider la cause d'un homme accusé devant son juge. Mais il ne s'est point souvenu que dans les tribunaux des hommes, qui ne sauraient toujours pénétrer jusqu'à la vérité, on est souvent obligé de se régler sur les indices et sur les vraisemblances, et surtout sur les présomptions ou préjugés, au lieu qu'on convient, comme nous l'avons déjà remarqué, que les mystères ne sont point vraisemblables. Par exemple, Bayle ne veut point qu'on puisse justifier la bonté de Dieu dans la permission du péché, parce que la vraisemblance serait contre un homme qui se trouverait dans un cas qui nous paraîtrait semblable à cette permission. Dieu prévoit qu'Eve sera trompée par le serpent, s'il la met dans les circonstances où elle s'est trouvée depuis; et cependant il l'y a

mise. Or si un père ou un tuteur en faisait autant à l'égard de son enfant ou de son pupille, un ami à l'égard d'une jeune personne dont la conduite le regarde, le juge ne se payerait pas des excuses d'un avocat qui dirait qu'on a seulement permis le mal, sans le faire ni le vouloir : il prendrait cette permission même pour une marque de mauvaise volonté, et il la considérerait comme un péché d'omission, qui rendrait celui qui en serait convaincu complice du péché de commission d'un autre.

Mais il faut considérer que lorsqu'on a prévu le mal, qu'on ne l'a point empêché, quoiqu'il paraisse qu'on ait pu le faire aisément, et qu'on a même fait des choses qui l'ont facilité, il ne s'ensuit point pour cela nécessairement qu'on en soit le complice; ce n'est qu'une présomption très-forte, qui tient ordinairement lieu de vérité dans les choses humaines, mais qui serait détruite par une discussion exacte du fait, si nous en étions capables par rapport à Dieu; car on appelle présomption chez les jurisconsultes, ce qui doit passer pour une vérité par provision, en cas que le contraire ne se prouve point; et il dit plus que conjecture, quoique le Dictionnaire de l'Académie n'en ait point épluché la différence. Or il y a lieu de juger indubitablement qu'on apprendrait par cette discussion, si l'on y pouvait arriver, que des raisons très-justes et plus fortes que celles qui y paraissent contraires, ont obligé le plus sage de permettre le mal, et de faire même des choses qui l'ont facilité. On en donnera quelques instances ci-des

sous.

Il n'est pas fort aisé, je l'avoue, qu'un père, qu'un tuteur, qu'un ami puisse avoir de telles raisons dans le cas dont il s'agit. Cependant la chose n'est pas absolument impossible, et un habile faiseur de romans pourrait peut-être trouver un cas extraordinaire qui justifierait même un homme dans les circonstances que je viens de marquer : mais à l'égard de Dieu, l'on n'a point besoin de s'imaginer ou de vérifier des raisons particulières qui l'aient pu porter à permettre le mal; les raisons générales suffisent. L'on sait qu'il a soin de tout l'univers, dont toutes les parties sont liées, et l'on en doit inférer qu'il a eu une infinité d'égards, dont le résultat lui a fait juger qu'il n'était pas à propos d'empêcher certains maux.

On doit même dire qu'il faut nécessairement qu'il y ait eu de ces grandes, ou plutôt d'invincibles raisons, qui aient porté la divine Sagesse à la permission du mal, qui nous étonne par cela même que cette permission est arrivée; car rien ne peut venir de Dieu qui ne soit parfaitement conforme à la bonté, à la justice et à la sainteté. Ainsi nous pouvons juger par l'événement (ou a posteriori) que cette permission était indispensable, quoiqu'il ne nous soit pas possible de le démontrer (a priori) par le détail des raisons que Dieu peut avoir eues pour cela; comme il n'est pas nécessaire non plus que nous le montrions pour le justifier. Bayle lui-même

dit fort bien là-dessus (Réponse aux Provinciales, t. III, c. 165, p. 1067): le péché s'est introduit dans le monde, Dieu a donc pu le permettre sans déroger à ses perfections; ab

:

Dieu cette conséquence est bonne il l'a fait, donc il l'a bien fait. Ce n'est donc pas que nous n'ayons aucune notion de la justice en général, qui puisse convenir aussi à celle de Dieu; et ce n'est pas non plus que la justice de Dieu, ait d'autres règles que la justice connue des hommes; mais c'est que le cas dont il s'agit est tout différent de ceux qui sont ordinaires parmi les hommes. Le droit universel est le même pour Dieu et pour les hommes; mais le fait est tout différent dans le cas dont il s'agit.

Nous pouvons même supposer ou feindre, comme j'ai déjà remarqué, qu'il y ait quelque chose de semblable parmi les hommes à ce cas qui a lieu en Dieu. Un homme pourrait donner de si grandes et si fortes preuves de sa vertu et de sa sainteté, que toutes les raisons les plus apparentes que l'on pourrait faire valoir contre lui pour le charger d'un prétendu crime, par exemple d'un larcin, d un assassinat, mériteraient d'être rejetées comme des calomnies de quelques faux témoins, ou comme un jeu extraordinaire du hasard, qui fait soupçonner quelquefois les plus innocents. De sorte que dans un cas où tout autre serait en danger d'être condamné ou d'être mis à la question, selon les droits des lieux, cet homme serait absous par ses juges d'une commune voix. Or dans ce cas, qui est rare en effet, mais qui n'est pas impossible, on pourrait dire en quelque façon (sano sensu) qu'il y a un combat entre la raison et la foi; et que les règles du droit sont autres par rapport à ce personnage, que par rapport au reste des hommes. Mais cela bien expliqué signifiera seulement, que des apparences de raison cèdent ici à la foi qu'on doit à la parole et à la probité de ce grand et saint homme, et qu'il est privilégié par-dessus les autres hommes; non pas comme s'il y avait une autre jurisprudence pour lui, ou comme si l'on n'entendait pas ce que c'est que la justice par rapport à lui; mais parce que les règles de la justice universelle ne trouvent point ici l'application qu'elles reçoivent ailleurs ou plutôt parce qu'elles le favorisent, bien loin de le charger, puisqu'il y a des qualités si admirables dans ce personnage, qu'en vertu d'une bonne logique des vraisemblances, on doit ajouter plus de foi à sa parole qu'à celles de plusieurs autres.

Puisqu'il est permis ici de faire des fictions possibles, ne peut-on pas s'imaginer que cet homme incomparable soit l'adepte ou le possesseur

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humain vient de commettre quelque larcin, n'est-il pas vrai que toute la terre se moquerait de l'accusation, quelque spécieuse qu'elle pût être? Or Dieu est infiniment audessus et cer

homme, et par conséquent il n'y a point de raisons, quelque apparentes qu'elles soient, qui puissent tenir contre la foi, c'est-à-dire contre l'assurance ou contre la confiance en Dieu, avec laquelle nous pouvons et nous devons dire que Dieu a tout fait comme il faut. Les objections ne sont point insolubles; elles ne contiennent que des préjugés et des vraisemblances, mais qui sont détruites par des raisons incomparablement plus fortes. UTILITÉ DES LIVRES EN FAVEUR DE LA RELIGION: POINT CAPITAL AUQUEL IL FAUT S'ATTACHER.

(T. VI, Lettre à M. Th. Burnet, p. 239.)

J'estime beaucoup les livres contre les sociniens ou pour la vérité de la religion, lorsqu'ils sont solides. Il est vrai que la plupart des choses que les auteurs ont coutume de dire sur ces matières sont assez connues

d'ailleurs, et ne consistent qu'en répétitions. Mais quand ce sont des ouvrages comme ceux de Stillingfleet ou de Bentley, on ne les saurait assez louer, à cause du fruit qu'ils peuvent faire auprès des personnes raisonnables, pour leur faire goûter l'excellence de la religion chrétienne. Jaquelot vient de faire imprimer un livre, où il prétend prouver le commencement du monde, selon l'histoire de Moïse, par les histoires profanes, au moins négativement: parce que, dit-il, si le genre humain était plus ancien, il y en aurait plus de marques. Ce livre a quelque chose de bon, quoiqu'il y ait aussi du faible; mais ma maxime est de profiter des livres, et non pas de les critiquer....

Il est à souhaiter qu'on continue de travailler sur la vérité de la religion chrétienne. Il faudrait surtout éclaircir quantité de passages de la sainte Ecriture qui sont sujets à des difficultés. Cependant, comme le but de Jésus-Christ a été d'élever les hommes à Dieu, le principal est de s'attacher à ce grand point, quand même on ne serait pas instruit de tous ces points historiques ou littéraires; et il n'est que trop vrai que ceux qui sont fort savants ne sont pas toujours fort éclai rés par la véritable lumière; il y en a même bien peu qui sachent ce que c'est que cette lumière.

LES MIRACLES ne doiventT ÊTRE CRUS NI TROP FACILEMENT NI REJETÉS TROP LÉGÈREMENT.

(T. V, Epist. ad Tentzelium, p. 401.) Je pense sur les prodiges de la chimie comme sur les miracles de la théologie, c'est-à-dire qu'il ne faut ni les croire trop facilement, ni les rejeter trop légèrement, quoique, grâce à Dieu, les véritables miracles de la théologie soient plus certains que ceux de la chimie, et soient aussi d'une tout autre conséquence.

LA BONNE ÉDUCATION ET LA PROPAGATION DE LA FOI CHRÉTIENNE DOIVENT ÊTRE UN DES PRINCIPAUX OBJETS DE L'ACADÈMIE DE BER

LIN.

(T. V, Sentiment de L. sur le projet d'érection,
p. 175.)

Le roi m'ayant fait l'honneur de demander mon avis sur l'érection d'une société des sciences, que Sa Majesté s'est proposé de fonder, j'ai cru qu'il fallait commencer par le but qu'on s'y propose, puisqu'il doit régler les moyens d'y arriver.

Ce but doit être d'avancer la félicité des hommes, qui consiste principalement dans la sagesse et dans la vertu, et puis dans la santé et les commodités de la vie; d'où résulte enfin, en joignant le tout ensemble, toute la satisfaction dont on est capable icibas, et dont ce n'est pas la moindre partie, de pouvoir la répandre parmi les autres, et contribuer au bonheur général...

Le premier fondement de la félicité humaine est la bonne éducation de la jeunesse, qui contient aussi le redressement des études. Rien n'est plus important en général, et pour le bien des hommes en particulier, que de donner un bon pli à l'esprit comme au corps, en exerçant l'un et l'autre, de bonne heure, en tout ce qui augmente sa perfection, pour gagner le temps que le peu de durée de notre vie ne nous oblige que trop de ménager. C'est une honte de voir combien le temps est mal employé dès la jeunesse, et combien on en perd à apprendre des inutilités, ou à apprendre mal et par détour ce qu'il importe de savoir, et qu'il serait aisé d'obtenir promptement par de bonnes voies. Les règlements qu'on pourrait faire pour cet effet, serviraient en même temps au public et au prince électoral, préférablement à d'autres, de la même manière que si on les avait inventés pour lui seul : comme les ouvrages faits pour Mgr le Dauphin ont servi à tous, et auraient été bien utiles, si ceux qui ont eu soin de ces ouvrages, se fussent attachés davantage aux sciences réelles, au lieu de ne penser presque qu'aux humanités, et à ce qu'on appelle les auteurs classiques employés dans les colléges...

Un point des plus importants serait aussi la propagation de la foi par les sciences, en portant la lumière et la culture chez les peuples éloignés. L'on a trouvé que les mathéinatiques et la médecine ont donné le plus d'entrée aux missionnaires; et comme le czar est porté à favoriser ces sortes de desseins dans tout son grand empire, la bonne intelligence où il se trouve avec Sa Majesté, donnerait aux personnes qu'on voudrait envoyer jusqu'aux Indes et à la Chine, les moyens d'y pénétrer facilement.

MISSIONS A LA CHINE.

(T. V, Epist. ad Kortholtum, p. 323, 325, 328.) Je désirerais bien que les princes qui ai

:

ment la religion véritable, s'appliquassent à en procurer la propagation. Sous le règne du roi Guillaume, il s'était formé une sorte de société en Angleterre, qui avait cette propagation pour objet : mais jusqu'à présent elle n'a pas eu de grands succès. Il conviendrait avant tout de se procurer la connaissance de la langue des peuples auxquels on voudrait annoncer l'Evangile et dans cette vue, il faudrait gagner quelques individus de ces peuples qui fussent bien instruits de leur langue et de leur littérature, et les envoyer en Europe pour y former de jeunes gens. I arriverait de là que les nôtres, quand ils auraient pénétré dans les pays lointains, ne perdraient point de temps à apprendre une langue que les personnes d'un certain âge, et qui sont d'ailleurs chargées d'autres affaires, ne peuvent ordinairement apprendre que bien diflicilement. J'avais autrefois donné le conseil à des Hollandais qui ont beaucoup de Chinois dans leurs colonies orientales, d'en faire venir quelécoles, et apprendraient à des enfants qu'on ques-uns en Europe, qui tiendraient des choisirait, la langue et l'écriture chinoises : ces jeunes gens dans la suite, s'ils étaient de bonnes mœurs, et d'ailleurs suffisamment instruits, seraient très-propres à recevoir dans cette sainte mission et puisque la moisson ne peut être que très-abondante employait de bons ouvriers, je désirerais dans le vaste empire de la Chine, si on y que les nôtres prissent à cœur cette excelchoses où les missions des Jésuites sont en lente œuvre, surtout dans l'état présent des grand danger. Le Pape s'est obstiné à condamner des rites innocents en eux-mêmes, Chinois à Confucius et à leurs ancêtres : tels que sont les honneurs rendus par les qu'arrivera-t-il? ou les Jésuites n'obéiront loin, ou il est fort à craindre que l'empereur pas et éluderont des ordres donnés de si ne les chasse de la Chine. Plût à Dieu que les nôtres voulussent entrer en part de cette sollicitude! je pourrais leur fournir beaucoup de choses dignes d'être envoyées à un aussi sage et aussi grand prince que l'empereur de la Chine... Holstenius pense que la propagation de la foi évangélique, dans cet empire, doit être renvoyée à de meilleurs temps, et qu'il conviendrait mieux de s'occuper présentement de porter l'Evangile dans le Malabar. Je veux bien le croire; ma règle est cependant, quand il s'agit de chofaire l'une et de ne point omettre l'autre, ses avantageuses et qui sont possibles, de d'autant plus qu'on réussira bien plus facilement avec des philosophes et des hommes capables de méditation, tels que les Chinois, qu'avec les Malabares, peuple plongé dans une ignorance grossière.

LE Livre des trois imposteurs EXISTE-T-IL (33)?

(T. V, Epist. ad Kortholtum, p. 356 et 357; Epist. ad Bierlingium, p. 378; Remarques sur le tome Jer des Nouvelles, p. 610.)

Vous me dites (il écrit à Kortholt) que l'infâme Livre des trois imposteurs est couché sur le catalogue des livres de la bibliothèque de Mayer envoyez-moi promptement, je vous prie, ce catalogue. Cependant je ne crois pas qu'il convint d'acheter fort cher l'ouvrage qui porterait ce nom. Un homme méchant et médiocrement instruit aurait pu facilement forger un livre de cette espèce. Pour prouver que l'ouvrage en question, dont on parle depuis si longtemps, est véritablement ancien, il faudrait produire de vieux manuscrits. J'ai vu beaucoup de livres écrits dans ce genre d'impiété, et j'ai toujours pensé qu'ils ne valaient guère la peine d'être lus... Je n'en excepte que l'ouvrage de Bodin, qu'il a intitulé: De arcanis sublimium Heptaplomeres... (34).

On assure que le Livre des trois imposteurs est à Nuremberg, et que Daniel Wulfer, prédicateur de cette ville, l'avait eu autrefois dans sa possession. Mais peu importe au monde savant ou au genre humain qu'un aussi exécrable ouvrage existe caché quelque part... Ce que je sais, c'est que, dans ma jeunesse, j'ai vu fréquemment le ministre Wulfer, et je n'ai jamais entendu dire que cet ouvrage eût été entre ses mains...

Claude Hardi, homme de mérite, dont il est fait mention dans les lettres de Descartes, m'a dit l'avoir vu, ce livre, et que son impression ressemblait à celle des livres que les sociniens faisaient imprimer à Racovie : il m'a bien dit l'avoir vu, mais il ne m'a point

(33) On a prétendu que l'empereur Frédéric Barberousse était l'auteur de ce fameux livre. Leibnitz, qui en parle souvent dans ses lettres, paraît croire qu'il n'a jamais existé. Mais ce qu'il n'a fait que conjecturer, a été démontré dans la suite par de la Monnoye. (Voy. le t. IV, du Nouveau Menagiana.)

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(34) Il faut convenir, › dit Leibnitz, que l'au teur a répandu dans cet ouvrage, ainsi que dans les autres, une assez grande érudition. Je voudrais qu'un savant homme le fit imprimer, mais avec des notes critiques dignes de l'importance du sujet. L'auteur y fait parler un Catholique romain, un luthérien, un calviniste, un Juif, un mahométan, un déiste et un athée. La scène est à Venise, dans la maison du Catholique. Les interlocuteurs y soutiennent leur sentiment avec assez de modération. On n'y décide rien; le Catholique revient perpétuellement à son grand épiphonème: L'Eglise l'a décidé. L'auteur élève beaucoup de questions, et en approfondit peu. Peu s'en faut que tout l'avantage ne reste au Juif. Dans cette conférence, le Catholique et le luthérien sont ceux des interlocuteurs qui se défendent plus faiblement. Après le Juif, celui qui plaide le mieux sa cause, si même il ne la plaide pas aussi bien que lui, c'est le sectateur d'une certaine religion purement naturelle, avec qui se trouve parfaitement d'accord un certain Octavius, défenseur de la religion mahométane. › (T. V, p. 542.)

(55) Pour justifier la conjecture de Leibnitz, nous

dit l'avoir lu. Peut-être que quelque fourbe en a fait imprimer le titre, et le lui a montré attaché à quelque livre, sans le laisser lire dans le livre même...

Au reste, je ne serais point surpris, comme je l'ai déjà insinué, que quelqu'un eût fabriqué un livre qu'il voyait être l'objet de tant de discours et de tant de recherches, et l'eût ensuite jeté dans le public (35).

VANINI.

(T. V, p. 321, epist. 22, Ad Kortholtum.)

Je n'ai pas encore vu l'Apologie de Vanini: je ne pense pas qu'elle mérite fort d'être lue. Les écrits de ce personnage sont bien peu de chose. Mais un imbécile comme lui, ou, pour mieux dire, un fou, ne méritait pas d'être brûlé: on était seulement en droit de l'enfermer, afin qu'il ne séduisit per

sonne.

PRÉCAUTIONS CONTRE LES MAUVAISES DOCTRINES RÉVOLUTIONS GÉNÉRALES DANS LES MOEURS DONT ON EST MENACÉ.

(Nouveaux essais sur l'entendement humain, p. 429.)

On a droit de prendre des précautions contre les mauvaises doctrines qui ont de l'influence dans les mœurs et dans la pratique de la piété, quoiqu'on ne doive pas les attribuer aux gens sans en avoir de bonnes preuves. Si l'équité veut qu'on épar gne les personnes, la piété ordonne de représenter où il appartient le mauvais effet de leurs dogmes quand ils sont nuisibles, comme sont ceux qui vont contre la providence d'un Dieu parfaitement sage, bon et

croyons devoir faire connaître le trait suivant, qui vraisemblablement a échappé à tous ceux qui ont écrit sur ce sujet.

Il existe un livre imprimé en 1613, sans nom de lieu, ayant pour titre : Le magot génévois. Il est dirigé contre le synode huguenot, tenu à Privas, l'an 1612. On y lit, p. 56, ce qui suit: Il fallut enfin juger l'affaire de Bansillon, contre lequel le capitaine Gauthier, gouverneur de Peccais, avait écrit au synode des lettres par lesquelles il l'accusait d'avoir affronté, de 4,000 écus, un médecin papiste de Lyon, nommé Richardon, en lui vendant une recette pour la teinture des métaux, laquelle était fausse Item, de travailler tous les jours à l'alchimie, empoisonnant plusieurs personnes par ses sublimes antimoines et autres drogues vénéneuses faire même la fausse monnaie, métier qu'il aurait appris d'un médecin, dit Barnaud, lequel il avait retiré en sa maison, nonobstant qu'il fût excommu nié pour être convaincu d'arianisme, et avoir fait un livre abominable, duquel le titre seul faisait dresser les cheveux à la tète, l'ayant intitulé: De tribus orbis impostoribus, Mose, Christo, Mahumede.

Ce trait nous a été fourni par le célèbre P. le Mercier, abbé de Saint-Léger, bibliothécaire de la bibliothèque de Sainte-Geneviève, qui l'a consigne à la marge de l'exemplaire des Mémoires de Trevoux que possède cette bibliothèque, en 1737, mois d'octobre, p. 1960.

juste, et contre cette immortalité des âmes qui les rend susceptibles des effets de sa justice, sans parler d'autres opinions dangereuses par rapport à la morale et à la police. Je sais que d'excellents hommes, et bien intentionnés, soutiennent que ces opinions théoriques ont bien moins d'influence dans la pratique qu'on ne pense; et je sais aussi qu'il y a des personnes d'un excellent naturel, à qui les opinions ne feront jamais rien faire d'indigne d'elles. D'ailleurs, ceux qui sont venus à ces erreurs par la spéculation ont coutume d'être naturellement plus éloignés des vices dont le commun des hommes est susceptible, outre qu'ils ont soin de la dignité de la secte dont ils sont comme chefs; et l'on peut dire qu'Epicure et Spinosa, par exemple, ont mené une vie tout à fait exemplaire; mais ces raisons cessent le plus souvent dans leurs disciples ou leurs imitateurs, qui, se croyant déchargés de l'importune crainte d'une Providence surveillante et d'un avenir menaçant, lâchent la bride à leurs passions brutales, et tournent leur esprit à séduire et à corrompre les autres; et s'ils sont ambitieux et d'un caractère un peu dur, ils seront capables, pour leur plaisir ou leur avancement, de mettre le feu aux quatre coins de la terre, et j'en ai connu de cette trempe que la mort a enlevés. Je trouve même que des opinions approchantes, s'insinuant peu à peu dans l'esprit des hommes du grand monde, qui règlent les autres, et dont dépendent les affaires, et se glissant dans les livres à la mode, disposent toutes choses à la révolution générale dont l'Europe est menacée, et achèvent de détruire ce qui reste encore dans le monde des sentiments généreux des anciens Grecs et Romains, qui préféraient l'amour de la patrie et du bien public, et le soin de la postérité, à la fortune et même à la vie. Ces Public spirits, comme les Anglais les appellent, diminuent extrêmement et ne sont plus à la mode, et ils cesseront davantage de l'être quand ils cesseront d'être Soutenus par la bonne morale et la vraie religion, que la raison naturelle même nous enseigne. Les meilleurs du caractère opposé qui commence de régner n'ont plus d'autre principe que celui qu'ils appellent de l'honneur. Mais la marque de l'honnête homme et de l'homme d'honneur chez eux, est seulement de ne faire aucune bassesse, comme ils la prennent..... On se moque hautement de l'amour de la patrie; on tourne en ridicule ceux qui ont soin du public; et quand quelque homme bien intentionné parle de ce que deviendra la postérité, on répond: Alors comme alors. Mais il pourra arriver à ces personnes d'éprouver elles-mêmes les maux qu'elles croient réservés à d'autres. Si l'on se corrige encore de cette maladie d'esprit épidémique, dont les mauvais effets commencent à être visibles, ces maux seront peut-être prévenus; mais si elle va croissant, la Providence corrigera les hommes par la révolution même qui en doit naitre car quoi qu'il puisse arriver, tat

tournera toujours pour le mieux en général, au bout du compte; quoique cela ne doive et ne puisse pas arriver sans le châtiment de ceux qui ont contribué même au bien par leurs actions mauvaises.

SORT DES ENFANTS QUI MEURENT DANS LE PÉCHÉ ORIGINEL, ET DES ADUltes qui n'ont POINT CONNU JÉSUS-CHRIST.

(Théodicée, t. I, p. 92.)

Cette disposition de l'âme qui constitue le péché originel dans un homme qui n'a pas été régénéré par le baptême, suflit-elle pour le damner, quand même il ne viendrait jamais au péché actuel, comme il peut arriver et arrive souvent, soit qu'il meure avant l'âge de raison, soit qu'il devienne bébété avant que d'en faire usage? On soutient que saint Grégoire de Nazianze le nie (Orat. de bapt.), mais saint Augustin est pour l'affirmative, et prétend que le péché originel suffit pour faire mériter les flammes de l'enfer, quoique ce sentiment soit bien dur, pour ne rien dire de plus. Quand je parle ici de la damnation et de l'enfer, j'entends des douleurs, et non pas une simple privation de la félicité suprême ; j'entends pænam sensus, non damni. Grégoire de Rimini, général des Augustins, avec peu d'autres, a suivi saint Augustin contre l'opinion reçue des écoles de son temps, et pour cela il était appelé le bourreau des enfants, tortor infantium. Les scolastiques, au lieu de les envoyer dans les flammes de l'enfer, leur ont assigné un limbe exprès, où ils ne souffrent point, et ne sont punis que par la privation de la vision béatifique. Les Révélations de sainte Brigitte, comme on les appelle, fort estimées à Rome, sont aussi pour ce dogme. Salmeron et Molina, après Ambroise Catharin et autres, leur accordent une certaine béatitude naturelle, et le cardinal Sfondrate, homme de savoir et de piété, qui l'approuve, est allé dernièrement jusqu'à préférer en quelque façon leur état, qui est l'état d'une heureuse innocence, à celui d'un pécheur sauvé, comme l'on voit dans son Nodus prædestinationis solutus; mais il paraît que c'est un peu trop. Il est vrai qu'une âme éclairée comme il faut ne voudrait point pécher, quand elle pourrait obtenir par ce moyen tous les plaisirs imaginables; mais le cas de choisir entre le péché et la véritable béatitude est un cas chimérique; il vaut mieux obtenir la béatitude, quoique après la pénitence, que d'en être privé pour toujours.

Beaucoup de prélats et de théologiens de France, qui sont bien aises de s'éloigner de Molina et de s'attacher à saint Augustin semblent pencher vers l'opinion de ce grand docteur, qui condamne aux flammes élernelles les enfants morts dans l'âge d'innocence avant que d'avoir reçu le baptême. C'est ce qui paraît par la lettre que cinq insignes prélats de France écrivirent au Pape Innocent XII contre ce livre posthume du

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