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pas ce temps; au bout de quelques mois malade, ses amis, comme il était peu riche, avaient souscrit entre eux, pour que sa femme et ses enfans pussent loger près de la prison; mais l'autorité s'y opposant, au nom de l'ordre social, il mourut sans secours, sans consolation, moins à plaindre que ceux qui le persécutaient, car il avait pour lui l'approbation publique, l'assurance d'avoir bien dit et bien fait. Mais ils vécurent eux, dévorés de soucis, de rage ambitieuse, ou se coupèrent le cou, las de mentir, de tromper, d'augmenter le budget et de faire curée des entrailles du peuple à de lâches courtisans.

Ainsi périt Wackefield pour une seule parole. Rien n'est si dangereux que de parler à ceux qui sont forts et veulent de l'argent. C'est la bourse à la main qu'il faut répondre. Eh bien ! connaissant ces exemples, que n'en profitiez-vous? De semblables lecons devaient vous rendre sage, même avant celle que vous avez eue en votre personne; voilà ce qu'on me dit: pourquoi écrire enfin? et qui diantre vous pousse à vous faire imprimer? Ne sauriez-vous vous taire, et, comme dit Boileau, imiter de Conrard le silence prudent? Ce Conrard, bel esprit, par principe de conduite, parlait peu et n'écrivait point; il réussit dans le monde et fut de l'Académie. Car alors aussi, on faisait académiciens ceux qui n'écrivaient point, sans toutefois mettre en prison ceux qui écri

vaient. Vous, Paul-Louis, vous deviez être nonseulement prudent, mais muet; afin, sinon de parvenir à l'Académie, de vivre en paix, du moins. Il fallait vous tenir coi, tailler votre vigne, non votre plume; vous faire petit, ne bouger, de peur d'être le moins du monde aperçu, entendu. On vous guettait, vous le voyez; on ne vous pardonnera pas. Pourquoi cela, monsieur l'anonyme, s'il vous plaît? on a bien pardonné à M. Pardessus. Mais écoutez encore avant que je réponde, écoutez ce récit qui ne vous tiendra guère.

Un écrivain célèbre en Angleterre, auteur d'un des meilleurs ouvrages que l'on ait jamais fait, l'auteur de Robinson, Daniel de Foe, publia un écrit tendant à insinuer que les dépenses de la cour étaient considérables. Aussitôt les ministres le livrent à leurs juges. On le mit en prison; il écrivit encore, on le mit au carcan. Ses amis le blâmaient; mais il leur répondit : il ne dépend pas de moi de parler ou de me taire; et, lorsque l'esprit souffle, il faut lui obéir. C'était le langage du temps. On tirait tout de l'Écriture, comme à présent de Jean-Jacques. On parlait la Bible, aujourd'hui on parle Rousseau. Un abbé met en pièces Émile, pour prêcher aux indifférens en matière de religion.

Quant à moi, ce n'est pas l'esprit, c'est la sottise qui me fait aller en prison. J'ai cru bonnement à la Charte; j'ai donné dans la Charte en

plein ; je le confesse, à ma très grande honte, et pourtant de plus fins y ont été pris comme moi. De ma vie, sans la Charte, je n'eusse imaginé de parler au public de ce qui l'intéresse. Robespierre, Barras, et le grand Napoléon, depuis plus de vingt ans, m'avaient appris à me taire, Bonaparte, surtout; ce héros ne trompait pas. Il ne nous baillait pas le lièvre par l'oreille, jamais ne nous leurra de la liberté de la presse ni d'aucune liberté. Un peu Turc dans sa manière, il mettait au bagne ce bon peuple, mais sans l'abuser le moins du monde, et ne nous cacha point sa royale pensée, qui fut toujours d'avoir en propre nos corps et nos biens seulement. Des ames, il en faisait peu de cas. Ce n'est que depuis lui qu'on a compté les ames. Voulant parler tout seul, il imposa silence à nous premièrement; puis à l'Europe entière; et le monde se tut: personne ne souffla, homme ne s'en plaignit; ayant cela de commode, qu'avec lui on savait du moins à quoi s'en tenir. J'aime cette façon, et j'ai tâté de l'autre. La Charte vint, on me dit: parlez, vous êtes libre, écrivez, imprimez; la liberté de la presse et toutes libertés vous sont garanties. Que craignez-vous? Si les puissans se fâchent, vous avez le jury et la publicité, le droit de pétition; vos députés à vous, élus, nommés par vous. Ils ne souffriraient pas que l'on vous fasse tort. Parlez un peu pour voir; dites-nous quelque chose. Moi

pauvre, qui ne connaissais pas le gouvernement provocateur, pensant que c'était tout de bon, j'ouvre la bouche et dis : je voudrais, s'il vous plaisait, ne pas payer Chambord. Sur ce mot, on me prend, on me met en prison. Sorti, je ne pus croire, tant j'étais de mon pays, qu'il n'y eût à cela quelque malentendu. Ils m'auront mal compris, me disais-je, assurément. Un peu de sens commun (chose rare!) eût suffi pour me tirer d'erreur mais imbu de ma Charte et de mes garanties; persuadé qu'on m'écouterait sans mauvaise humeur, cette fois je hasarde une autre requête. Si c'était, dis-je, tenant mon chapeau à deux mains, si c'était votre bon plaisir de nous laisser danser devant notre logis le dimanche....... Gendarmes, qu'on le mène en prison; maximum de la peine, amende, etc. Du jury, point de nouvelles; droit de pétition, chansons; mes députés, ils sont à moi comme mon préfet à peu près. La publicité des jugemens; savez-vous, monsieur, ce que c'est ? mes ennemis pourront, s'ils le jugent à propos, imprimer ma défense dans des feuilles à eux, me faire dire cent sottises; à eux il est permis de déduire mes raisons comme ils veulent au public; à moi, à mes amis, défendu d'en dire mot, de réfuter, de démentir en aucune façon les réponses absurdes et les impertinences qu'il leur aura plu m'attribuer. Voilà ce que je gagne à la publicité des débats judiciaires. Heu

reux, cent fois heureux, ceux que Laubardemont faisait condamner à huis clos par ordre de son Éminence! ils étaient opprimés, mais non désho

norés.

Ce langage est monarchique. De tels sentimens ne sont point du tout républicains, et si je me contente, en pareille matière, des formes usitées sous ce grand cardinal, je ne suis pas si Romain que vous l'imaginez. Sur quel fondement? je ne sais, et ne devine pas davantage ce qui vous a pu faire croire que je n'aimais ni le duc d'Orléans, ni aucun prince. Assurément rien n'est plus loin de la vérité. J'aime, au contraire, tous les princes, et tout le monde en général; et le duc d'Orléans particulièrement (voyez comme vous vous trompiez), parce qu'étant né prince il daigne être honnête homme. Du moins n'entends-je point dire qu'il attrape les gens. Nous n'avons, il est vrai, aucune affaire ensemble, ni pacte, ni contrat. Il ne m'a rien promis, rien juré devant Dieu; mais, le cas avenant, je me fierais à lui, quoiqu'il m'en ait mal pris avec d'autres déjà. Si faut-il néanmoins se fier à quelqu'un. Lui et moi nous n'aurions, m'est avis, nulle peine à nous accommoder, et l'accord fait, je pense qu'il le tiendrait sans fraude, sans chicane, sans noise, sans en délibérer avec de vieux voisins, gentilshommes et autres, qui ne me veulent point de bien, ni en consulter les jésuites. Voici ce qui

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