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tionnés, vous donneront de quoi vivre, quoiqu'ils ne le voulussent pas, ainsi que vous l'avez reconnu par expérience. Mais quand vous mourriez de faim en vous conduisant de la sorte, oh! que bienheureuses seraient les religieuses de Saint-Joseph! Je vous conjure, au nom de Dieu, de graver ces paroles dans votre mémoire; et puisque vous avez renoncé à avoir des revenus, renoncez aussi au soin de ce qui regarde votre nourriture. Si vous ne le faites, vous êtes perdues.

Que ceux à qui Notre-Seigneur permet d'avoir des revenus prennent ces sortes de soins, à la bonne heure, puisqu'ils le peuvent sans contrevenir à leur vocation. Quant à nous, mes filles, il y aurait de la folie; car ne serait-ce pas porter ses pensées sur co qui appartient aux autres, que de penser à ces revenus? Et vos soins inspireraient-ils aux personnes une volonté qu'elles n'ont point, pour les engager à faire des charités? Remettez-vous de ce soin à celui qui domine sur le cœur, et qui n'est pas moins le maître des richesses que des riches.

Prenons garde seulement de ne pas manquer à ce que nous lui devons, et ne craignons point qu'il manque à ce qu'il nous a promis. Mais quand cela arriverait, ce serait sans doute pour notre avantage; de même que la gloire des saints s'est augmentée par le martyre. Oh! que ce serait un heureux échange de mourir bientôt, faute d'avoir de quoi vivre, pour jouir d'autant plus tôt d'une vie et d'un bonheur qui ne finiront jamais!

Pesez bien, je vous prie, mes sœurs, l'importance de cet avis, que je vous laisse par écrit, afin que vous vous en souveniez après ma mort; car, tandis que je serai au monde, je ne manquerai pas de vous en renouveler souvent la mémoire, à cause que je sais par expérience l'avantage qu'il y a de la pratiquer. Moins nous avons, moins j'ai de soins; et Notre-Seigneur sait qu'il est très-vrai que la nécessité ne me donne pas tant de peine que l'abondance, si je puis dire avoir éprouvé de la nécessité, vu la promptitude avec laquelle il a toujours plu à Dieu de nous secourir.

Que si nous en usions autrement, ne serait-ce pas tromper le monde, puisque vouJant passer pour pauvres, il se trouverait que nous ne le serions pas d'affection, mais seulement en apparence? Certainement j'en aurais du scrupule, parce qu'il me semble que nous serions comme des riches qui demanderaient l'aumône; et Dieu nous garde que cela soit! Après s'être laissé aller une ou deux fois à ces soins excessifs de recevoir des charités, ils se tourneraient enfin en contume; et il pourrait arriver que nous demanderions ce qui ne serait pas nécessaire, à des personnes qui en auraient plus besoin que nous : il est vrai qu'elles pourraient gagner en nous les donnant; mais nous y perdrions sans doute beaucoup.

Que Dieu ne permette pas, s'il lui plaît, mes filles, que vous tombicz dans cette

faute : et si cela devait être, j'aimerais encore mieux que vous eussiez des revenus. Je vous demande en aumône, et pour l'amour de Notre-Seigneur, qu'une pensée si dangereuse n'entre jamais dans votre esprit; mais si ce malheur arrivait en cette maison, celle-là même qui serait la moindre de toutes les sœurs, devrait pousser des cris vers le Ciel, et représenter avec humilité à sa supérieure que cette faute est si importante, qu'elle ruinerait peu à peu la véritable pauvreté. J'espère, avec la grâce de Dieu, que cela ne sera point, qu'il n'abandonnera pas ses servantes, et que quand ce que j'écris pour satisfaire à votre désir ne serait utile à autre chose, il servira au moins à vous réveiller si vous tombiez en ce cas dans la négligence. Croyez, je vous prie, mes filles, que Dieu a permis, pour votre bien, que j'eusse quelque intelligence des avantages qui se rencontrent dans la sainte pauvreté. Ceux qui la pratiqueront les comprendront, mais non pas peut-être autant que moi, parce qu'au lieu d'être pauvre d'esprit, comme j'avais fait vœu de l'être, j'ai été longtemps folle d'esprit et ainsi, plus j'ai été privée d'un si grand bien, plus j'ai reconnu par expérience que c'est un extrême bonheur à une âme de le posséder.

Cette heureuse pauvreté est un si grand bien, qu'il renferme tous les biens du monde. Oui, je le redis encore, il renferme tous les biens du monde, puisque mépriser le monde, c'est être le maître du monde. Car pourquoi me soucierais-je d'avoir la faveur des grands et des princes, si je ne voulais ni avoir leurs biens, ni jouir de leurs délices, et si j'étais très-fachée de rien faire pour leur plaire, qui pût déplaire à Dieu en la moindre chose? Comment pourrais - je désirer aussi leurs vains honneurs, sachant que le plus grand honneur d'un pauvre consiste à être pauvre véritablement? Je tiens que les honneurs et les richesses vont presque toujours de compagnie celui qui aime les honneurs ne saurait hair les richesses, et celui qui méprise les richesses ne se soucie guère des lionneurs.

Comprenez bien ceci, je vous prie. Pour moi, il me semble que l'honneur est toujours suivi de quelque intérêt de bien; car il arrive très-rarement qu'une personne pauvre soit honorée dans le monde, quoique sa vertu la rende digne de l'être, et l'on en tient, au contraire, fort peu de compte. Mais quant à la véritable pauvreté, elle est accompagnée d'un certain honneur qui fait qu'elle n'est à charge à personne. J'entends par cette pauvreté celle que l'on souffre seulement pour l'amour de Dieu, laquelle ne se met point en peine de contenter que lui seul; et l'on ne manque jamais d'avoir beaucoup d'amis, lorsqu'on n'a besoin de personne; je le sais par expérience.

Puis donc, mes filles, que nos armes sont la sainte pauvreté, et que ceux qui doivent bien le savoir, m'ont appris que les saints Pères qui ont été les fondateurs de notre ordre, Tont, dès le commencement, tant es

limée et si exactement pratiquée, qu'ils ne gardaient rien d'un jour à l'autre; si nous ne les pouvons imiter dans l'extérieur, en la pratiquant avec la même perfection, tachons au moins de les imiter dans l'intérieur. Nous n'avons que quelques heures à vivre : la récompense qui nous attend est très-grande et quand il n'y en aurait point d'autre que de faire ce que Notre-Seigneur nous conseille, ne serions-nous pas assez bien récompensées par le bonheur d'avoir imité en quelque chose notre divin Maître ?

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Je le dis encore: ce sont là les armes qui doivent paraître dans nos enseignes; et il n'y a rien en quoi nous ne devions témoigner notre amour pour la pauvreté, dans nos logements, dans nos habits, dans nos paroles, et par-dessus tout, dans nos pensées. Tandis que vous tiendrez cette conduite, ne craignez point qu'avec la grâce de Dieu, l'observance soit bannie de cette maison, car, comme disait sainte Claire, la pauvreté est un grand mur; et elle ajoutait qu'elle voulait s'en servir, et de celui de l'humilité, pour enfermer ses monastères. Il est certain que si l'on pratique véritablement cette sainte pauvreté, la continence et toutes les autres vertus se trouveront beaucoup mieux soutenues et plus fortifiées par elles que par de somptueux édifices.

CHAPITRE V.

Vive recommandation aux mêmes religieuses de ne point construire de beaux bati

ments.

Seigneur, mon Dieu, que les superbes bâtiments et les plaisirs extérieurs sont peu capables de donner des consolations intérieures! Je vous conjure, mes sœurs, pour l'amour que vous portez à la suprême Majesté, de demeurer toujours dans un grand détachement à l'égard de ces maisons magnifiques et somptueuses, et d'avoir sans cesse devant les yeux ces saints fondateurs de notre ordre, qui sont nos Pères, que nous savons être arrivés, par la pauvreté et l'humilité, à la jouissance éternelle de la présence de Dieu.

J'ai éprouvé que moins le corps a ses commodités, plus l'âme ressent de joie. Quel avantage pouvons-nous tirer de ces grands logements, n'ayant l'usage que d'une celJule? et que nous importe qu'elle soit belle et spacieuse, puisque nous ne devons pas nous occuper à en regarder les murailles? Considérons combien peu de temps il nous reste à demeurer dans ces maisons maté

rielles; il faut les quitter avec la vie, qui, quelque longue qu'elle soit, passera si vite. Tout ce qui paraît de plus rude ne doit-il pas nous sembler doux, lorsque nous pensons que moins nos sens auront eu de contentement ici-bas, plus nos âmes en recevront dans cette heureuse éternité, dont les di vers degrés de gloire sont proportionnés à l'amour qui nous aura fait imiter les actions de notre divin Epoux? Témoignons-lui no

tre respect, et aux saints Pères nos fondateurs, en nous conformant à la vie qu'ils ont menée sur la terre: et si notre faiblesse nous rend incapables de marcher en toutes choses sur leurs pas, faisons au moins ce qui n'intéresse pas tellement notre santé qu'il y aille de notre vie. Il ne s'agit que d'un peu de travail et d'un travail agréable, comme il l'était à ces grands saints. La résolution n'en est pas plutôt prise, que la difficulté que l'on y trouvait s'évanouit; et la peine n'est que dans le commencement.

Je conjure, au nom de Jésus-Christ et de son précieux sang, celles qui viendront après nous, de se bien garder de faire de ces bâtiments superbes : et si c'est une prière que je puisse faire en conscience, je prie Dieu, que si elles se laissent emporter à un tel excès, ces bâtiments tombent sur leurs têtes, et qu'ils les écrasent toutes; car, mes filles, quelle apparence y aurait-il de bâtir de grandes maisons du bien des pauvres? Mais que Dieu ne permette pas, s'il lui plaft, que nous ayons jamais autre chose que de vil et de pauvre. Imitons en quelque chose notre Roi: il n'a eu pour maison que la grotte de Bethléem où il est né, et la croix où il est mort. Etaient-ce là des demeures fort agréables? Quant à ceux qui font de grands bâtiments, ils en savent les raisons, et ils peuvent avoir des intentions saintes que je ne sais pas.

Ayez continuellement devant les yeux que tous les édifices du monde tomberont au jour du jugement, et que nous ignorons si ce jour est proche. Or quelle apparence y aurait-il que la maison de quelques pauvres filles ne pût tomber sans faire un grand bruit? Les vrais pauvres doivent-ils en faire? et aurait-on compassion d'eux s'ils en faisaient?

CHAPITRE VI.

Obligation, dans les monastères de religieuses, de prier Dieu pour les ecclésiastiques et les religieux qui travaillent dans le monde. Prière de sainte Thérèse.

Puisque l'hérésie qui s'est élevée en ce siècle est comme un feu dévorant qui fait toujours de nouveaux progrès, et que le pouvoir des hommes n'est pas capable de l'arrêter, il me semble que nous devons agir comme un prince qui, voyant que ses ennemis ravageraient tout son pays, et qu'il ne serait pas assez fort pour leur résister en campagne, se retirerait avec quelques troupes choisies dans une place qu'il ferait extrêmement fortifier, d'où il ferait, avec ce petit nombre, des sorties qui les incommoderaient beaucoup plus que ne pourraient faire de grandes troupes inal aguerries; car il arrive souvent que par ce moyen on demeure victorieux, et au pis aller, on ne saurait périr que par la famine, puisqu'il n'y alpoint de traitre parmi ces gens-là. Or, mes sœurs, la famine peut bien nous presser dans nos monastères, mais non pas nous

contraindre de nous rendre ; elle peut bien nous faire mourir, mais non pas nous vaincre.

Or pourquoi vous dis-je ceci ? C'est pour vous faire connaître que ce que nous devons demander à Dieu, est qu'il ne permette pas que dans cette place où les bons Chrétiens se sont retirés, il s'en trouve qui aillent se jeter du côté des ennemis, mais qu'ils fortifient la vertu et le courage des prédicateurs et des théologiens qui sont comme les chefs de ces troupes, et fasse que les religieux qui composent le plus grand nombre de ces soldats, s'avancent de jour en jour dans la perfection que demande une Vocation si sainte. Cela importe infiniment, parce que c'est des forces ecclésiastiques, et non pas des séculières, que nous devons attendre notre secours.

Puisque nous sommes incapables de rendre dans cette occasion quelque service à notre Roi, efforçons-nous au moins d'être telles que nos prières puissent aider ceux de ses serviteurs qui, n'ayant pas moins de doctrine que de vertu, travaillent avec tant de courage pour son service. Que si vous me demandez pourquoi j'insiste tant sur ce sujet et je vous exhorte d'assister ceux qui sont beaucoup meilleurs que nous, je réponds que c'est parce que je crois que vous ne comprenez pas encore assez quelle est l'obligation que vous avez à Dieu de vous avoir conduites en un lieu où vous êtes affranchies des affaires, des engagements et des conversations du monde. Cette faveur est plus grande que vous ne le sauriez croire, et ceux dont je vous parle sont bien éloignés d'en jouir: il ne serait pas même à propos qu'ils en jouissent, principalement en ce temps, puisque c'est à eux de fortifier les faibles et d'encourager les timides; car à quoi seraient bons des soldats qui manqueraient de capitaine? Il faut donc qu'ils vivent parmi les hommes, qu'ils conversent avec les hommes; et qu'entrant dans les palais des grands et des rois, ils y paraissent quelquefois, pour ce qui est de l'extérieur, semblables aux autres hommes.

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Or pensez-vous, mes filles, qu'il faille peu de vertu pour vivre dans le monde, pour traiter avec le monde, et pour s'engager dans les affaires du monde ? Pensez-vous qu'il faille peu de vertu pour converser avec le monde, et pour être en même temps, dans son cœur, non-seulement éloigné du monde, mais aussi ennemi du monde, pour vivre sur la terre comme dans un lieu de bannissement, et enfin, pour être des anges et non pas des hommes ? car, s'ils ne sont tels, ils ne méritent pas de porter le nom de capitaines et je prie Notre-Seigneur de ne pas permettre qu'ils sortent de leurs cellules; ils feraient beaucoup plus de inal que de bien, puisque ce n'est pas maintenant le temps de voir des défauts en ceux qui doivent enseigner les autres, et que, s'ils sont bien affermis dans la piété, et fortement per

suadés combien il importe de fouler aux pieds tous les intérêts de la terre, et de se détacher de toutes les choses périssables, pour s'attacher seulement aux éternelles, ils ne sauraient empêcher que l'on ne découvre leurs défauts, quelque soin qu'ils prennent de les cacher. Comme c'est avec le monde leur pardonnera pas, mais qu'il remarquera qu'ils traitent, ils peuvent s'assurer qu'il ne jusqu'à leurs moindres imperfections, sans s'arrêter à ce qu'ils auront de bon, ni peutêtre même sans le croire.

J'admire qui peut apprendre à ces personnes du monde ce que c'est que la perfection; car ils la connaissent, non pour la suivre, puisqu'ils ne s'y croient point obligés, et s'imaginent que c'est assez d'observer les simples commandements, mais pour employer cette connaissance à examiner et à condamner jusqu'aux moindres défauts des autres. Quelquefois même ils raffinent de telle sorte, qu'ils prennent pour une imperfection et pour un relâchement ce qui est en effet une vertu. Vous imaginez-vous donc que les serviteurs de Dieu n'aient pas besoin qu'il les favorise d'une assistance tout extraordinaire, pour s'engager dans un si grand et si périlleux combat?

Tâchez, je vous prie, mes sœurs, de vous rendre telles que vous méritiez d'obtenir ces deux choses de sa divine Majesté la première, que, parmi tant de personnes savantes et tant de religieux, il s'en trouve plusieurs qui aient les conditions que j'ai dit être nécessaires pour travailler à ce grand ouvrage, et qu'il lui plaise d'en rendre capables ceux qui ne le sont pas encore assez, puisqu'un seul homme parfait rendra plus de services qu'un grand nombre d'imparfaits : la seconde, que, lorsqu'ils seront engagés dans une guerre si importante, Notre-Seigneur les soutienne par sa main toute-puissante, afin qu'ils ne succombent pas dans les périls continuels où l'on est exposé dans le monde, mais qu'ils bouchent leurs oreilles aux chants des sirènes qui se rencontrent sur une mer si dangereuse. Que si, dans l'étroite clôture où nous sommes, nous pouvons par nos prières contribuer en quelque chose à ce grand dessein, nous aurons aussi combattu pour Dieu; et je m'estimerai avoir très-bien employé les travaux que j'ai soufferts pour établir cette petite maison où je prétends que l'on garde la règle de la sainte Vierge, notre Reine, avec la même perfection qu'elle se pratiquait au commencement.

Ne croyez pas, mes filles, qu'il soit inutile de faire sans cesse cette prière, quoique plusieurs pensent que c'est une chose bien rude de ne pas prier beaucoup pour soimême. Croyez-moi, nulle prière n'est meilleure ni plus utile; et si vous craignez qu'elle ne serve pas à diminuer les peines que vous devez souffrir dans le purgatoire, je vous réponds qu'elle est trop sainte pour n'y pas servir: mais quand vous y perdriez quelque chose en votre particulier, à la bonne heure.

Et que m'importe quand je demeurerais

CHAPITRE VII.'

les communautés.

jusqu'au jour du jugement en purgatoire, Amitiés particulières très-dangereuses dans si je pouvais, par mes oraisons, être cause du salut d'une ame; et à plus forte raison, si je pouvais servir à plusieurs et à la gloire de Notre-Seigneur? Méprisez, mes sœurs, des peines qui ne sont que passagères, lorsqu'il s'agit de rendre un servive beaucoup plus considérable à celui qui a tant souffert pour l'amour de nous. Tâchez de vous instruire sans cesse de ce qui est le plus parfait; traitez toujours de ce qui regarde votre salut avec des personnes doctes et capables: il y va de sa gloire et du bien de son Eglise, qui sont le but de tous mes désirs.

J'avoue que ce serait une grande témérité à moi de croire que je pusse contribuer en quelque chose pour obtenir une telle grâce; mais je me confie, mon Dieu, aux prières de vos servantes avec qui je suis, parce que je sais qu'elles n'ont autre dessein ni autre prétention que de vous plaire. Elles ont quitté pour l'amour de vous le peu qu'elles possédaient, et auraient voulu quitter davantage pour vous servir. Comment pourrai-je donc croire, 6 mon Créateur! qu'étant aussi reconnaissant que vous êtes, vous rejelassiez leurs demandes ? Je sais que lorsque vous étiez sur la terre, non-seulement vous n'avez point eu de mépris pour notre sexe, mais que vous avez même répandu vos faveurs sur plusieurs femmes avec une bonté admirable. Quand nous vous demanderons de l'honneur, ou de l'argent, ou des revenus, ou quelqu'une de ces autres choses que l'on recherche dans le monde, alors ne nous écoutez point. Mais pourquoi n'écouteriez-vous pas, & Père éternel! celles qui ne vous demandent que ce qui regarde la gloire de votre Fils, qui mettent toute la leur à vous servir, et qui donneraient pour vous mille vies? Je ne prétends pas néanmoins, Seigneur, que vous accordiez cette grace pour l'amour de nous; je sais que nous ne la méritons pas; mais j'espère de l'obtenir en considération de votre Fils: ayez seulement égard à ses mérites et à ceux de la glorieuse Vierge sa Mère, des martyrs et de tous les saints qui ont donné leur vie pour votre service. Mais, hélas ! mon Seigneur, qui suisje, pour oser au nom de tous, vous présenter cette requére? Ah! mes filles, quelle mauraise médiatrice pour faire une telle demande pour vous et pour l'obtenir ! Ma témerité ne servira-t-elle pas plutôt d'un sujet très-juste pour augmenter l'indignation de ce redoutable et souverain Juge dont j'implore la clémence? Mais, Seigneur, puisque vous êtes un Dieu de miséricorde, ayez pitié de cette pautre pécheresse, de ce ver de terre, et pardonnez à ma hardiesse. Ne considérez pas mes péchés: considérez plutôt mes désirs et les larmes que je répands en vous faisant cette prière, je vous en conjure par vous-même. Ayez pitié de tant d'ames qui se perdent : secourez, Seigneur, votre Eglise, arrêtez le cours de tant de maux qui affligent la chrétienté, et faites luire votre lumière parmi les ténèbres.

Il en est qui s'imaginent que l'excès d'amitié ne peut être dangereux dans les communautés : il est néanmoins si préjudiciable, et entraîne tant d'imperfections après soi, que j'estime qu'il n'y a que ceux qui l'ont remarqué de leurs propres yeux, qui puissent le croire : le démon s'en sert comme d'un 'piége si imperceptible à ceux qui se contentent de servir Dieu imparfaitement, que cette affection démesurée passe dans leur esprit pour une vertu. Mais ceux qui le danger, et savent que cette affection mal aspirent à la perfection en connaissent bien pêche de s'employer entièrement à aimer réglée affaiblit peu à peu la volonté et l'emDieu. Ce défaut se rencontre encore plutôt, à mon avis, entre les femmes qu'entre les hommes, et apporte un dommage visible à toute la communauté, parce qu'il arrive de là que l'on n'aime pas également toutes les sœurs; que l'on sent le déplaisir qui est fait à son amie; que l'on désire avoir quelque chose à lui donner; que l'on cherche l'occasion de lui parler, sans avoir le plus soùet autres choses impertinentes, plutôt que de vent rien à lui dire, sinon qu'on l'aime, Dieu. Il arrive même si rarement que ces lui parler de l'amour que l'on doit avoir pour grandes amitiés aient pour fin de s'entr'aider à l'aimer, que je crois que le démon les fait naître pour former des figues et des factions dans les monastères : car quand on ne s'aime que pour servir sa divine Majesté, les effets le font bientôt connaître en ce qu'au lieu que les autres s'entr'aiment pour satisfaire traire, dans l'affection qu'elles se portent, leurs passions, celles-ci cherchent, au conun remède pour vaincre leurs passions.

Quant à cette dernière sorte d'amitié, je il s'en trouvat beaucoup; car pour celui-ci souhaiterais que dans les grands monastères, qui est peu nombreux, toutes les sœurs doivent être amies, toutes doivent se chérir, toutes se doivent assister, et quelque sainte Notre-Seigneur, de bien se garder'de ces sinqu'elles soient,je les conjure, pour l'amour de gularités où je vois si peu de profit, puisque, entre les frères mêmes, c'est un poison d'auplus proches. tant plus dangereux pour eux qu'ils sont

Croyez-moi, mes sœurs, quoique ce que duit à une grande perfection; il produit dans je vous dis vous semble un peu rude, il conl'âme une grande paix, et fait éviter plusieurs occasions d'offenser Dieu à celles qui ne sont pas tout à fait si fortes. Si notre inclination nous porte à aimer plutôt une sœur qu'une autre, ce qui ne saurait pas ne point arriver, puisque c'est un mouvement naturel qui, souvent même, nous fait aimer davanquand il se rencontre que la nature les a fatage les personnes les plus imparfaites, vorisées de plus de grâces, nous devons alors nous tenir extrêmement sur nos gardes, afin de ne nous point laisser dominer

par cette affection naissante. Aimons les vertus, mes filles, et les biens intérieurs: ne négligeons aucun soin pour nous désabuser de ces biens extérieurs, et ne souffrons point que notre volonté soit esclave, si ce n'est de celui qui l'a rachetée de son propre sang.

Que celles qui ne profiteront pas de cet avis prennent garde de se trouver, sans y penser, dans des liens dont elles ne pour ront se dégager. Hélas! mon Dieu, mon Sauveur, qui pourrait compter combien de sottises et de 'niaiseries tirent leur origine de cette source? Mais comme il n'est pas besoin de parler ici de ces faiblesses quí se trouvent parmi les femmes, ni de les faire connaître aux personnes qui les ignorent, je ne veux pas les rapporter en détail. J'avoue que j'ai été quelquefois épouvantée de les voir, je dis de les voir; car, par la miséricorde de Dieu, je n'y suis guère tombée. Je les ai remarquées souvent, et je crains bien qu'elles ne se rencontrent dans la plupart des monastères, ainsi que je l'ai vu en plusieurs, parce que je sais que rien n'est plus capable d'empêcher les religieuses d'arriver à une grande perfection, et que dans les supérieures, comme je l'ai déjà dit, c'est une peste.

Il faut apporter un extrême soin à couper la racine de ces partialités et de ces amitiés dangereuses aussitôt qu'elles commencent à naître; mais il le faut faire avec adresse et avec plus d'amour que de rigueur. C'est un excellent remède pour cela, de n'être ensemble qu'aux heures ordonnées, et de ne point se parler, mais de demeurer séparées, comme la règle le commande, et se retirer chacune dans sa cellule. Ainsi, quoique ce soit une coutume louable d'avoir une chambre commune où l'on travaille, je vous exhorte à n'en point avoir dans ce monastère, parce qu'il est beaucoup plus facile de garder le silence lorsqu'on est seule, outre qu'il importe extrêmement de's'accoutumer à la solitude pour pouvoir bien faire l'oraison, qui doit être le fondement de la conduite de cette maison, puisque c'est principalement pour ce sujet que nous sommes ici assemblées.

CHAPITRE VIII.

Langage que doivent tenir les religieuses.

Ce n'est plus le temps, quand on est dans une communauté religieuse, de s'amuser à des jeux d'enfants, tels que sont, ce me semble, ces amitiés que l'on voit d'ordinaire dans le monde, quoiqu'en elles-mêmes elles soient bonnes. Ainsi, vous ne devez jamais user de ces paroles: Maimez-vous donc bien? ne m'aimez-vous point? ni avec vos parents, ni avec nul autre, si ce n'est pour quelque fin importante, ou pour le bien spirituel de quelque personne; car il arrivera peut-être que pour disposer quelqu'un de yos frères ou de vos proches, ou quelque autre personne semblable à écouter une vérité, et à en faire son profit, il sera besoin

d'user de ces témoignages d'amitié si agréables aux sens, et même qu'une de ces paroles obligeantes (car c'est ainsi qu'on les nomme dans le monde) fera un plus grand effet dans leur esprit que plusieurs autres qui seraient purement selon le langage de Dieu, et qu'ensuite de cette disposition, elles les toucheront beaucoup plus qu'elles n'auraient fait sans cela. Ainsi, pourvu que l'on n'en use que dans cette vue et dans ce dessein, je ne les désapprouve pas ; mais autrement elles n'apporteraient aucun profit, et pourraient nuire sans que vous y prissiez garde. Les gens du monde ne saventils pas qu'étant religieuses, votre occupation est l'oraison? Sur cela, gardez-vous bien de dire Je ne veux pas passer pour bonne dans leur esprit; puisque faisant, comme vous faites, partie de la communauté, tout le bien ou tout le mal qu'ils remarqueront en vous retombera aussi sur elle. C'est sans doute un grand mal que des personnes religieuses, qui sont si particulièrement obligées à ne parler que de Dieu, s'imaginent pouvoir avec raison dissimuler en de semblables occasions, ce qui ne peut se faire que pour quelque grand bien, et cela n'arrive que très-rarement. Ce doit être là votre manière d'agir; ce doit être votre langage: que ceux qui voudraient traiter avec vous l'apprennent donc, si bon leur semble; et s'ils ne le font, gardez-vous bien d'apprendre le leur, qui serait pour vous le chemin de l'enfer. S'ils vous prennent pour des filles grossières et inciviles, que vous importe? S'ils vous prennent pour des hypocrites, il vous importe encore moins. Vous y gagnerez de n'être visitées que de ceux qui sont accoutumés à votre langage; car comment celui qui n'entendrait pas l'arabe pourrait-il prendre plaisir de parler beaucoup à un homme qui ne saurait aucune autre langue? Ainsi ils ne vous importuneront plus, ni ne vous causeront aucun préjudice; au lieu que vous en recevrez un fort grand de commencer à parler un autre langage tout votre temps se consumerait à cela; et vous ne pourriez savoir comme moi qui l'ai expérimenté, quel est le mal qu'en reçoit une âme en voulant apprendre cette langue, on oublie l'autre, et on tombe dans une inquiétude continuelle qu'il faut fuir sur toutes choses, parce que rien n'est plus nécessaire que la paix et la tranquillité d'esprit pour entrer et pour marcher dans le chemin de la perfection.

CHAPITRE IX.

Attachement à son confesseur souvent trèspréjudiciable liberté de le changer et d'en consulter un autre.

Il y a deux sortes de bonnes amours: l'un est purement spirituel, parce qu'il n'a rien qui tienne de la sensualité et de la tendresse de notre nature: l'autre est aussi spirituel, mais notre sensualité et notre faiblesse s'y mêlent : c'est toutefois un bon

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