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mais le diable se soit avisé d'un meilleur noyen pour nuire aux hommes.

O mon Dieu, vous voyez comme on explique vos paroles à contre-sens! Défendez votre propre cause, et ne souffrez pas de telles faiblesses en des personnes consacrées à votre service.

Renoncez donc, mes sœurs, à toutes ces craintes; méprisez ces opinions vulgaires; considérez que nous ne sommes pas dans un temps où il faille ajouter foi à toutes sortes de personnes, mais seulement à ceux qui conforment leur vie à la vie de JésusChrist tâchez de conserver toujours votre conscience pure; fortifiez-vous dans l'humilité; foulez aux pieds toutes les choses de la terre; demeurez inébranlables dans la foi de la sainte Eglise, et ne doutez point, après cela, que vous ne soyez dans le bon chemin. Je le répète encore: renoncez à toutes ces craintes dans les choses où il n'y a nul sujet de crainte; et si quelques-uns tâchent de vous en donner, faites-leur connaître avec bumilité quel est le chemin que vous tenez dites-leur, comme il est vrai, que votre règle vous ordonne de prier suns cesse; que vous êtes obligées de la garder: que s'ils vous répondent que cela s'entend de prier vocalement, demandez-leur s'il faut que l'esprit et le cœur soient attentifs aussi bien dans les prières vocales que dans les autres; et s'ils répondent que oui, comme ils ne sauraient ne le point faire, vous connattrez qu'ils sont contraints d'avouer qu'en faisant bien l'oraison vocale, vous ne sauriez ne pas faire la mentale, et que vous pourrez passer même jusqu'à la contemplation, s'il plaît à Dieu de vous la donner. Qu'il soit béni éternellement.

Encore une fois, c'est une chose étrange que les hommes, ne considérant pas que le démon tente et trompe encore plus les âmes qui ne sont point dans l'exercice de l'oraisou, que celles qui y sont, s'étonnent davantage de voir un seul de ceux qui marchaient par ce chemin, et dont la vie avait paru sainte, tomber dans l'illusion, que d'en voir cent mille qui, étant hors de ce chemin, sont trompés par cet esprit malheureux, et vivent dans des péchés et des désordres publics, en marchant dans une voie que l'on ne saurait douter qui ne soit très-mauvaise. C'est qu'il est ordinaire aux hommes de ne point remarquer ce qu'ils voient à tout moment, et de s'étonner, au contraire, de ce qu'ils ne voient presque jamais; ajoutez que les démons ont tant d'intérêt d'imprimer cet étonnement dans leur esprit, parce qu'ils savent qu'une seul âme arrivée à la perfection, sera capable le leur en faire perdre beaucoup d'autres en les délivrant de leur servitude. Cela, dis-je, est si étonnant, que je ne m'étonne pas qu'on s'en étonne, puisque ceux qui marchent par le chemin de l'oraison n'ont pas moins d'avantage sur les autres, que ceux qui regardent le combat des taureaux de dessus un échafaud, en ont sur ceux qui, étant au milieu de la place, sont exposés aux coups de leurs cornes.

C'est une comparaison qu'il me souvient d'avoir out faire sur ce sujet, et qui me semble fort juste.

Ne craignez donc point, mes sœurs, de marcher par ce chemin, ou, pour mieux dire, par l'un de ces chemins de l'oraison; car il y en a plusieurs; les uns se trouvent bien d'aller par l'un, et les autres par un autre. Croyez-moi, c'est une voie extrêmement sûre; et vous serez beaucoup plus tôt délivrées des tentations lorsque vous approcherez de Notre-Seigneur par l'oraison, que quand vous serez éloignées de lui.

CHAPITRE II.

Fl n'y a point de véritable oraison vocale sans la mentale: injustice des hommes qui blament l'oraison mentale.

La différence de l'oraison ne doit pas se prendre de notre voix et de nos paroles, en sorte que lorsque nous parlons, elle soit vocale, et que lorsque nous nous taisons, elle soit mentale; car si, en priant vocalement, je m'occupe toute à considérer que je parle à Dieu, si je me tiens en sa présence, et si je suis plus attentive à cette considération qu'aux paroles mêmes que je prononce, c'est alors que l'oraison mentale et la vocale se trouvent jointes; si ce n'est qu'on voulût nous faire croire que l'on parle à Dieu, quand, en prononçant le Pater, on pense au monde, auquel cas je n'ai rien à dire. Mais, si en parlant à un si grand Seigneur, vous voulez lui parler avec le respect qui lui est dû, ne devez-vous pas considérer quel il est, et quelles vous êtes? Car comment pourrezvous parler à un roi et lui donuer le titre de majesté; ou comment pourrez-vous garder les cérémonies qui s'observent en parlant aux grands, si vous ignorez combien leur qualité est élevée au-dessus de la vòtre puisque ces cérémonies dépendent ou de la différence des qualités, ou de la coutume et de l'usage?

Quelle ridicule ignorance, serait-ce, 6 mon Seigneur, que celle-là? quelle sotte simplicité serait-ce, ô mon souverain monarque, et comment pourrait-elle se souffrir? Vous êtes roi, 6 mon Dieu! mais un roi tout-puissant et éternel, parce que vous ne tenez de personne le royaume que vous possédez, el je n'entends presque jamais dans le Credo, votre royaume n'aura point de fin, sans en ressentir une joie toute particulière. Je vous loue, mon Dieu, et je vous bénis toujours, parce que votre royaume durera toujours; mais ne permettez pas, mon Sauveur, que ceux-là puissent passer pour bons, qui, lorsqu'ils parlent à vous, vous parlent seulement avec les lèvres.

Que pensez-vous dire, Chrétiens, quand vous dites qu'il n'est pas besoin de faire l'oraison mentale? Vous entendez-vous bien vous-mêmes? Quelqu'un oserait-il soutenir que ce fût mal fait, avant de commencer à dire ses Heures ou à réciter le Rosaire, de penser à celui à qui nous allons parler, et

de nous remettre devant les yeux quel il est et quels nous sommes, afin de considérer de quelle sorte nous devons traiter avec lui? Cependant, il est vrai que si l'on s'acquitte bien de ces deux choses, il se trouvera qu'avant de commencer l'oraison vocale, Vous aurez employé quelque temps à la mentale.

O mon souverain monarque, puissance infinie, immense bonté, suprême sagesse, principe sans principe, abime de merveilles, beauté source de toute beauté, force qui est la force même! grand Dieu, dont les perfections sont également indéterminées et incompréhensibles! quand toute l'éloquence humaine et toutes les connaissances d'ici-bas seraient jointes ensemble, comment pourraient-elles nous faire comprendre la moindre de tant de perfections qu'il faudrait connaître pour savoir, en quelque manière, quel est ce roi par excellence qui fait seul tout notre bonheur et toute noire félicité, et qui n'est autre que

vous-même?

Lorsque vous vous approchez, mes filles, de cette éternelle Majesté, si vous considérez attentivement à qui vous allez parler, et ensuite à qui vous parlez, le temps de mille vies, telle qu'est la nôtre, ne suffirait pas pour vous faire concevoir de quelle sorte il mérite d'être traité; lui, devant lequel les anges tremblent, lui, qui commande partout, qui peut tout, et en qui le vouloir et l'effet ne sont qu'une même chose. N'est-il donc pas raisonnable, mes filles, que nous nous réjouissions des grandeurs de notre Epoux, et que, considérant combien nous sommes heureuses d'être ses épouses, nous menions une vie conforme à une condition si relevée ?

Hélas! mon Dieu, puisque dans le monde, lorsque quelqu'un recherche une fille, on commence par s'informer de sa qualité et de son bien, pourquoi nous, qui vous sommes déjà fiancées, ne nous informerons-nous pas de la condition de notre époux, avant que le mariage s'accomplisse et que nous quittions tout pour le suivre? Si on le permet aux filles qui doivent épouser un homme mortel, nous refusera-t-on la liberté de nous informer qui est cet homme immortel que nous prétendons d'avoir pour époux; quel est son père; quel est son pays où il veut nous emmener avec lui; quelle est sa quaJité; quels sont les avantages qu'il nous promet, et surtout quelle est son humeur, afin d'y conformer la nôtre et nous efforcer de lui plaire en faisant tout ce que nous saurons lui être le plus agréable ? On ne dit autre chose à une fille, sinon que pour être heureuse dans son mariage, il faut qu'elle s'accommode à l'humeur de son mari, quand même il serait d'une condition beaucoup inférieure à la sienne; et l'on veut, ô mon divin Epoux ! que nous fassions moins pour vous contenter, et vous traitions avec nn moindre respect que l'on ne traite les hommes. Mais quel droit ont-ils de se mêler de ce qui regarde vos épouses? Ce n'est pas à eux, c'est à vous seul qu'elles doivent

se rendre agréables, puisque c'est avec vous qu'elles doivent passer leur vie.

CHAPITRE III.

Peines des personnes qui sont partagées entre Dieu et le monde, et combien il leur importe de ne point abandonner l'oraison.

Je voudrais que mes confesseurs m'eussent permis de rapporter en détail tous les péchés que j'ai commis durant le temps où j'étais partagée entre Dieu et le monde, pour ne m'être pas appuyée à cette inébranlable colonne de l'oraison. Je passai près de vingt ans sur cette mer agitée par de continuels orages; mes chutes étaient grandes, je ne mo relevais que faiblement je retombais aussitôt dans un état si déplorable, que jo ne tenais point de compte des péchés véniels; et, quoique j'appréhendasse les mortels, ce n'était pas autant que je l'aurais dû, puisque je ne m'éloignais pas des occasions qui me mettaient en danger de les commet→ tre. C'était, à mon avis, l'un des états les plus pénibles que l'on puisse s'imaginer, parce que je ne goûtais ni la joie de servir Dieu fidèlement, ni le plaisir que donnent les contentements du monde. Lorsque j'étais engagée dans ces derniers, le souvenir de ce que je devais à Dieu me troublait ; et quand j'étais avec Dieu dans l'oraison, ces affections du monde m'inquiétaient : c'était une guerre si pénible, que je ne sais com. ment je pus la soutenir non-seulement durant vingt ans, mais durant un mois. Cela me fait voir clairement la grandeur de la miséricorde que Dieu m'a faite en me donnant le courage de continuer à faire oraison, lorsque j'étais si malheureusement engagée dans le commerce du monde.

Deux raisons m'ont obligée à rapporter ceci, l'une pour faire voir la miséricorde de Dieu et mon ingratitude, et l'autre pour faire connaître combien grande est la grâce dont il favorise une âme lorsqu'il la dispose à s'attacher à l'oraison, quoique ce ne soit pas aussi parfaitement qu'il serait à désirer; car, pourvu qu'elle persévère nonobstant les tentations, les chutes et les péchés où le diable la fait tomber par ses artifices, je ne doute point que Notre-Seigneur ne la conduise enfin au port, ainsi que j'ai sujet de croire qu'il lui a plu de m'y conduire.

Je suis donc assurée, par l'expérience que j'en ai, que ceux qui ont commencé à faire oraison ne doivent point la discontinuer, quelques fautes qu'ils y commettent, puisque c'est le moyen de s'en corriger, et que sans cela ils n'y réussiraient qu'avec beaucoup plus de peine qu'ils prennent encore garde à ne pas se laisser tromper par le démon, lorsque, sous prétexte d'humilité, il les tentera comme il m'a tentée d'abandonner ce saint exercice. Quant à ceux qui n'ont pas encore commencé à le pratiquer, je les conjure au nom de Dieu de ne pas se priver d'un si grand avantage : il n'y a en cela que tout sujet de bien espérer, et rien à crain

:

dre et d'ailleurs, quoiqu'on n'avance pas beaucoup dans ce chemin, et que l'on ne fasse pas assez d'efforts pour se rendre digne des faveurs particulières, on connaîtra au moins le chemin du ciel; et si l'on continue d'y marcher, cette persévérance ne sera pas vaine, parce que Dieu ne manque jamais de récompenser l'amour qu'on lui porte, et que l'oraison mentale n'est autre chose, à mon avis, que de témoigner dans ces fréquents entretiens que l'on a seul à seul avec Jui, combien on l'aime et la confiance que l'on a d'en être aimé.

O mon Seigneur et mon Dieu ! vous dont la vue fait la félicité des anges, je ne saurais penser à vous sans souhaiter de pouvoir fondre, comme de la cire, au feu de votre divin amour. Vous souffrez, mon Sauveur, une créature qui ne peut souffrir que vous soyez avec elle; non-seulement vous ne la rejetez pas, mais vous lui faites des faveurs, vous attendez avec patience qu'elle s'approche de vous; vous lui tenez compte des moments où elle vous témoigne de l'amour, et un léger repentir vous fait oublier toutes ses fautes. Je l'ai éprouvé, mon Créateur, et je ne comprends pas comment tout le monde ne tache point de s'approcher de vous. Les méchants, qui sont si éloignés de vous par leurs mauvaises habitudes, doivent s'en approcher, afin que vous les rendiez bons, et que vous souffriez d'étre avec eux durant quelques heures en chaque jour, quoiqu'ils ne soient pas avec vous, ou que s'ils y sont, ce ne soit, comme j'y étais, qu'avec mille distractions que les soins et les pensées du monde leur donnent. Je sais qu'ils ne sauraient, au commencement, ni quelquefois même dans la suite, se défendre de ces distractions; mais, pour les récompenser de la violence qu'ils se font pour demeurer avec vous, vous empêchez les démons de les attaquer aussi fortement qu'ils feraient; vous diminuez le pouvoir que ces esprits de ténèbres auraient de leur nuire, et vous donnez enfin à ces ames le pouvoir de les surmonter et de les vaincre.

Il m'est arrivé quelquefois, durant plusieurs années, de désirer tellement que le temps d'une heure, que je m'étais prescrit pour faire oraison, fût achevé, que j'étais plus attentive à écouter quand l'heure sonnerait qu'aux sujets de ma méditation, et il n'y a point de pénitence, quelque rigoureuse qu'elle fût, que je n'eusse souvent plutôt acceptée que la peine que j'avais à me retirer dans mon oratoire pour y prier. J'avais besoin, pour m'y résoudre, de tout le courage que Dieu m'a donné, et que l'on dit aller beaucoup au delà de mon sexe: mais enfin Notre-Seigneur m'assistait; car après m'être fait cette violence, je me trouvais tranquille et consolée, et j'avais même quelquefois le désir de prier..

Si l'oraison est donc si nécessaire et si utile à ceux qui non-seulement ne servent pas Dieu, mais qui l'offensent, comment ceux qui le servent pourraient-ils la quitter sans en recevoir un grand préjudice ? Ce serait se priver de la consolation la plus capa

ble de soulager les travaux de cette vie, et comme vouloir fermer la porte à Dieu lorsqu'il vient pour nous favoriser de ses grâces.,

CHAPITRE IV.

Continuation de l'oraison durant les infir mités.

Les infirmités ne doivent point nous dispenser de continuer à faire oraison, puisque l'on n'y a point besoin de forces corporelles, qu'il ne faut que de l'amour, et que, pourvu qu'on le veuille et qu'on ne se décourage point, Dieu donne toujours le moyen de s'y occuper. Je dis toujours, parce que la vio lence des maux empêche bien quelquefois, il est vrai, l'âme de rentrer en elle-même, mais elle ne laisse pas de trouver d'autres moments où elle le peut, même au milieu des douleurs; et jamais l'oraison n'est plus parfaite qu'en ces rencontres où une âme, qui aime Dieu véritablement, offre avec joie à Jésus-Christ ces mêmes douleurs dans la vue que c'est pour se conformer à sa volonté qu'elle les souffre, qu'elle devient en quelque sorte, par ce moyen, semblable à lui; et mille autres pensées qui se présentent à elle dans ce divin commerce de l'amour qu'elle a pour son Dieu,

Ainsi l'on voit que ce n'est pas seulement dans la solitude que l'on peut pratiquer utilement l'oraison; mais qu'avec un peu de soin, on tire aussi de grands avantages des temps même où Notre-Seigneur nous ôte celui de la faire par les souffrances qu'il nous envoie.

CHAPITRE V.

Les sécheresses dans l'oraison ne doivent ni nous étonner ni nous décourager.

Un homme ne doit point se déterminer, par la sécheresse qu'il éprouve, à abandonner l'exercice de l'oraison; quand même cette sécheresse durerait toujours, il doit la considérer comme une croix qu'il lui est avantageux de porter, et que Jésus-Christ lui aide à soutenir d'une manière invisible. On ne peut rien perdre avec un si bon maître; et un temps viendra où il payera avec usure les services qu'il lui aura rendus. Que les mauvaises pensées ne l'étonnent done point, mais qu'il se souvienne que le démon en donnait à saint Jérôme au milieu même du désert. J'ai souffert ces peines durant plusieurs années, et je sais qu'elles sont trèsgrandes; mais j'ai reconnu clairement que Dieu les récompense avec tant de libéralité, même dès cette vie, qu'une heure des consolations qu'il m'a données depuis dans l'oraison, m'a payée de tout ce que j'y avais souffert durant si longtemps. Notre-Seigneur permet que ces peines et plusieurs autres tentations arrivent aux uns au commencement, et aux autres dans la suite de leur exercice en l'oraison; et cette conduite de Dieu sur nous est sans doute pour notre

avantage; les grâces dont il a dessein de nous honorer dans la suite étant si grandes, il veut auparavant nous faire éprouver quelle est notre misère, afin qu'il ne nous arrive pas ce qui arriva à Lucifer.

Que faites-vous, Seigneur, qui ne soit pour le plus grand bien d'une ame, lorsque vous connaissez qu'elle est à vous, qu'elle s'abandonne entièrement à votre volonté, qu'elle est résolue de vous suivre partout jusqu'à la mort et à la mort de la croix, de vous aider à porter cette croix, et enfin, de ne vous abandonBer jamais ?

Ceux qui ont pris cette généreuse résolution et qui ont ainsi renoncé à tous les sentiments de la terre, pour n'en avoir que de spirituels, n'ont rien à craindre car qui peut affliger ceux qui considèrent avec mépris tous les plaisirs que l'on goûte dans le monde, et n'en recherchent point d'autres que de converser seuls avec Dieu ? Le plus difficile est fait alors. Rendez-en grâces, bienheureuses âmes, à sa divine majesté: confiez-vous en sa bonté qui n'abandonne jamais ceux qu'elle aime, et gardez-vous bien d'entrer dans cette pensée : Pourquoi donne-t-il à d'autres en si peu de jours tant de dévotion, et ne me la donne-t-il pas en tant d'années? Croyons que c'est pour notre plus grand bien, et puisque nous ne sommes plus à nous-mêmes, mais à Dieu, laissons-nous conduire par lui comme il lui plaira.

Il faut remarquer avec grand soin, et l'expérience que j'en ai fait que je ne crains point de dire qu'une âme qui commence à marcher dans ce chemin de l'oraison mentale avec une ferme résolution de continuer, et de ne pas faire grand cas des consolations et des sécheresses qui s'y rencontrent, ne doit pas craindre, quoiqu'elle bronche quelquefois, de retourner en arrière, ni de voir renverser cet édifice spirituel qu'elle commence, parce qu'elle båtit sur un fondement inébranlable; car l'amour de Dieu ne consiste pas à répandre des larmes, ni en cette satisfaction et cette tendresse que nous ne désirons que parce qu'elles nous consolent; mais il consiste à servir Dieu avec courage, à exercer la justice, à pratiquer l'humilité; autrement il me semble que ce serait tou jours vouloir recevoir, et jamais ne rien donner.

Pour des femmes faibles comme moi, je crois qu'il est bon que Dieu les favorise par des consolations, afin de leur donner la force de supporter les travaux qu'il lui plait de leur envoyer; mais je ne saurais souffrir que des hommes savants, de grand esprit, et qui font profession de servir Dieu, fassent tant de cas de ces douceurs qui se trouvent dans la dévotion, et se plaignent de ne les point avoir. Je ne dis pas que, s'il plaît à Dieu de les leur donner, ils ne doivent les recevoir avec joie ; je dis seulement que, s'ils ne les ont pas, ils ne s'en mettent point en peine, mais qu'ils croient qu'elles ne leur sont point nécessaires, puisque Notre-Seigneur ne les leur accorde pas qu'ils deweurent tranquilles et considèrent l'inquié

tude et le trouble d'esprit comme une faute et une imperfection qui ne convient qu'à des âmes lâches, ainsi que je l'ai vu et éprouvé.

Je ne dis pas tant ceci pour ceux qui commencent, que pour ce grand nombre d'autres qui, après avoir commencé à marcher, n'avancent point. Aussitôt que leur entendement cesse d'agir, ils s'imaginent qu'ils ne font rien, ils s'affligent, quoique ce soit peut-être alors que leur volonté se fortifie sans qu'ils s'en aperçoivent; ce qu'ils considèrent comine des manquements et des fautes, n'en sont point aux yeux de Dieu; il connaît mieux qu'eux-mêmes leur misère et se contente du désir qu'ils ont de penser toujours à lui et de l'aimer; c'est la seule chose qu'il demande d'eux; et ces tristesses ne servent qu'à inquiéter l'âme et à la rendre encore plus incapable de s'avancer.

Je puis dire avec certitude, comme le sachant par diverses observations que j'en ai faites, et par les conférences que j'ai eues avec des personnes fort spirituelles, que cet état de sécheresse vient souvent de l'indisposition du corps. Notre misère est si grande, que tandis que notre âme est enfermée dans cette prison, elle participe à ses infirmités; le changement du temps et la révolution des humeurs font que, sans qu'il y ait de sa faute, elle ne peut faire ce qu'elle voudrait et souffre en diverses manières. Alors, plus on la veut contraindre, plus le mal augmente; ainsi, il est besoin de discernement pour connaître quand la faute procède de là, et ne pas achever d'accabler l'âme. Ces personnes doivent se considérer comme malades changer même durant quelques jours l'heure de leur oraison, et passer comme elles pourront un temps si fâcheux.

J'ai dit qu'il fallait user de discernement, parce qu'il arrive quelquefois que c'est le démon qui est auteur de ce mal; ainsi il ne faut pas toujours quitter l'oraison, quoique l'esprit soit distrait et dans le trouble; mais aussi il ne faut pas toujours gêner une âme en exigeant ce qui est au-dessus de ses forces. Il est des euvres extérieures de charité, et des lectures auxquelles elle pourra s'occuper alors; si elle n'est pas même capable de cela, elle doit s'accommoder, pour l'amour de Dieu, à la faiblesse de son corps, afin de le rendre capable de la servir à son tour. Il faut se récréer par de saintes conversations, et même prendre l'air de la campagne, si le confesseur en est d'avis: l'expérience nous apprend ce qui nous convient le plus en cela. En quelque état que l'on se trouve, on peut servir Dieu, son joug est doux, et il importe extrêmement de ne pas gêner l'âme et de la conduire avec douceur à ce qui lui est le plus utile.

Je le répète encore, et ne saurais trop le répéter: il ne faut ni s'inquiéter ni s'affliger de ces sécheresses, de ces inquiétudes et de ces distractions; notre esprit ne saurait se délivrer de ces sortes de peines qui le contraignent, et acquérir une heureuse liberté, s'il ne commence à ne point appréhender les croix; car alors Noire-Seigneu

lui aidera à les porter, et sa tristesse se convertira en joie.

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CHAPITRE VI.

Etat et tentation des âmes qui, après avoir renoncé au péché, travaillent à s'unir plus parfaitement à Dieu dans l'oraison.— Conseils et exhortations de la sainte.

Dans quel trouble et quelle peine les esprits de ténèbres ne jettent-ils point ces pauvres âmes? D'un côté la raison leur représente que tout ce qu'il y a dans le monde doit être considéré comme un néant, en comparaison du bonheur où elles aspirent; la foi leur apprend que ce bonheur doit être l'objet de tous leurs désirs; la mémoire leur fait voir à quoi se terminent toutes les choses d'ici-bas, ceux qui sont tombés d'une très-grande prospérité dans une extrême misère; tant de morts subites de ceux qui étaient plongés dans les délices, ces corps nourris avec tant de délicatesse, maintenant la pâture des vers dans le tombeau, et autres choses semblables. La volonté les porte à aimer celui dont non-seulement elles ont reçu l'être et la vie, mais qui leur a donné tant d'autres preuves de son amour. L'entendement leur fait connaître que, quand elles vivraient des siècles entiers, elles ne sauraient acquérir un ami si fidèle et si véritable; que le monde n'est que vanité et que mensonge; que les plaisirs que le démon leur promet et les peines dont il les veut effrayer, ne sont que des illusions; qu'il y aurait de l'imprudence d'aller chercher hors de sa maison ce dont on abonde chez soi, et de se réduire, comme l'enfant prodigue, à manger du gland avec les pourceaux, après avoir dissipé tout son bien : ces raisons sont si fortes, qu'elles devraient suffire à ces âmes, pour leur faire vaincre les démons. Mais, mon Seigneur et mon Dieu, la coutume que la vanité a établie est si forte et si généralement reçue, qu'elle renverse tout, parce que la foi étant comme morte, nous préférons ce que nous voyons à ce qu'elle nous enseigne.

Quel besoin, mon divin Sauveur, l'âme n'a-t-elle point en cet état de votre secours? Ne souffrez donc pas, s'il vous plaît, qu'elle abandonne son entreprise; faites-lui connaître que tout son bonheur en dépend, combien il lui importe de se séparer des inauvaises compagnies, et de se tenir toujours sur ses gardes. Si le diable la voit absolument résolue à tout souffrir et à mourir plutôt que de retourner en arrière, il la laissera bientôt en repos.

C'est ici qu'il faut que l'âme témoigne sa générosité, et ne ressemble pas à ces lâches soldats que Gédéon renvoya lorsqu'il allait au combat ; il ne faut point qu'elle se propose des contentements et des plaisirs ; et n'est-ce pas une chose plaisante que nos vertus ne faisant que de naître, et étant encore mêlées de mille imperfections, nous osions prétendre trouver des douceurs dans

l'oraison et nous plaindre de nos sécheresses ? Qu'il ne vous arrive jamais, mes sœurs, d'en user ainsi. Embrassez la croix que votre Epoux a portée; n'oubliez jamais que c'est ce à quoi vous vous êtes si solennellement engagées, et que celles qui pourront souffrir davantage pour l'amour de lui, s'estiment les plus heureuses; c'est là le capital; et vous ne devez considérer tout le reste que comme un accessoire dont vous lui rendrez de grandes actions de grâces s'il vous en favorise.

Il vous semblera peut-être, mes sœurs, que, pourvu que vous receviez de Dieu des extérieures que vous ne soyez résolues de faveurs intérieures, il n'y a point de peines souffrir; mais il connaît mieux que nous ce qui nous est propre; il ne nous appartient pas de lui donner conseil, et il peut nous dire avec raison que nous ne savons ce que nous demandons. N'oubliez jamais, je vous prie, puisqu'il vous importe tant de vous faire oraison doivent travailler de tout leur en souvenir, que ceux qui commencent à Dieu, et croire fermement que c'est en quoi pouvoir à conformer leur volonté à celle de puisse acquérir dans cet exercice spirituel consiste la plus grande perfection que l'on et ce chemin qui conduit au ciel.

J'ai dit ailleurs plus amplement comment on doit se conduire dans ces tentations que le diable suscite pour nous troubler dans l'oraison, et que ce n'est pas avec violence, mais avec douceur qu'il faut travailler à se qu'il est très-avantageux d'en communiquer recueillir. Je me contenterai de dire ici avec des personnes qui en aient l'expérience. Si vous vous imaginez qu'il puisse arriver choses qui ne sont point essentielles, je vous un fort grand mal de manquer à certaines point l'exercice de l'oraison, Dieu les fera assure que, pourvu que vous ne quittiez réussir à votre avantage; et si vous aviez abandonné l'oraison, il n'y aurait d'autre remède pour empêcher que peu à peu vos chutes ne se multipliassent, que de rentrer dans l'exercice de l'oraison. Dieu veuille vous bien faire comprendre une vérité si importante!

CHAPITRE VII.

Erreur des auteurs qui conseillent de ne point envisager l'humanité de Notre-Seigneur dans l'oraison.

Dieu

Je remarquerai une chose qui me paraît importante, et qui pourra servir d'un avis utile à quelques personnes; c'est ce que l'on voit dans certains livres, que quoiqu'une âme ne puisse par elle-même parvenir au plus haut degré de l'oraison, parce que c'est une chose surnaturelle et que seul opère, elle pourra néanmoins y contribuer en élevant avec humilité son esprit au-dessus de toutes les choses créées, après avoir passé plusieurs années dans la vie purgative, et s'être avancée dans l'illuminative, qui est un mot que je n'entends pas bien,

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