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« A les entendre cependant, c'était peu de chose, ils méprisaient les petites lettres, misé<«<rables bouffonneries, capables tout au plus << d'amuser un moment par la médisance, le scan<< dale; écrits de nulle valeur, sans fonds, ni con«<sistance, ni substance, comme on dit mainte« nant, lus le matin, oubliés le soir, en somme, indignes de lui, d'un tel homme, d'un savant! « L'auteur,se déshonorait en employant ainsi son << temps et ses talens; écrivant des feuilles non des livres, et tournant tout en raillerie, au lieu << de raisonner gravement; c'était le reproche qu'ils lui faisaient, vieille et coutumière que<< relle de qui n'a pas pour soi les rieurs. Qu'est-il « arrivé? la raillerie, la fine moquerie de Pascal « a fait ce que n'avaient pu les arrêts, les édits, a «< chassé de partout les jésuites. Ces feuilles si légères ont accablé le grand corps. Un pamphle<< taire, en se jouant, met en bas ce colosse craint « des rois et des peuples. La Société tombée ne «< se relèvera pas, quelque appui qu'on lui prête, << et Pascal reste grand dans la mémoire des hom<< mes, non par ses ouvrages savans, sa roulette, << ses expériences, mais par ses pamphlets, ses «< petites lettres.

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« Ce ne sont pas les Tusculanes qui ont fait le << nom de Cicéron, mais ses harangues, vrais pamphlets. Elles parurent en feuilles volantes, << non' roulées autour d'une baguette, à la ma

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<< nière d'alors, la plupart même et les plus belles n'ayant pas été prononcées. Son Caton, qu'é« tait-ce qu'un pamphlet contre César, qui répondit très bien, ainsi qu'il savait faire et en homme d'esprit, digne d'être écouté, même après Cicéron? Un autre depuis, féroce, et n'ayant de César ni la plume, ni l'épée, mal<< traité dans quelque autre feuille, pour réponse << fit tuer le pamphlétaire romain. Proscription, persécution, récompense ordinaire de ceux qui seuls se hasardent à dire ce que chacun «< pense. De même avant lui avait péri le grand << pamphlétaire de la Grèce, Démosthènes, dont «<les Philippiques sont demeurées modèle du « genre. Mal entendues et de peu de gens dans « une assemblée, s'il les eût prononcées seule«ment, elles eussent produit peu d'effet; mais « écrites, on les lisait, et ces pamphlets, de « l'aveu même du Macédonien, lui donnaient plus d'affaires que les armes d'Athènes, qui, << enfin succombant, perdit Démosthènes et la << liberté.

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«< Heureuse de nos jours l'Amérique, et Fran« klin qui vit son pays libre, ayant plus que nul « autre aidé à l'affranchir par son fameux Bon « Sens, brochure de deux feuilles. Jamais li<«< vre ni gros volume ne fit tant pour le genre << humain. Car, aux premiers commencemens << de l'insurrection américaine, tous ces États,

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villes, bourgades, étaient partagés de senti<<< mens; les uns tenant pour l'Angleterre, fidèles, <«< non sans cause, au pouvoir légitime; d'au« tres appréhendaient qu'on ne s'y pût sous<«< traire, et craignaient de tout perdre en tentant l'impossible; plusieurs parlaient d'accommode« ment, prêts à se contenter d'une sage liberté, « d'une charte octroyée, dût-elle être bientôt « modifiée, suspendue; 'peu osaient espérer un « résultat heureux de volontés si discordantes. << On vit en cet état de choses ce que peut la pa<< role écrite dans un pays où tout le monde lit, puissance nouvelle et bien autre que celle de la «< tribune. Quelques mots par hasard d'une ha«< rangue sont recueillis de quelques-uns; mais la << presse parle à tout un peuple, à tous les peu«‹ ples à la fois, quand ils lisent comme en Amé

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rique; et de l'imprimé rien ne se perd. Franklin « écrivit; son Bon Sens, réunissant tous les esprits << au parti de l'indépendance, décida cette grande « guerre qui, là terminée, continue dans le reste « du monde.

<< Il fut savant; qui le saurait s'il n'eût écrit de << sa science? Parlez aux hommes de leurs af

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faires, et de l'affaire du moment, et soyez en«< tendu de tous, si vous voulez avoir un nom. « Faites des pamphlets comme Pascal, Franklin, Cicéron, Démosthènes, comme saint Paul et << saint Basile; car vraiment j'oubliais ceux-là,

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grands hommes dont les opuscules, désabusant << le peuple payen de la religion de ses pères, <<< abolirent une partie des antiques superstitions, << et firent des nations nouvelles. De tous temps << les pamphlets ont changé la face du monde. Ils << semèrent chez les Anglais ces principes de tolé<< rance que porta Penn en Amérique, et celle-ci «< doit à Franklin sa liberté maintenue par les « mêmes moyens qui la lui ont acquise, pamphlets, journaux, publicité. Là tout s'imprime; «< rien n'est secret de ce qui importe à chacun. << La presse y est plus libre que la parole ailleurs, << et l'on en abuse moins. Pourquoi? C'est qu'on <«<en use sans nul empêchement, et qu'une faus« seté, de quelque part qu'elle vienne, est bien<< tôt démentie par les intéressés que rien n'oblige à se taire. On n'a de ménagement pour << aucune imposture, fût-elle officíelle; aucune << hâblerie ne saurait subsister; le public n'est

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point trompé, n'y ayant là personne en pou<< voir de mentir et d'imposer silence à tout con<«<tradicteur. La presse n'y fait nul mal, et en empêche..... combien? C'est à vous de le dire, quand vous aurez compté chez vous tous les « abus. Peu de volumes paraissent, de gros livres << pas un, et pourtant tout le monde lit; c'est le << seul peuple qui lise, et aussi le seul instruit << de ce qu'il faut savoir pour n'obéir qu'aux lois. « Les feuilles imprimées, circulant chaque jour

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« et en nombre infini, font un enseignement mu<< tuel et de tout âge. Car tout le monde presque <«< écrit dans les journaux, mais sans légèreté; point de phrases piquantes, de tours ingénieux; l'expression claire et nette suffit à ces gens-là. Qu'il s'agisse d'une réforme dans l'état, d'un péril, d'une coalition des puissances d'Europe «< contre la liberté, ou du meilleur terrain à semer << les navets, le style ne diffère pas, et la chose <<< est bien dite dès que chacun l'entend; d'au<< tant mieux dite qu'elle l'est plus brièvement, <«< mérite non commun, savez-vous? ni facile, de <«< clore en peu de mots beaucoup de sens. Oh, « qu'une page pleine dans les livres est rare! et << que peu de gens sont capables d'en écrire dix << sans sottises! La moindre lettre de Pascal était plus malaisée à faire que toute l'Encyclopédie. << Nos Américains, sans peut-être avoir jamais songé à cela, mais avec ce bon sens de Fran« klin qui les guide, brefs dans tous leurs écrits, ménagers de paroles, font le moins de livres qu'ils peuvent, et ne publient guère leurs << idées que dans les pamphlets, les journaux qui, << se corrigeant l'un l'autre, amènent toute in<«<vention, toute pensée nouvelle à sa perfection. « Un homme, s'il imagine ou découvre quelque «< chose d'intéressant pour le public, n'en fera point un gros ouvrage avec son nom en grosses << lettres, par monsieur....... de l'Académie, mais

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