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pos délibéré; cette résolution est telle, qu'il n'y a point de bien que je ne méprisasse, point de tourments que je ne fusse prête à endurer, plutôt que de manquer de préférer une chose que je croirais plus agréable à Notre-Seigneur et de plus grande perfection, à une autre moins parfaite, pourvu que mon directeur l'approuvât. Si j'en usais autrement, je n'aurais pas, ce me semble, la hardiesse de rien demander à Dieu, ni de faire l'oraison. Je ne laisse pas néanmoins de commettre bien des fautes à cet égard, et d'être très-imparfaite en tout le reste. Quoique mon obéissance soit très-défectueuse, il me paraît que je suis incapable de vouloir manquer à faire les choses que mon confesseur me prescrit, ou même que je puis croire qu'il souhaite de moi; et je me croirais en mauvais état si j'étais dans une autre disposition.

Il me semble aussi que, si j'étais riche, je ne voudrais ni me conserver du revenu, ni garder nul argent pour mon usage particulier, mais que je me contenterais précisément du nécessaire. L'amour que j'ai pour la pauvreté est pourtant imparfait, parce qu'encore qu'il soit vrai que je ne désire rien pour moi, je désirerais néanmoins avoir du bien pour pouvoir le donner; cela me fait sentir que je ne suis pas vraiment pauvre.

Je n'ai presque point eu de visions qui ne m'aient laissée avec plus de vertus que j'en avais auparavant je laisse à mes directeurs de juger si quelques-unes n'ont point été des illusions.

Les eaux, les campagnes, les fleurs, les bonnes odeurs, la musique et tant d'autres choses qui passent dans le monde pour ravissantes, le sont si peu pour moi en comparaison de celles qui se présentent à mon esprit dans les visions que j'ai d'ordinaire, que je voudrais n'avoir point d'yeux pour les voir et point d'oreilles pour les entendre: comme elles ne me touchent point, et qu'elles me paraissent, au contraire, très-méprisables, je ne les ai pas plutôt aperçues, qu'elles s'effacent de mon imagination.

Je ne puis, sans me faire une extrême violence, avoir de longs entretiens avec les personnes du monde, lorsque je suis contrainte de leur parler, quand même ce serait de l'oraison ou d'autres sujets de piété, à moins que ces entretiens ne soient tout à fait nécessaires.

J'ai tant de dégoût pour les conversations et les discours des choses du monde qui m'étaient autrefois si agréables, que je ne puis plus les soutenir. Les désirs que j'ai d'aimer, de servir et de voir Dieu, ne sont plus accompagnés, comme ils étaient dans le temps que je me croyais si dévote, de méditations et de tendres larmes, mais de mouvements d'amour de Dieu si vifs et si ardents, que, s'il ne les tempérait par les ravissements dont j'ai parlé, qui mettent mon âme dans la quiétude et dans le calme, je ne doute pas qu'elle ne cessât bientôt d'animer

mon corps.

J'ai tant d'amour pour les personnes courageuses, que je ne puis les voir marcher à grands pas dans le chemin de la perfection, se détacher de toutes les choses de la terre, et ne trouver rien de difficile pour servir Dieu, que je ne désire de communiquer avec elles, parce qu'il me paraît que leur exemple m'encourage et me fortifie.

L'exemple, au contraire, des âmes molles, lâches et timides, qui craignent toujours de s'engager dans ce qu'elles pourraient raisonnablement entreprendre pour le service de Dieu, me touche de compassion et me fait gémir en sa présence je l'appelle à leur secours, j'implore son assistance et celle de ces grands saints, qui, avec un courage et une constance invincibles, ont triomphé de ces terribles obstacles qui nous alarment et nous épouvantent si fort aujourd'hui. Ce n'est pas que je me croie capable de rien faire de bon; mais c'est que je ne doute point que Dieu n'assiste puissamment ceux qui ont le courage de s'engager dans de grands desseins pour sa gloire. Comme donc je suis très-persuadée qu'il ne les abandonne jamais lorsqu'ils ne mettent leur confiance qu'en lui seul, je souhaite trouver des gens qui me confirment dans cette pensée, et que par là je puisse négliger le soin de la nourriture et du vêtement, et me reposer de tout cela sur la Providence.

Lorsque je dis qu'il faut laisser à Dieu le soin de nos besoins temporels, je n'entends pas qu'on puisse se dispenser de faire les diligences convenables pour se les procurer; j'entends seulement que ce doit être sans trouble et sans inquiétude. Pour moi, je me trouve si bien de n'en point avoir, que je fais ce que je puis pour m'oublier moimême; il me semble qu'il y a près d'un an que Dieu m'a inspiré ces sentiments, et qu'il m'a donné cette liberté d'esprit.

Pour ce qui est de la vaine gloire, NotreSeigneur m'a fait la grâce d'être très-convaincue que je n'ai nul sujet d'en avoir; il me fait sentir très-vivement mes misères, et connaître encore plus clairement que je ne contribue en rien à tant de faveurs que je reçois de sa bonté, et que, quelques efforts que je fisse, ils ne seraient pas capables d'élever mon esprit à la connaissance de la moindre des vérités dont il m'instruit dans un ravissement.

Il m'a paru autrefois que je devais avoir honte de parler des grâces que Dieu me fait; mais depuis quelques jours je n'en ai plus du tout, et j'en parle aussi librement que si elles regardaient quelque autre personne, parce que je ne me trouve pas meilleure que je l'étais auparavant; au contraire, je me trouve encore pire; et cette profusion de grâces, dont je profite si peu, me fait croire sans hésiter qu'il n'y eut jamais sur la terre une plus méchante créature que moi. Ainsi, il me paraît que, quoique je reçoive perpétuellement des grâces de Dieu, les autres sont plus vertueuses et s'avancent davantage dans son service; cela me fait espérer que Dieu les comblera tout d'un coup de ces

dons excellents que j'ai reçus à diverses fois. Je me persuade aussi que c'est parce que je suis si faible et si mauvaise, que Dieu m'a conduite par ce chemin; et je le conjure de tout mon cœur de ne me point récompenser dans cette vie, mais dans l'éternité.

Lorsque, étant en oraison, je me trouve dans la liberté de méditer, je ne pourrais, quand même je le voudrais, désirer du repos, ni en demander à Notre-Seigneur, parce que je vois qu'il n'en a jamais eu sur la terre, mais qu'il a passé sa vie dans de continuelles souffrances. Je le prie donc de ne me les point épargner, mais de me faire la grâce de m'en envoyer que je puisse soutenir constamment jusqu'à la mort.

Toutes les choses de cette nature, et qui sont les plus parfaites, s'offrent à moi dans l'oraison, et font une si vive impression sur mon esprit, que je ne puis voir sans étonnement de si grandes vérités. Ces vérités me sont montrées avec tant de clarté et d'évidence, que je trouve que tout ce qui est dans le monde, n'est auprès d'elles qu'un néant et une pure folie. Ainsi j'aurais besoin de me contraindre pour y penser, comme j'y pensais autrefois. C'est sur ce pied-là que je regarde comme une rêverie de compter pour quelque chose ies pertes, les disgrâces et les malheurs de cette vie, et d'être inconsolable de la mort de nos proches et de nos amis. Cependant, lorsque je considère quels ont été mes sentiments, et en quelles dispositions j'étais avant que Notre-Seigneur m'eût comblée de tant de faveurs, je ne puis m'empêcher de craindre et de veiller avec soin sur ma conduite.

Si je remarque en quelques personnes des choses qui paraissent visiblement être des péchés, je ne puis me résoudre à croire que ces personnes offensent Dieu, parce qu'il me paraît que chacun désire comme moi de lui plaire il m'a fait cette grâce signalée de ne m'arrêter jamais volontairement à penser aux défauts des autres; quand ils se présenlent à mon esprit, au lieu de m'y arrêter, je considère aussitôt ce qu'il y a de bon dans ces personnes. Ainsi rien ne m'afflige que les péchés publics et les hérésies, dont je suis souvent si vivement touchée, qu'il me semble que c'est la seule peine qu'on doive ressentir; et quoique ce m'en soit une aussi de voir des personnes d'oraison l'abandonner et retourner en arrière, elle ne m'est pas néanmoins si sensible que l'autre, parce que je tâche de n'y point penser.

J'ai bien moins de curiosité que je n'en avais, quoique je ne pratique pas toujours à cet égard une entière mortification, mais seulement quelquefois.

Ce que je viens de rapporter, joint à une attention presque continuelle à la présence de Dieu, est, selon ce que j'en puis juger, l'état de mon âme et ma disposition ordinaire. Ainsi, quand je m'occupe d'autres choses, je me sens comme réveiller sans savoir par qui, pour redoubler mon attention: cela ne m'arrive pas toujours, mais seulement lorsque les affaires que je traite

sont fort appliquantes; car, grâce à Dieu, je n'en ai pas souvent qui occupent tout mon esprit.

Je me trouve quelquefois quatre ou cinq jours de suite enveloppée de si épaisses ténèbres, que j'oublie entièrement les grâces que Dieu m'a faites non-seulement je n'ai ni ferveur ni visions, mais elles sont tellement effacées de ma mémoire, qu'il me serait impossible, quelques efforts que je fisse, de m'en pouvoir souvenir tout me paraît un songe; mes maux corporels m'accablent; mon esprit s'obscurcit; quoi que je fasse, je ne puis penser à Dieu. Si je lis, je ne comprends rien à ma lecture, et je ne sais en quelque façon sous quelle loi je vis je me vois pleine d'imperfections, sans amour pour la vertu; et cette grande ardeur de souffrir pour Dieu disparaît de telle sorte, qu'il me semble que je serais incapable de résister à la moindre tentation: il me vient dans la pensée que je ne suis propre à rien, et de quoi je m'avise de vouloir faire quelque chose de plus que le commun du monde. Je me sens disposée à contester contre tous ceux qui voudraient me contredire je m'imagine que je trompe tout le monde, principalement ceux qui ont une bonne opinion de moi.

Plongée dans cet abîme de tristesse, je voudrais m'aller cacher en quelque lieu où personne ne me vit. Ce n'est pas par vertu que je désire alors la solitude, mais par lâcheté. Ma consolation, au milieu d'une si cruelle guerre, c'est la grâce que Dieu me fait de ne l'offenser pas plus qu'à l'ordinaire; et qu'au lieu de le prier de me délivrer de ce tourment, je me soumets de tout mon cœur à le souffrir si c'est sa volonté, jusqu'à la fin de ma vie, pourvu qu'il me soutienne de sa main, en sorte que je ne l'offense point. Je considère aussi comme une trèsgrande grâce qu'il me fait de n'être pas toujours dans ce déplorable état.

Voici une chose qui me jette dans le dernier étonnement, c'est que, quelque abîmée que je sois dans cette extrême affliction, quelque grande que puisse être ma peine, une seule des paroles que Notre-Seigneur a souvent la bonté de me faire entendre, une vision, un recueillement qui ne dure pas plus d'un Ave Maria, ou une approche de la sainte table pour communier, rend une parfaite tranquillité à mon âme, donne de la santé à mon corps, et éclaire de telle sorte mon esprit, qu'il recouvre toute sa force, qu'il rentre aussitôt dans ses dispositions ordinaires, et n'a plus d'inquiétudes sur le passé : je l'ai éprouvé diverses fois ; et toujours, depuis six mois, je me trouve, quand je communie, soulagée de mes indispositions corporelles.

Les ravissements font aussi très-souvent le même effet; j'en ai eu qui ont duré trois heures, et d'autres tout le jour, pendant lesquels je me portais beaucoup mieux qu'auparavant. Ce n'est point, ce me semble, une imagination; je me suis appliquée avec un extrême soin à remarquer une gué

rison si merveilleuse. Ainsi, quand je suis dans cet admirable recueillement, je ne crains rien pour ma santé. La vérité est pourtant que, quand je fais l'oraison que je faisais autrefois, je n'éprouve rien d'extraordinaire, et que je ne sens nul soulagement de mes infirmités.

Le récit que je viens de vous faire, mon très-révérend Père, me persuade que toutes ces visions, ces révélations et ces paroles que j'entends, viennent de Dieu, parce que je ne puis ignorer quelles étaient autrefois mes misères, et qu'étant en chemin de me perdre, elles m'ont mises en peu de temps dans l'état où je me trouve, et m'ont donné des vertus qui m'étonnent et qui font aujourd'hui que je ne me reconnais presque plus moi-même. Je sais certainement que je ne les ai pas acquises, ces vertus, par mon travail, mais je ne sais pas de quelle manière je les ai reçues. Je puis cependant assurer avec vérité que je ne me trompe pas en ceci, et que Dieu ne s'est pas seulement servi de ce moyen pour m'engager dans son service, mais aussi pour me retirer de l'enfer. Ceux de mes confesseurs à qui j'ai fait des confessions générales ne l'ignorent pas.

Quand je rencontre des personnes qui savent quelque chose des grandes grâces que Dieu m'a faites, je voudrais qu'il me fût permis de les leur raconter toute ma vie; car il me paraît que je ne crains point la mauvaise opinion que ce portrait pourrait donner de moi, et que je mets toute ma gloire à procurer celle de Notre-Seigneur, et à désirer qu'on lui donne les louanges qui sont si justement dues à sa souveraine majesté. Comme il connaît le fond de mon cœur, il sait que je dis la vérité, et que, sans me soucier ni des biens, ni des honneurs, ni de la vie, ni de la santé, ni de ce qui concerne les avantages du corps ou de l'âme, ni même de la félicité des bienheureux, je borne tous mes désirs à sa seule gloire,

Je ne saurais croire que le démon m'ait procuré de si grands avantages pour m'attirer à lui et pour me perdre; il est trop habile pour employer des moyens si contraires à ses desseins; et quand mes péchés mériteraient que je fusse malheureusement trompée et séduite par ses artifices, je ne pourrais me persuader que Dieu eût rejeté les instantes prières que quantité d'âmes trèsferventes lui ont faites depuis deux ans ; car je n'ai point cessé de conjurer tout le monde de lui offrir des voeux pour obtenir de sa bonté qu'il me fit connaître si j'étais dans un bon chemin, afin que, si je m'égarais, il lui plût de me conduire par un autre et de me redresser. Est-il possible, encore un coup, que, si ce qui se passe en moi venait pas de lui, il eût permis que mon égarement augmentât au lieu de diminuer?

Ces considérations, jointes aux raisonnements solides de tant d'hommes très-saints et très-savants que j'ai consultés là-dessus, me rassurent, lorsque ma mauvaise vie m'épouvante et me fait craindre d'être dans l'il

lusion. Mais lorsque je fais actuellement oraison, et les jours que je jouis d'une douce tranquillité, et que je ne pense qu'à Dieu, quand tous les plus savants et les plus saints hommes du monde s'assembleraient pour me convaincre que je suis dans l'erreur, qu'ils me feraient souffrir tous les tourments imaginables pour me contraindre à le croire, et que, de mon côté, je m'efforcerais d'entrer dans leurs sentiments, il me serait impossible d'en venir à bout, et de ne persuader que les faveurs inestimables que je reçois de Dien viennent du démon.

Il est vrai qu'en de certains temps, lorsqu'on a voulu effectivement me l'insinuer, j'ai été agitée de très-grandes craintes, considérant d'une part le mérite et la sincérité de ceux qui entreprenaient de le prouver, et de l'autre que mes péchés pouvaient bien mériter une telle punition; mais une seule de ces paroles surnaturelles ou de ces visions, ou le moindre recueillement effaçait si fort de mon esprit toutes ces craintes, que je me trouvais confirmée plus que jamais dans la croyance que ce qui se passait en moi venait de Dieu.

Ce n'est pas que je ne sache qu'il s'y peut mêler quelquefois certaines choses qui viennent du démon, comme je l'ai vu arriver; mais ces illusions produisent des effets si différents de ceux qui naissent des grâces qu'on reçoit de Dieu, que je ne puis croire qu'une personne qui en a quelque expérience s'y puisse laisser tromper. Je puis cependant vous assurer, mon révérend Père, que, quelque persuadée que je sois que ce qui se passe en moi vient de Dieu, je ne voudrais pour rien au monde m'engager à quoi que ce soit, que mon directeur, qui est meilleur et plus éclairé que moi, n'approuvât et ne jugeât être du service de Dieu. Les grâces que Notre-Seigneur m'a faites m'ont confirmée dans ce sentiment; elles m'ont toujours portée à l'obéissance, et fait sentir le besoin que j'ai de ne rien cacher de tout ce qui m'arrive, aux personnes qui ont la bonté de se charger de ma conduite.

Dans les visions dont Dieu me gratifie, je suis souvent très sévèrement reprise de mes fautes, mais d'une manière qui me pénètre le cœur et qui me touche sensiblement. Les péchés de ma vie passée me sont représentés avec tant d'horreur, que je n'en puis soutenir la vue sans une extrême affliction et amertume de cœur, tant ce spectacle est affreux. D'autres fois je reçois dans ces visions des avis importants qui me découvrent le péril qu'il y a, ou qu'il peut y avoir, dans les affaires que j'ai à traiter.

Quoique je me sois beaucoup étendue sur ce chapitre, il me paraît néanmoins que je ne l'ai pas encore assez détaillé, Jet que j'en dis trop peu, quand je pense à cet admirable changement que j'aperçois en moi au sortir de l'oraison; changement qui n'empêche cependant pas que je ne me trouve ensuite très-imparfaite et très - mauvaise. Peut-être me séduis-je moi-même, faute de

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Il me paraît qu'il y a plus d'un an, mon révérend Père, que j'écrivis la relation (1) jointe à celle-ci: depuis ce temps-là, Dieu m'a tellement soutenue de sa main toutepuissante, qu'au lieu de reculer dans son service, il me semble que je m'y suis beaucoup avancée qu'il soit beni à jamais !

Les visions et les révélations dont le Seigneur me favorisait n'ont point cessé; mais elles sont plus sublimes et plus élevées qu'elles n'étaient. Il m'a aussi enseigné une manière d'oraison plus avantageuse que la première, qui me met dans un plus grand détachement de toute chose, et qui me donne bien plus de courage et de liberté d'esprit.

Mes ravissements sont si fort augmentés, qu'il m'est souvent impossible de les cacher; ils me saisisse nt quelquefois avec tant d'impétuosité, qu'ils me jettent dans le dernier embarras; je perds l'usage de mes sens, et tout ce que je puis faire lorsque je suis en compagnie, est de tâcher de donner à entendre que ce sont les violents maux de cœur auxquels je suis sujette qui me font tomber en défaillance; j'ai toujours un extrême soin d'y résister dans les commencements; mais très-souvent, quelques efforts que je fasse, il n'est pas en mon pouvoir d'y réus

sir.

Dieu m'a fait de très-grandes grâces en ce qui concerne la pauvreté, parce que nonseulement je ne voudrais pas avoir le nécessaire s'il ne me venait d'aumônes, mais je désirerais avec ardeur d'être dans un lieu où l'on ne vécut que de charités; car il me paraît que je ne pratique point si parfaitement les conseils de Jésus-Christ et le veu de pauvreté dans une maison où je suis assurée que rien ne me manquera pour la nourriture et le vêtement, que dans une maison non rentée, où quelque chose pourrait me manquer. Les biens que la véritable pauvreté nous fait acquérir sont si grands et si précieux, que je souhaiterais beaucoup de ne les pas perdre.

La foi que j'ai que les paroles de JésusChrist doivent s'accomplir nécessairement est si vive, que je ne puis croire qu'il abandonne jamais ceux qui le servent fidèle

(1) C'est la relation qui précède.

ment, et qui ont une ferme confiance en sa bonté et aux soins paternels de sa providence. Ainsi, loin de craindre que quelque chose nous puisse manquer, la peine que j'ai lorsqu'on me conseille d'avoir des rentes m'est si sensible, qu'elle me contraint de m'en plaindre à Notre-Seigneur, et d'avoir recours à sa miséricorde.

Je me sens bien plus touchée que je ne l'étais autrefois des nécessités des pauvres ; la compassion que j'ai d'eux, et le désir que j'ai de les soulager me porteraient, sí je suivais mon penchant, à me dépouiller pour les revêtir; je n'ai plus d'horreur de leurs saletés, quoique je les touche et que je m'approche d'eux; en quoi je reconnais que Dieu m'a fait une grâce signalée, parce que, encore que je leur fisse l'aumône pour l'amour de lui, je n'avais pas naturellement pitié de de leurs misères; je ne puis donc douter que le Seigneur ne me l'ait donnée.

Je suis aussi moins imparfaite à l'égard des murmures qui s'élèvent contre moi; car bien qu'ils soient souvent très-considérables et en très-grand nombre, il me paraît que je n'en suis pas plus touchée que si j'étais stupide; insensibilité si grande, que je ne crois pas avoir en cela rien à offrir à NotreSeigneur. Cet état naît très-certainement de l'expérience que j'ai que ces murmures me sont avatangeux, et qu'ils me font avancer dans la vertu, et aussi de ce qu'il me paraît presque toujours qu'on a raison de me blâmer. D'abord je sens une légère émotion qui n'est accompagnée ni de trouble, ni d'inquiétude, et qui ne me cause nulle aversion; mais dès le moment que je commence à faire oraison, tout cela s'efface tellement de mon esprit, que si je m'aperçois qu'on me plaigne, je ne puis m'empêcher d'en. rire en moi-même, tant je fais peu de cas de toutes les injustices qu'on peut nous faire dans ce monde : je les regarde comme un songe qui s'évanouit aussitôt qu'on s'éveille; et elles me paraissent si méprisables qu'elles ne méritent seulement pas qu'on y pense, ni qu'on en ait la moindre peine.

J'ai déjà dit, ce me semble, que Dieu m'a donné plus de désir de le servir, plus d'amour pour la solitude et plus de détachement des choses de la terre, par le moyen des visions dont j'ai parlé: visions qui me font voir si clairement le néant et la vanité de tout ce que le monde estime, que je compte pour peu de me séparer de mes amis, et encore moins de mes proches, dès qu'il s'agit de la gloire ou du service de Dieu. Pour mes proches, ils me sont d'ordinaire fort à charge, surtout lorsqu'ils m'empêchent de rendre à la majesté de Dieu les services dont nous lui sommes redevables. Comme donc je ne suis alors avec eux que malgré moi, je les quitte librement et avec plaisir, et par là je trouve du repos en toutes choses.

J'ai reçu dans l'oraison divers avis qui m'ont été fort utiles: Dieu ne cesse point

de me combler de ses grâces, et de me faire tous les jours de nouvelles faveurs qui m'engagent de plus en plus à son service, quoique je sois encore si imparfaite que d'être trop sensible à la consolation que j'en reçois: néanmoins le peu de pénitence que je fais, et l'honneur qu'on me rend, me donnent une extrême peine.

(Il y avait ici une ligne marquée comme celle-ci.)

Il y a environ neuf mois que j'ai commencé cette lettre depuis ce temps-là, nonseulement Dieu m'a fait la grâce de persé vérer dans son service, mais il m'a donné, si je ne me trompe, une liberté d'esprit supérieure à celle que j'avais ; car m'imaginant avoir besoin des créatures, je m'y confiais; mais je sens bien à présent qu'on doit faire peu de fond sur elles, et qu'elles ne méritent d'être considérées que comme de petits scions de romarin, qui plient dès qu'on veut s'y appuyer, et qui se rompent tout à fait sous le poids du moindre effort et de la moindre contradiction. Ainsi je suis persuadée par ma propre expérience, que le seul moyen de ne pas tomber, c'est de n'avoir d'autre soutien que la croix, et de confiance qu'en celui qui a bien voulu y être attaché pour l'amour de nous. C'est en lui seul que je trouve un ami véritable, et c'est par lui que je me sens tant de courage et tant de fermeté, que, pourvu qu'il ne m'abandonne pas, je me crois assez forte pour résister à toutes les puissances de la terre, si elles étaient soulevées contre moi.

Avant que cette vérité eût fait l'impression qu'elle a faite sur mon esprit, je prenais bien du plaisir à être aimée des créatures; mais à présent, loin de désirer qu'on ait de l'affection pour moi, j'en sens, ce me semble, de la peine, excepté de la part des personnes avec qui je traite de ce qui regarde ma conscience, ou à qui je crois pouvoir être utile; car je suis bien aise d'être aimée des uns, afin qu'ils me souffrent, et des autres, afin qu'ils se laissent plus facilement persuader de ce que je leur dis de la vanité et du néant de tout ce que le monde estime.

Dieu m'a fortifiée de telle sorte dans les persécutions, les contradictions et les travaux que j'ai eu à essuyer depuis quelques mois, que, plus ils étaient grands, plus mon courage s'augmentait, sans que je me sois lassée un moment de souffrir: non-seulement je n'avais nulle peine contre les personnes qui disaient du mal de moi, mais il paraît que je les aimais encore davantage. Je ne sais pas comment cela s'est fait, mais je sais bien que c'est une grâce dont le Seigneur m'a favorisée.

Il s'en faut bien que je sois aussi ardente que je l'étais naturellement dans mes désirs: ils sont présentement si modérés, et je me trouve si tranquille, que lorsqu'ils s'accomplissent, également insensible et à la joie et à la tristesse, je ne m'aperçois presque pas qu'il m'en revienne du plaisir, excepté en

ce qui concerne l'oraison; indifférence qui me fait paraître quelquefois toute stupide, comme en effet je le suis souvent pendant plusieurs jours.

Il me prend en certains temps de si violents désirs de faire des pénitences corporelles, que, si j'en fais quelques-unes, loin d'en ressentir de la peine, j'y trouve presque toujours des délices; j'en fais cependant bien peu, à cause que je suis très-infirme.

La nécessité de manger, qui m'a donné très-souvent une extrême peine, m'en donne à présent une excessive, principalement quand je suis en oraison: pénétrée d'une vive douleur, je ne puis m'empêcher de répandre des larmes, et de témoigner par mes plaintes la tristesse de mon cœur, sans presque savoir ce que je dis, ne pouvant prendre sur moi d'étouffer mon chagrin. Je ne me souviens pourtant pas d'avoir pleuré dans les plus grandes afflictions que j'ai eues, Dieu m'ayant donné une fermeté d'âme qui n'est pas commune parmi les femmes.

Je brûle plus que jamais du désir que Dieu se choisisse des hommes savants, dont il soit servi avec un parfait détachement de toutes les choses visibles qui ne sont que mensonge et amusements d'enfants; je sens l'extrême besoin qu'en a l'Eglise, et j'en suis si touchée, qu'en comparaison je ne le suis presque pas de tout le reste je ne cesse donc point de recommander à Dieu cette affaire, persuadée qu'un de ces hommes excellents, vraiment touché de son amour, fera plus de fruit, et sera plus utile à sa gloire qu'un grand nombre d'autres tièdes ou ignorants.

Comme il paraît que je suis plus ferme que jamais en ce qui regarde la foi, il me paraît aussi que je ne craindrais pas de disputer seule contre tous les luthériens assemblés, pour les convaincre de leur erreur; car je ne puis penser à la perte de tant d'ames, sans être saisie de douleur.

Dieu m'a fait voir clairement qu'il a bien voulu se servir de moi pour faire avancer quantité de personnes dans les voies de la perfection, et que, par un effet de sa pure bonté, il augmente de jour en jour mon amour pour lui.

Il me semble que, quand je m'étudierais à avoir de la vanité, il me serait impossible d'en venir à bout, ne comprenant pas comment il se pourrait faire que je m'aveuglasse au point de m'imaginer que des vertus que je ne possède que depuis peu m'appartiennent, après m'être vue tant d'années sans en avoir une seule, et ne faisant à l'heure qu'il est que recevoir grâces sur grâces, sans rien faire pour Dieu. Par là il est visible que je ne suis propre à quoi que ce soit. Ainsi je considère souvent avec une vraie confusion, que les autres s'avancent sans cesse dans le service de Dieu, et qu'il n'y a que moi qui ne lui rends nul service, et qui ne fais rien pour sa gloire : déclaration qui ne doit pas passer pour humilité, mais pour une vérité si constante, qu'elle me fait souvent trem

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