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me donne de lui cette opinion. Il est de notre temps, de ce siècle-ci, non de l'autre, ayant peu vu, je crois, ce qu'on nomme ancien régime. Il a fait la guerre avec nous; d'où vient, dit-on, qu'il n'a pas peur des sous-officiers et depuis, émigré malgré lui, jamais ne la fit contre nous, sachant trop ce qu'il devait à la terre natale, et qu'on ne peut avoir raison contre son pays. Il sait cela, et d'autres choses qui ne s'apprennent guère dans le rang où il est. Son bonheur a voulu qu'il en ait pu descendre, et jeune, vivre comme nous. De prince, il s'est fait homme. En France, il combattait nos communs ennemis; hors de France, les sciences occupaient son loisir. De lui n'a pu se dire le mot, rien oublié, ni rien appris. Les étrangers l'ont vu s'instruire, et non mendier. Il n'a point prié Pitt, ni supplié Cobourg de ravager nos champs, de brûler nos villages, pour venger les châteaux; de retour, n'a point fondé des messes, des séminaires, ni doté des couvens à nos dépens; mais sage dans sa vie, dans ses mœurs, donne un exemple qui prêche mieux que les missionnaires. Bref, c'est un homme de bien. Je voudrais, quant à moi, que tous les princes lui ressemblassent; aucun d'eux n'y perdrait, et nous y gagnerions: ou je voudrais qu'il fût maire de la commune; j'entends s'il se pouvait (hypothèse toute pure), sans déplacer personne ; je hais les destitutions. Il ajus

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terait bien des choses, non-seulement par cette sagesse que Dieu a mise en lui, mais par une vertu non moins considérable et trop peu célébrée c'est son économie, qualité si l'on veut bourgeoise, que la cour abhorre dans un prince, et qui n'est pas matière d'éloge académique, ni d'oraison funèbre; mais pour nous si précieuse, pour nous administrés, si belle dans un maire, si..... comment dirai-je? divine, qu'avec celle-là, je le tiendrais quitte quasi de toutes les autres.

Lorsque j'en parle ainsi, ce n'est pas que je le connaisse plus que vous, ni peut-être autant; ne l'ayant même jamais vu. Je ne sais que ce qui se dit; mais le public n'est point sot, et peut juger les princes, car ils vivent en public. Ce n'est pas non plus que je veuille être son garde-champêtre, aut cas qu'il devienne maire. Je ne vaux rien pour cet emploi, ni pour quelque autre que ce soit : capable tout au plus de cultiver ma vigne, quand je ne suis pas en prison. J'y serais, je crois, moins souvent; mais, cela même n'étant pas sûr, je puis dire que tout changement dans la mairie et les adjoints, pour mon compte, m'est indifférent. Au-reste, ce qu'on pense de lui généralement; vous l'avez pu voir ou savoir ces jours-ci, lorsqu'il parut au théâtre avec sa famille. On ne l'attendait pas; l'assemblée n'était point composée, préparée comme il se pratique pour les grands. C'était bien là le public, et il n'y avait rien que

l'on pût soupçonner d'être arrangé d'avance. La police n'eut point de part aux marques d'affec*tion qui lui furent données en cette occasion; ou, si de fait elle était là, comme on le peut croire aisément, partout invisible et présente, ce n'était pas pour accueillir le duc d'Orléans. Il entra, on le vit; et les mains et les voix applaudirent de toutes parts. On n'a point mis, que je sache, le parterre en jugement, ni traduit l'assemblée à la salle Martin. Aussi, ne crois-je pas, moi qui l'ai loué moins haut de ce qu'il a fait de louable, que ce soit pour cela qu'on me réemprisonne. Mais vous pouvez être là-dessus beaucoup mieux in

struit.

Ainsi, contre votre opinion, monsieur, j'aime le duc d'Orléans; mais son ami, je ne le suis pas, comme ces gens le croient, dites-vous. A moi tant d'honneur n'appartient, et sans vouloir examiner, ce dont on a douté quelquefois, si les princes ont des amis, ou si lui, moins prince qu'un autre, ne pourrait pas faire exception, je vous dirai que j'ai toujours ri de Jean-Jacques Rousseau, philosophe, qui ne put souffrir şes, égaux, ni s'en faire supporter, et en toute sa vie crut n'avoir eu d'ami que le prince de Conti.

Bien moins suis-je son partisan. Car il n'a point de parti premièrement. Le temps n'est plus où chaque prince avait le sien; et jamais je ne

serai du parti de personne. Je ne suivrai pas un homme, ne cherchant pas fortune dans les révo lutions, contre-révolutions qui se font au profit de quelques-uns. Né d'abord dans le peuple, j'y suis resté par choix. Il n'a tenu qu'à moi d'en sortir comme tant d'autres qui, pensant s'ennoblir, de fait ont dérogé. Quand il faudra opter suivant la loi de Solon, je serai du parti du peuple, des paysans comme moi.

Accusez réception, s'il vous plaît, de la pré

sente.

m

II.

Véretz, le 6 février 1823.

Vous êtes deux qui m'engagez à faire encore des pétitions. A votre aise vous en parlez, et vous n'irez pas en prison pour les avoir lues. Mais moi, voyez ce qu'a pensé me coûter la dernière. Quinze mois de cachot et mille écus d'amende, sont-ce des bagatelles? De combien s'en est-il fallu que je ne fusse condamné? Les juges ont trouvé mon fait répréhensible, et plus répréhensible encore mon intention. La police, dans sa plainte, me dénonce comme un homme profondément pervers; messieurs de la police m'ont déclaré pervers, et ont signé Delavau, Vidocq, etc. Je prenais patience. Mais, ce procureur du roi, m'accuser de cynisme! Sait-il bien ce que c'est, et entend-il le grec? Cynos signifie chien; cynisme, acte de chien. M'insulter en grec, moi, helléniste juré! j'en veux avoir raison. Lui rendant grec pour grec, si je l'accusais d'Anisme, que répondrait-il? mot. Il serait étonné. Quand il me donne du chien, si je lui donne de l'âne, pourvu toutefois que ce ne soit pas dans l'exer

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