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rien demandé à saint Joseph que je ne l'aie obtenu, ni ne puis penser sans étonnement aux grâces que Dieu m'a faites par son intercession, et aux périls dont il m'a délivrée, tant pour l'âme que pour le corps. Il semble que Dieu accorde à d'autres saints la grâce de nous secourir dans de certains besoins; mais je sais par expérience que saint Joseph nous secourt en tout; comme si Notre-Seigneur voulait faire voir que de même qu'il lui était soumis sur la terre, parce qu'il lui tenait lieu de père et en portait le nom, il ne peut dans le ciel lui rien refuser. D'autres personnes, à qui j'ai conseillé de se recommander à lui, l'ont éprouvé comme moi : plusieurs y ont maintenant une grande dévotion; et je reconnais tous les jours de plus en plus la vérité de ce que je viens de dire.

Si j'avais la liberté d'écrire tout ce que je voudrais, je rapporterais plus particulièrement avec grand plaisir les obligations que j'ai à ce saint et que d'autres personnes lui ont comme moi. Je me contenterai donc ici de prier, au nom de Dieu, ceux qui n'ajouteront pas foi à ce que je dis, de vouloir l'éprouver; et ils connaîtront par expérience combien il est avantageux de recourir à ce grand patriarche avec une dévotion particulière. Les personnes d'oraison doivent, ce me semble, lui être fort affectionnées. Et je ne comprends pas comment on peut penser à tout le temps que la sainte Vierge demeura avec Jésus-Christ enfant, sans remercier Saint Joseph de l'assistance qu'il rendit à l'un et à l'autre. Ceux qui manquent de directeur pour s'instruire dans l'oraison, n'ont qu'à prendre cet admirable saint pour leur guide; ils ne s'égareront sûrement pas.

CHAPITRE IV.

Nécessité de communiquer avec des personnes vertueuses, pour se fortifier dans ses bonnes résolutions.

Je conseillerai à ceux qui s'appliquent à l'oraison, et principalement dans les commencements, de faire amitié avec des personnes qui soient dans le même exercice. C'est une chose très - importante, quand même ils n'en tireraient d'autre avantage que de s'entr'aider par leurs prières. Si dans le commerce du monde, quelque vain et inutile qu'il soit, on tâche de se faire des amis pour soulager son esprit en leur témoignant ses déplaisirs, et augmenter sa satisfaction en leur faisant part de ses joies, je ne vois pas pourquoi il ne serait point permis à ceux qui commencent à aimer et à servir Dieu véritablement, de communiquer à quelque personne ces consolations et ces peines que ceux qui font oraison ne manquent jamais d'avoir, ni que, pourvu qu'ils veuillent sincèrement se donner à Dieu, ils aient sujet de craindre en cela la vaine gloire. Elle pourra bien les attaquer et leur faire sentir la pointe de ses premiers mouvements; mais ce ne sera que pour leur faire acquérir du mérite en les rendant victorieux, et

profiteront, à mon avis, aux autres et à euxmêmes, par la lumière qu'ils en tireront pour leur conduite. Ceux qui se persuadent, au contraire, qu'on ne peut sans vanité entrer dans une communication si sainte, trouveraient donc qu'il y aurait de la vanité à entendre dévolement la Messe à la vue du monde, ou à faire d'autres actions auxquelles on est obligé comme Chrétien, et que la crainte qu'il ne s'y rencontre de la vanité ne doit jamais empêcher de faire.

On agit aujourd'hui si faiblement en ce qui regarde le service de Dieu, que ceux qui marchent dans ses voies doivent se donner la main les uns aux autres pour s'y avancer; de même que ceux qui n'ont l'esprit rempli que des plaisirs et des vanités du siècle, s'exhortent à les rechercher. En quoi il est étrange que si peu de gens aient les yeux ouverts pour remarquer leurs folies, au lieu que lorsqu'une personne commence à se donner à Dieu, tant de gens en murmurent, qu'elle a besoin de compagnie pour la défendre et la soutenir contre leurs attaques, jusqu'à ce qu'elle soit assez forte pour ne point craindre de souffrir. Je pense que c'est pour ce sujet que quelques saints s'enfuyaient dans les déserts. C'est d'ailleurs une espèce d'humilité de se défier de soimême, et d'espérer du secours de Dieu par l'assistance des personnes vertueuses avec lesquelles on converse. La charité s'augmente par la communication, et il s'y rencontre une infinité d'avantages. Ceux mêmes qui sont affermis dans la vertu, ne perdront rien en ajoutant foi par humilité à ceux qui ont éprouvé ce que je dis. Pour moi, je puis assurer que si Dieu ne m'eût fait connaître cette vérité, et ne m'eût donné le moyen de communiquer souvent avec des personnes d'oraison, je serais, après diverses chutes et rechutes, tombée dans l'enfer, parce qu'ayant alors tant d'amis qui m'aidaient à tomber, je me trouvais si seule lorsqu'il fallait me relever, que je ne comprends pas maintenant comment je pouvais le faire. Dieu seul, par son infinie miséricorde, me donnait la main, et je ne saurais trop l'en remercier : qu'il soit béni aux siècles des siècles. Ainsi soit-il.

CHAPITRE V.

Conseils aux personnes qui aspirent à la perfection, sur le courage, l'humilité, le mépris de la santé, et le zèle.

Il faut, pour ne point laisser ralentir nos désirs, avoir une grande confiance en Dieu, et espérer que si nous nous efforçons toujours de nous avancer, nous pourrons, avec son assistance, acquérir peu à peu la perfection où tant de saints sont arrivés par ce moyen; car Dieu veut et prend plaisir à voir qu'on marche avec courage dans son service, pourvu que ce courage soit accompagné d'humilité et de défiance de soi-même. Je n'ai jamais vu aucune de ces âmes généreuses demeurer en chemin, ni aucune de celles qui étaient lâches, quoiqu'elles fussent humbles, qui aient pu autant avancer en plu

sieurs années que les autres faisaient en peu de temps. Je ne saurais penser sans étonnement à l'avantage qu'il y a de ne point se décourager par la grandeur de l'entreprise, parce que l'âme prend ainsi un vol qui la mène bien loin, quoique ayant comme un petit oiseau les ailes encore faibles, elle se lasse et soit contrainte quelquefois de se reposer.

Les paroles de saint Paul, qui me faisaient voir que nous ne pouvons rien de nousmêmes, mais que nous pouvons tout avec l'assistance de Dieu, me servirent beaucoup, comme celles-ci de saint Augustin: Donnezmoi, Seigneur, la force de faire ce que vous me commandez, et commandez-moi ce que vous voudrez. Je me représentais souvent qu'il n'était point arrivé de mal à saint Pierre pour avoir osé entreprendre de marcher sur la mer, quoiqu'il ait eu peur après s'y être engagé. Ces premières résolutions sont fort importantes, quoiqu'il, faille agir alors avec grande retenue, et ne rien faire que par l'avis de son directeur; mais il faut prendre garde de ne pas choisir pour directeur un homme qui ne nous apprenne qu'à aller comme des crapauds à la chasse des lézards et nous ne saurions trop avoir toujours l'humilité devant les yeux, pour connaître que c'est de Dieu seul que nous tenons tout ce que nous avons de force.

Sur quoi il importe de savoir quelle doit être cette humilité; car je ne doute point que le démon ne nuise beaucoup à ceux qui s'exercent à l'oraison, et ne les empêche de s'avancer, en leur donnant une fausse idée de cette vertu, et en leur faisant croire qu'il y a de l'orgueil à désirer d'imiter les saints et de souffrir comme eux le martyre, sous prétexte que leurs actions sont plus admirables qu'imitables pour des pécheurs comme nous. Je ne conteste pas cela je dis seulement qu'il faut discerner ce que nous pouvons imiter, et ce que nous ne pouvons qu'admirer. Il y aurait sans doute de l'imprudence à une personne faible et malade de vouloir beaucoup jeûner, faire de grandes pénitences, et s'en aller dans un désert où elle ne pourrait trouver ni nourriture, ni soulagement et autres choses semblables.

Mais nous devons être persuadés, que nous pouvons, avec l'assistance de Dieu, nous efforcer de concevoir un grand mépris du monde, de l'honneur et des richesses. Nous pouvons aussi imiter les saints dans leur amour pour la solitude, dans leur silence, et dans plusieurs autres vertus qui ne tueraient point ce misérable corps, qui ne craint pas de dérégler l'âme par le soin qu'il prend de se conserver avec tant de délicatesse. Le démon de son côté contribue beaucoup à l'entretenir dans un état si périlleux; car pour peu qu'il le voie appréhender pour sa santé, cela lui suffit pour lui faire croire que les moindres austérités seraient capables de la ruiner. Etant aussi infirme que je le suis, je n'ai jamais pu rien faire jusqu'à ce que je me sois résolue de ne tenir aucun compte de mon corps et de

ma santé mais après que Dieu m'eût fait connaître cet artifice du démon, lorsque cet esprit infernal s'efforçait de me faire croire que je me tuais, je lui disais : Il m'importe peu de mourir. Lorsqu'il voulait me persuader que je devrais me divertir pour délasser mon esprit, je lui répondais: Je n'ai besoin que de croix et non pas de divertissements; et ainsi du reste. J'ai clairement reconnu dans la suite que, quoique ma santé suit toujours mauvaise, la tentation du diable ou la lâcheté me rendait encore plus infirme; et je me porte beaucoup mieux depuis que je n'ai pas tant pris de soin pour la conserver. I paraît par là combien il importe à ceux qui commencent à faire oraison de ne pas se laisser aller à de si bas sentiments; en quoi ils doivent me croire, et profiter de mes fautes, puisque je le sais par expérience.

Voici une autre de ces tentatious contre laquelle il faut se tenir en garde, quoiqu'elle procède d'un zèle qui paraît louable; c'est le déplaisir qu'on a des fautes et des péchés qu'on remarque dans les autres. Le démon persuade à ces personnes que leur peine ne vient que du désir qu'elles ont qu'on n'offense point Dieu, et de ce qu'elles ne peuvent souffrir qu'on manque à lui rendre l'honneur qui lui est dû; ainsi elles voudraient pouvoir aussitôt y remédier, et leur inquiétude est telle, qu'elle trouble leur oraison. Je n'entends point parler ici de la peine que donnent les péchés publics, s'il s'en rencontre qui passent en coutume dans une congrégation, ni du dominage qu'apportent à l'Eglise ces hérésies qui précipitent tant d'âmes dans l'enter, car cette peine est très-louable et n'inquiète pas.

Mais le plus sûr pour une âme qui pratique l'oraison, est d'entrer dans un parfait détachement pour ne penser qu'à soi-même et à plaire à Dieu, et si nous pensons aux autres, nous devons considérer attentivement leurs vertus, et ne regarder leurs défauts que dans la vue de nos péchés. Cette pensée qu'ils sont meilleurs que nous, nous conduit avec le temps à une grande vertu.

CHAPITRE VI.

Combien il est avantageux d'avoir un direc

teur savant.

Il importe extrêmement que le directeur d'une ame qui aspire à la perfection soit judicieux et expérimenté. Si avec cela il est savant, ce sera un très-grand bien; mais si l'on ne peut en rencontrer un qui ait tout ensemble ces trois qualités, c'est beaucoup qu'il ait les deux premières, parce qu'on doit, s'il en est besoin, consulter les personues savantes.

Quoique j'aie dit ailleurs que ceux qui commencent ne tirent pas grand avantage d'être conduits par des gens savants, s'ils ne sont exercés dans l'oraison, je n'entends pas qu'ils ne doivent point communiquer avec eux; car j'aimerais mieux traiter avec un homme savant qui ne ferait point orai

son, qu'avec un homme d'oraison qui ne serait pas savant; parce que ce dernier ne pourrait m'instruire de la vérité, ni fonder sur elle sa conduite.

Si un directeur n'est pas habile et qu'il se mette dans l'esprit, par exemple, qu'une religieuse doit plutôt lui obéir qu'à son supérieur, il l'y portera tout simplement, en pensant bien faire. Si ce même confesseur conduit une femme mariée, il lui dira d'employer à l'oraison les heures qu'elle devrait donner aux soins qui regardent sa famille, quoique cela mécontente son mari : et ainsi il renverse l'ordre des temps et des choses par sa mauvaise conduite, parce que, manquant de lumières, il ne peut en donner aux

autres.

Une personne religieuse qui est résolue de se soumettre entièrement à la conduite d'un directeur, fait donc une très-grande faute de ne pas le choisir tel que j'ai représenté qu'il doit être, et particulièrement si ce directeur est un religieux; si c'est une personne séculière, qu'elle loue Dieu de ce qu'il lui est permis de choisir; qu'elle ne manque pas d'user de cette heureuse liberté qu'il lui donne pour en trouver un qui lui soit propre.

Je lui rends des grâces infinies; et les femmes et ceux qui n'ont point d'instruction devraient sans cesse le remercier, comme je fais, de ce qu'il se trouve des hommes qui ont acquis par tant de travaux la connaissance des vérités que nous ignorons. J'ai Souvent admiré que des gens savants aient employé tant de veilles pour acquérir des connaissances qui m'ont été si utiles, sans que j'aie eu d'autre peine que de m'en faire instruire par eux en leur proposant mes doutes, et qu'il y ait des personnes qui négligent de profiter d'un si grand bien. Dieu nous garde de les imiter!

Quelque inutile que je sois et incapable d'être utile aux autres, je ne laisse pas, mon Dieu, de vous louer de m'avoir fait telle que je suis; mais je vous loue et je vous remercie encore davantage des connaissances que tous avez données à d'autres pour éclairer par leurs lumières les ténèbres de notre igno

rance:

CHAPITRE VII.

contraire, que c'est un chemin royal, et dans lequel ceux qui y marchent courageusement n'ont rien à craindre. Comme les occasions de vous offenser en sont éloignées, on n'y rencontre point de pierres ni d'autres empéchements qui nous arrêtent. Mais je ne saurais considérer que comme un sentier étroit et dangereux cet autre chemin qui est de tous côtés environné de précipices dans lesquels on ne peut éviter de tomber et de se briser en mille pièces, pour peu que l'on manque de prendre garde où l'on met le pied. Celui qui se donne à vous sans réserve, & mon Sauveur ! marche en assurance dans ce chemin royal ; s'il fait quelque faux pas, vous lui tendez la main, et une chute ni même plusieurs ne sont pas capables de le perdre, s'il vous aime véritablement et non pas le monde, et s'il conserve toujours l'humilité.

Ainsi, j'avoue ne pouvoir comprendre ce qu'appréhendent ceux qui marchent dans le chemin de la perfection; et je prie Dieu de tout mon cœur de leur faire connaître combien cette voie est assurée, et quels sont, au contraire, les périls qui se rencontrent dans celle du monde. Pourvu que nous tournions sans cesse les yeux vers ce soleil de justice, nous n'aurons point sujet de craindre que la nuit et les ténèbres nous surprennent; il ne nous abandonnera jamais, et nous ne courrons aucun danger. Les gens du monde n'appréhendent point de s'engager dans le chemin des voluptés et des honneurs, à qui ils donnent le nom de contentements et de plaisirs, quoiqu'ils soient plus redoutables que les lions et que les autres animaux les plus farouches; et le diable nous donne de l'aversion pour des travaux qui, en comparaison de ces cruelles bêtes, qui en flattant notre corps déchirent notre âme, ne peuvent passer que pour des souris. J'avoue que cela me touche de telle sorte, que je voudrais pouvoir verser des ruisseaux de larmes et pousser des cris jusqu'aux extrémités de la terre, afin de faire connaître à tout le monde la grandeur de cet aveuglement.

CHAPITRE VIII.

Union entre les personnes qui servent Dieu,

Je souhaiterais que de même que l'on

La voie de la perfection est plus douce qu'on voit des méchants s'unir pour conspirer

ne pense.

Seigneur, mon Dieu, qu'il parait bien que vous êtes tout-puissant, et qu'il ne faut point raisonner sur les choses que vous voulez, puisque vous les rendez possibles, quelque impossibles qu'elles paraissent, à en juger selon la nature. Il suffit, pour les rendre faciles, de vous aimer véritablement, et de tout abandonner pour l'amour de vous. C'est en cela qu'on peut dire que vous feignez qu'il y a de la peine à accomplir voire loi; car en rité je n'y en vois point, et ne comprends pas comment on s'imagine que le chemin qui conduit vers vous est étroit. Je trouve, au

OELVRES COMPL. DE M. EMERY. I.

contre Dieu et répandre dans le monde des hérésies, nous qui nous aimons en lui, nous nous unissions pour nous désabuser les uns les autres en nous reprenant de nos défauts, afin de nous rendre plus capables de plaire à Dieu; nul ne se connaissant si bien soi-même qu'il ne connaît ceux qu'il considère avec charité par le désir de leur profiter mais cela doit se pratiquer en particulier, parce que c'est un langage dont on use si peu dans le monde, que même les prédicateurs prennent garde dans leurs sermons de ne mécontenter personne : je veux croire qu'ils ont bonne intention; ce n'est pas néanmoins le moyen de faire un grand

fruit; et si leurs prédications convertissent si peu de personnes, je l'attribue à ce qu'ils ont trop de prudence et trop peu de ce feu de l'amour de Dieu dont brålaient les apotres, de ce feu qui leur faisait tellement mépriser l'honneur et la vie, qu'ils étaient toujours prêts à les perdre pour gagner tout lorsqu'il s'agissait d'annoncer et de soutenir les vérités qui regardent la gloire de Dieu : je ne me vante pas d'être en cet état, mais je m'estimerais heureuse d'y être. Oh! que c'est bien connaître la véritable liberté, que de considérer comme une véritable servitude la manière dont l'on vit et l'on con

verse dans le monde ! et que ne doit point faire un esclave pour obtenir de la miséricorde de Dieu l'affranchissement de cette captivité, et de pouvoir retourner dans sa patrie?

CHAPITRE IX.

C'est une fausse humilité de ne point tomber d'accord des grâces dont Dieu nous favorise.

Il faut bien se garder de certaines fausses humilités, telle que celle de s'imaginer qu'il y aurait de la vanité à demeurer d'accord des grâces que Dieu nous fait. Nous devons reconnaître que nous les tenons de sa seule libéralité sans les avoir méritées, et que nous ne saurions trop l'en remercier. Autrement, comment pourrions-nous nous exciter à l'aimer, si nous ignorions les obligations que nous lui avons? Et qui peut douter que, plus nous connaîtrons combien nous sommes pauvres par nous-mêmes et riches par la magnificence dont il plaît à Dieu d'user envers nous, et plus nous entrerons dans une solide et véritable humilité ! Cette autre manière d'agir n'est propre qu'à nous jeter dans le découragement, en nous persuadant que nous sommes indignes et incapables de recevoir de grandes faveurs de Dieu. Quand il lui plaît de nous les faire, nous pouvons bien appréhender que ce ne nous soit un sujet de vanité; mais alors nous devons croire que Dieu ajoutera à cette grâce celle de nous donner la force de résister aux artifices du démon, pourvu qu'il voie que notre seul désir est de lui plaire, et non pas aux hommes. Et qui doute que plus nous nous souvenons des bienfaits que nous avons reçus de quelqu'un, et plus nous l'aimons? Si donc non-seulement il nous est permis, mais il nous est très-avantageux de nous représenter sans cesse que nous sommes redevables à Dieu de notre être; qu'il nous a tirés du néant; qu'il nous conserve la vie après nous l'avoir donnée; qu'il n'y a point de travaux qu'il n'ait endurés pour chacun de nous, et même la mort, et qu'avant que nous fussions nés, il avait résolu de les souffrir; pourquoi me sera-t-il défendu de considérer, par exemple, que, tandis que j'employais mon temps à parler de choses vaines, il m'a fait la grâce de ne trouver maintenant de plaisir qu'à parler de lui ?

Que sera-ce donc quand une âme verra qu'elle a reçu d'autres grâces encore plus grandes, telles que sont celles que Dieu fait à quelques-uns de ses serviteurs, de mépriser le monde et de se mépriser euxmêmes! Il est évident que ces personnes si favorisées de lui se reconnaissent beaucoup plus obligées à le servir que celles qui sont aussi pauvres, aussi imparfaites et aussi indignes que je le suis.

Nous sommes si faibles par nous-mêmes, qu'il me paraît impossible que nous ayons le courage d'entreprendre de grandes choses, si nous ne sentons que Dieu nous assiste de quelques consolations; car comment cette violente inclination qui nous porle toujours vers la terre, nous permettrait-elle de nous détacher et d'avoir même du dégoût et du mépris de tout ce qui est ici-bas, si nous ne goûtions déjà quelque chose du bonheur dont on jouit dans le ciel? Ce n'est que par ces faveurs que Notre-Seigneur nous redonne la force que nous avions perdue par nos péchés et ainsi, à moins d'ad'une vive foi, pourrions-nous nous réjouir voir reçu ce gage de son amour accompagné d'être méprisés de tout le monde, et aspirer à ces grandes vertus qui peuvent nous rendre parfaits? Si nous ne regardons que le présent, notre foi est comme morte, ces faveurs la réveillent et l'augmentent. Comme je suis très-imparfaite, je juge des autres mière de la foi leur suffise pour entreprenpar moi-même il peut se faire que la ludre de grandes choses. Quant à moi qui suis si misérable, j'avais besoin de cette assistance et de ce secours.

CHAPITRE X.

Confiance dans la bonté et la puissance de Dieu, et mépris que nous devons faire du démon.

Jusqu'à quel excès, Seigneur, va votre bonté, et cette puissance sans bornes qui vous rend facile ce qui paraît être le plus impossible? Vous ne vous contentez pas de proposer des remèdes pour guérir les blessures que le péché fait dans nos ames: mais vous les guérissez en effet; vos paroles sont agissantes; et je ne puis assez admirer de quelle manière vous fortifiez notre foi et augmentez notre amour pour vous. Cela m'a fait souvenir cent fois du calme que vous rendites à la mer en réprimant les vents qui avaient excité une si violente tempête. Je disais en moi-même : Quel doit être celui à qui toutes les puissances de mon âme obéissent ainsi sans résistance, qui dissipe en un instant par l'éclat de sa lumière des ténèbres si épaisses, qui attendrit un cœur qui paraissait être de marbre, et qui, par une agréable pluie de larmes, arrose une terre si aride, qu'elle semblait devoir toujours demeurer dans la sécheresse? Qui est celui qui nous donne de si saints désirs et nous inspire tant de courage? que puis-je appré

davantage ceux qui craignent le diable que le diable même.

hender, et qui sera capable de me faire peur? mon seul désir est de servir Dieu; je ne souhaite autre chose que de lui plaire, et je mets dans l'accomplissement de sa volonté toute ma joie, tout mon repos et tout mon

bonheur. Si donc le Seigneur est tout-puissant, et que les démons soient ses esclaves, comme je ne saurais en douter, puisque la foi m'en assure, quel mal ces malheureux esprits me sauraient-ils faire, étant, ainsi que je le suis, servante de ce souverain monarque? et quand j'aurais à combattre tout l'enfer ensemble, quel sujet aurais-je de craindre ?

Au fond, les démons sont timides et sans force contre ceux qui les méprisent. Ils n'attaquent que les personnes qui les appréhendent, ou que ceux des serviteurs de Dieu qu'il leur permet de tenter pour éprouver leur vertu et augmenter leur sainteté. Je prie sa divine majesté de nous faire la grâce de ne craindre que ce qu'il y a un véritable sujet de craindre, et d'être bien persuadés de cette vérité, qu'un seul péché véniel peut nous faire plus de mal que l'enfer ensemble ne peut nous en faire. Ces mortels ennemis de notre salut ne nous épouvantent que par la prise que nous leur donnons sur nous par notre attachement aux biens, aux honneurs et aux plaisirs nous voyant alors conspirer notre propre perte par l'aveuglement qui nous fait aimer ce que nous devrions avoir en horreur, ils se joignent à nous contre nous-mêmes, se servent, pour nous vaincre, des armes que nous leur mettons entre les mains, au lieu de nous en servir pour les combattre, et c'est de là que vient tout notre malheur. Que si, au contraire, nous méprisons, par notre amour pour Dieu, ces faux biens, ces vains houneurs et ces dangereux plaisirs, et qu'un véritable désir de le servir nous fasse embrasser sa croix pour marcher dans le chemin de la vérité, ces esprits de mensonge, que l'on peut dire être le mensonge même, et qui n'appréhendent rien tant que la vérité, s'enfuiraient bientôt, parce qu'ils ne peuvent avoir de commerce avec ceux qui J'aiment. Mais lorsqu'ils voient que notre entendement est obscurci, ils travaillent adroitement à l'obscurcir encore davantage, ils nous aident à nous aveugler, et, ne nous considérant que comme des enfants, lorsqu'ils nous voient mettre toute notre satisfaction et notre plaisir dans des choses aussi vaines que sont celles de ce monde, ils nous traitent comme des enfants, et n'ont garde d'appréhender d'en venir souvent aux mains avec nous.

Dieu veuille que je ne sois pas moi-même du nombre de ces enfants, el me faire, au contraire, la grâce de connaître ce qui mérite de passer pour un véritable bien, un véritable honneur et un véritable plaisir ! Je ne comprends rien à ces craintes qui nous font préférer le nom du diable au nom de Dieu qui le fait trembler; car, ne savonsnous pas qu'il ne peut rien faire que par sa permission? et j'avoue que j'appréhende

CHAPITRE XI.

Importance de la piété dans les rois. Dispositions de la sainte sur ce sujet.

Qu'heureuse est une âme à qui Dieu fait connaître la vérité! et combien serait-il plus avantageux aux rois de posséder ce bonheur que de commander à tant de provinces? Quel ordre ne régnerait point dans leurs Etats, et quels maux n'empêcheraient-ils pas, lorsqu'ils n'appréhenderaient point de perdre pour l'amour de Dieu, s'il en était besoin, l'honneur et la vie? Et combien sont-ils plus obligés que leurs sujets de préférer sa gloire à la leur propre, puisqu'ils doivent leur servir d'exemple? Le désir d'augmenter la foi et de retirer les hérétiques de leur erreur, ne devrait-il pas leur faire hasarder mille royaumes, s'ils les avaient, pour acquérir des couronnes immortelles, puisqu'il y a tant de différence entre les royaumes temporels et périssables, et ce royaume éternel auquel ils doivent aspirer, que pour peu qu'une âme ait goûté de cette eau céleste, il ne lui reste que du dégoût pour toutes les choses créées? Et que sera-ce donc lorsqu'elle se trouvera dans le ciel entièrement plongée dans cette mer que l'on peut nommer un océan de félicité et de gloire?

Seigneur mon Dieu, quand vous m'auriez élevée dans une condition qui me donnerait droit de publier de si grandes vérités, on ne me croirait non plus que plusieurs autres qui sont plus capables que moi d'en faire connattre l'extrême importance: mais je me satisferais au moins moi-même; et il me semble que je donnerais de bon cœur ma vie pour un tel sujet. Le mouvement qui me pousse à désirer de faire entendre cela à ceux qui gouvernent, est si violent qu'il me dévore et me consume. Mais tout ce que je puis faire, mon Dieu, est d'avoir recours à vous pour vous prier de remédier à tant de maux. Vous savez, Seigneur, que je consentirais avec joie d'être privée de toutes les grâces que vous m'avez faites, pourvu que vous me missiez en état de ne plus vous offenser, et de pouvoir inspirer ce sentiment aux rois et aux princes, parce que, s'ils l'avaient, il leur serait impossible de consentir à tant de maux qui se commettent sous leur autorité, et de ne pas faire de très-grands biens. Ouvrez leurs yeux, Seigneur, afin qu'ils connaissent quels sont leurs devoirs, et qu'il n'y a rien qu'ils ne soient obligés de faire pour répondre aux faveurs dont ils vous sont redevables: ces faveurs sont si grandes, que vous ne les élevez pas seulement sur la terre au-dessus du reste des hommes, mais encore, comme je l'ai ouï dire, lorsqu'ils passent de ce monde à un autre, que vous en donnez des marques par des signes qui paraissent dans le ciel : ce qui me ferait souhaiter, mon Sauveur, que de même qu'il y aurait quelque rapport en ce qui se passe en leur mort et ce qui se passa en la vó

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