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figure. Non, je n'en reviens pas, un homme comme vous s'avilir, s'abaisser jusqu'à faire des pamphlets! Ne rougissez-vous point? Blaise, lui répondis-je, Blaise Pascal n'était ni geôlier nigendarme, ni employé de M. Franchet. Chut! paix! Parlez plus bas, car il peut nous entendre. Qui donc ? L'abbé Franchet? Serait-il si près de nous? Monsieur, il est partout. Voilà quatre heures et demie; votre humble serviteur. Moi le vôtre. Il me quitte et s'en alla courant.

Ceci, mes chers amis, mérite considération; trois si honnêtes gens: M. Arthus Bertrand, ce monsieur de la police, et M. de Broë, personnage éminent en science, en dignité; voilà trois hommes de bien ennemis des pamphlets. Vous en verrez d'autres assez et de la meilleure compagnie qui trompent' un ami, séduisent sa fille ou sa femme, prêtent la leur pour obtenir une place honorable, mentent à tout venant, trabissent, manquent de foi, et tiendraient à grand déshonneur d'avoir dit vrai dans un écrit de quinze ou seize pages; car tout le mal est dans ce peu. Seize pages, vous êtes pamphletaire, et gare Sainte-Pélagie. Faites-en seize cents, vous serez présenté au roi. Malheureusement je ne saurais. Lorsqu'en 1815, le maire de notre commune, celui-là même d'à présent, nous fit donner de nuit l'assaut par ses gendarmes, et du lit traîner en prison de pauvres gens qui ne pou

vaient mais de la révolution, dont les femmes, les enfans périrent, la matière était ample à fournir des volumes, et je n'en sus tirer qu'une feuille, tant l'éloquence me manqua. Encore m'y pris-je à rebours. Au lieu de décliner mon nom, et de dire d'abord comme je fis, mes bons messieurs, je suis Tourangeau, si j'eusse commencé : Chrétiens, après les attentats inouïs d'une infernale révolution...... dans le goût de l'abbé de La Mennais, une fois monté à ce ton, il m'était aisé de continuer et mener à fin mon volume sans fâcher le procureur du roi. Mais je fis seize pages d'un style à peu près comme je vous parle, et je fus pamphletaire insigne; et depuis, coutumier du fait, quand vint la souscription de Chambord, sagement il n'en fallait rien dire; ce n'était matière à traiter en une feuille ni en cent; il n'y avait là ni pamphlet, ni brochure, ni volume à faire, étant malaisé d'ajouter aux flagorneries, et dangereux d'y contredire, comme je l'éprouvai. Pour avoir voulu dire là-dessus ma pensée en peu de mots, sans ambages ni circonlocutions, pamphletaire encore, en prison deux mois à Sainte-Pélagie. Puis, à propos de la danse qu'on nous interdisait, j'opinai de mon chef, gravement, entendez-vous, à cause de l'église intéressée là-dedans, longuement, je ne puis, et retombai dans le pamphlet. Accusé, poursuivi, mon innocent langage et mon parler timide trou

vèrent grace à peine; je fus blâmé des juges. Dans tout ce qui s'imprime il y a du poison plus ou moins délayé selon l'étendue de l'ouvrage, plus ou moins malfaisant, mortel. De l'acétate de morphine, un grain dans une cuve se perd, n'est point senti, dans une tasse fait vomir, en une cuillerée tue, et voilà le pamphlet.

Mais, d'autre part, mon bon ami sir John Bickerstaff, écuyer, m'écrit ce que je vais tout-àl'heure vous traduire. Singulier homme, philo sophe, lettré autant qu'on saurait être, grand partisan de la réforme, non parlementaire seulement, mais universelle, il veut refaire tous les gouvernemens de l'Europe, dont le meilleur, dit-il, ne vaut rien. Il jouit dans son pays d'une fortune honnête. Sa terre n'a d'étendue que dix lieues en tous sens, un revenu de deux ou trois millions au plus; mais il s'en contente et vivait dans cette douce médiocrité, quand les ministres le voyant homme à la main, d'humeur facile, comme sont les savans, comme était Newton, le firent entrer au parlement. Il n'y fut pas, que voilà qu'il tonne, tempête contre les dépenses de la cour, la corruption, les sinécures. On crut qu'il en voulait sa part, et les ministres lui offrirent une place qu'il accepta, et une somme qu'il toucha, proportionnée à sa fortune, selon l'usage des gouvernans de donner plus à qui plus a. Nanti de ces deniers, il retourne à sa terre,

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assemble les paysans, les laboureurs et tous les fermiers du comté, auxquels il dit : J'ai rattrapé le plus heureusement du monde une partie de ce qu'on vous prend pour entretenir les fripons et les fainéans de la cour. Voici l'argent dont je veux faire une belle restitution. Mais commençons par les plus pauvres. Toi, Pierre combien as-tu payé cette année-ci? Tant; le voilà. Toi, Paul; vous, Isaac et John, votre quote? Et il la leur compte; et ainsi tant qu'il en resta. Cela fait, il retourne à Londres, où, prenant possession de son nouvel emploi, d'abord il voulait élargir tous les gens détenus pour délits de paroles, propos contre les grands, les ministres, les Suisses, et l'eût fait, car sa place lui en donnait le pouvoir, si on ne l'eût promptement révoqué.

Depuis il s'est mis à voyager, et m'écrit de Rome : « Laissez dire, laissez-vous blâmer, con<< damner, emprisonner, laissez-vous pendre, «< mais publiez votre pensée. Ce n'est pas un droit, << c'est un devoir, étroite obligation de quiconque « a une pensée de la produire et mettre au jour « pour le bien commun. La vérité est toute à « tous. Ce que vous connaissez utile, bon à sa« voir pour un chacun, vous ne le pouvez taire «< en conscience. Jenner, qui trouva la vaccine, « eût été un franc scélérat d'en garder une heure « le secret; et comme il n'y a point d'homme

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qui ne croie ses idées utiles, il n'y en a point qui ne soit tenu de les communiquer et répandre par tous moyens à lui possibles. Parler << est bien, écrire est mieux; imprimer est excel<«< lente chose. Une pensée déduite en termes <«< courts et clairs, avec preuves, documens, exemples, quand on l'imprime, c'est un pamphlet et la meilleure action, courageuse sou«< vent, qu'homme puisse faire au monde. Car, << si votre pensée est bonne, on en profite; mau<< vaise, on la corrige, et l'on profite encore. Mais « l'abus.... sottise que ce mot; ceux qui l'ont in- » venté, ce sont eux vraiment qui abusent de la « presse, en imprimant ce qu'ils veulent, trom<< pant, calomniant et empêchant de répondre. Quand ils crient contre les pamphlets, jour<< naux, brochures, ils ont leurs raisons admira<«<bles. J'ai les miennes, et voudrais qu'on en fit davantage, que chacun publiât tout ce qu'il << pense et sait! Les jésuites aussi criaient contre << Pascal et l'eussent appelé pamphlétaire, mais le << mot n'existait pas encore; ils l'appelaient tison d'enfer, la même chose en style cagot. Cela signifie toujours un homme qui dit vrai et se fait écouter. Ils répondirent à ses pamphlets << par d'autres d'abord, sans succès, puis par des <<< lettres de cachet qui leur réussirent bien mieux. <«< Aussi était-ce la réponse que faisaient d'ordinaire « aux pamphlets les gens puissans et les jésuites.

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