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ner une santé parfaite; elle lui fera soutenir plus tranquillement l'ennui de sa captivité.

Comptez, s'il vous plaît, Madame, qu'on ne peut prendre plus de part que moi à tout ce qui vous regarde, et que je recevrai toujours le contre-coup de ce qui vous arrivera. J'ai un très-grand soin de vous recommander l'un et l'autre à Notre-Seigneur, quoique j'aie bien moins de compassion de vous, Madame, que de M. votre mari; persuadée que Dieu vous a donné une vertu à l'épreuve des plus durs événements. Plaise à sa divine majesté de vous conserver et de vous combler d'autant de grâces et de bénédictions que vous en souhaite celle qui est, avec bien de l'attachement, votre indigne servante.

AU

THÉRÈSE DE JESUS.

Ce 4 février 1579.

LETTRE XXXIX.

R. P. JEAN DE JÉSUS ROCCA, CARME DÉ-
CHAUSSÉ, A PASTRANE.

La sainte lui marque la tranquillité dont elle
jouit dans son couvent, où elle est retenue
comme prisonnière, et le regret qu'elle a de
voir souffrir les autres à cause d'elle.

chons la croix, soupirons après la croix, embrassons les souffrances; et malheur à nous et à notre réforme, si jamais elles viennent à nous manquer !

Vous me marquez par votre lettre que Mgr le nonce a défendu que l'on fondat dorénavant aucun couvent de réformés, et qu'il a même donné ordre, à la réquisition du Père général, qu'on détruisît ceux qui ont été fondés jusqu'à présent; que ce prélat est furieusement irrité contre moi; qu'il me traite de femme inquiète, et qui ne demande qu'à courir. Vous ajoutez que tout le monde s'arme contre moi et contre mes enfants, et que ceux-ci sont obligés de se cacher dans les cavernes les plus inaccessibles des montagnes, ou dans les maisons les plus écartées, pour n'être point découverts et arrêtés. Voilà ce qui fait couler mes larmes; voilà ce qui me fait saigner le cœur, de voir mes chers enfants en butte aux per sécutions et aux travaux, et cela pour une pécheresse, pour une mauvaise religieuse telle que je suis. Mais si tout le monde les abandonne, Dieu ne les abandonnera pas : c'est de quoi je suis bien certaine. Il n'abandonnera pas ceux qui l'aiment tant.

Recommandez-nous, je vous prie, à NotreSeigneur, et dites une Messe d'action de grâces à mon Père saint Joseph. Ne m'écrivez point sans nouvel avis. Je prie Dieu qu'il vous donne la perfection de votre état, et qu'il fasse de vous un grand saint, et je demeure avec beaucoup de respect, mon révérend Père, votre très-humble servante, THÉRÈSE DE JÉSUS.

25 mars 1579.

LETTRE XL.

Que Jésus, Marie et Joseph soient dans l'âme de mon P. Jean de Jésus. J'ai reçu la lettre de votre révérence dans cette prison, où je me trouve extrêmement contente, en considérant que tout ce que je souffre est pour l'amour de Dieu et pour mon ordre. Si quelque chose, mon Père, me fait de la peine, c'est de savoir que vos révérences sont dans l'affliction par rapport à moi. Ne vous affligez donc point, mon fils, ni vous, ni les autres religieux; car je puis bien dire, comme un autre saint Paul (quoi- La sainte lui parle des souffrances et des qu'il n'y ait nulle comparaison à faire de lui à moi pour la sainteté), que les prisons, les souffrances, les persécutions, les tourments, les ignominies et les affronts sont pour moi des régals et des faveurs, quand c'est pour Jésus-Christ et pour mon ordre que je les endure.

Jamais je ne me suis vue si dégagée de soins et d'embarras que je le suis présentement. C'est le propre de Dieu d'accorder son 'secours et sa protection à ceux qui vivent dans la peine et dans les fers. Je lui rends mille grâces, et il est juste que vous lui en rendiez tous autant pour les faveurs qu'il me fait dans cette prison. Ah! mon cher fils et mon cher Père, y a-t-il une plus grande satisfaction, un plus grand plaisir, que de souffrir pour un si bon maître! Dans quel temps les saints ont-ils été au comble de leur joie, si ce n'est quand ils ont souffert pour leur Sauveur et leur Dieu! C'est là le chemin le plus sûr pour arriver au ciel, puisque la croix doit faire un jour toute notre félicité. Ainsi, mon père, cher

AU R. P. JÉRÔME GRATIEN.

persécutions.

Jésus soit toujours avec votre révérence, mon Père. J'avais écrit la lettre qui est sous cette enveloppe, lorsqu'on m'a apporté toutes les vôtres. Comptez sûrement que nous n'avons pas manqué, vos filles et moi, de prier Dieu de répandre sur vous, dans ces saintes fêtes de Pâques, un fleuve de grâces et de bénédictions.

Dieu soit loué de ce que nous pouvons espérer de voir finir bientôt cette longue et dure absence, pendant laquelle la pauvre Angélique (5) n'a reçu nulle consolation de la découverte de son intérieur. Comment donc ne désirerait-elle pas de s'entretenir avec Paul, surtout ayant eu à soutenir depuis son départ des travaux et des persécutions qui lui ont donné sans cesse une occupation bien triste et bien affligeante? Comme vous avez eu, mon révérend Père, plus de part que personne à ces persécutions, Dieu vous en a aussi récompensé plus promptement par le grand nombre de con

(5) C'est sainte Thérèse qui est ici désignée sous le nom d'Angélique, et le P. Gratien sous celui de Paul.

versions qu'il a bien voulu que vous ayez faites.

J'ai néanmoins trouvé fort plaisant que Vous vous soyez avisé, au sortir de tant de persécutions, d'en souhaiter de nouvelles. Au nom de Dieu, défaites-vous de ce désir, et laissez-nous goûter, au moins pendant quelques jours, la douceur du repos qu'une si violente tempête nous a ravi tant de temps, puisque enfin ce n'est pas vous seul qui devez souffrir, mais que bien d'autres doivent partager vos croix et vos souffrances. J'en connais cependant parfaitement le prix; je suis même très-persuadée que c'est un pain si délicieux, que quiconque en aura mangé une fois de bon cœur, sera convaincu qu'il n'y a point de nourriture plus solide, ni qui donne tant de force à l'âme. Mais, comme j'ignore si ces persécutions ne doivent point s'étendre sur d'autres personnes que sur celles qui les souhaitent, je n'oserais tout à fait les désirer: je veux dire que je trouve une différence infinie entre souffrir, moi seule, et voir souffrir mon prochain. C'est une question, mon Père, qu'il faudra, s'il vous plaît, que vous décidiez la première fois que j'aurai l'honneur de vous entretenir. En attendant, je prie Dieu de nous faire la grâce de le servir fidèlement par toutes les voies par lesquelles il lui plaira de nous conduire, et de vous conserver un grand nombre d'années, vous faisant croftre tous les jours en grâce et en sainteté.

Je prie Dieu, mon révérend Père, de vous accompagner incessamment, et que le soin que vous avez de prier pour le salut de tant d'âmes dont vous êtes chargé, ne vous fasse pas oublier de lui recommander les besoins de la mienne, dont vous devez aussi lui rendre compte. Je suis très-respectueusement votre indigne servante et fille, THÉRÈSE DE Jésus.

14 avril 1579.

LETTRE XLI.

A LA RÉVÉRENDE MÈRE MARIE-BAPTISTE, SA NIÈCE, PRIEURE DU MONASTÈRE DE VALLADOLID.

Elle lui marque qu'elle craint de recevoir des filles riches; que l'honneur qu'on lui fait partout lui est insupportable, et lui donne ensuite quelques avis de perfection.

Jésus soit toujours avec votre révérence, ma chère Mère. Quelque envie que j'aie de dépêcher promptement le courrier, parce qu'il est temps d'entendre la Messe, il ne laissera pas d'être assez tard quand il partira; car je me suis un peu arrêtée avec le P. Nicolas qui vient d'arriver, et dont la venue me cause bien de la joie. J'ai envoyé votre lettre au révérend Père vicaire, à qui j'ai écrit aussi pour lui faire savoir les raisons qu'on a eues de ne pas recevoir la sœur N. Je lui représente en même temps celles qui peuvent l'obliger à donner permission

de faire prendre l'habit à votre illustre postulante. Je vous dirai cependant, ma chère fille, que, quelque avantageux que soit le portrait qu'on m'en fait, et quelque sujet qu'on ait de croire que Dieu l'appelle à notre saint ordre, je ne puis m'empêcher de craindre beaucoup à cause de ses grands biens. Le croiriez-vous? j'ai toujours appréhendé de donner l'habit à des filles riches et opulentes. Plaise à Dieu que celle-ci le serve fidèlement! Faites-lui, je vous prie, mes amitiés, et dites-lui, s'il vous plaît, que je me réjouis de ce que je la verrai bientôt.

La maladie de Mme de Mendoça me touche sensiblement; je prie Dieu de lui reudre la santé. Son absence me fait sentir le tendre attachement que j'ai pour sa personne, et combien je l'honore.

Je ne sais si vous avez appris que, le jour de la Fête-Dieu, le Père vicaire m'envoya un ordre exprès de me rendre incessamment chez vous, sous peine de désobéissance. Je partirai donc, avec l'aide de Dieu, un jour ou deux après la fête de Saint-Jean.

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Avertissez, s'il vous plaît, la Mère prieure de Médine de ne pas me recevoir avec tant d'appareil et de magnificence : c'est, au lieu de me faire plaisir, m'affliger sensiblement, et me donner une peine extrême, dont j'ai le cœur si saisi, que tout ce que je puis faire, c'est de me confondre et de m'anéantir intérieurement de ce qu'on me rend un honneur que je mérite si peu. Plus cet honneur est grand, plus j'en suis touchée vivement. Si donc on veut me mortifier au der-' nier point, on n'a qu'à me recevoir avec toutes ces cérémonies, qui me sont mille fois plus insupportables que je ne puis l'exprimer. Ainsi, je vous demande en grâce, ma chère fille, de me recevoir chez vous bonnement et sans façon.

L'ardeur que vous avez, ma chère fille, pour tout ce que vous voulez, ne vous permet pas d'apercevoir aucun obstacle dans vos entreprises, et vous donne assez d'adresse pour vaincre tout ce qui s'oppose à vos desseins, et pour venir à bout de tout. C'est un défaut dont vous devez vous corriger, et que je prie Dieu de vouloir bien vous pardonner. Demandez-lui, ma chère fille, que mon séjour auprès de vous vous soit utile, et qu'il serve à vous rendre moins attachée à ce que vous voulez je n'oserais presque m'en flatter, quoique je ne doute nullement du pouvoir infini de celui à qui rien ne résiste. Plaise à sa bonté de vous rendre une aussi grande sainte que je désire Mère, tout à vous. que vous le soyez. Je suis, ma révérende

21 juin 1579.

:

THÉRÈSE DE Jésus.

LETTRE XLII.

A DON LAURENT DE CÉPÈDE, SON FRÈRE. Elle lui parle d'une visite ennuyeuse, et lui donne quelques avis spirituels.

La grâce de Jésus-Christ soit avec vous,

mon cher frère. Je vous avoue que ce parent qui m'est venu voir m'a bien ennuyée; mais qu'y faire? Il faut passer ainsi la vie. Nous ne sommes pas tout à fait à l'abri de ces bienséances, nous autres qui faisons profession de vivre séparées du monde. Croiriezvous que, dans tout le temps qu'il y a que je suis ici, je n'ai pas encore pu trouver celui de parler à nos seurs, je veux dire, à chacune en particulier, quoiqu'il y en ait plusieurs qui désirent beaucoup de s'entretenir avec moi? Il n'y a pas eu muyen. Cependant je partirai, s'il plaît à Dieu, jeudi prochain sans faute, et je laisserai un petit mot d'écrit pour vous, afin que celui qui a coutume d'apporter l'argent porte aussi ma lettre; il n'en coûtera pas davantage.

Je crois que le mieux que vous puissiez faire est d'éviter la rencontre des personnes dont vous me parlez. Il vaut mieux que votre mélancolie (car ce n'est que cela) s'exhale de cette façon que d'une autre, qui serait sujette à de plus grands inconvénients.

Je ne m'étonne point de l'ennui qui vous accable; mais ce qui m'étonne, c'est qu'ayant un si grand désir de servir Dieu, une croix si légère vous semble néanmoins si pesante. Vous m'allez dire que, si vous souhaitez d'en être délivré, ce n'est que pour servir Dieu davantage. Ah! mon cher frère, que nous nous connaissons peu nous-mêmes, et que nous mêlons d'amour-propre en toutes choses! Ne vous étonnez pas de ce que vous aimez à changer de croix. C'est l'âge qui vous porte à cela; et ne pensez pas, malgré cette imperfection, que tout le monde soit aussi exact que vous à remplir ses devoirs. Il faut remercier Dieu de ce que vous n'arez pas de plus grands défauts.

Je suis de tout mon cœur, etc.
29 juillet 1579.

LETTRE XLIII.

AU R. P. JÉRÔME GRATIEN.

La sainte lui marque le besoin qu'elle a de lui dans ses inquiétudes, le prie de se ménager pour Dieu, et lui témoigne sa joie du bon état des affaires de l'ordre.

La grâce du Saint-Esprit accompagne incessamment votre révérence, mon Père. Angélique ne revient point du soupçon qu'elle a conçu aussi ses inquiétudes n'ont point cessé. Comme elle est naturellement faible, qu'elle souffre beaucoup, qu'elle n'a nul soulagement dans ses maux, et qu'elle ne désire pas même d'en avoir, je ne suis pas étonnée qu'elle succombe quelquefois sous le poids de tant d'afflictions, surtout lorsqu'elle s'aperçoit qu'on reconnait mal son amitié. C'est pourquoi, ayez, s'il vous plaît, la bonté de dire à Paul de n'être plus si négligent, et de se souvenir que le vrai zèle n'est ni paresseux ni endormi.

J'ai bien de la douleur, mon révérend Père, de votre indisposition et de la faiblesse de tête que vous sentez. Sûrement,

elle ne vient que d'une trop grande application d'esprit. Ainsi je vous conjure, au nom de Dieu, de modérer un peu votre travail : si vous ne le faites à présent, vous verrez dans la suite votre mal tellement augmenté, qu'il sera sans remède. Possédez-vous donc, je vous supplie, un peu davantage, et tâchez de vous rendre maître de vous-même, pour ne pas faire toujours tout ce que vous souhaiteriez. Que l'exemple de tant de gens devenus par leur faute incapables d'applica tion, vous fasse prendre garde à ne vous pas réduire à un pareil état : vous savez que votre santé est utile à la gloire de Dieu, et le besoin que nous avons que vous ne tombiez pas malade.

Je rends mille grâces à Dieu de ce que les affaires de notre ordre sont en si bon état, qu'on les peut compter terminées, mais terminées si avantageusement, que personne ne pourra douter que ce ne soit un effet de la bonté infinie de Dieu. Laissant le capital, je me réjouis en particulier de ce que vous goûterez, avec plaisir, le fruit délicieux de tant de travaux que vous avez essuyés si généreusement; et lorsque cette horrible. tempête aura cessé de nous agiter, vous verrez, avec une extrême joie, les avantages qui en reviendront à tout l'ordre, non-sealement à présent, mais aussi dans la suite des temps.

Vous ne croiriez jamais, mon révérend Père, les soins et les inquiétudes que nous cause à présent la maison que nous avons achetée. Avouons donc qu'on a grand tort de se fier aux enfants des hommes; car celui dont je parle nous avait priées lui-même d'acheter sa maison; et il est en si grande réputation d'homme d'honneur et de probité, que tout le monde, de concert, disait que sa parole toute seule valait un contrat. Cependant, après nous l'avoir donnée solennellement, après avoir amené un notaire qu'il avait choisi, devant qui il signa le contrat, en présence de témoins et avec toutes les formalités requises; après, dis-je, tout cela, il s'en dédit aujourd'hui. Toute la ville en est dans le dernier étonnement; on publie que ce sont ses amis qui l'ont fait changer de résolution, pour certaines raisons qui les regardent eux et leurs proches; raisons plus puissantes sur son esprit que la fidélité inviolable qu'il devait à sa parole.

Son frère, qui avait sollicité charitablement la conclusion de cette affaire par ami. tié pour nous, en est inconsolable: pour moi, ce qui m'afflige le plus, c'est, encore une fois, que nous ne trouverons pas dans tout Salamanque une maison pareille à celle-là. Notre consolation, après tant de peines essuyées, est d'avoir recours à celui qui peut nous tirer de ce grand embarras. Je ne vous en dirai pas davantage, car il est trois heures du matin. On ne peut être avec plus. de vérité votre indigne servante et fille, THERESE DE JÉSUS.

4 octobre 1579.

LETTRE XLIV.

AU R. P. JÉRÔME GRATIEN.

Son estime pour ce Père; danger des longs et fréquents entretiens des religieuses avec les hommes, même les plus saints.

est

La grâce du Saint-Esprit accompagne sans cesse votre révérence, mon Père. Il y a fort peu que j'eus l'honneur de vous écrire une fort grande lettre par le courrier de Tolède: celle-ci sera succincte, parce qu'il tard, et que le beau-frère de M. Ruis, qui veut bien s'en charger, part demain dès la pointe du jour. Je mourais d'envie qu'il m'apportât de vos lettres, et je ne me suis consolée d'en être privée que par les bonnes nouvelles qu'il m'a données de votre santé, et de vos prédications dont on dit des merveilles. Il m'a récité presque entièrement votre sermon de saint Eugène, qui m'a charmée. Que celui qui est la source de tout ce qu'il y a de bon dans les hommes, en soit loué à jamais! C'est une grande grâce que Dieu nous fait de vouloir bien se servir de nous pour le salut des âmes.

J'oubliais de vous dire, mon révérend Père, que la sœur N. se porte bien, et que les autres sont fort en paix et fort contentes, depuis que j'ai défendu que nulle ne se confessat, ni ne parlat au confesseur que Vous savez. Je lui fais en tout le reste mille honnêtetés, et je l'entretiens souvent; il nous a même prêché aujourd'hui d'une manière très-édifiante, et son sermon était trèsbon; car il n'a point de malice, et je suis sûre qu'il est incapable de vouloir faire tort à personne.

Je ne laisse pas d'être persuadée qu'il est avantageux aux Carmélites d'avoir peu de commerce avec les hommes, quand même ce serait avec Paul, ou avec de vrais saints, parce que Dieu les instruira lui-même. Les longues et les fréquentes conversations, quelque spirituelles qu'elles soient, ne sont pas d'ordinaire d'une fort grande utilité, à moins que ce ne soit en chaire : souvent, loin de profiter, elles font perdre l'estime qu'on doit avoir des personnes les plus vertueuses et les plus dignes d'être estimées.

La Mère prieure et toutes nos sœurs se recommandent à vos saintes prières, et moi aux prières aussi du Père recteur. La nuit s'avance fort. Je finis donc par vous assurer que j'aurais bien du plaisir d'entendre les sermons que vous ferez à Noël. Plaise à Dieu de vous combler d'autant de grâces et de bénédictions que vous en souhaite votre indigne servante et fille,

THÉRÈSE DE JÉSUS.

6 décembre 1579.

LETTRE XLV.

A LA RÉVÉRENDE MÈRE MARIE DE SAINTJOSEPH.

La sainte exige d'elle qu'elle quitte la scrge pour porter le linge; l'encourage à remplir

sans dégoûts ses fonctions de prieure; se plaint d'une religieuse qui lui écrivait d'un style affecté, et excite cette Mère, par la considération de la disgrace de la maison de Malagon, à redoubler son attention sur sa communauté.

La grâce du Saint-Esprit soit avec votre révérence, ma chère fille. Aujourd'hui, veille de la Présentation de Notre-Seigneur, j'ai reçu vos lettres, et celles de nos sœurs, qui m'ont fait grand plaisir. Je ne sais comment cela se fait; mais vous avez beau me donner

du chagrin, je ne puis m'empêcher de vous aimer toujours bien tendrement, et j'oublie dans le moment tout ce que vous m'avez fait je sens même que ma tendresse pour votre maison est augmentée à proportion de l'accroissement de mérite qu'elle a reçu dans la persécution dont elle a été affligée. Dieu soit béni de ce qu'il conduit tout à une si beureuse fin!

Je me doute que votre santé est un peu meilleure, puisque vos filles n'ont pas le ton si plaintif qu'à l'ordinaire. Mais quant à la tunique que vous désirez de garder tout l'été, si vous voulez me faire plaisir, vous la quitterez aussitôt la présente reçue, quelque peine que cela puisse vous faire. Toules Vos filles savent que c'est pour vous une nécessité; ainsi vous ne devez pas craindre qu'elles en soient mal édifiées, et de plus vous ferez une chose agréable à Dieu en m'obéissant n'y manquez donc pas. Je sais par expérience le chaud qu'il fait dans le pays où vous êtes, et je trouve qu'il vaut beaucoup mieux que les religieuses soient en état de suivre les exercices de la communauté, que si elles étaient obligées de s'en abstenir pour cause de maladie. Ce que j'en dis est pour toutes celles qui se trouveront dans le même cas que vous.

:

Je remercie Dieu du bon succès de l'élection. On dit que, lorsqu'elle se fait de cette façon, le Saint-Esprit y préside toujours. Réjouissez-vous des occasions de souffrir que vous allez avoir, et ne donnez pas lieu au démon de troubler la paix de votre âme, en vous inspirant du dégoût pour votre charge. Je vous trouve charmante, en vérité, de me demander, comme vous le faites, que vous seriez bien aise d'apprendre que je prie Dieu pour vous, tandis que je ne fais autre chose depuis un an, et qu'on en fait autant à ma sollicitation dans toutes nos maisons. C'est peut-être à nos prières que vous êtes redevable de tout le bien qui vous est arrivé. Dieu veuille vous en faire encore davantage par la suite.

Je regarderais comme un grand bonheur si, dans mon voyage à Villeneuve, le chemin était de passer par chez vous, pour avoir le plaisir de vous voir, et de vous bien quereller, ou pour mieux dire de m'entretenir avec vous. A présent que vous avez passé par le creuset des souffrances, vous devez être une personne accomplie.

Ç'a été pour moi une grande satisfaction de voir, par les lettres de nos sœurs, l'at

tachement qu'elles ont pour vous; vous le méritez bien assurément; mais tout de bon, la vôtre m'a donné une récréation parfaite, et j'en avais grand besoin, pour dissiper le dégoût que m'a donné celle de la soeur SaintFrançois. Ah! que cette lettre annonce peu d'humilité et d'obéissance! De grâce, ma chère Mère, prenez soin de son avancement dans la vertu; car je trouve qu'elle s'est un peu gâtée à Paterne. Recommandez-lui de ne point tant donner dans l'exagération. On croit ne point mentir avec tous ces détours; mais, en vérité, ce style est bien opposé à la perfection religieuse, qui ne permet pas qu'on s'exprime autrement qu'avec franchise et clarté. C'est exposer les supérieurs à faire mille bévues. Je vous serais obligée de vouloir bien lui dire cela de ma part, pour toute réponse à sa lettre, et que je ne serai contente d'elle que quand elle se sera corrigée de ce défaut. Mais je souhaite bien plus encore qu'elle contente le Seigneur, car pour moi c'est peu de chose.

Que n'ai-je le loisir, ma fille, et la tête assez forte, pour m'étendre dans cette lettre sur les choses qui se sont passées ici, afin de vous instruire par cet exemple, et vous porter à demander pardon à Dieu de ne m'avoir pas donné avis de ce qui est arrivé chez-vous; car j'ai su que tout s'est passé en votre présence. Il y en a quelques-unes que la bonne intention peut excuser; mais toutes ne sont pas dans ce cas-là. Que cela vous serve de leçon, ma chère Mère; et puisque vous êtes si amie des règles, tenez-vous-y toujours attachée, si vous ne voulez, en gagnant bien peu de chose avec le monde, perdre tout avec Dieu.

Le confesseur ordinaire n'a point confessé les sœurs depuis que je suis arrivée, et je ne crois pas même qu'il les confesse davantage. C'est une complaisance qu'il a fallu avoir pour le peuple, que j'ai trouvé terriblement animé. Cependant, c'est un homme fort propre pour cet emploi, et c'est dommage qu'il ait affaire à des gens si peu raisonnables. Dieu veuille pardonner à quiconque est la cause que cette maison en est privée. Il y aurait fait beaucoup de bien, et s'y serait lui-même avancé dans la vertu. Il vient me voir quelquefois, et il est le premier à approuver le parti que j'ai pris à son égard. Je lui ai toujours fait politesse, et je crois qu'il ne conviendrait pas d'en user autrement avec lui. Je suis surtout charmée de sa franchise. Il faut avouer que la trop grande jeunesse, et le défaut d'expérience sont quelquefois bien nuisibles. Oh! ma chère Mère, que le monde est plein de malice, et qu'il se plaît à empoisonner toutes choses! Si nous ne profitons pas, vous et moi, de l'expérience que nous avons du passé, et si nous ne prenons pas garde à nous, tout ira de mal en pis. Pour l'amour de Dieu, puisque vous avez si bonne part dans cette expérience, rendez-vous vieille avant le temps, en redoublant votre attention sur tout ce qui est confié à vos soins, et je ferai la même chose de mon côté.

J'ai été étonnée que vous ne m'ayez point envoyé de chansons spirituelles; car, à coup sûr, il y en a eu beaucoup de faites à l'occasion de votre élection. Je ne demande pas mieux qu'on se réjouisse dans votre maison, pourvu que ce soit avec modération; et s'il m'est arrivé d'y trouver à redire, vous savez que ç'a été pour des considérations particulières. C'est à ma chère Gabrielle qu'il faut s'en prendre. Faites-lui, je vous prie, mille amitiés de ma part. J'aurais bien voulu pouvoir lui écrire.

Je suis, en vérité, confuse des obligations que nous avons au bon prieur des Grottes; faites-lui passer les assurances de mon respect et de ma reconnaissance. Recommandez-moi aux prières de toutes vos filles, et ne m'oubliez pas dans les vôtres car je suis bien vieille et bien cassée. Le Père prieur ne fait pas un grand effort de m'aimer; il me rend seulement ce qu'il me doit. Dieu le conserve; nous possédons en så personne un si grand trésor, que nous sommes intéressées à prier Dieu pour sa conservation. Dieu veuille aussi vous conserver et demeurer toujours avec vous. Je suis bien tendrement, etc.

1" février 1580.

LETTRE XLVI.

A LA RÉVÉRENDE MÈRE MARIE DE SAINT-JOSEPH.

Sa douleur de la maladie d'un saint prieur des Chartreux de Séville. Elle lui donne des conseils sur le temporel de sa communaute.

Jésus soit toujours avec votre révérence, ma chère Mère. Aujourd'hui 8 février, j'ai reçu votre lettre du 21 de janvier. Elle m'apprend le danger de mort où est mon saint prieur des Grottes : j'en suis sensiblement affligée, et même beaucoup plus que je ne l'aurais été si son grand âge, ou une maladie ordinaire, l'eut conduit au tombeau : mais de le perdre par une bévue aussi funeste qu'est celle que vous me marquez, c'est ce qui me désole. Je condamne en ceci ma simplicité; car, selon les lumières de la foi, il sera d'autant plus heureux qu'il souffrira davantage. Malgré cette persuasion, je ne puis m'empêcher de regretter infiniment que nous ayons un saint de moins sur la terre, tandis que les pécheurs, qui ne cessent point d'offenser Dieu, s'y multiplient, et y vivent fort longtemps. Plaise à Dieu de le mettre dans l'état le plus avantageux à son salut! c'est la grâce que nous devons toutes lui demander pour notre saint prieur, puisque c'est par cet endroit-là que nous pouvons lui marquer notre reconnaissance de tant de bienfaits dont nous lui sommes redevables. Oublions donc nos intérêts, et tout ce que nous perdons en sa personne, pour ne penser qu'à ses intérêts particuliers. Nous aurons dans ce monastère tout le soin qu'on peut avoir de prier Dieu pour lui; mon inquiétude, c'est qu'il sera malaisé de me faire savoir de ses nouvelles à

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