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reur du roi : avec ce que je vous ai transcrit, il y a quelque chose encore. Il y a d'abord ceci : Le procureur du roi, à M. le commandant de la gendarmerie. Monsieur le commandant; et puis, j'ai l'honneur d'étre, Monsieur le commandant avec considération, votre très-humble et trèsobéissant serviteur.

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Le tout s'accorde parfaitement avec veuillez mettre en prison. Veuillez, c'est comme on dit : faites moi l'amitié, obligez-moi de grace, rendezmoi ce service, à la charge d'autant. Je suis votre serviteur, cela s'entend. Il est serviteur du gendarme qui, au besoin, sera le sien; ils sont serviteurs l'un de l'autre contre l'administré qui les paie tous deux; car l'homme qu'on emprisonne est un cultivateur. C'est un bon paysan qui a déplu au maire en lui demandant de l'argent. Celui-ci, par le moyen du procureur du roi, dont il est serviteur, a fait juger et condamner l'insolent vilain, que ledit procureur du roi, par son serviteur le gendarme, a fait constituer ès-prisons. C'est l'histoire connue; cela se voit par

tout.

Oh! que nos magistrats donnent de grands exemples! quelle sévérité! quelle exactitude scrupuleuse dans l'observation de toutes les formes de la civilité! Celui-ci peut-être oublie dans sa lettre quelque chose, comme de faire mention d'un jugement; mais il n'oubliera pas le très

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humble serviteur, l'honneur d'être, et le reste, bien plus important que le jugement, et tout, pour monsieur le gendarme. Au bourreau, sans doute, il écrit: Monsieur le bourreau, veuillez tuer, et je suis votre serviteur. Les procureurs du roi ne sont pas seulement d'honnêtes gens, ce sont encore des gens fort honnêtes. Leur correspondance est civile comme les parties de monsieur Fleurant. Mais on pourrait leur dire aussi comme le malade imaginaire, ce n'est pas tout d'être civil, ce n'est pas tout pour un magistrat d'être serviteur des gendarmes; il faudrait être bon et ami de l'équité.

LETTRE VI.

Véretz, 12 novembre 1819.

MONSIEUR,

Dans ces provinces, nous avons nos bandes noires, comme vous à Paris, à ce que j'entends dire. Ce sont des gens qui n'assassinent point, mais ils détruisent tout. Ils achètent de gros biens pour les revendre en détail, et de profession décomposent les grandes propriétés. C'est pitié de voir quand une terre tombe dans les mains de ces gens-là; elle se perd, disparaît. Château, chapelle, donjon, tout s'en va, tout s'abîme. Les avenues rasées, labourées de çà, de là, il n'en reste pas trace. Où était l'orangerie s'élève une métairie, des granges, des étables pleines de vaches et de cochons. Adieu bosquets, parterres, gazons, allées d'arbrisseaux et de fleurs; tout cela morcelé entre dix paysans, l'un y va fouir des haricots l'autre de la vesce. Le château, s'il est vieux, se fond en une douzaine de maisons qui ont des portes et des fenêtres; mais ni tours, ni créneaux, ni ponts-levis, ni cachots, ni antiques souvenirs. Le parc seul demeure entier, défendu par de

vieilles lois, qui tiennent bon contre l'industrie; car on ne permet pas de défricher les bois, dans les cantons les mieux cultivés de la France, de peur d'être obligé d'ouvrir ailleurs des routes, et de creuser des canaux pour l'exploitation des forêts. Enfin, les gens dont je vous parle se peuvent nommer les fléaux de la propriété. Ils la brisent, la pulvérisent, l'éparpillent encore après la révolution, mal voulus pour cela d'un chacun. On leur prête, parce qu'ils rendent, et passent pour exacts; mais d'ailleurs on les hait, parce qu'ils s'enrichissent de ces spéculations; eux-mêmes paraissent en avoir honte, et n'osent quasi se montrer. De tous côtés on leur crie hepp! hepp! Il n'est si mince autorité qui ne triomphe de les surveiller. Leurs procès ne sont jamais douteux; les juges se font parties contre eux. Ces gens me semblent bien à plaindre, quelque succès qu'aient, dit-on, leurs opérations, quelques profits qu'ils puissent faire.

Un de mes voisins, homme bizarre, qui se mêle de raisonner, parlant d'eux l'autre jour, disait : Ils ne font de mal à personne, et font du bien à tout le monde; car ils donnent à l'un de l'argent pour sa terre, à l'autre de la terre pour son argent; chacun a ce qu'il lui faut, et le public ŷ gagne. On travaille mieux et plus. Or, avec plus de travail, il y a plus de produits, c'est-à-dire plus de richesse, plus d'aisance commune, et, notez ceci,

plus de mœurs, plus d'ordre dans l'état comme dans les familles. Tout vice vient d'oisiveté, tout désordre public vient du manque de travail. Ces gens donc, chaque fois que simplement ils achètent une terre et la revendent, font bien, font une chose utile; très-utile et très-bonne, quand ils achètent d'un pour revendre à plusieurs; car accommodant plus de gens, ils augmentent d'autant plus le travail, les produits, la richesse, le bon ordre, le bien de tous et de chacun. Mais, lorsqu'ils revendent et partagent cette terre à des hommes qui n'avaient point de terre, alors le bien qu'ils font est grand; car ils font des proprié taires, c'est-à-dire d'honnêtes gens, selon Côme de Médicis. Avec trois aunes de drap fin, disait-il, je fais un homme de bien; avec trois quartiers de terre il aurait fait un saint. En effet, tout propriétaire veut l'ordre, la paix, la justice, hors qu'il ne soit fonctionnaire ou pense à le devenir. Faire propriétaire, sans dépouiller personne, l'homme qui n'est que mercenaire, donner la terre au laboureur, c'est le plus grand bien qui se puisse faire en France, depuis qu'il n'y a plus de serfs à affranchir. C'est ce que font ces gens.

Mais une terre est détruite; mais le château, les souvenirs, les monumens, l'histoire....... Les monumens se conservent où les hommes ont péri, à Balbek, à Palmyre, et sous la cendre du Vésuve; mais ailleurs, l'industrie, qui renou

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