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petit morceau. Si le pasteur se cache ou s'endort, la bonne brebis ne bouge de l'endroit où elle se trouve, jusqu'à ce qu'il paraisse ou qu'il se réveille, ou bien elle le réveille elle-même à force de bêler, et à son réveil il lui fait de nouvelles caresses.

L'âme doit se regarder comme étant dans une solitude ténébreuse où l'on ne découvre aucun chemin tracé, et où elle se trouve environnée de loups, de lions et d'ours, sans aucune assistance du ciel ni de la terre, si ce n'est celle de son Pasteur qui la défend et la guide. C'est ainsi que souvent nous nous trouvons dans les ténèbres, environnés d'ambition, d'amour-propre et d'une multitude d'autres ennemis visibles et invisibles, sans autre ressource que celle d'appeler à notre secours le divin Pasteur de nos Ames, qui seul peut nous délivrer des périls dont nous sommes menacés.

Nous devons aussi dans ce jour méditer sur le très-saint sacrement de l'Eucharistie, sur l'excellence de cette nourriture qui est la substance même du Père éternel, de laquelle David a dit (pour relever le prix de la faveur que Dieu à faite aux hommes en établissant ce Sacrement) qu'il les rassasie de la moelle de ses propres entrailles.

Cette faveur est fort au-dessus de celle que Dieu nous a faite en s'incarnant pour nous; car par l'incarnation il a seulement déifié son âme et son corps en les unissant à sa personne; mais dans ce Sacrement il a voulu déifier tous les hommes; et comme la nourriture que l'homme a reçue dans son enfance est toujours la plus propre à entretenir sa vigueur, après nous avoir régénérés et nourris de son esprit par le baptême, il a voulu que nous n'eussions d'autre pain que lui-même, afin que notre nourriture répondit toujours à la dignité de ses enfants, où il nous avait élevés.

pression; car, comme deux choses ne peuvent s'unir sans un moyen qui_participe de l'une et de l'autre, qu'a fait ce Dieu d'amour pour s'unir à l'homme ? Il a pris chair parmi nous, il a joint intimement notre chair à sa personne divine, afin qu'après l'avoir ainsi déifiée, il pût nous la donner en nourriture, et nous unir à lui par nous-mêmes.

C'est sur cet amour que le Seigneur veut que nous méditions quand nous approchons de la sainte table. C'est là que doivent tendre et s'arrêter toutes nos pensées. C'est toute la reconnaissance qu'il exige de nous, lorsqu'il nous commande de nous souvenir en communiant qu'il est mort pour nous. Et, pour nous faire connaître combien volontiers il nous donne cette précieuse nourriture, il l'appelle notre pain quotidien ; il veut que nous la lui demandions chaque jour.

Mais nous ne devons jamais perdre de vue la pureté et les autres dispositions saintes avec lesquelles ce pain divin doit être mangé. On raconte d'une grande servante du Seigneur, que, comme elle désirait communier tous les jours, le Seigneur lui montra un globe de cristal parfaitement beau, et lui dit : Vous pourrez communier quand vous serez semblable à ce cristal. Il ne laissa pas cependant de le lui permettre sur-le-champ.

On peut aussi se rappeler en ce jour cette parole du Seigneur sur la croix, J'ai soif (Joan. XIX, 28), et le breuvage amer qu'on lui donna, et en même temps comparer la douceur du breuvage qu'il nous fournit, avec l'amertume de celui que nous lui présentons dans la soif ardente qu'il a de notre salut.

CINQUIÈME DEMANDE.

POUR LE VENDREDI.

Pardonnez-nous nos offenses, comme nous pardonnons à ceux qui nous ont offensés.

L'amour avec lequel il se donne aux hommes dans ce sacrement, va jusqu'à leur commander à tous de se nourrir de son corps, sous peine de la vie. Ce n'est pas Cette demande, jointe au titre de Rédempqu'il ait ignoré que plusieurs s'en nourris- teur, convient fort au vendredi, puisqu'à pasaient étant en état de péché mortel; mais reil jour le Fils de Dieu est devenu notre RéJ'amour qu'il nous porte est si véhément et dempteur et notre rédemption (comme dit si actif, que, pour jouir de l'ardeur avec la- saint Paul) en répandant son sang pour quelle ses amis s'en nourrissent, il franchit nous. C'est lui qui nous a délivrés de la tous les obstacles et s'expose volontiers aux puissance de Satan auquel nous étions asoutrages de ses ennemis. C'est aussi pour sujettis, qui nous a rendus nous-mêmes nous donner une nouvelle preuve de son sou royaume ; et c'est en lui que nous avons amour, qu'il a voulu consacrer et instituer trouvé notre rédemption, c'est-à-dire le par cette divine nourriture dans le temps même don de nos péchés et le prix dont il a fallu qu'il se livrait pour nous à la mort et les expier. quoique sa chair et son sang soient égaleient présents dans chacune des deux espèces sacramentales, il a encore voulu que chaque espèce fût consacrée séparément, afin de nous montrer par cette sorte de division, qu'il serait mort volontiers pour nous, s'il eût été nécessaire, autant de fois qu'on consacre et qu'on offre le sacrifice de la Messe dans toute l'Eglise.

Cet amour avec lequel Dieu se donne à nous, et le tendre artifice dont il use en cette occasion, sont au-dessus de toute ex

Tous les biens que nous pouvons désirer pour nous, sont compris dans la précédente demande; et tous les maux dont nous pouvons souhaiter d'être délivrés, sont renfer més dans les trois suivantes, dont celle-ci est la première: Remettez-nous, Seigneur, ce que nous vous devons comme à notre Dieu et au souverain Maître de toutes choses, ce que nous vous devons pour les bienfaits que nous avons reçus de vous, et ce que nous vous devons pour les offenses que nous avons commises contre votre divine majesté. Pardon

tit discours qu'il a tenu lui-même à une de ses servantes et qui vient fort bien à mon sujet. Il lui apparut un jour crucifié, et lui dit: Otez-moi ces trois clous par lesquels tous les hommes me tiennent attaché sur la croix, qui sont leur manque d'amour pour moi, qui suis la bonté et la beauté par excellence; leur ingratitude pour tous mes bienfaits, et leur dureté de cœur à recevoir mes inspirations; et quand vous aurez ôté ces trois clous, je ne laisserai pas de demeurer encore attaché par trois autres, qui sont l'amour sans mesure que je vous porte, la reconnaissance infinie que je dois à mon Père des biens dont il vous comble pour l'amour de moi, et la douceur ineffable de mon cœur toujours prêt à vous pardonner.

nez-nous comme nous pardonnons à ceux qui nous offensent ou qui nous sont redevables. Mais un pardon pareil à celui que nous accordons pourrait paraître à quelques-uns fort limité c'est pourquoi il est bon d'avertir que ceci peut s'entendre de deux manières. Premièrement, nous devons nous figurer que, toutes les fois que nous récitons l'Oraison dominicale, nous la disons de compagnie avec Notre-Seigneur, qui est toujours à côté de nous quand nous prions, quand nous demandons quelque chose en son nom, et quand nous appelons Dieu notre Père. Cela étant ainsi, notre pardon ne peut être que complet, puisque c'est le Fils de Dieu qui s'est chargé lui-même de le procurer aux hommes. En second lieu, l'on peut aussi prendre les paroles de notre texte à la lettre et à la rigueur, et dire que nous demandons à Dieu qu'il nous pardonne de la

tout homme qui prie est présumé pardonner de cœur à ceux qui l'ont offensé; et dans ce sens nous nous notifions à nous-mêmes la manière dont nous devons demander et dont nous pouvons espérer d'obtenir notre pardon, et nous prononçons nous-mêmes notre sentence d'indignité dans le cas où nous n'aurions pas pardonné. Comment se peut-il faire, dit le Sage, que l'homme ne pardonne pas à son frère et qu'il demande pardon à Dieu ? (Eccli. xxvi, 3.) Celui qui désire de se venger, doit s'attendre que Dieu se vengera de lui, et le punira de ses péchés sans rémission. La matière de cette demande est très-étendue et embrasse une infinité de choses; car nos dettes sont innombrables, la rédemption du Sauveur très-abondante, et le prix de cette rédemption infini, puisque ce prix est la mort et la Passion de JésusChrist.

Nous devons ici nous rappeler et nous représenter non-seulement nos propres péchés, mais ceux de tous les hommes; l'énorité du péché mortel, qui, étant une offense contre Dieu, ne peut être expié par un autre que par Dieu même; enfin, quelle doit être la réparation de tant d'offenses commises contre une si grande bonté et une si grande majesté.

Nous devons à Dieu l'amour, la crainte et la plus parfaite adoration, parce qu'il est Dieu; de plus, nous sommes redevables à sa justice pour les offenses dont nous payons journellement ses bienfaits. C'est donc la remise de toutes ces dettes que nous lui demandons, lorsque nous le prions de nous pardonner; c'est dans cette remise que consiste notre bonheur et qu'il déploie toutes ses richesses, puisqu'il est en même temps l'offensé, le rédempteur et la rançon.

Je ne pense pas qu'il soit nécessaire de m'arrêter ici sur aucun trait particulier de la Passion de Notre-Seigneur, puisqu'elle est dans son entier l'ouvrage de notre rédemption, dont nous sommes suffisamment instruits par tant d'excellents livres que nous avons entre les mains. Mais je compte faire chose agréable à Dieu, en rapportant un peOEUVRES COMPL. DE M. EMERY. I.

Il serait bon de garder un grand silence durant ce jour, de pratiquer quelque austé rité ou quelque mortification, et d'invoquer les saints en qui nous avons une dévotion particulière: leur intercession ne peut que nous aider beaucoup à obtenir de la miséricorde de Dieu le pardon que nous lui demandons. Nous devons aussi prier particulièrement pour ceux qui ont le malheur d'être en péché mortel, de même que pour ceux qui nous veulent ou qui nous ont voulu du mal, ou qui nous ont fait quelque tort. SIXIÈME DEMANDE.

POUR LE SAMEDI.

Et ne nous laissez pas succomber à la tentation.

Nos ennemis sont si puissants et si opiniâtres, que nous courons risque perpétuellement d'en être opprimés; et notre faiblesse est si grande, que nous sommes toujours prêts à tomber si le Tout-Puissant ne nous soutient. Il est donc de la dernière importance pour nous d'implorer sans cesse la protection du Seigneur, pour qu'il ne permette pas que nous succombions aux tentations présentes, ni que nous retombions dans nos iniquités passées.

Nous ne lui demandons pas de n'être point tentés, mais seulement de n'être point vaincus par la tentation: lorsque nous la surmontons par le secours de la grâce et par la correspondance de notre volonté, elle tourne alors à la gloire de Dieu, et nous assure une couronne immortelle. Si donc il veut que nous le priions de ne pas permettre que nous succombions, c'est pour nous faire entendre que c'est par sa permission que nous sommes tentés; que c'est par notre faiblesse que nous succombons, et que c'est par son secours que nous demeurons vainqueurs.

Considérons ici qu'il n'est que trop vrai que nous sommes tous faibles, infirmes et blessés, tant parce que nos pères nous ont transmis tous ces maux avec la vie, que parce que nous nous sommes encore affaiblis nous-mêmes, et que nous nous sommes jusqu'à la tête, par nos propres péchés et par couverts de plaies (Isa. 1, 6), depuis les pieds nos mœurs corrompues; et présentons-nous devant le médecin céleste en le priant de ne

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pas permettre que nous succombions à la tentation, de nous soutenir toujours de sa main puissante, et de ne nous point abandonner.

Le nom de médecin est fort agréable à Dieu, et c'est la fonction qu'il a le plus exercée durant le temps qu'il a vécu parmi nous; ne s'étant presque occupé que du soin de guérir les maladies, tant corporelles que spirituelles, les plus incurables et les plus invétérées. Il s'est qualifié lui-même de médecin, lorsqu'il a 'dit: Ce ne sont pas les sains, mais les malades qui ont besoin du médecin. (Luc. v, 31.) Et, pour nous faire voir qu'il voulait être le nôtre, il s'est peint luimême dans la parabole du Samaritain, qui pansa avec de l'huile et du vin les plaies d'un voyageur que les voleurs avaient dépouillé, blessé et laissé à demi mort. Le médecin et le rédempteur ne sont en Dieu qu'une seule et même chose, si ce n'est que, comme rédempteur, il s'est chargé des péchés passés, selon l'expression de saint Paul, et que, comme médecin, il prend soin de nos plaies et de nos infirmités, tant pour le présent que pour l'avenir.

Considérons la conduite des médecins de la terre. Ils ne visitent que ceux qui les appellent, et préfèrent ceux qui les payent le mieux à ceux qui auraient le plus besoin de leur secours. Ils exagèrent la maladie, et quelquefois même la prolongent pour gagner davantage. Ils ont des substituts pour visiter les pauvres, et ne vont en personne que chez les riches. Les remèdes qu'ils ordonnent, soit aux uns soit aux autres, ils ne les leur fournissent pas; et ces remèdes sont aussi coûteux qu'incertains.

O Médecin céleste! vous ne leur ressemblez que par le nom! Vous venez sans être appelé, et plus volontiers chez les pauvres que chez les riches. Vous visitez en personne tous vos malades indistinctement. Il vous suffit que le malade se reconnaisse pour tel, et qu'il sente le besoin qu'il a de vous. Non-seulement vous n'exagérez pas la maladie, ni la difficulté de la guérir, mais vous rendez facile la guérison, quelque grave que soit le mal, et vous promettez la santé pour peu que l'on soupire pour l'obtenir. Jamais vous ne vous êtes dégoûté d'aucun malade, quelque rebutante que fût sa maladie. Vous allez par les hôpitaux cherchant les pauvres et les incurables. Vous Vous payez vous-même de vos peines, et vous tirez de chez vous tous les remèdes. Eh! quels remèdes encore! des remèdes composés de l'eau et du sang qui coulèrent autrefois de votre sacré côté. Vous vous servez du sang pour guérir nos maux, et de l'eau pour nous laver, pour effacer en nous jusqu'à la moindre souillure et jusqu'au plus petit vestige de la maladie.

Il y avait au milieu du paradis terrestre une source si abondante, qu'elle se partageait en quatre grands fleuves qui arrosaient toute la terre; de même nous voyons que de la source d'amour qui s'élance avec impétuosité du cœur de Jésus, sont sortis

cinq fleuves de sang qui, prenant leur cours par les ouvertures de ses pieds, de ses mains et de son côté, coulent incessamment pour la guérison de nos plaies et de toutes nos infirmités. Combien voit on dans le monde de malades qui meurent faute de médecin, ou faute d'avoir de quoi acheter les remèdes dont ils auraient besoin! Nous ne courons pas de pareils risques avec le Médecin de nos âmes. Il s'invite lui-même et vient à nous chargé de remèdes pour tous nos maux; et, quoique ces remèdes lui coûtent fort cher, il les donne gratuitement à quiconque les lui demande, et prie même qu'on les prenne. Il a rendu notre guérison facile en achetant ces remèdes; ils lui ont coûté la vie et c'est en le voyant mort que nous avons recouvré la santé, de même qu'autrefois ceux qui avaient été mordus des serpents animés, étaient guéris en regardant un serpent inanimé élevé sur un poteau. Enfin, c'est Dieu même qui a entrepris notre guérison, c'en est assez pour que nous ne puissions plus douter de l'efficacité de ses remèdes. Il ne nous reste qu'à lui montrer nos plaies, à lui déclarer nos maladies, et à lui ouvrir nos cœurs, surtout en ce jour où il se présente à nous plus particulièrement comme médecin, avec un désir ardent de nous rendre la santé.

C'est ici l'occasion de considérer l'aveuglement de notre esprit et la corruption de notre volonté, qui nous portent à nous aimer et à nous estimer nous-mêmes par-dessus tout: l'oubli où tombe notre mémoire des bienfaits que nous avons reçus de Dieu; la fatale facilité de notre langue à débiter des extravagances; la légèreté de notre cœur et son inconstance dans ses affections bizarres; son peu de persévérance dans le bien; l'habitude qu'il a de rapporter tout à soi, et la dissipation avec laquelle il se livre aux objets extérieurs. Enfin, qu'il n'y ait en nous aucune plaie, ni vieille ni nouvelle, que nous ne découvrions à cet habile médecin, pour lui en demander le remède.

Quand le malade ne veut pas prendre ce qui lui est ordonné, ou s'abstenir de ce qui Jui est défendu, le médecin a coutume de l'abandonner, si ce n'est que le malade ait l'esprit aliéné. Mais le Médecin céleste ne sait ce que c'est que d'abandonner ses malades, même les plus indociles; il les traite tous comme des gens qui ont perdu l'esprit, et il n'y a rien qu'il n'emploie pour les rappeler à la raison.

On fera fort bien encore de se représenter en ce jour la sépulture de Notre-Seigneur, et de méditer sur ces cinq plaies qui sont et demeureront toujours ouvertes jusqu'à la résurrection générale pour la guérison des nôtres. Puis donc que nous tirons notre salut de ces sacrées plaies, ayons soin de les embaumer du parfum précieux de la mortification, de l'humilité, de la patience et de la douceur, en nous employant de tout notre cœur aux besoins de notre prochain; et, puisque nous ne pouvons ici-bas servir Dieu en personne et dans sa forme visible,

assurons-nous sur sa parole, qu'il prend et reçoit pour son compte ce que nous faisons pour nos frères, comme si nous le faisions pour lui-même.

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Nous ne demandons pas à Dieu, par la septième demande, qu'il nous délivre de tel ou tel mal, mais de tout ce qui est proprement et véritablement mal, c'est-à-dire de tout ce qui peut nous priver des biens de la grâce, et mettre obstacle à notre salut.

Il y a des maux qui nous affligent réellement, comme les tentations, les maladies, les affronts, etc. Ce ne sont pourtant pas là des maux à proprement parler, si ce n'est en ce qu'ils nous donnent occasion de pécher; et dans ce point de vue, les richesses, les honneurs, et tous les biens temporels pourraient, à juste titre, être comptés au nombre des maux, puisqu'ils sont souvent cause que nous offensons Dieu. Or nous demandons ici d'être délivrés, non-seulement de tous ces maux, mais aussi de tous ces biens qui peuvent occasionner notre réprobation; et comme c'est au Juge suprême qu'il appartient d'accorder une pareille délivrance, le nom de juge convient fort bien à notre demande.

La matière de cette demande est très-abondante, puisqu'elle embrasse les quatre fins de l'homme sur lesquelles on a tant écrit, savoir la mort, le jugement dernier, les peines de l'enfer, et la félicité du paradis.

On peut reprendre ici toutes les considérations des demandes précédentes, eu égard au compte que nous devons à Dieu de tous les bienfaits qu'emportent avec eux les noms glorieux sous lesquels nous l'avons succesSivement envisagé. Nous devons considérer ces bienfaits, tantôt pour nous couvrir de confusion, tantôt pour exciter en nous la confiance. En effet, quelle honte n'y a-t-il pas pour nous, qui avons le bonheur d'avoir un père si tendre, un roi si puissant, un époux si aimable, un pasteur si vigilant, un rédempteur si riche et si miséricordieux, un médecin si habile et si compatissant; d'être néanmoins aussi ingrats que nous le sommes, et de savoir si mal profiter de nos avantages! De quelle crainte ne devons-nous pas être saisis à la vue de tant de bienfaits de la part de Dieu, et de tant d'ingratitude et de dureté de notre part! Mais aussi quelle doit être notre confiance en comparaissant au tribunal suprême, d'avoir à répondre devant un juge qui est en même temps notre père, notre roi, notre époux et tout le reste!

On peut terminer cette journée et l'Oraison dominicale par l'action de grâces que le prophète David 'rend à Dieu dans les cinq premiers versets du psaume cn, Benedic, anima mea, Domino et omnia quæ intra me sunt, etc. Les voici :

1. O mon âme! bénissez le Seigneur, et que

tout ce qui est au dedans de moi célèbre son saint nom.

2. O mon âme! bénissez le Seigneur. Ne perdez jamais le souvenir de ses grâces et de ses bienfaits.

3. C'est lui qui vous remet tous vos péchés, et qui guérit toutes vos langueurs.

4. C'est lui qui vous délivre de la mort, et qui vous environne de toutes parts des effets de sa miséricorde.

5. C'est lui qui remplit tous vos désirs en vous comblant de ses biens, et qui vous renouvelle et vous rajeunit comme l'aigle.

C'est-à-dire que Dieu, ouvrant pour nous les trésors de sa miséricorde, oppose à nos offenses le pardon, à nos maladies la santé, à la mort du péché la vie de la grâce, à nos défauts et à nos imperfections la perfection en toutes choses, et ne cesse de nous favoriser jusqu'à ce qu'il nous ait fait parvenir à une vie nouvelle, qui est au-dessus de toute comparaison.

Il semble que le Psalmiste ait voulu renfermer dans ces cinq versets les sept noms que nous venons de donner à Dieu; c'est ce qu'on reconnaîtra en faisant une attention particulière sur chaque verset.

Au reste, quoiqu'il soit exactement vrai que l'Oraison dominicale tient le premier rang entre toutes les oraisons vocales, il ne faut pas pour cela négliger les autres, parce que, si l'on s'en tenait à celle-ci, on courrait risque de tomber dans le dégoût. On fera donc très-bien d'en réciter d'autres, et par préférence celles que l'Ecriture sainte nous a transmises, qui ont été faites par de saintes Ames inspirées de l'esprit de Dieu. Telles sont, par exemple, celle du publicain de l'Evangile, celle d'Anne, mère de Samuel, celle d'Esther, celle de Judith, celle du roi Manassès, celle de Daniel et de Judas Machabée. Nous remarquons dans ces prières que ceux qui les ont faites exposaient à Dieu leurs besoins avec des paroles dictées par le sentiment et par l'état actuel de leur âme. Et certainement la prière que fait la personne même qui se trouve dans la détresse est toujours plus efficace; elle élève l'esprit, elle enflamme la volonté, elle provoque les larmes; parce qu'alors les paroles partent du cœur qui exprime sa propre peine.

Cette sorte d'oraison est aussi fort agréable à Dieu; car de même que les grands seigneurs prennent plaisir quelquefois à entendre les gens de la campagne leur demander des grâces dans leur langage simple et grossier, de même le Seigneur est bien aise que nous le priions de l'abondance du cœur, et qu'au lieu de perdre du temps à chercher des expressions élégantes, nous nous servions des premières qui nous viennent à la bouche pour lui déclarer en peu de mots nos nécessités. Telle fut la prière de saint Pierre et des apôtres, lorsque, craignant de se noyer, ils criaient: Sauvez-nous, Seigneur, nous périssons. (Matth. viu, 25.) Telle fut celle de la Chananéenne, lorsqu'elle demandait miséricorde. Telle fut celle de l'enfant prodigue, qui disait à son père : Mon père, j'ai péché

contre le Ciel et contre vous. (Luc. xv, 18) Telle fut celle de la mère de Samuel, qui s'écriait : 0 Dieu des batailles ! si, tournant vos yeux sur moi, vous daignez voir l'affliction de votre servante; si vous daignez vous souvenir de moi, et ne point oublier votre esclave; et si vous donnez à mon âme une vertu parfaite, je m'engage à l'employer tout entière à votre service! (I Reg. 1, 11.)

La sainte Ecriture est pleine de ces prières vocales par lesquelles ceux qui les ont faites ont obtenu ce qu'ils ont demandé. Ainsi, il y a tout lieu d'espérer que nous obtiendrons par les nôtres les remèdes convenables à nos afflictions et à nos souffrances. Et, quoique ce soit un très-saint conseil de préférer l'oraison mentale à la vocale, comme plus efficace, les exemples de plusieurs saints, et notre propre expérience, nous apprennent que du moins dans l'oraison vocale Dieu réveille notre tiédeur, enflamme notre cœur et le dispose à mieux faire l'oraison mentale.

EXCLAMATIONS DE L'AME

A SON DIEU,

Ecrites par sainte Thérèse,

Conformément à l'esprit que Notre-Seigneur lui communiquait après la sainte communion, l'année 1569 (9).

PREMIÈRE EXCLAMATION.

Plaintes de l'âme qui se voit séparée de Dieu durant celle vie.

O ma vie, ma vie! comment pouvez-vous subsister séparée de votre véritable vie! A quoi vous occupez-vous dans une si grande solitude? Que pouvez-vous faire lorsque tout ce que vous faites est si défectueux et si imparfait ? O mon âme! qui peut vous consoler, exposée comme vous êtes, sur une mer si pleine d'orages et de tempêtes? Je ne saurais, sans m'affliger, considérer quelle je suis; et je suis encore plus affligée d'avoir vécu si longtemps sans en être affligée. O Seigneur, que vos voies sont douces ! mais qui peut y marcher sans crainte? Je crains de ne pas vous servir; et lorsque je travaille pour votre service, je ne trouvé rien qui me satisfasse, parce que je ne saurais rien faire qui soit capable de payer la moindre partie de ce que je vous dois. Il me semble que je voudrais m'y employer tout entière; et quand je considère quelle est ma misère, je vois que je ne puis rien faire de bon, si vous-même ne me le faites faire.

(9) C'est le titre de l'ouvrage dans l'espagnol, et celui que lui donne le P. Cyprien de la Nativité, dans la traduction française des OEuvres de sainte Thérèse, publiée en 1650, et imprimée à Paris, chez Huré. Ce titre nous a paru plus convenable que ceJui de Méditations après la communion, employé par M. d'Andilli; et sûrement le lecteur en jugera de

O mon Dieu et ma miséricorde ! que ferai. je donc pour ne pas détruire ce que vous faites de grand dans mon âme? Toutes vos œuvres sont saintes, sont justes, sont d'un prix inestimable, et accompagnées d'une sagesse merveilleuse, parce que vous êtes, ô mon Dieu! la sagesse même. Mais je sens dans moi, que si mon entendement s'occupe à les considérer, ma volonté se plaint de ce que, trop faible pour pouvoir s'élever jusqu'à vos grandeurs incompréhensibles. il la détourne par ses pensées, et qu'il interrompt ainsi les mouvements et l'application de son amour; car elle voudrait sans cesse jouir de vous, quoiqu'elle ne le puisse pas, étant, comme elle l'est, renfermée dans la prison si pénible de cette vie mortelle où tout la détourne de cette parfaite jouissance. Mais, quelque mécontente que soit ma volonté de mon entendement, il est vrai néanmoins qu'il l'aide d'abord à vous aimer, en lui représentant jusqu'à un certain point l'éléva tion de votre suprême majesté, dans laquelle, comme un contraire se voit mieux par son contraire, je reconnais plus clairement la profondeur de mon infinie bassesse.

Mais pourquoi, mon Dieu, dis-je ceci? A qui est-ce que je me plains? qui m'écoute sinon vous, ô nion Père et mon Créateur? quel besoin ai-je de parler pour vous faire savoir toutes mes peines, puisque je vois si clairement que vous êtes dans mon cœur? C'est ainsi que je m'égare, et que je me perds dans mes pensées. Hélas! mon Dieu, qui m'assurera que je ne suis point séparée de vous? O vie incertaine et si peu assurée dans la chose du monde la plus importante, qui pourra vous désirer, puisque le seul avantage que l'on peut tirer de vous, qui est de contenter Dieu en toutes choses, est toujours douteux, et accompagné de tant de périls?

II EXCLAMATION.

Comme l'âme qui aime beaucoup Dieu se trouve partagée entre le dé ir de jouir de lui, et l'obligation d'aider le prochain.

Je considère souvent, mon Sauveur, que, si l'âme peut se consoler en quelque sorte de vivre sans vous, c'est dans la retraite et la solitude, parce qu'alors elle se délasse et se repose dans celui qui est son véritable repos : quoique alors même, s'il arrive qu'elle ne jouisse pas de vous avec une entière liberté, elle sente souvent redoubler sa peine; mais quand elle considère qu'elle souffre encore bien davantage lorsqu'elle est obligée de traiter avec les créatures, cette peine se change en délices.

Mais d'où vient, mon Dieu, qu'une âme qui ne veut point avoir d'autre contentement même. La traduction du P. Cyprien, que nous venons de citer, nous a paru à bien des égards trèsestimable: nous nous en sommes servis pour éclaircir, dans cet opuscule et le suivant, quelques endroits de la traduction de M. d'Andilli, qui nous paraissaient obscurs et louches.

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