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dividuel que notre sainte religion (1)? D'où il paraît manifestement que c'est un seul et même Dieu qui a donné aux créatures les lois de la nature, et aux hommes les lois chréliennes; aussi nous lisons que quelques saints personnages ont été jusqu'à désirer d'être effacés du livre de vie, si cela devait contribuer au salut de leurs frères, poussés par un enthousiasme de charité et un amour du bien commun qui ne connaissait point de bornes. Le point de la prépondérance du bien commun sur le bien particulier, une fois établi

(1) L'auteur de l'analyse de la Philosophie de Bacon a cru devoir accueillir ce témoignage rendu à la beauté et à la morale de l'Evangile; témoignage apparemment conforme à ce qu'il pensait lui même, et à ce qu'ont reconnu hautement les plus mortels ennemis du christianisme. Voici comment il le rend et l'embellit encore.

On doit au christianisme l'idée des vertus les plus belles qui aient paru sur la terre: la charité, qui embrasse toutes les ressources de bonheur public; ‹ et l'humilité, qui fonde l'amour et l'estime des autres hommes sur le mépris et le détachement de soi-même. Où a-t-on vu, si ce n'est chez les chrétiens, pousser l'héroïsme jusqu'à désirer l'anéantissement et la privation même de son propre bonheur, si l'on pouvait, à ce prix, racheter celui du genre humain? Pieuse exagération, mais bien conforme à l'esprit d'un législateur dont la morale ne ‹ respire que l'humanité. ›

Ce témoignage si évidemment vrai, et comme nous l'avons déjà observé, rendu jusqu'ici par les ennemis mêmes les plus injustes de la religion chrétienne, a déplu à l'auteur du Dictionnaire de la Philosophie ancienne et moderne, et l'a mis de très-mauvaise humeur. Cet auteur a fait sur le témoignage précédent la note suivante :

Nous ne garantissons point la justesse de toutes les pensées de Bacon. Notre devoir est de les exposer fidèlement, de le faire parler en philosophe toutes les fois que ses vues, ses idées, ses expressions en conservent le caractère, de lui laisser même ses préjugés superstitieux dont il ne paraît pas exempt, soit qu'à cet égard peu différent de quelques philosophes célèbres de nos jours, il ait en effet pensé comme le peuple, soit que sur les mêmes objets, de même que sur beaucoup d'autres matières, élevé au-dessus de son siècle et des opinions peu réfléchies de la multitude, il ait cru néanmoins devoir s'exprinier comme elle, et payer en public son tribut à l'erreur commune, page 337. ›

Ainsi voilà Bacon, qui, d'ailleurs, est aux yeux de l'auteur du Dictionnaire, un des plus grands génies qui aient paru dans le monde, traduit, à propos de l'éloge qu'il a fait de la charité chrétienne, comme un superstitieux qui a la faiblesse de croire avec la multitude, ou comme un hypocrite, qui, sans aucune espèce de nécessité, professe des sentiments qu'il n'a pas, et dans la matière la plus importante, ment impudemment à tout l'univers. Si Bacon était un athée, T'hypocrisie et la fourberie ne seraient point la matière d'un reproche à lui faire, parce qu'il n'y a point de morale pour un athée qui raisonne, et que s'il trouve de l'avantage à tromper et à mentir, ce serait pour lui une inconséquence et une sottise de ne point tromper et de ne point mentir; mais Bacon n'était pas un athée, et l'auteur le sait bien. C'est donc lui faire le plus grand outrage, que de soupçonner seulement, qu'en rendant si fréquemment hommage à la sainteté et à la vérité du christianisme, il parlait contre sa conscience et contre ses lumières. Il est vraiment pénible d'avoir à faire de semblables obser

vations.

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et reconnu, fait cesser quelques disputes trèsimportantes qui divisent les écoles de la phi losophie morale. D'abord il termine, contre Aristote, la question: si la vie contemplative est préférable à la vie active; effectivement, toutes les raisons qu'allègue ce philosophe pour faire adjuger la préférence à la première, ne se rapportent qu'au bien particulier, au plaisir seulement, ou à l'honneur de l'individu; sous ce point de vue, il est bien conl'autre; et on peut lui appliquer la comparai, stant que la vie contemplative l'emporte sur son dont se servit Pythagore, pour faire entendre combien l'état d'observateur et de philosophe était recommandable. Interrogé par Hyéron, roi de Syracuse, sur sa profession, il répondit à ce prince: Vous avez peut-être assisté aux jeux olympiques; et dans ce cas, vous savez parfaitement que parmi ceux qui disputer les prix, les autres de débiter leurs viennent à ces jeux, les uns se proposent de marchandises; les autres, de voir leurs amis qui se rendent là de toutes parts, et de donner quelques jours aux amusements et à la bonne chère; enfin, qu'il en était quelques-uns qui venaient uniquement pour être spectateurs de tous les autres, et qu'il était du nombre de ces derniers. Mais les hommes doivent savoir que, sur le théâtre de la vie humaine, il n'y a que Dieu et les anges à qui il convient d'être spectateurs; et on n'a jamais pu sur cela élever quelques doutes dans l'Eglise.

Il est vrai que plusieurs personnes, pour exalter les avantages de la mort civile et les instituts de la vie monastique ou régulière, ont voulu bien souvent tirer avantage de ce passage du prophète : la mort des saints du Seigneur est précieuse à ses yeux; mais il est en même temps vrai que la vie monastique n'est point une vie purement contemplative, et qu'elle est toute remplie d'exercices utiles à l'Eglise, tels que sont l'oraison continuelle, les sacrifices offerts au Seigneur, la composition d'ouvrages de théologie, propres à répandre la connaissance de la loi de Dieu, composition au reste que le repos dont on jouit dans la solitude rend aussi plus facile ; c'est ainsi que Moïse s'occupa pendant sa retraite de quarante jours sur la montagne; (Judæ, I, 14), le premier homme qu'on sache c'est ainsi qu'Enoch, septième depuis Adam avoir mené la vie contemplative (car c'est apparemment pour indiquer ce genre de vie que f'Ecriture dit qu'il marcha avec le Seigneur), n'en a pas moins enrichi l'Eglise d'un livre de prophéties, qui même a été cité par l'apôtre saint Jude. Mais quant à la vie qui serait purement contemplative, qui se bornerait à elle-même et ne répandrait sur la société humaine aucun rayon de feu ou de lumière, la prouve certainement pas. véritable théologie ne la reconnaît et ne l'ap

Le dogme de la prépondérance du bien commun sur le bien individuel termine encore, et à l'avantage des premiers, la question agitée avec tant de chaleur entre les écoles de Zénon et de Socrate, qui fai-aient con.. sister le bonheur dans la vertu, ou seule ou accompagnée (vertu qui certainement rein

plit les parties les plus importantes des devoirs de cette vie), et la multitude de toutes les sectes ou écoles, telles que celles des cirénaïques et des épicuriens, qui plaçaient la félicité ailleurs que dans la vertu.... Car il est manifeste que toutes ces dernières sectes, sans avoir aucun égard au bien commun, rapportaient tout à la tranquillité de l'âme et à la satisfaction particulière.

Ce dogme montre encore le faible de la philosophie d'Epictète, qui suppose toujours en principe que la félicité doit être établie dans des choses qui sont en notre pouvoir, et qui, par conséquent, nous mettent à couvert des accidents et de la fortune: comme si un homme qui procéderait toujours avec des intentions droites et généreuses, et n'aurait jamais d'autre fin dans ses actions que le bien public, mais qui ne réussirait en rien, ne serait pas beaucoup plus heureux que celui qui rapporterait tout à sa fortune particulière, et qui réussirait en tout. C'est dans ces sentiments que le grand Gonsalve, montrant du doigt à ses soldats la ville de Naples qu'il s'agissait de conquérir, leur disait avec une générosité héroïque qu'il aimerait beaucoup mieux, en s'avançanı d'un pas, se précipiter dans une mort certaine, qu'en reculant d'un seul pas, prolonger sa vie de plusieurs années. Notre chef et notre empereur céleste nous confirme dans cette façon de penser, lorsqu'il compare une bonne conscience à un festin qui durerait toujours (Prov., XV, 15). Par ces paroles, ne nous fait-il pas manifestement entendre qu'une conscience qui nous rend témoignage de nos bonnes intentions, dans le cas même où nous n'aurions pas réussi, procure une joie plus douce, plus vraie, plus conforme à la nature que celle qui résulterait de tous les biens qui peuvent se cumuler sur la tête d'un homme, et à la faveur desquels il serait établi dans la possession de tout ce qu'il désire, où du moins il obtiendrait cette tranquillité d'âme dans laquelle certains philosophes ont fait consister le bien suprême.

Le dogme de la supériorité du bien public sur le bien particulier condamne encore un abus de la philosophie, qui commença à s'introduire vers le temps d'Epictète. Cet abus est que la philosophie alors se tourna en une espèce d'art et de manière de vivre singulière, qui distinguait de toutes les autres professions; comme si la philosophie avait été établie, non pour calmer les troubles de l'âme, mais seulement pour en retrancher les occasions, et qu'en vue de parvenir à ce dernier point, il fallût embrasser un certain genre de vie particulier, et introduire, pour procurer la santé de l'âme, un régime semblable à celui qu'observa, pour la santé du corps, un Hérodicus dont parle Aristote. Ce personnage ne s'occupa toute sa vie qu'à prendre soin de sa sante, s'abstint en conséquence d'une infinité de choses, et par là se priva presque entièrement de l'usage de ses sens. Si on avait bien à cœur de remplir les devoirs de la vie civile, il faudrait plutôt travailler à se procurer une santé qui mît en état de résister à toutes les fatigues et à toutes les intempéries

de l'air sur les mêmes principes, on ne doit regarder comme étant proprement et véritablement sain et robuste en son genre, que l'es prit qui est en état de surmonter les tentations et les passions, quels que soient leur force et leur nombre; et c'est avec raison qu'on a loué Diogène d'avoir soutenu que les véritables forces de l'âme étaient celles qui nous mettaient en état, non pas précisément de nous abstenir avec précaution, mais de supporter avec courage, qui étaient capables de retenir notre impétuosité dans les pentes même les plus roides, et nous donnaient la faculté, ainsi qu'il arrive aux chevaux bien dressés dans le manège, de pouvoir nous arrêter et tourner dans un très-petit espace.

Enfin, ce dogme condamne cette délicatesse excessive, et ce défaut de condescendance qu'on a remarqué dans quelques philosophes trèsanciens et très-respectés. Ces philosophes se sont trop facilement éloignés de tous les emplois de la société civile, dans la crainte des troubles et des désagréments auxquels sont exposés ceux qui les remplissent, et afin de vivre, ainsi qu'ils s'imaginaient, plus exempts. de toute souillure, et comme des espèces d'êtres sacrés; mais ils auraient dû savoir qu'un homme véritablement moral a la patience et la force en partage, et que son honneur doit être semblable à celui qu'exigeait dans un homme de guerre le grand Gonsalve, dont nous avons déjà parlé. L'honneur d'un homme de guerre, disait ce grand capitaine, doit être formé d'une toile forte, et non pas d'une gaze si légère et si délicate que tout ce qui le touche puisse le déchirer et le mettre en piè

ces.

MOYENS HONNÊTES, SEULS A EMPLOYER DANS LA POURSUite des biens de ce monde.

Faber fortunæ, versus finem.

J'ai indiqué les moyens que je croyais les plus sûrs et les plus avantageux pour s'avancer et pour faire une fortune dans ce monde: et ces moyens sont dans la classe de ce qu'on appelle les voies honnêtes. A l'égard des voies pour parvenir, qui seraient malhonnêtes, voici ce que je crois devoir observer. Si quelqu'un veut prendre pour maître un Machiavel, qui ne craint point d'assurer qu'il ne faut pas tenir un grand compte de la vertu; qu'on doit seulement en affecter et en rendre bien publiques les apparences, parce que la réputation de vertu est un moyen, au lieu que la vertu elle-même est un obstacle: et qui déclare encore ailleurs qu'un bon politique doit établir pour base de sa conduite, ce principe, que les hommes ne peuvent être ni sagement ni sûrement conduits au point que nous voulons, autrement que par la crainte: qu'il doit mettre tout en œuvre pour qu'ils vivent dans un état continuel de dépendance, d'embarras et de dangers; en sorte que le politique de Machiavel paraît être ce que les Italiens appellent un semeur d'épines, seminator spinarum. Si quelqu'un veut adopter encore la maxime dont parle Cicéron, que nos amis meurent, pourvu que nos ennemis meurent aussi, cadanı

amici, dummodo inimici intercidant; maxime qu'adoptèrent les triumvirs, qui achetèrent effectivement la mort de leurs ennemis par le sacrifice de leurs amis les plus chers : ou, si l'on veut, à l'exemple de Catilina, mettre tout en trouble et en feu, pour pouvoir plus facilement réparer les débris de sa fortune, et comme on dit: mieux pêcher en eau trouble; si l'incendie est dans ma fortune, disait ce célèbre conspirateur, je l'éteindrai non avec de l'eau, mais avec des décombres: ou si quelqu'un veut se rendre propre cette maxime familière de Lysandre, qu'on amusait les enfants avec des gâteaux, et les hommes avec des serments; pueros placentis, viros perjuriis alliciendos, et une foule d'autres principes également corrompus et pernicieux (car en ce genre comme en tout autre, le mauvais est Loujours plus abondant que le bon): si quelqu'un, dis-je, goûte et adopte toute cette doctrine pestilentielle, je ne doute pas que, s'affranchissant par là de toutes les lois de la charité et de la vertu, et sacrifiant tout à l'intérêt, il ne parvienne plus tôt, et par un chemin plus court à la fortune; mais dans la vie comme dans la voie, le chemin le plus court est communément le plus sale et le plus boueux: fit verò in vild quemadmodum in vid ut iter brevius sit fœdius et cœnosius. Et cependant, pour en suivre un meilleur, il n'y aurait pas un bien long circuit à prendre.

Mais loin que les hommes qui sont dans le dessein de parvenir, puissent faire usage de ces voies malhonnêtes, ils doivent plutôt, (s'ils se possèdent et veulent toujours se posséder eux-mêmes, s'ils ne sont point emportés par un tourbillon d'ambition qui les aveugle), ils doivent plutôt, dis-je, avoir perpétuellement sous les yeux, d'abord cette vérité générale, qui est comme la chorographie, ou la description de ce monde, tout est vanité et affliction d'esprit; et ensuite ces vérités particulières, que l'être séparé du bien-être est une malédiction, et que cette malédiction est d'autant plus grande, que l'être lui-même est plus grand: que comme la vertu est à elle-même sa plus grande récompense, le vice est à lui-même son plus cruel châtiment, ainsi que l'ont reconnu les poètes eux-mê

mes.....

Il y a plus, tandis que les hommes s'agitent sans cesse et se tournent de tous côtés pour rendre leur fortune plus solide et plus brillante, ils devraient bien jeter les yeux de temps en temps sur les jugements de Dieu, et sur sa providence éternelle, qui très-souvent renverse et anéantit les machinations des impies et leurs desseins pervers, quelque profonds qu'ils puissent être, suivant cet oracle de l'Ecriture, il a conçu l'iniquité, et il enfantera la vanité,

Il y a plus encore, quand même, dans la poursuite de leur fortune, ils s'abstiendraient rigoureusement de toutes voies injustés et malhonnêtes, cependant, en travaillant et en marchant sans cesse pour arriver au sommet de la fortune, sans observer, si je peux m'exprimer de la sorte, aucun oзr de sabbat, ils ne paient point le tribut du

temps qu'on doit à Dieu, qui u exige, comme on sait, que le dixième de nos biens; mais qui exige et se réserve le septième de notre temps.

Eh! pourquoi donc, tandis que notre vísage est tourné vers le ciel, notre âme serat-elle rampante sur la terre, et comme les serpents, mangera-t-elle la poussière? Cette pensée n'a point échappé aux païens : il colle sur la terre une particule de l'Esprit divin (dit un d'entre eux), atque affigit humo divinæ particulam auræ. Si quelqu'un se rassure sur cette pensée que, quoique sa fortune ait été acquise par de mauvaises voies, son intention est cependant d'en faire un bon usage, à l'exemple d'Auguste et de Septime Sévère, dont on a dit qu'ils auraient dû, ou ne jamais naître, ou ne jamais mourir, tant ils avaient fait de mal pour parvenir à l'empire, et tant, une fois parvenus, ils avaient fait de bien; qu'il sache que le mal étant fait, on trouve bon sans doute qu'il soit compensé par le bien; mais que la volonté de faire le mal dans la vue de le racheter par le bien, est très-condamnable.

Enfin, pour modérer le mouvement impétueux qui nous porte vers la fortune, on peut utilement se rappeler l'avertissement que l'empereur Charles-Quint donnait à son fils: La fortune, disait-il, ressemble aux femmes qui traitent avec d'autant plus de fierté les hommes qui les recherchent en mariage, que ceux-ci les recherchent avec plus d'empressement; mais ce dernier remède ne convient qu'à ceux dans qui les maladies de l'esprit ont corrompu le goût : les hommes doivent plutôt s'appuyer sur ce fondement qui est comme la pierre angulaire de la théologie et de la philosophie (et ces deux sciences sont presque d'accord sur ce qui doit être avant tout l'objet de nos recherches), la théologie nous dit: cherchez premièrement le royaume des cieux et tout le reste vous sera donné comme par surcroît ( Matth. VI, 33): et la philosophie nous tient à peu près le même langage cherchez, nous dit-elle, premièrement les biens de l'âme, les autres biens, ou vous enrichiront par leur présence, ou ne vous nuiront point par leur absence. Primum quærite bona animi, cætera aut aderunt, aut non oberunt.

Il est vrai que ce dernier fondement de notre bonheur, jeté par la main des hommes, repose quelquefois sur le sable, ainsi qu'il a paru dans Brutus qui, prêt de mourir s'écria, O vertu! je t'ai servie comme une réalité, et je vois que tu n'es qu'un fantôme. Te colui, virtus, ut rem; at tu nomen inane es. Mais ce même fondement jeté par la main de Dieu, est toujours établi sur la pierre ferme.

PARURE DÉCENTE, CONFORME, ET USAGE du
FARD, CONTRAIRE A LA RAISON ET A LA RE-
LIGION.

Ex augm. scient. L. IV, cap. 2, vers. fin.

La propreté du corps, et une parure hornête, sont regardées avec raison comme l'effet

etl'indice d'une certaine modestie de mœurs, et du respect que nous portons, d'abord et principalement à Dieu, dont nous sommes les créatures, ensuite à la société dans laquelle nous vivons, enfin à nous-mêmes que nous devons effectivement respecter autant et plus que nous ne respectons les autres mais celle étrange manière de se parer, qui emploie le fard et les couleurs, est assurément bien digne des défauts qui l'accompagnent toujours; elle n'est effectivement ni assez ingénieuse pour faire illusion, ni assez commode pour l'usage, ni assez sûre et assez innocente pour la santé; mais nous sommes très-étonnés que cette mauvaise coutume de se farder ait, pendant si longtemps, échappé à la censure des lois, tant ecclésiastiques que civiles, qui, d'ailleurs, ont été si sévères contre le luxe dans les habillements et l'excès dans la frisure. Nous lisons bien, dans l'Ecriture, que Jézabel, quand elle voulut se parer, fit usage de fard; mais nous ne lisons rien de semblable d'Esther et de Judith (IV Rois, IX, 30).

LA MÉDITATION DES CHOSES DIVINES EST LE MEILLEUR Moyen de résisTER AUX TENŢATIONS DE LA VOLUPTÉ.

Ex sapientid veterum, Parab. XXXI.

La fable des sirènes, si célèbre dans l'antiquité, avait pour objet principal de nous faire sentir combien sont attrayants les charmes de la volupté, et en même temps, combien ils sont funestes. Elle nous apprend qu'un si grand nombre d'hommes avaient été attirés par la douceur enchanteresse de la voix des sirènes, et ensuite impitoyablement dévorés par elles, qu'on reconnaissait de trèsloin les îles qu'elles habitaient, aux monceaux d'ossements blanchis dont ces îles étaient couverles.

Deax personnages (Ulysse et Orphée), nous disent les poètes, avaient échappé à leurs séduisantes invitations, mais par des moyens bien différents: Ulysse, forcé de passer près des îles de ces monstres dangereux, ordonna qu'on remplit de cire les oreilles de ses compagnons. Pour lui, il se fit attacher au mât du vaisseau, avec injonction à ses compagnons de ne le point délier, quelques instances qu'il pút en faire.

Orphée usa, pour échapper d'un moyen bien supérieur, à tous égards, à ceux qu'avait employés Ulysse. Aux approches de ces iles funestes, il ne cessa point de chanter à haute Voix sur sa lyre les louanges des dieux. Il confondit par là le chant des sirènes, et anéantit leurs funestes impressions: aussi est-il très-vrai que la méditation des choses divines a bien plus de puissance et plus de charmes que toutes les voluptés des sens. INCONVENIENTS DE L'ESPÉRANCE TERREStre. LE CIEL DEVRAIT ÊTRE LE SEUL OBJET de nos ESPÉRANCES.

Meditationes sacræ, t. II,
p. 399.

Le sentiment pur et simple qu'excite en

nous chaque événement, est bien plus propre à maintenir l'ordre et la paix dans notre âme, que toutes les imaginations et les anticipations sur l'avenir, auxquelles nous nous abandonnons. Car telle est la nature de l'esprit humain, même dans les personnages les plus graves, qu'à peine a-t-il éprouvé un sentiment, qu'il s'avance, pour ainsi dire, qu'il s'élance dans l'avenir, et qu'il augure que tous les événements dans la suite, seront semblables à celui qui a produit le sentiment actuel. Si ce sentiment est celui du bien, nous sommes portés à espérer sans mesure; si c'est celui du mal, nous nous laissons accabler par la crainte; avec cette différence cependant que la crainte est bonne à quelque chose, parce qu'elle prépare la patience et excite l'industrie, au lieu que l'espérance n'est bonne à rien... Effectivement, à quơi sert cette anticipation du bien qui fait l'objet de notre espérance? Si le bien qui nous arrive est véritablement au-dessous de l'espérance que nous avions conçue, quelque réel qu'il soit, par cela seul qu'il ne remplit pas notre attente, il nous semble que nous avons plutôt perdu que gagné; s'il est égal à notre espérance, et qu'il a remplisse, la fleur de ce bien, quand il arrive, a déjà été pour ainsi dire cueillie par l'espérance; et ce bien est alors, par rapport à nous, comme un bien déjà ancien, et qui commence à donner du dégoût; enfin, si ce bien surpasse notre espérance, il est vrai qu'alors nous paraissons avoir fait quelque gain; mais n'aurait-il pas mieux valu pour nous, avoir gagné tout-àcoup le capital, en n'espérant rien du tout, que de gagner les intérêts seulement, en espérant au-dessous de la réalité; et voilà, quand les événements sont heureux, ce qu'opère l'espérance; mais si, contre notre attente, ils ont été malheureux, le résultat en devient bien plus fâcheux. Ce résultat, c'est l'entier abattement du courage, parce qu'il ne reste pas toujours matière à une nouvelle espérance; et en général, lorsque le courage n'a que l'espérance pour appui, si cet appui vient à manquer, il est nécessaire qu'il tombe.

Ajoutons qu'il est peu conforme à la dignité de notre âme de soutenir nos maux à la faveur des distractions et des erreurs de notre esprit, au lieu de les soutenir, comme nous le pourrions, avec le secours seulement de notre jugement et de notre courage. Aussi n'est-ce que sur un fondement assez léger, que les poètes ont dit que l'espérance, en calmant nos douleurs, était comme l'antidote de toutes les maladies humaines; tandis que, dans la réalité, elle ne fait plutôt, en enflammant et en aigrissant nos maux, que les multiplier et les renouveler sans cesse. Cependant, il n'en est pas moins vrai que la plupart des hommes se livrent entièrement aux imaginations de l'espérance et à toutes ces anticipations de l'esprit, et qu'ingrats à l'égard du passé, oubliant presque le présent, toujours jeunes, ils ne s'occupent et ne se repaissent que de l'avenir. J'ai vu les hommes qui vivent sous le soleil, marcher à la suite du jeune homme qui doit s'élever et régner à ls:

place ae autre ce qui est une maladie trèspernicieuse, et une disposition de l'âme que réprouve le bon sens (Eccl., IV, 15).

Vous me demanderez peut-être, s'il ne vaudrait pas beaucoup mieux, quand ce qui fait l'objet de notre attente, est vraiment douteux, augurer favorablement et espérer plutôt que craindre, puisque l'espérance, au moins, a l'avantage de procurer à l'esprit plus de tranquillité? Voici ma réponse :

Dans toute espèce de suspension et d'attente, la tranquillité et fermeté qui sont fondées sur la bonne police (si je peux m'exprimer ainsi) et la bonne composition de l'âme, sont le plus ferme appui de la vie humaine; mais la tranquillité, qui n'est fondée que sur l'espérance, est le plus léger et le plus fragile de tous les appuis. Ce n'est pas qu'il ne soit convenable de prévoir et de présupposer les biens, aussi volontiers que les maux, d'après de saines et de sages présomptions. Cette prévoyance nous est utile pour régler nos actions sur la probabilité des événements; mais la juste inclination de notre cœur ne doit point être en opposition avec les lumières de l'entendement et les conseils de la prudence; et si nous jugeons que les événements les plus avantageux pour nous, sont en même temps les plus probables, il faut que ce jugement ait été précédé d'une discussion exacte et rigoureuse; et alors il faut de plus que nous ne nous arrêtions pas trop longtemps à goûter par anticipation le bien qui fait l'objet probable de notre attente, et que nous ne nous endormions pas dans ces pensées, comme dans un rêve tranquille; c'est en pratiquant le contraire de ce que nous recommandons ici qu'on rend son esprit vain, léger, dissipé, inégal.

De toutes les observations précédentes, je conclus que la vie future qui nous est promise dans les cieux, doit être l'objet capital, et méme unique de toutes nos espérances. Quare omnis spes in futuram vitam cœlestem consu— menda est.

EXCELLENCE DES OEUVRES DE MISERICORDE; ELLES OFFRENT UN MOYEN DE DISCERNER LES

HYPOCRITES.

Meditationes sacræ, t. II, p. 400. Misericordiam voi,et non sacrificium (Matth.) J'aime mieux la miséricorde que le sacrifice.

Toutes les œuvres dont les hypocrites font parade, sont des œuvres qui appartiennent à cette partie du décalogue qui prescrit l'honneur et le culte que nous devons rendre à la Divinité. Les hypocrites ont deux motifs d'en agir de la sorte: le premier, c'est que les œuvres de ce genre ont un plus grand éclat de sainteté; et le second, c'est que ces cuvres sont moins gênantes que les autres pour leurs passions. Ainsi, pour confondre et corriger les hypocrites, il ne s'agit que de les renvoyer des œuvres du sacrifice aux œuvres de la miséricorde. De là cet oracle de l'apôtre saint Jacques La piété pure et sans tache devunt Dieu consiste à prendre soin des orphelins et des veuves dans leur affliction (Jac., I,

:

27). De là encore cette sentence de saint Jean Celui qui n'aime pas son frère qu'il voit, comment peut-il aimer Dieu qu'il ne voul pas? (I Jean, IV, 20).

Mais il est des hypocrites d'un genre plus exalté et plus présomptueux, qui se trompent eux-mêmes, et se croyant dignes d'un commerce plus intime avec la Divinité, négligent les devoirs de la charité envers le prochain, comme n'étant que d'une légère importance. Cette erreur, sans doute, n'a point donné naissance à la vie monastique; les commencements de cette vie ont été vraiment saints; mais elle donne naissance à un abus. Il avait été sagement mis en principe que la fonction de prier était une fonction très-importante dans l'Eglise: et conséquemment l'Eglise avait trouvé bon qu'il y eût des sociétés de fidèles qui adresseraient sans cesse au Seigneur de ferventes prières pour la prospérité commune; mais cet établissement, tout sage qu'il était, pouvait facilement donner lieu à l'abus dont nous parlons. Encore une fois nous ne prétendons point blâmer tout l'institut monastique, nous ne voulons que réprimer certains esprits, certains membres de cet institut, qui s'élèvent et s'enorgueillissent, comme s'il ne pouvait rien exister de plus parfait. Dans cette vue, nous observons qu'Enoch, dont il est dit dans l'Ecriture: qu'il marcha avec le Seigneur, prophétisa, ainsi que témoigne l'apôtre saint Jude; et il a enrichi l'Eglise de sa prophétie. Jean-Baptiste, que quelques-uns regardent comme le premier auteur de la vie monastique, a rempli différents ministères, puisqu'il a prophétisé et qu'il a baptisé : mais quant à ces personnages qui s'occupent toujours de Dieu, et jamais du prochain, que répondraient-ils à cette interrogation: Si vous êtes justes, que donnerez-vous donc à Dieu, et que recevrat-il de votre main? Si juste egeris, quid donabis Deo, aut quid de manu tud accipiet?

J'en reviens donc à dire que les œuvres propres à discerner les hypocrites d'avec ceux qui ne le sont pas, ce sont les œuvres de miséricorde: mais il en est tout autrement des hérétiques. Les hypocrites couvrent d'une apparence de sainteté à l'égard de Dieu, leurs torts à l'égard des hommes; les hérétiques, au contraire, à la faveur de quelques devoirs moraux qu'ils remplissent à l'égard des hommes, couvrent et insinuent leurs blasphèmes contre Dieu.

UTILITÉ ET NÉCESSITÉ DE CONNAÎTRE les méCHANTS.

De augm. scient. L. VII, cap. 2, vers. fin. (1).

Quand on traite des vertus et des devoirs, on devrait parler aussi des fraudes, des ruses, des impostures, et en général des désordres et des vices qui leur sont opposés. On ne peut pas dire que tous les écrivains aient gar

(1) Bacon dira à peu près la même chose dans la méditation suivante, qui a pour titre l'innocence de la Colombe, etc.; mais puisqu'il paraît y mettre de l'importance, et que ce fragment renferme quelque chose de plus, nous avons cru devoir en faire usage.

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