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y pensait le moins (avec quelques voisins), grand conflit, grand débat, que le peuple accommoda en les payant tous, et tous ceux qui s'étaient mêlés de l'affaire; tant il est de bonne nature; peuple charmant, léger, volage, muable, variable, changeant, mais toujours payant. Qui l'a dit ? Je ne sais, Bonaparte ou quelque autre: le peuple est fait pour payer; et lisez là-dessus, si vous en êtes curieux, un chapitre du testament de ce grand cardinal de Richelieu, dans lequel il examine, en profond politique et en homme d'état, cette importante question, Jusqu'à quel point on doit permettre que le peuple soit à son aise. Trop d'aise le rend insolent; il faut le faire payer pour lui ôter ce trop d'aise. Trop peu l'empêche de payer; il faut lui laisser quelque chose, comme aux abeilles on laisse du miel et de la cire. Il lui faut même encore, sans quoi il ne travaillerait, n'amasserait, ni ne paierait, un peu de liberté. Mais combien, c'est là le point. M. Decazes nous le dira. En attendant nous lui payon's, bon an mal an, neuf cents millions, et s'il payait comme nous tout ce qu'on lui demande, il aurait bien moins de querelles.

A vrai dire aussi, on le chicane sur l'emploi de ces neuf cents millions. Le meilleur usage qu'il en pût faire, ce serait, selon moi, de les jouer au biribi, ou d'en entretenir des nymphes d'Opéra, à l'insu de madame la comtesse. Cela serait

tout-à-fait dans le bel air de la cour, et vaudrait mieux pour nous que de le voir donner notre argent à des soldats qui communient et nous suicident dans les rues, qui escortent la procession et nous coupent le nez en passant; à des juges qui appliquent la loi si rudement aux uns, si doucement aux autres; à des prêtres qui ne nous enterrent que quand nous mourons à leur guise et en restituant. Il arriverait que bientôt, ne comptant plus sur ces gens-là, nous essaierions de nous en passer, de nous garder, de nous juger, de nous enterrer les uns les autres, et, en un besoin, de nous défendre nous-mêmes sans soldat; seul moyen, ce dit-on, d'être bien défendus, et tout en irait mieux. La cour passerait le temps gaiement, sans s'embarrasser de contenter les puissances étrangères. Voilà le conseil que je donne à M. Decazes, par la voie de votre journal. Mais M. Decazes ne vous lit point; il travaille avec Mademoiselle.

Au reste, il est bien vrai, monsieur, et vous avez raison de le dire, que nous sommes un peuple religieux, et plus que jamais aujourd'hui. Nous gardons les commandemens de Dieu bien mieux depuis qu'on nous prêche moins. Ne point voler, ne point tuer, ne convoiter la femme ni l'âne, honorer père et mère, nous pratiquons tout cela mieux que n'ont fait nos pères, et mieux que ne font actuellement, non tous nos prètres,

mais quelques-uns revenus de lointain pays. Rarement à courir le monde devient-on plus homme de bien; mais un ecclésiastique, dans la vie vagabonde, prend d'étranges habitudes. Messire Jean Chouart était bon homme, tout à son bréviaire, à ses ouailles; il était doux et humble de cœur, secourait l'indigent, confortait le dolent, assistait le mourant; il apaisait les querelles, pacifiait les familles: le voilà revenu d'Allemagne ou d'Angleterre, espèce de hussard en soutane, dont le hardi regard fait rougir nos jeunes filles et dont la langue sème le trouble et la discorde; hardi, querelleur, cherchant noise; c'est un drôle qui n'a pas peur, tout prêt à faire feu sur les bleus, au premier signe de son évêque. Tels sont nos prêtres de retour de l'émigration. Ils ont besoin de bons exemples et en trouveront parmi nous. Mais si nous sommes plus forts qu'eux sur les commandemens de Dieu, ils nous en remontrent à leur tour sur les commandemens de l'Église, qu'ils se rappellent mieux que nous, et dont le principal est, je crois, donner tout son bien pour le Ciel. Vous me demandez, disait ce bon prédicateur Barlette, comment on va en paradis? Les cloches du couvent vous le disent: donnez, donnez, donnez. Le latin du moine est joli. Vos quæritis a me, fratres carissimi, quomodò itur ad paradisum? Hoc dicunt vobis campano monasterii, dando, dando, dando.

LETTRE VIII.

Véretz, 20 décembre 1819.

MONSIEUR,

Chacun ici commente à sa manière le discours

royal d'ouverture. Il y a des gens qui disent: On ne restaure point un culte. Les ruines d'une maison, c'est le mot du bonhomme, se peuvent réparer, non les ruines d'un culte. Dieu a permis que l'église romaine, depuis le temps de Léon X, déchut constamment jusqu'à ce jour. Elle ne péira point, parce qu'il est écrit: Les portes de lenfer....; mais sont-ce nos ministres qui la doivent relever avec le télégraphe, ou M. de Marcdlus avec quelques grimaces? Pour restaurer le paganisme à Rome, les empereurs firent tout cequ'ils purent, et ils pouvaient beaucoup; ils n'en vinrent point à bout. Marie, en Angleterre, et c'autres souverains, essayèrent aussi de restauer l'ancien culte; ils n'y réussirent pas, et mène, comme on sait, mal en prit à quelquesuns. En matière de religion, ainsi que de langage, le peuple fait loi; le peuple de tout temps a converti es rois. Il les a faits chrétiens de païens

qu'ils étaient; de chrétiens catholiques, schismatiques, hérétiques; il les fera raisonnables, s'il le devient lui-même; il faut finir par là.

D'autres disent: Il y aurait moyen, si on le voulait tout de bon, de rallumer le zèle dans les cœurs un peu tièdes pour la vraie religion; le moyen serait de la persécuter: infaillible recette, éprouvée mille fois, et même de nos jours. La religion doit plus aux gens de 93 qu'à ceux de 1815. Si elle languit encore, et s'il faut un peu d'aide au culte dominant, comme l'assurent les ministres, la chose est toute simple. Au lieu de gager les prêtres, mettez-les en prison et défendez la messe; demain le peuple sera dévot, autant qu'il le peut être à présent qu'il travaille; car l'abbé de La Mennais a dit une vérité: Le mal de notre siècle, en fait de religion, ce n'est pas l'hérésie, l'erreur, les fausses doctrines; c'est bien pis, c'est l'indifférence. La froide indifférence a gagné toutes les classes, tous les individus, sans même en excepter l'abbé de La Mennais et d'autres orateurs de la cause sacrée, qui ne s'en soucent pas plus, et le font assez voir. Ces amis de l'autel ne s'en approchent guère: Je ne remarque point qu'ils.hantent les églises. Quel est le confesseur de M. de Châteaubriand? Certes ceux qui nous prêchent ne sont pas des Tartufes, ce ne sont pas des gens qui veuillent en imposer. A leurs œuvres on voit qu'ils seraient bien fâclés de

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