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désir que j'aie de ne point entrer en connaissance de ses affaires, je suis contrainte de m'en mêler, car on m'assure que j'y suis obligée en conscience. Cela me fait sentir que le malheur que j'ai eu de perdre un frère, pour qui j'avais tant de tendresse, n'était pas le plus grand qui dût m'arriver: celui d'être obligée de démêler mille affaires avec tous mes parents, et de ne savoir à quoi se termineront tant d'embarras, m'est encore plus sensible.

Mandez-moi, ma chère Mère, vos dispositions intérieures ; je serai ravie de les apprendre après tant de persécutions souffertes si constamment, il ne faut pas douter que votre âme n'ait fait de merveilleux progrès dans la perfection. Je serais bien aise aussi de voir les cantiques que vos filles ont composés. Vous faites bien de les entretenir dans une sainte joie, dans l'allégresse spirituelle; elle leur est très- nécessaire pour se soutenir au milieu de tant d'afflictions. Faites-moi savoir aussi si la santé de la Mère sous-prieure est entièrement rétablie; Dieu vous a fait une très-grande grâce de vous la conserver.

Il faut faire boucher la porte de la sacristie qui donne dans votre église, afin que vos religieuses ne puissent jamais y entrer. Le décret du Pape, donné motu proprio, excommunie les religieuses qui, sans une nécessité indispensable, entreront dans l'église, ou qui sortiront de la clôture, même pour aller fermer les portes de la rue.

Vous devez donc, ma chère Mère, avoir un bon sacristain, et un tour dans la sacristie; l'excommunication du Pape ne regarde que la sacristie et la porte du monastère. Quand même le Pape ne l'aurait pas ordonné, nous ne pourrions, nous autres, en user autrement, car c'est un point de nos constitutions; et vous savez assez à quel péril on s'expose lorsqu'on ne les garde pas, et que, si c'est par coutume qu'on manque d'en observer une seule, on pèche mortellement.

Mes amitiés, s'il vous plaît, à toutes mes chères filles; je désire ardemment qu'elles deviennent de grandes saintes. Nos sœurs de cette maison vous assurent de leurs respects, et se recommandent très-instamment à vos ferventes prières. Je suis, ma révérende Mère, avec une véritable estime, toute à vous,

8 novembre 1581.

THÉRÈSE DE JÉSUS.

LETTRE LXII.

A LA SOEUR ÉLÉONORE DE LA MISÉRICORDE, NOVICE, AU MONASTère de la SAINTE-TRINITÉ DE SORIE.

La sainte la rassure et la fortifie sur certains scrupules qu'elle se faisait dans les commencements de sa vocation.

Le Saint-Esprit soit avec vous, ma chère fille. Ah ! que je voudrais bien n'avoir point d'autres lettres à écrire que celle-ci, pour

répondre tout à mon aise aux deux vôtres, dont la première m'a été remise par les Pères Jésuites. Persuadez-vous, ma chère fille, que je ne reçois point de lettres de Vous sans ressentir une satisfaction toute particulière. Ainsi, s'il vous venait dans. l'esprit de ne plus m'écrire, regardez cela comme une tentation du démon. Celle que vous éprouvez actuellement, en ce qu'il vous semble que vous ne faites aucun progrès, vous en fera faire un très-considérable. C'est ce que le temps vous apprendra. Dieu vous traite comme une personne qu'il tient déjà dans son palais, et qu'il sait ne pouvoir lui échapper. Il veut vous donner moyen de mériter de plus en plus. Peutêtre auparavant vous traitait-il avec plus de douceur; mais c'est que ce traitement vous était alors nécessaire pour vous détacher des choses du monde.

Je me souviens, à propos de cela, d'une sainte que j'ai connue à Avila; je l'appelle sainte, parce qu'assurément elle en menait la vie. Elle avait donné, pour l'amour de Dieu, tout ce qu'elle possédait au monde. Il ne lui restait plus qu'une couverture, elle la donna encore. Aussitôt après, Dieu lui fit éprouver, pendant quelque temps, des peines intérieures inexprimables et de trèsgrandes sécheresses. Elle en faisait ses plaintes à Notre-Seigneur, et lui disait agréablement Vraiment, Seigneur, vous êtes admirable! Après m'avoir tout ôté, vous me laissez là. Ainsi, ma fille, mettez-vous dans l'esprit que Dieu est de ceux qui payent les grands services qu'on leur a rendus par des mortifications, et c'est bien là le meilleur payement que l'on puisse recevoir, puisqu'on acquiert par là l'amour de Dieu.

Je lui rends grâces du profit intérieur qu'il vous fait faire dans la vertu. Laissez-le agir en maître dans votre âme. Elle est son épouse, il vous en rendra bon compte, et la conduira par le meilleur chemin. Il vous semble que la nouvelle vie que vous menez, et les exercices qu'on vous fait pratiquer, éloignent de vous cette paix après laquelle vous soupirez; mais ne vous mettez point en peine, tont viendra à la fois; mettez votre gloire à porter la croix du Sauveur; ne faites aucun cas des douceurs et des consolations; il n'appartient qu'aux simples soldats de vouloir être payés par jour; servez gratuitement comme les grands seigneurs servent le roi, et que celui du ciel soit toujours avec

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LETTRE LXIII.

A LA SOEUR THÉRÈSE DE JÉSUS, NIÈCE DE LA SAINTE, NOVICE AU MONASTÈRE DE SAINTJOSEPH D'AVILA.

La sainte donne à sa nièce de salutaires instructions.

La grâce de l'Esprit-Saint soit avec vous ma chère fille. Votre lettre m'a fait grand plaisir et comme nous avons quelque temps passer éloignées l'une de l'autre, je suis charmée que les miennes fassent le même effet sur vous.

Par rapport aux sécheresses que vous éprouvez, il me paraît que Dieu vous traite déjà comme une âme forte, puisqu'il veut vous mettre à l'épreuve pour connaître l'amour que vous lui portez, et pour juger si cet amour est de même dans la sécheresse que dans la consolation. Vous devez tenir ce traitement à très-grande faveur de sa part, bien loin de vous en chagriner. C'est dans la pratique des vertus, bien plus que dans la ferveur sensible, que consiste la perfection; et d'ailleurs la ferveur reviendra dans le temps que vous y penserez le

moins.

Quant à ce que vous me marquez de cette religieuse, c'est une pensée que vous devez chasser de votre esprit; n'allez pas non plus Vous figurer qu'une simple pensée soit un péché, quelque mauvaise qu'elle soit. Ce que vous me dites de cette fille n'est rien au fond; mais je voudrais qu'elle éprouvêt cet état de sécheresse et de tiédeur où vous

êtes présentement; car je doute qu'elle sache ce qu'elle fait; et nous pouvons lui souhaiter cet état pour son plus grand avantage. Dorénavant, ma chère fille, quand il Vous viendra quelque mauvaise pensée, faites le signe de la croix, ou dites un Pater, ou frappez-vous la poitrine, et faites en sorte de détourner votre esprit à d'autres objets. En résistant de cette façon, vous tirerez un mérite de la tentation même.

J'aurais bien voulu répondre à la sœur Isabelle de Saint-Paul, mais je n'en ai pas eu le temps; faites-lui mes compliments. Elle sent bien que vous devez être la plus chérie. Don François se porte à merveille; il vit comme un saint: il communia hier avec tous ses domestiques. Nous allons demain à Valladolid, d'où il vous écrira; car je ne l'ai point averti de ce messager-ci. Dieu vous conserve, ma chère fille, et vous rende une grande sainte. Je me recommande à toutes nos sœurs, et suis toujours votre bonne tante,

2 mai 1582.

THÉRÈSE DE JÉSUS.

LETTRE LXIV.

A LA RÉVÉRENDE MÈRE MARIE DE SAINT-JOSEPH, La sainte traite dans cette lettre divers su

jets détachés.

La grâce du Saint-Esprit soit toujours avec

votre révérence, ma chère Mère. Une de vos lettres que je reçus hier, toute succincte qu'elle était, m'a infiniment soulagée de la peine que me causait la mortalité qui règne à Séville. Depuis cette triste nouvelle je n'ai pas été la longueur d'un Credo sans penser à vous, saisie de mille alarmes que la crainte de vous perdre jetait dans mon cœur tout ce que j'ai pu faire dans cette désolation, a été de prier ardemment NotreSeigneur pour votre conservation, et d'ordonner des prières dans tous nos monastères pour attirer sur vous sa protection.

Je ne vous ai pas encore parlé, ma chère Mère, sur les plaintes que vous faites de la Mère prieure de Grenade: elles me paraissent plaisantes. Vous devriez vraiment, au lieu de la blâmer, la remercier un million de fois de vous avoir renvoyé vos religieuses avec tant d'honneur et de bienséance. Quand même elle leur eût donné une litière, je ne l'aurais pas trouvé mauvais au défaut d'une autre commodité. Loin donc de la censurer et de regretter la dépense qu'elle a faite, je prie Dieu de l'en dédommager; car elle l'a très-bien employée. Si cette conduite est improuvée, ne nous en mettons nullement en peine; ce ne sont que des délicatesses et des raffinements de précieuses, à quoi on ne doit avoir nul égard. A Dieu ne plaise que l'on en use autrement que j'en ai use moi-même dans nos fondations : j'en aurais bien du chagrin ; mais j'espère que cela n'arrivera pas, et que l'on continuera comme on a commencé. Pour ce qui est d'y rencontrer des obstacles et des contradictions, ce n'est point un mal; au contraire, c'est une marque que Dieu en doit être glorifié.

Ma nièce Thérèse, qui est une petite profession; elle vous assure de la continuasainte, désire avec bien de l'ardeur de faire tion de son respect, et vous supplie de ne pas l'oublier devant Dieu. Je vous demande la même grâce pour moi. Nos sœurs vous saluent, et toute votre sainte communauté pareillement; elles ont bien de la confiance en votre crédit auprès du Seigneur.

Je prie Dieu d'être toujours avec vous, de vous soutenir sans cesse de sa main, et de vous rendre une grande sainte. C'est le souhait, ma révérende Mère, de celle qui est, pleine de tendresse, toute à vous, THÉRÈSE DE JÉSUS.

Le 6 juillet 1582.

LETTRE LXV.

A LA RÉVÉREnde mère THOMASSINE-BAPTISTE, PRIEURE DU MONASTERE DE BURGOS.

La sainte lui recommande les malades; lui défend et lui permet la quête selon la différence des temps.

Jésus soit toujours avec votre révérence ma chère Mère. Je suis sensiblement touchée de la maladie de la sœur dont vous me parJez outre que c'est une excellente reli

gieuse que je regretterais beaucoup, ce vous est, ma chère Mère, un étrange embarras, dans la conjoncture présente, d'avoir des malades à assister. Donnez-m'en des nouvelles le plus souvent que vous pourrez, et ne vous approchez point si près de leur lit, de peur que vous ne tombiez aussi malade: votre présence n'est nullement nécessaire à sa guérison, et l'on peut, en votre absence, l'assister, la soulager et en avoir un fort grand soin. Vous savez que je vous ai prescrit d'avoir une charité compatissante pour les malades, et je sais que vous n'en manquez pas; ainsi ce n'est que pour vous renouveler dans ces bonnes dispositions que je vous en parle ici : le désir que j'ai qu'on ne néglige rien pour leur soulagement est si vif, que je ne cesse point d'y exciter toutes les prieures.

La proposition que vous me faites, ma chère Mère, de faire quêter pour vous dans la ville, me désole; et je ne puis comprendre que vous me demandiez ce que je souhaite que vous fassiez à ce sujet. Je vous ai dit tant de fois qu'il est pour vous de la dernière conséquence qu'on ne sache pas que votre monastère ne possède aucun revenu, ce qu'on ne manquerait pas de savoir si vous vous avisiez de faire quêter. C'est, si je ne me trompe, un point de constitution, de ne rien demander, à moins que la nécessité ne soit bien grande; et vous n'êtes pas; Dieu merci, dans cette extrémité; car Mme de Tolosa m'a promis de vous donner peu à peu la légitime de ses filles.

Quêtez, à la bonne heure, lorsqu'on saura que vous n'avez aucune rente: mais à Dieu

ne plaise que vous le fassiez présentement que tout le monde est persuadé que vous avez du bien, et que vous ne manquez pas du nécessaire! Croyez-moi, ce que vous gagneriez par cet endroit-là, vous le perdriez par mille autres. Il vous sera donc plus avantageux de parler de ma part à vos messieurs, et de leur représenter le besoin où Vous êtes de quelque assistance.

Je me souviens de vous avoir déjà priée de leur faire mes respectueux compliments: aujourd'hui je vous donne procuration de leur dire, en mon nom, tout ce qu'il vous plaira; ainsi vous ne mentirez point.

Je prie Dieu, ma révérende Mère, d'être toujours avec vous, de vous conserver et de vous sanctifier de plus en plus. Toute à vous, THÉRÈSE DE JÉSUS.

9 août 1582.

LETTRE LXVI.

AU RÉVÉREND P. JÉRÔME GRATIEN. La sainte lui expose sa peine de ce qu'il est parti; lui apprend les difficultés qu'on formait au testament de M. son frère; lui donne quelques avis sur des plaintes; marque son éloignement des monastères magnifiques, et parle de diverses affaires.

La grâce du Saint-Esprit soit toujours avec votre révérence, mon Père. Le plaisir

de recevoir souvent de vos nouvelles, quelque grand qu'il soit, n'est pas capable de me consoler de votre absence, quoique j'aie appris avec bien de la joie que vous vous portez bien, et que l'air du pays où vous demeurez est sain. Dieu veuille que vous vous portiez de mieux en mieux. J'ai reçu toutes vos lettres. Cette absence m'est d'autant plus sensible, que je ne puis goûter les raisons qui vous ont déterminé à partir avec tant de précipitation.

De bonne foi, j'ai peine à comprendre la vraie cause de mon chagrin. Il est cependant vrai que je fus touchée d'une si vive douleur en vous voyant partir si inopinément, qu'elle m'avait fait perdre entièrement le goût de vous écrire. Voilà pourquoi je ne vous ai pas écrit, et pourquoi je ne vous écrirais pas encore aujourd'hui, si une nécessité indispensable ne m'y obligeait. Avec cela j'ai un grand mal de tête; et quoique mon mal de gorge soit diminué, je n'en suis pas quitte. Peut-être que dans le décours de la lune j'aurai la tête moins souffrante.

Il faut vous dire que j'ai en depuis peu bien des affaires à démêler avec la bellemère de mon neveu, laquelle se donne bien du mouvement pour faire casser le testament de feu mon frère. Quoique le droit ne soit pas pour elle, néanmoins comme bien des gens lui font entendre le contraire, et que d'ailleurs c'est une femme entreprenante et résolue à intenter procès, on m'a conseillé l'accommodement, tant afin que mon neveu ne se ruine pas en procédures, que pour que nous ne fassions pas des frais inutiles. Il est vrai que ce sera faire tort à notre monastère de Saint-Joseph d'Avila: mais j'espère que, pourvu que l'accommodement se fasse avec solidité, tôt ou tard tout nous reviendra avec l'aide de Dieu. Que cette chicane m'a fatiguée, et qu'elle me fatigue encore aujourd'hui !

Ma nièce Thérèse, toute désolée qu'elle est de votre absence, se porte néanmoins assez bien nous lui avions caché votre départ jusqu'à présent, pour lui épargner la douleur que je prévoyais qu'elle en sentirait. Sa tristesse ne laisse pas de me consoler, étant bien aise qu'elle apprenne en cette occasion combien peu l'on doit compter sur l'amitié des créatures, et combien l'on serait à plaindre de mettre sa confiance autre part qu'en Dieu. Cette réflexion m'a été à moimême très-avantageuse.

Prenez bien garde, je vous supplie, à la manière dont vous prêchez dans l'Andalousie je n'ai jamais goûté que vous fissiez un long séjour dans ce pays-là. Le récit que vous m'avez fait des persécutions que certaines personnes y ont souffertes, augmente tellement la peur que j'ai qu'il ne vous en arrive autant, que je ne cesse point de demander à Dieu de ne pas permettre de mes jours un tel malheur. Le démon ne s'endort point, comme vous le remarquez fort bien; et nous devons toujours nous défier de ses artifices. Enfin, je serai dans l'inquiétude tant que vous resterez à Séville. Je vous le

répète ne vous naturalisez pas dans l'Andalousie, votre humeur n'y est pas propre; et quoique vous y prêchiez rarement, n'oubliez pas d'être bien attentif à tout ce que vous direz en chaire.

Que de choses j'aurais à vous dire, mon révérend Père, touchant l'affaire de Salamanque, qui m'a fait passer de bien mauvais moments!

Je ne puis comprendre l'empressement excessif qu'ont nos sœurs d'acquérir la maison en question; souffrez, mon Père, que je vous donne un avis: c'est de ne vous jamais fier à des filles, quoique religieuses et saintes, lorsque vous leur verrez de la vivacité dans les désirs; car l'envie de réussir leur fera imaginer cent mauvaises raisons qu'elles croiront admirables.

Il vaut bien mieux que nos sœurs de Salamanque achètent, comme pauvres, une petite maison, et qu'elles s'y établissent bumblement, que de s'endetter pour en avoir une spacieuse. Si quelque chose, mon révérend Père, est capable de me consoler de votre éloignement, c'est de vous voir délivré de ce terrible embarras; car j'aime bien mieux soutenir seule la peine qu'il me cause, que de la partager avec vous.

Permettez que je vous prie de faire mes compliments à la révérende Mère prieure, et à toutes les sœurs je ne leur écris pas, parce qu'elles apprendront de mes nouvelles par cette lettre. J'ai de la joie de ce qu'elles se portent bien, et je les prie d'avoir bien soin de votre santé, et de prendre garde de ne point trop vous fatiguer.

Dieu vous conserve, mon révérend Père, et vous préserve de tous dangers, comme l'en supplie celle qui est,"pleine de vénération, votre indigne servante et fille, THÉRÈSE DE Jésus.

1" septembre 1582.

LETTRE LXVII.

ALA RÉVÉRENDE MÈRE MARIE DE CHRIST, PRIEURE du monastère de la SAINTE-trinité de soRIE.

Cette lettre roule sur le peu de cas qu'on doit faire des préséances dans les maisons religieuses.

Jésus soit avec votre révérence, ma chère Mère, et vous conserve. J'ai reçu vos lettres qui m'ont fait grand plaisir. J'aurais bien souhaité que ce que je vous ai marqué, au sujet de la cuisine et du réfectoire, eût pu se faire; mais, comme vous êtes plus à portée de voir ce qui convient, vous en ferez ce que vous jugerez à propos. Je suis bien aise d'apprendre que la fille de Roch de Houerte soit un bon sujet. Quant à la profession de Ja sœur dont vous me parlez, je trouve fort à propos qu'on la diffère jusqu'au temps que Vous dites. Comme elle est encore extrêmement jeune, il n'y a pas d'inconvénient. Et ne vous étonnez point de lui voir quelques petites fantaisies; cela est de son âge, et ce

sont ordinairement celles-là qui, avec le temps, deviennent les plus mortifiées. Dites, je vous prie, à la sœur Eléonore de la Miséricorde, que ce qu'elle me demande est le moins que je voulusse faire pour son service. Plat à Dieu qu'il me fût possible d'aller à sa profession. J'irais de grand cœur, et cela me ferait plus de plaisir que bien des choses qui m'occupent ici.

Au reste, si je suis d'avis qu'on diffère la profession de la petite novice, ne pensez pas que ce soit dans la vue de donner à sa compagne l'ancienneté sur elle, à cause de la différence de leurs âges. Ce sont là de ces petites vanités mondaines que je ne puis souffrir, et auxquelles je serais fâchée, ma chère Mère, que vous vous arrêtassiez. Mais je considère seulement qu'elle est fort jeune, et qu'il est bon de la rendre plus mortifiée qu'elle ne l'est. Si je savais qu'on dût prendre la chose autrement, je ne voudrais pas qu'on différât d'un moment à lui faire faire ses vœux, dans l'opinion où je suis que c'est dans nos actions que doit paraître l'humilité dont nous faisons profession. Vous êtes la première à qui je parle de ceci; car à l'égard de la sœur Eléonore de la Miséricorde, je la crois trop humble pour faire la moindre attention à de pareilles minuties. J'approuve donc le retardement par les raisons que je viens de vous dire. Je ne puis m'étendre davantage, parce que nous allons partir pour Médine. Ma santé est comme à l'ordinaire. Mes compagnes se recommandent à vos prières. Nous avons reçu depuis peu une lettre de la Mère Anne, qui nous mande ce qui se passe là-bas. Mes compliments à toutes nos sœurs. Dieu les rende saintes, et vous aussi. Je suis de tout mon cœur, ma révérende Mère, etc.

De Valladolid, ce 15 septembre 1582.

LETTRE LXVIII.

A DON DIÈGUE DE GUSMAN ET CÉPède, son neveu, Elle le console sur la mort de sa femme.

La grâce de l'Esprit-Saint soit avec vous, Monsieur et cher neveu, et vous donne la consolation dont vous avez besoin, pour vous faire supporter avec constance ce que nous regardons aujourd'hui comme une trèsgrande perte. Dieu, qui l'a ainsi permis et qui nous aime plus que nous ne nous aimons nous-mêmes, amènera le temps où nous connaîtrons que c'était au contraire la plus grande gråce qu'il pouvait faire à ma cousine et nièce, et à tous ceux qui lui étaient attachés, puisqu'il ne l'a retirée de cette vie que pour passer à une meilleure.

Ne vous affligez point, mon cher neveu, sur ce qu'il vous semble que vous ayez encore longtemps à demeurer sur la terre: ce qui finit sitôt est toujours court. Considérez plutôt que ce temps qui vous reste à passer sans cette chère compagne, n'est qu'un moment, et mettez tout entre les mains de Dieu, qui disposera toutes choses pour votre

que nous n'avons pas reçues pour les raisons que je viens de vous exposer.

Il ne me reste donc, ma chère Mère, qu'à vous assurer du désir que j'ai de vous obliger, désir qui fait que j'ai une vraie peine de ne pouvoir vous donner la marque d'estime et d'amitié que vous me demandez. Je vous dirai cependant, quoique je sois pressée de finir cette lettre, qu'avant que les monastères de notre réforme fussent établis, j'ai demeuré vingt-cinq ans dans un couvent où il y avait cent quatre-vingts religieuses, avec lesquelles je vivais comme s'il n'y eût eu que Dieu et moi sur la terre. C'est ce qu'on peut faire, ma chère Mère, quand on aime le Seigneur comme vous l'aimez. Soyez donc fidèle à cette pratique; et toutes choses, jusqu'aux croix même les plus pesantes, loin de vous nuire, contribueront beaucoup à vous faire avancer de plus en plus dans la perfection.

Ajoutez, s'il vous plaît, à cela, de ne vous mêler que de ce qui vous regarde, lorsque vous ne serez point, par votre charge, obligée d'observer ce que font les autres. Aimez vos sœurs pour les vertus que vous remarquerez en elles, vous efforçant de les imiter, et ne pensez jamais à leurs défauts.

Cette conduite m'a procuré tant de paix intérieure, que, quoique la communauté où j'étais fût si nombreuse, elle ne me laissait pas plus de distraction que si j'eusse été seule; au contraire, elle me servait beaucoup à m'avancer dans la vertu. Car entin, ma chère Mère, nous pouvons partout aimer et servir ce grand Dieu infiniment aimable. Qu'il soit donc béni à jamais de ce que rien ne peut, malgré nous, séparer nos cœurs de son divin amour! Je suis, pleine de respect, votre servante,

THÉRÈSE DE Jésus.
Cette lettre n'a point de date.

LETTRE LVII.

A MONSEIGNEUR DOM ALONSO VELASQUÉ, ÉVÊQUE L'osme, l'un de ses directeurs.

Elle lui apprend la manière de faire l'oraison.

Monseigneur et mon Père,

Je regarde comme une des plus grandes grâces que le Seigneur m'ait faites, celle de m'avoir donné le goût de l'obéissance. Je trouve un contentement et une consolation inexprimables dans la pratique de cette vertu, qui est celle qu'il nous à le plus recommandée. Ainsi, Monseigneur, quoique je sois fort exacte à prier le Seigneur pour vous, il est certain que le commandement que vous m'en fites l'autre jour m'y a rendue encore plus ardente. Je me suis depuis acquittée de ce devoir, sans m'arrêter à mon peu de mérite, et uniquement parce que vous l'aviez ordonné. C'est ce qui me donne lieu d'espérer que vous obtiendrez de sa bonté divine ce que j'ai cru devoir lui demander pour vous, et que mon zèle vous

sera d'autant plus agréable, qu'il est le fruit de ma soumission.

J'ai donc exposé, aux yeux de Dieu, les grâces que je sais qu'il vous a faites en vous donnant l'humilité, la charité, et ce zèle infatigable, tant pour le salut des âmes, que pour sa gloire; et connaissant vos bonnes intentions, je lui ai demandé pour vous l'accroissement de toutes ces vertus, afin que vous fussiez aussi parfait que l'exige la dignité où il lui a plu de vous élever; mais, on m'a fait connaître que le principal vous manquait, c'est-à-dire le fondement de toutes ces vertus; et vous savez qu'où manque le fondement, l'édifice est bientôt renversé. Or, ce principal qui vous manque, c'est l'oraison avec la lampe allumée, qui est la lumière de la foi; c'est la persévérance dans l'oraison, avec la force nécessaire pour rompre et briser tout ce qui s'oppose à l'union de l'âme, qui n'est autre chose que l'onction du SaintEsprit, par le défaut de laquelle l'âme n'éprouve que sécheresse et dissipation.

Il faut souffrir patiemment cette foule de pensées, d'imaginations importunes et de mouvements naturels et impétueux, dont les uns viennent de l'âme à cause de sa sécheresse et de sa dissipation, les autres du corps par le défaut d'assujettissement à l'esprit. Nous ne nous apercevons pas de toutes ces imperfections; mais quand Dieu nous

tume de le faire dans l'oraison, c'est alors qu'elles se présentent à nous telles qu'elles

sont.

Je

Voici l'ordre qu'on m'a montré que vous deviez tenir dans le commencement de votre oraison. Après que vous aurez fait le signe de la croix, vous vous accuserez de tous les péchés que vous aurez commis depuis votre dernière confession. Vous vous dégagerez de toutes choses d'ici-bas, comme si vous deviez mourir à l'heure même. Vous exciterez en vous un regret sincère de toutes vos fautes, et pour pénitence vous réciterez le Miserere. Ensuite, vous direz à Dieu viens à votre école, Seigneur, pour apprendre, et non pas pour enseigner. J'oserai m'entretenir avec votre souveraine majesté, quoique je ne sois que cendre et poussière et un misérable ver de terre. Daignez, Seigneur, manifester en moi votre puissance, quoique je ne sois qu'une misérable fourmi. Cela dit, vous vous offrirez à Dieu en perpétuel sacrifice d'holocauste, et vous mettrez devant vos yeux, soit de l'âme, soit du corps, l'image de Jésus crucifié que vous considérerez attentivement et en détail, avec tout le recueillement et l'amour dont vous serez capable.

Vous considérerez d'abord la nature divine du Verbe éternel du Père, unie avec la nature humaine, qui, par elle-même, n'était rien si Dieu ne lui eût donné l'être. Vous réfléchirez sur cet amour ineffable et cette humilité profonde d'un Dieu qui s'est anéanti en se faisant homme pour faire de l'homme un Dieu. Enfin, vous ferez attention à cette magnificence et à cette libéralité avec laquelle Dieu a usé de son pouvoir pour se

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