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Si vous parlez de ceci, monsieur, dans votre estimable journal, ne me nommez pas, je vous prie. Quelque part que je sois, il peut toujours m'atteindre. Un mot au maire du lieu, et me voilà coffré. Ces messieurs entre eux ne se refusent pas de pareils services.

Je suis, monsieur, etc.

Nota. En faveur de nos abonnés de la ville de Paris surtout, qui ne savent pas ce que c'est qu'un maire de village, nous publions cette lettre avec les précautions requises toutefois pour assurer l'incognito à notre bon correspondant. Tout Paris s'imagine qu'aux champs on vit heureux du lait de ses brebis, en les menant paître sous la garde, non des chiens seulement, mais des lois. Par malheur, il n'y a de lois qu'à Paris. Il vaut mieux être là ennemi déclaré des ministres, des grande, qu'ici ne pas plaire à monsieur le maire.

LIVRET

DE PAUL-LOUIS, VIGNERON,

PENDANT SON SÉJOUR A PARIS,

EN MARS 1823.

AVIS DU LIBRAIRE-ÉDITEUR.

Nous ne donnons que des extraits du Livret de Paul-Louis, vigneron, dans lequel se trouvent beaucoup de choses intelligibles pour lui seul, d'autres trop hardies pour le temps, et qui pourraient lui faire de fâcheuses affaires. Nous avons supprimé ou adouci ces traits. Il faut respecter les puissances établies de Dieu sur la terre, et ne pas abuser de la liberté de la presse 1

- Monsieur de Talleyrand, dans son discours au roi pour l'empêcher de faire la guerre, a dit: Sire, je suis vieux. C'était dire, vous êtes vieux; car ils sont du même âge. Le roi choqué de cela, lui a répondu : Non, monsieur de Talleyrand, non, vous n'êtes point vieux; l'ambition ne vieillit pas.

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Nous n'avons pas besoin de dire que cet avis est de Courier luimême ; il se trouvait en tête de la première édition du Livret, nous l'avons conservé. (Note de l'éditeur.)

Talleyrand parle haut, et se dit responsable de la restauration.

Ces mots vieillesse et mort sont durs à la vieille cour. Louis XI les abhorrait, celui de mort surtout, et, afin de ne le point entendre, il voulut que quand on le verrait à l'extrémité, on lui dît seulement parlez peu, pour l'avertir de sa situation. Mais ses gens oublièrent l'ordre, et lorsqu'il en vint là, lui dirent crûment le mot, qu'il trouva bien amer. (Voir Philippe de Commines.)

Marchangy, lorsqu'il croyait être député, se trouvant chez, monsieur Peyronnet, examinait l'appartement qui lui parut assez logeable; seulement il eût voulu lé salon plus orné, l'antichambre plus vaste, afin d'y faire attendre et la cour et la ville, peu content d'ailleurs de l'escalier. Le Gascon, qui connut sa pensée, eut peur de cette ambition, et résolut de l'arrêter, comme il fit en laissant paraître les nullités de son élection, dont sans cela on n'eût dit mot.

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Quatre gardes-du-corps ont battu le parterre au Gymnase dramatique. On dit que cela est contraire à l'ordonnance de Louis XIII, qui leur défend de maltraiter ni frapper les sujets du roi sans raison. Mais il y avait une raison; c'est que le parterre ne veut point applaudir des couplets qui plaisent aux gardes-du-corps et leur promettent la victoire en Espagne, s'ils y font la guerre, ce qui n'est nullement vraisemblable.

Près des Invalides, six Suisses ont assailli quelques bouchers. Ceux-ci ont tué deux Suisses et blessé tous les autres, qui se sont sauvés en laissant sabres et schakos. Les bouchers devraient quelquefois aller au parterre, et les Suisses toujours se souvenir du 10 août.

Lebrun trouve dans mon Hérodote un peu trop de vieux français, quelques phrases traînantes. Béranger pense de même, sans blâmer cependant cette façon de traduire. On est content de la préface.

Le boulevard est plein de caricatures, toutes contre le peuple. On le représente grossier, débauché, crapuleux, semblable à la cour, mais en laid. Afin de le corrompre, on le peint corrompu. L'adultère est le sujet ordinaire de ces estampes. C'est un mari avec sa femme sur un lit et le galant dessous, ou bien le galant dessus et le mari dessous. Des paroles expliquent cela. Dans une autre, le mari, lorgnant par la serrure, voit les ébats de sa femme, scène des Variétés. Ce théâtre aura bientôt le privilége exclusif d'en représenter de pareilles. Il jouera seul les pièces qu'on appelle grivoises, c'est-à-dire sales, dégoûtantes, comme la Marchande de Goujons. Les censeurs ont soin d'en ôter tout ce qui pourrait inspirer quelque sentiment généreux. La pièce est bonne pourvu qu'il n'y soit point question de liberté, d'amour du pays; elle

est excellente, s'il y a des rendez-vous de charmantes femmes avec de charmans militaires, qui battent leurs valets, chassent leurs créanciers, escroquent leurs parens; c'est le bel air qu'on recommande. Corrompre le peuple est l'affaire, la grande affaire maintenant. A l'église et dans les écoles, on lui enseigne l'hypocrisie, au théâtre l'ancien régime et toutes ses ordures. On lui tient prêtes des maisons où il va pratiquer ces le

çons.

En Angleterre, tout au contraire, les caricatures et les farces se font contre les grands, livrés à la risée du peuple qui conserve ses mœurs et corrige la cour.

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Un homme que j'ai vu, arrive d'Amérique. Il y est resté trois ans sans entendre parler de ce que nous appelons ici l'autorité. Nul ne lui a demandé son nom, sa qualité, ni ce qu'il venait faire, ni d'où, ni pourquoi, ni comment. Il a vécu trois ans sans être gouverné, s'ennuyant à périr. Il n'y a point là de salons. Se passer de salons, impossible au Français, peuple éminemment courtisan. La cour s'étend partout en France; le premier des besoins c'est de faire sa cour. Tel brave à la tribune les grands, les potentats, et le soir devant.... s'incline profondément, n'ose s'asseoir chez.... qui lui frappe sur l'épaule et l'appelle mon cher. Que de maux naissent, dit La Bruyère, de ne pouvoir être seul!

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