Page images
PDF
EPUB

dités du corps, qu'ils ne peuvent souffrir de passer seulement une nuit dans un lit un peu dur?

1

O Seigneur que je regrette le temps auquel je n'ai point compris ces vérités ! Mais, puisque vous savez, mon Dieu, la douleur que je sens de voir le grand nombre de ceux qui ne veulent pas les entendre, faites au moins, je vous en conjure, que votre lumière éclaire quelque âme qui soit capable d'en éclairer beaucoup d'autres. Je ne vous demande pas, Seigneur, que vous le fassiez pour l'amour de moi, car j'en suis indigne; inais je vous le demande par les mérites de votre Fils. Jetez, ô mon Dieu, les yeux sur ses plaies; et, puisqu'il les a pardonnées à ceux qui les lui ont faites, pardonnez-nous aussi les péchés que nous avons commis

[blocks in formation]

O mon Dieu et mon véritable soutien ! d'où vient qu'étant si lâches en toutes choses, nous ne sorumes hardis que lorsqu'il s'agit de vous attaquer et de vous combattre ? c'est ce à quoi s'emploient aujourd'hui toutes les forces et tout le courage des enfants des hommes. Si notre esprit n'était aussi aveugle et aussi couvert de ténèbres qu'il l'est, tous les hommes, joints ensemble, auraient-ils assez de hardiesse pour prendre les armes contre leur Créateur, et pour faire une guerre continuelle à celui qui peut en un moment les précipiter dans les abîmes ? Mais étant aussi aveugles qu'ils le sout, ils agissent comme des fous, ils cherchent et rencontrent la mort dans les choses mêmes où ils s'imaginent trouver la vie. Que peuton faire, o mon Dieu, pour ces insensés, et quel remède est capable de les guérir? On dit que la frénésie donne des forces à ceux qui n'en ont point; nous le voyons en tous ceux qui se séparent de vous; sans force et sans courage en toute autre chose, ils n'en ont que pour combattre, en vous combattant, celui qui leur fait le plus de bien, et pour s'opposer à vous dans la fougue de leurs passions.

O Sagesse incomprébensible ! vous aviez besoin sans doute de tout l'amour que vous portez à vos créatures pour pouvoir souffrir une telle extravagance, pour attendre que nous soyons revenus à notre bon sens, et pour procurer par mille moyens et mille remèdes la guérison de notre folie. Je ne saurais considérer sans étonnement, que lorsqu'il faut faire le moindre effort pour abandonner une occasion et fuir un péril où il ne s'agit pas de moins que de perdre pour jamais son âme, les hommes manquent telle ment de courage, qu'il s'imaginent que, quand ils le voudraient, ils ne le pourraient pas, et qu'en même temps ils aient l'audace d'attaquer une majesté aussi puissante et aussi redoutable qu'est la vôtre.

D'où vient cette folie, à mon Tout! et qui leur donne cette force? Est-ce le chef qu'ils suivent dans cette guerre ? mais n'est-il pas à jamais votre esclave, a ne brûle-t-il pas dans des flammes éternelles? Comment peut-il donc se révolter contre vous ? comment celui qui a été vaincu peut-il donner du courage aux autres, pour leur faire espérer de vous vaincre? comment peuvent-ils se résoudre à suivre celui qui a été dépouillé de toutes les richesses du ciel ? Que peut donner celui qui a tout perdu, et à qui il ne reste qu'une épouvantable et incompréhensible misère ?

Qu'est-ce que ceci, mon Dieu ? Quest-ce que ceci, mon Créateur? D'où vient que nous sommes si forts contre vous, et si lâches contre le démon? Mais quand même, Ômon Roi! vous ne favoriseriez pas ceux qui sont à vous; quand même nous serions redevables en quelque chose à ce prince de ténèbres, quelle folie n'y aurait-il pas de nous attacher à lui, puisque les biens que vous nous réservez dans l'éternité ne sont pas moins véritables que les plaisirs et les contentements qu'il nous promet sont faux et imaginaires; et quelle liaison pouvons-nous avoir avec celui qui a eu l'audace de s'élever contre vous ?

O mon Dieu, quel étrange aveuglement ! Omon Roi, quelle horrible ingratitude! quelle épouvantable folie! Nous employons pour le service du démon ces mêmes biens que nous tenons de votre bouté; nous payons votre extrême amour pour nous, en aimant celui qui vous hait et qui vous haïra éternellement; et, après tant de sang que vous avez versé, après les coups de fouet, les douleurs et les tourments que vous avez soufferts pour nous, au lieu de venger votre Père des injures qu'on lui a faites en votre personne (car pour vous, mon Sauveur, loin d'en désirer quelque vengeance, vous avez tout pardonné), nous prenons pour nos compagnons et pour nos amis ceux qui vous ont traité de la sorte. Or, puisque nous marchons ici-bas sous les enseignes de leur capitaine infernal, qui doute que nous n'ayons un jour le même sort, et que nous ne vivions à jamais dans sa compagnie, si votre miséricorde ne nous fait rentrer dans notre bon sens, et ne nous pardonne nos fautes passées ?

O misérables mortels, rentrez enfin dans vous-mêmes; arrêtez vos yeux sur votre Roi pendant qu'il est encore doux et compatissant; cessez de commettre tant de crimes; tournez vos forces et votre fureur contre celui qui vous fait la guerre, et qui veut vous ravir les biens et les avantages de votre régénération divine. Rentrez, rentrez, dis-je encore une fois, en vous-mêmes; ouvrez les yeux poussez des cris, et versez des larmes pour demander la lumière véritable à celui qui est venu la donner au monde. Considérez au nom de Dieu, que tous vos efforts vont à donner la mort à celui qui a donné sa vie pour sauver la vôtre; considérez que c'est celui qui vous défend de vos ennemis;

elles sont si étrangères à notre esprit, qu'en effet ni nous ne les connaissons, ni ne voulons les connaître.

et si cela ne suffit pas, qu'il vous suffise au moins de connaître qu'en vain vous vous opposez à son pouvoir, et que tôt ou tard un feu éternel vous fera payer la peine de votre mépris et de votre audace.

Est-ce parce que vous voyez cette majesté suprême liée et attachée par l'amour qu'elle a pour nous, que vous êtes si insolents et sihardis à l'offenser? Eh! qu'ont fait de plus ceux qui lui ont donné la mort, sinon de le charger de coups et de le couvrir de blessures après l'avoir attaché à une colonne? O mon Dieu ! est-il possible que vous souffriez pour ceux qui sont si peu touchés de vous voir souffrir? I arrivera un temps où votre justice éclatera et fera voir qu'elle est égale à votre miséricorde.

Considérons bien cela, Chrétiens; considérons-le attentivement, et nous connaîtrons que les obligations que nous avons à Dieu sont infinies, et que les richesses de sa bonté sont inconcevables. Or, si sa justice n'est pas moindre que sa clémence, hélas ! que deviendront ceux qui auront mérité qu'il en fasse connaître la grandeur en leurs personnes, et qu'il exerce sur eux la sévérité de ses jugements?

XIII EXCLAMATION.

Du bonheur des saints dans le ciel, et de l'impatience des hommes, qui aiment mieux jouir pour un moment des faux biens de cette vie, que d'atendre les véritables et les éternels.

O saintes âmes qui jouissez déjà dans le le ciel d'une parfaite félicité sans aucune crainte de la perdre, et qui êtes sans cesse occupées à louer mon Dieu, que votre condition est heureuse que c'est avec une grande raison que vous n'interrompez jamais vos louanges et vos actions de grâces! et que je vous porte envie d'être libres et exemptes comme vous l'êtes de la douleur que je ressens en voyant la multitude des offenses qui se commettent aujourd'hui contre mon Dieu, l'ingratitude des hommes, et ce profond assoupissement qui ne leur permet pas la moindre réflexion sur ce grand nombre d'âmes que le diable entraine tous les jours dans les enfers! O bienheureuses et célestes âmes, qui jouissez des délices du paradis, ayez compassion de notre misère, et intercédez pour nous envers Dieu, afin qu'il nous donne quelque part à votre bonheur; qu'il répande dans nos esprits un rayon de cette vive lumière dont vous êtes toutes remplies, et qu'il nous donne quelque sentiment de ces récompenses inconcevables préparées à ceux qui combattent courageusement pour lui durant le sommeil si court de cette malheureuse vie. O âmes toutes brûlantes d'amour! obtenez-nous la grâce de bien comprendre quelle est la joie que vous donnent la connaissance et la certitude de l'éternité de votre joie.

O mon Sauveur, quelle est notre misère ! Il semble que nous n'ignorons pas ces vérités, et même nous les croyons; mais nous sommes si peu accoutumés à les considérer,

O esprits intéressés et passionnés pour vos plaisirs! est-il possible que, pour no vouloir pas attendre un peu de temps, afin d'en posséder de si grands, pour ne vouloir pas attendre un an, pour ne vouloir pas attendre un jour, pour ne vouloir pas attendre une heure, et pour ne vouloir pas attendre peut-être un moment, vous perliez tous ces plaisirs pour jouir d'une misérable satisfaction, parce que vous la voyez et qu'elle est présente? O mon Dieu, mon Dieu, que nous avons pen de confiance en vous, de vous refuser ainsi un peu de temps! et que vous avez, au contraire, de confiance en nous! car quelies richesses inestimables ne nous avez-vous pas confiées en nous donnant votre propre Fils; en nous donnant trente-trois ans de sa vie qu'il a passée dans des travaux incroyables; en nous donnant sa mort cruelle et sanglante, et en nous donnant tout ce que je viens de dire, si longtemps avant que nous fussions nés, sans en être détourné par la connaissance que vous aviez que nous ne garderions pas fidèlement ce trésor inestimable; mais vous n'avez pas voulu, ô le plus doux de tous les pères ! qu'il tint à vous qu'en le faisant profiter, nous pussions nous enrichir pour jamais.

Quant à vous, ô âmes bienheureuses, qui avez si bien employé ces riches talents que vous en avez acquis un héritage de délices éternelles, apprenez-nous à les faire profiter à votre exemple: assistez-nous; et, puisque vous êtes si proches de la fontaine céleste, tirez-en de l'eau pour nous qui mourons de soif sur la terre.

XIV EXCLAMATION.

Combien le regard de Jésus-Christ dans le dernier jugement sera doux pour les bons, et terrible pour les méchants.

O mon Seigneur et mon véritable Dieu, celui qui ne vous connaît pas ne vous aime pas! Hélas! que cette vérité est grande, et que malheureux sont ceux qui ne veulent pas vous connaître! L'heure de la mort est une heure redoutable; et qui peut, mon Créateur, assez craindre ce jour terrible où s'exécutera le dernier arrêt que doit prononcer votre justice? Jésus, mon Sauveur et tout mon bien, j'ai considéré plusieurs fois quelles sont la douceur et la joie que votre regard porte dans les âmes de ceux qui vous aiment, et que vous daignez voir d'un œil favorable. Il me semble qu'un seul de ces regards leur donne tant de consolation, qu'il sullit pour les récompenser de plusieurs anpées de services.

Oh! qu'il est difficile de faire comprendre ceci à ceux qui ne savent pas par expérience combien le Seigneur est doux! O Chrétiens, Chrétiens considérez que vous êtes devenus les frères de votre Sauveur et de votre Dieu. Considérez quel il est, et ne le méprisez pas. Sachez qu'en ce jour de sa majesté et de sa gloire, autant son regard sera doux

et favorable pour ses serviteurs et ses amis, aulant il sera terrible et plein de fureur pour ses persécuteurs et ses ennemis. Oh! que nous comprenons mal que le péché n'est autre chose qu'une guerre que nous faisons à Dieu, qu'un combat contre lui de tous nos sens et de toutes les puissances de notre âme, qui conspirent comme à l'envi à qui usera de plus de trahisons et de perfidies

contre leur Créateur et leur commun Roi !

Vous savez, mon Seigneur, que j'ai souvent plus appréhendé de voir votre divin visage animé de colère contre moi dans ce jour épouvantable de votre dernier jugement, que d'être au milieu des supplices et des horreurs de l'enfer; et que je vous priais, comme je vous en prie encore, mon Dieu, de vouloir par votre miséricorde me préserver d'un malheur si déplorable. Que pourrait-il m'arriver dans le monde qui en approche? Ah! que tous les maux de la terre viennent fondre sur moi, ô mon Dieu! pourvu que vous me garantissiez d'une telle affliction que je ne ne vous abandonne jamais, et que je ne cesse jamais, ô mon Sauveur de jouir de la vue de votre souveraine beauté. Votre Père vous a donné à nous; ne souffrez pas, ô mon cher Maître! que je perde un trésor si précieux. Je confesse, o Père éternel! que je l'ai très-mal conservé, mais cette faute n'est pas sans remède; non elle n'est pas sans remède, ô mon Seigneur! pendant que nous respirons encore dans l'exil de cette vie.

O mes frères, mes frères, qui êtes, comme moi, les enfants de Dieu, efforçons-nous, mais de tout notre pouvoir, de réparer nos fautes passées, puisque vous savez qu'il a dit que, si nous nous en repentons, il oubliera toutes nos offenses! O bonté sans mesure, que désirons-nous de plus! oseronsnous même tant demander sans quelque honte? Mais c'est à nous maintenant de recevoir ce que son extrême bonté veut nous donner. Puis donc qu'il ne désire de nous que notre amour, qui pourrait le refuser à celui qui n'a pas refusé de répandre son sang, et de donner sa propre vie pour

nous ?

Considérons qu'il ne nous demande rien qui ne soit pour notre avantage. O mon Dieu, quelle dureté! quel aveuglement! quelle folie! La perte d'une aiguille nous fait de la peine; un chasseur est fâché de perdre un épervier dont il ne tire d'autre avantage que le plaisir de le voir prendre son essor dans les airs; et nous ne sommes point touchés de regret de perdre cet aigle royal, de perdre la majesté de Dieu même, et ce royaume dont la possession et le bonheur dureront éternellement. Qu'est-ce que cela, Seigneur? qu'est-ce que cela ? j'avoue que je ne le comprends pas. Tirez-nous, O mon Dieu! d'un si grand aveuglement; gué rissez-nous d'une si extrême folie.

XV EXCLAMATION.

Ce qui peut consoler une âme dans la peine qu'elle ressent d'être si longtemps en cet exil.

Hélas! hélas! ô mon Dieu! que le temps de ce bannissement est long, et que j'y souffre de peine par le désir que j'ai de vous voir! Seigneur, que peut faire une âme qui se trouve enfermée dans la prison de ce corps? O Jésus mon Sauveur, que la vie de l'homme est longue, quoique l'on dise qu'elle est courtel elle est courte en effet, si on considère le temps qu'on a pour gagner une vie heureuse qui n'aura jamais de fin; mais elle est bien longue pour une âme qui désire jouir de la présence de son Dieu. Quel soulagement, mon Sauveur, donnerez-vous donc à mes souffrances? l'unique soulagement, mon Dieu, est que je souffre pour vous. O bienheureuse souffrance, qui es la seule consolation de ceux qui aiment Dieu, ne fuis pas l'âme qui te cherche, et qui ne peut espérer que par toi de voir croître el adoucir tout ensemble le tourment que cause celui qui est aimé à l'âme qui l'aime.

Tout mon désir, Seigneur, est de vous plaire, et je sais certainement que je ne puis trouver aucune satisfaction parmi les hommes. Si cela est, comme il me semble, vous ne blâmez point sans doute ce désir. Me voici, mon Dieu! que s'il est nécessaire que je vive pour vous rendre quelque service, j'accepte de bon cœur tous les travaux qui peuvent se souffrir sur la terre, comme le disait autrefois votre grand amateur saint Martin. Mais, hélas! mon Sauveur, qui suis-je ? et qui était-il? il avait des œuvres et je n'ai que des paroles; c'est là tout ce que je puis. Au défaut de mon pouvoir, regardez, Seigneur, mes désirs, et ne les rejetez pas de votre divine présence. Ne considérez pas mon peu de mérite, mais faites que nous méritions tous de vous aimer. Puisque nous avons encore à vivre ici-bas, faites, mon Dieu, que nous n'y vivions que pour vous seul, sans avoir plus d'autres intérêts ni d'autres desseins; car que pouvons-nous souhaiter davantage que de vous contenter et de vous plaire ?

O mon Dieu et toute ma consolation, que ferai-je pour vous contenter? Tous les services que je puis vous rendre, quand même je vous en rendrais plusieurs, sont défectueux et misérables. Qui me peut donc obliger à demeurer davantage en cette malheureuse vie? rien, sans doute, sinon pour accomplir la volonté de mon Seigneur et de mon Maître et que pourrais-je souhaiter qui me fût plus avantageux ? Attends done, & mon âme, attends avec patience, puisque tu ne sais ni le jour ni l'heure garde-toi bien de t'endormir; veille avec soin, parce que tout se passe bientôt sur la terre, quoique ton désir te fasse paraître douteux ce qui est certain, et long ce qui ne dure que peu. Considère que plus tu combattras pour ton Dieu, plus tu témoigneras ton amour pour lui, et plus tu jouiras un jour de ce Seigneur que

tu aimes, avec une joie et des délices qui puissances de notre âme, qui courent dans dureront éternellement. les rues et dans les places publiques, comme il est marqué par la sainte Epouse, lorsqu'elle conjure les filles de Jérusalem de lui apprendre des nouvelles de son Dieu.

XVI EXCLAMATION.

Que Dieu seul peut donner quelque soulagement aux ámes qu'il a blessées par les trails de son

amour.

O mon Dieu et mon Seigneur! c'est une grande consolation pour une âme qui souffre avec douleur la solitude où elle se trouve quand elle est absente de vous, de penser que vous êtes présent partout. Mais de quoi lui peut servir cette pensée, quand son amour devient plus ardent, et que cette peine la presse avec plus d'effort et de violence? C'est alors que son entendement se trouble, et que sa raison, étant comme obscurcie, ne lui permet pas de concevoir et de connaître cette vérité. Toute la pensée qui l'occupe alors, est qu'elle se voit séparée de vous; et elle ne trouve point de remède à un si grand mal; car le cœur qui aime beaucoup ne reçoit ni conseil ni consolation que de celui-là même qui l'a blessé de son amour, sachant que c'est de lui seul qu'il doit attendre le soulagement de sa peine. C'est vous, món Sauveur, qui causez cette blessure, et vous la guérissez bientôt quand vous le voulez mais sans cela, il ne nous reste de santé ni de joie que celle que nous trouvons à souffrir, en considérant l'objet et la cause de notre souffrance.

O véritable amant de nos âmes, avec quelle bonté, quelle douceur, quelle complaisance, quelles caresses et quelle démonstration d'amour guérissez-vous les blessures que vous nous faites avec les flèches de ce même amour! Mais, mon Dieu, et ma consolation dans toutes mes peines, que je suis indiscrète de parler ainsi; car, comment des remèdes humains pourraient-ils guérir ceux qu'un feu divin a rendus malades? Qui pourrait connaître la profondeur de cette blessure? Qui pourrait connaître d'où elle procède? Qui pourrait connaître les moyens de soulager un tourment si pénible et si agréable tout ensemble ? Et quelle apparence qu'un mal si précieux se pût adoucir par des remèdes aussi méprisables que sont ceux que peuvent donner les hommes!

Certes, ce n'est pas sans grande raison que l'Epouse dit dans les Cantiques (11, 16) : Mon bien-aimé est à moi, et je suis à mon bien-aimé. Mon bien-aimé est à moi, dit-elle, parce qu'il n'est pas possible que cet amour mutuel entre Dieu et la créature commence par une chose aussi basse qu'est mon amour. Mais, si mon amour est si bas, d'où vient qu'il ne s'arrête pas à la créature, et comment peut-il s'élever jusqu'au Créateur? Pourquoi, mon Dieu, suis-je à mon bienaimé comme il est à moi? C'est vous. 6 mon véritable amant! qui commencez cette guerre toute d'amour; et cette guerre ne me semble être autre chose qu'un abandon et une inquiétude de tous nos sens et de toutes les

Mais, Seigneur, quand cette guerre est commencée, contre qui ces sens et ces puissances peuvent-ils combattre, que contre celui qui s'est rendu maître de la forteresse qu'ils occupaient, qui est la partie la plus élevée de notre âme, et qui ne les en a chassés que pour les obliger à la reconquérir en quelque sorte sur leur divin conquérant, ou à reconnaître leur faiblesse par la douleur qu'ils souffrent de se voir éloignés de lui; afin que, renonçant ainsi à leurs propres forces, ils combattent plus courageusement qu'auparavant avec les forces qu'il leur donnera, et qu'en se confessant vaincus, ils vainquent heureusement leur vainqueur? O mon âme, que vous avez éprouvé la vérité de ce que je dis, dans le combat merveilleux qui s'est passé en vous lorsque vous étiez en cette peine! Mon bien-aimé est donc à moi, et je suis à mon bien-aimé. Qui sera celui qui entreprendra d'éteindre ou de séparer deux si grands feux? Certes, il travaillerait en vain, puisque ces deux feux ne sont plus qu'un feu.

[blocks in formation]

O mon Dieu, ô sagesse sans bornes et sans mesure, élevée au-dessus de tout ce qu'en peuvent concevoir tous les hommes et tous les anges! O amour qui m'aimez beaucoup plus que je ne ne saurais aimer moi-même, et que je ne saurais comprendre! pourquoi désiré-je autre chose que ce que vous voulez me donner? Pourquoi me tourmenté-je à vous demander ce qui est conforme à mon désir, puisque vous savez où peut aboutir tout ce que mon esprit peut s'imaginer, et tout ce que mon cœur peut souhaiter ? au lieu que, ne le sachant pas moi-même, je trouverais peut-être ma perte dans ce que je me persuade être mon bonheur. Ainsi, par exemple, si je vous demandais de me délivrer d'une peine dans laquelle vous auriez pour fin de mortifier mon âme, que vous demanderais-je, o mon Dieu? et si je vous priais de me laisser dans cette peine, peut-être ne serait-elle pas proportionnée à ma patience, qui, étant encore faible, ne pourrait soutenir un si grand poids; ou, si elle le soutenait, n'étant pas encore bien affermie dans l'humilité, peutêtre m'imaginerais - je avoir fait quelque chose; au lieu que c'est vous qui faites tout, O mon Dieu! Sí je vous demandais de souffrir, il me viendrait peut-être en la pensée que ce ne doit pas être en des choses qui pourraient me faire perdre l'estime et la croyance qui me sont si nécessaires pour

votre service, et il me semble que ce n'est point l'amour de mon propre honneur qui me fait avoir cette crainte. Mais ensuite il pourrait arriver que ce que j'aurais cru devoir me faire perdre cette croyance, l'augmenterait, et me donnerait plus de moyens de vous servir, qui est le seul avantage que j'en prétends.

Je pourrais, Seigneur, ajouter plusieurs choses pour me faire mieux entendre, car je ne m'explique pas assez; mais, comme je sais qu'elles vous sont toutes présentes, pourquoi parlerais-je davantage? et pourquoi même ai-je dit ce que j'ai dit? Je l'ai dit, mon Dieu, afin que lorsque le sentiment de ma misère se réveille, et que ma raisou me paraît comme obscurcie et couverte de ténèbres, je me cherche et je tâche de me retrouver moi-même dans ce papier écrit de ma main; car souvent, mon Dieu, e me sens si faible, si lache et si misérable, que je ne sais plus ce qu'est devenue votre servante, elle qui croyait avoir reçu de vous assez de grâces pour soutenir tous les orages et toutes les tempêtes du monde. Faites, o mon Dieu, que je ne mette jamais plus ma confiance en ce que je puis vouloir pour moi-même; mais que votre volonté ordonne de moi tout ce qu'il lui plaît. Ce qu'elle veut est tout ce que je veux, parce que tout mon bien est de vous contenter en toutes choses. Si vous vouliez, mon Dieu, m'accorder tout ce que je veux, je vois clairement que cette grâce ne servirait qu'à me perdre.

Oh! que la sagesse des hommes est aveugle, et que leur prévoyance est trompeuse! Faites que la vôtre, o mon Dieu, par les moyens que vous jugerez les plus propres, porte mon âme à vous servir à votre gré, et non pas au sien; et ne me punissez pas en m'accordant ce que je demande ou ce que je désire, lorsqu'il ne sera pas conforme au dessein de votre divin amour qui doit être mon unique vie. Que je meure à moimême, et qu'un autre qui est plus grand que moi, et qui m'aime mieux que je ne m'aime, vive en moi, afin que je puisse le servir; qu'il vive et qu'il me donne la vie; qu'il règne et que je sois son esclave. C'est là la seule liberté que je souhaite; car comment peut-on être libre sans être assujetti au Tout-Puissant? Et quelle captivité peut être plus grande et plus malheureuse que la liberté d'une âme qui s'est échappée des mains de son Créateur? Heureux ceux qui se trouvent si fortement attachés à vous par les chaînes de vos bienfaits et de vos miséricordes, qu'il n'est pas en leur pouvoir de .es rompre! L'amour est fort comme la mort; il est dur et inflexible comme l'enfer. (Cant. VII, 6.) Oh! qui pourrait se voir comme mort de sa main, et précipité dans ce divin enfer de l'amour divin, d'où il n'espérerait plus, ou pour mieux dire, d'où il ne craindrait plus de pouvoir jamais sortir. Mais, hélas! mon Dieu, nous sommes toujours en péril durant cette vie mortelle, et tant qu'elle dure on peut toujours perdre l'éternelle.

O vie ennemie de mon bonheur, que n'est-il permis de te finir! Je te souffre, parce que mon Dieu te souffre; j'ai soin de toi, parce que tu es à lui, mais ne me trabis pas, et ne me sois pas ingrate. Hélas! mon Seigneur, que mon bannissement est long! il est vrai que tout le temps est court pour acquérir votre éternité mais un seul jour et une seule heure durent beaucoup à ceux qui craignent de vous offenser, et qui ne savent pas s'ils vous offensent. O libre arbitre, que tu es esclave de la liberté, si tu n'es comme cloué par l'amour et par la crainte de celui qui t'a créé ! Hélas! quand viendra cet heureux jour que tu te verras abîmé dans cette mer infinie de la souveraine Vérité, où tu n'auras plus la liberté de pécher, ni ne voudras pas l'avoir, parce que tu seras alors affranchi de toute misère, et heureusement réuni et comme naturalisé avec la vie de ton Dieu, de ton Créateur et de ton Maître ?

Dieu est bienheureux, parce qu'il se connaît, qu'il s'aime et qu'il jouit de lui-même sans qu'il lui soit possible de faire autrement. Il n'a point, ni n'a pu avoir la liberté de s'oublier soi-même, ou de cesser de s'aition, mais une imperfection que d'avoir cetmer; et ce ne serait pas en lui une perfecte liberté. Tu ne seras donc, mon âme, jamais en repos, que quand tu seras parfaitement unie avec ce souverain bien : que tu connaîtras ce qu'il connaît; que tu aimeras ce qu'il aime, et que tu posséderas ce qu'il possède; car alors tu ne seras plus sujette à changer; mais ta volonté sera immuable, parce que la grâce de Dien agira en toi si puissamment, et te rendra participante de sa divine nature dans un tel degré de perfection, que tu ne pourras ni oublier ce souverain bien, ni désirer de le pouvoir oublier, ni cesser de jouir de lui dans les transports de son éternel amour.

Bienheureux ceux qui sont écrits dans le livre de cette immortelle vie! Mais, mon âme, si tu es de ce noinbre, pourquoi es-tu si triste, et pourquoi me troubles-tu? Espère en ton Dieu; je veux, sans différer davantage, lui confesser mes péchés et publier ses miséricordes, pour composer de l'un et de l'autre un cantique mêlé de mille soupirs à la louange de mon Sauveur et de mon Dieu. Peut-être qu'il arrivera un jour que je lui en chanterai un autre pour lui rendre grâce de la gloire qu'il m'aura donnée, sans que ma joie soit plus traversée par les reproches de ma conscience. Ce sera alors, & mon âme, que tu verras cesser tous tes soupirs et toutes tes craintes; mais, jusque-là, toute ma force sera dans l'espérance et dans le silence, comme parle le prophète. J'aime mieux, mon Dieu, vivre et mourir dans l'espérance de cette vie éternellement heureuse, que de posséder tout ce qu'il y a de créatures dans le monde, et tous ces biens qui ne durent qu'un moment. Ne m'abandonnez pas, mon Seigneur, puisque ma confiance est toute en vous; ne trompez pas mes espérances. Faites

1

« PreviousContinue »