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mais il fait paraître en tout une régularité digne des temps apostoliques. Heureux effet de la pauvreté ! Heureux fruit de la persécution soufferte à cette grande époque où Dieu visita son Église! Ce n'est pas un des moindres biens qu'on doive à la révolution, de voir non-seulement les curés, ordre respectable de tout temps, mais les évêques avoir des mœurs.

Toutefois il est à craindre que de si excellens exemples, faits pour grandement contribuer au maintien de la religion, ne soient en pure perte pour elle, par l'imprudence des nouveaux prêtres qui la rendent peu aimable au peuple en la lui montrant ennemie de tout divertissement, triste, sombre, sévère, n'offrant de tous côtés que pénitence à faire et tourmens mérités, au lieu de prêcher sur des textes plus convenables à présent: Sachez que mon joug est léger, ou bien celui-ci: Je suis doux et humble de cœur. On ramènerait ainsi des brebis égarées que trop de rigueur effarouche. Quelque grands que soient nos péchés, nous n'avons guère maintenant le temps de faire pénitence. Il faut semer et labourer. Nous ne saurions vivre en moines, en dévots de profession, dont toutes les pensées se tournent vers le ciel. Les règles faites pour eux, pour eux, détachés de la terre, et comme du fumier regardant tout le monde, ne conviennent point à nous qui avons ici-bas et famille et chevance, comme dit le bon

homme, et malheureusement tenons à toutes ces choses. Puis, que faisons-nous de mal, quand nous ne faisons pas bien, quand nous ne travaillons pas? Nos délassemens, nos jeux, les jours de fête, n'ont rien de blâmable en eux-mêmes ni par aucune circonstance. Car ce qu'on allègue au sujet de la place d'Azai, pour nous empêcher d'y danser; cette place est devant l'église, dit-on; danser là, c'est danser devant Dieu, c'est l'offenser; et depuis quand? Nos pères y dansaient, plus dévots que nous, à ce qu'on nous dit; nous y avons dansé après eux. Le saint roi David dansa devant l'arche du Seigneur, et le Seigneur le trouva bon, il en fut aise, dit l'Écriture; et nous qui ne sommes saints ni rois, mais honnêtes gens néanmoins, ne pourrons danser devant notre église, qui n'est pas l'arche, mais sa figure selon les sacrés interprètes. Ce que Dieu aime de ses saints, de nous l'offense; l'église d'Azai sera profanée du même acte qui sanctifia l'arche et le temple de Jérusalem! Nos curés, jusqu'à ce jour, étaient-ils mécréans, hérétiques, impies, ou prêtres catholiques, aussi sages pour le moins que des séminaristes? ils ont approuvé de tels plaisirs et pris part à nos amusemens, qui ne pouvaient scandaliser que les élèves du Picpus. Voilà quelques-unes des raisons que nous opposons au trop de zèle de nos jeunes réformateurs.

Partant, vous déciderez, messieurs, s'il ne se

rait pas convenable de nous rétablir dans le droit de danser comme auparavant sur la place d'Azai, les dimanches et les fêtes; puis vous pourrez examiner s'il est temps d'obéir aux moines et d'apprendre des oraisons, lorsqu'on nous couche en joue de près, à bout touchant, lorsqu'autour de nous toute l'Europe en armes fait l'exercice à feu, ses canons en batterie et la mèche allumée.

Véretz, 15 juillet 1822.

RÉPONSE

AUX ANONYMES

QUI ONT ÉCRIT DES LETTRES

A PAUL-LOUIS COURIER, VIGNERON.

(1822.)

I.

Je reçois quelquefois des lettres anonymes: les unes flatteuses me plaisent, car j'aime la louange; d'autres moqueuses, piquantes, me sont moins agréables, mais beaucoup plus utiles: j'y trouve la vérité, trésor inestimable, et souvent des avis que ne me donneraient peut-être aucuns de ceux qui me veulent le plus de bien. Afin donc que l'on continue à m'écrire de la sorte, pour mon très grand profit, je réponds à ces lettres par celle-ci imprimée, n'ayant autre moyen de la faire parvenir à mes correspondans, et répondrai de même à tous ceux qui voudraient me faire part

de leurs sentimens sur ma conduite et mes écrits. Un pareil commerce, sans doute, aurait quelques difficultés sous ces gouvernemens faibles, peureux, ennemis de toute publicité, serait même de fait impossible, sans la liberté de la presse, dont nous jouissons, comme dit bien M. de Broë, dans toute son étendue, depuis la Restauration. Si la presse n'était pas libre, comme elle l'est par la Charte, il pourrait arriver qu'un commissaire de police saisît chez l'imprimeur toute ma correspondance; qu'un procureur du roi envoyât en prison et l'imprimeur, et moi, et mon libraire, et mes lecteurs. Ces choses se font dans les pays où règne un pouvoir odieux, complice de quelques-uns et ennemi de tous. Mais en France, heureusement, sous l'empire des lois, de la constitution, de la Charte jurée, sɔus un gouvernement ami de la nation et cher à tout le monde, rien de tel n'est à craindre. On dit ce que l'on pense; on imprime ce qui se dit, et personne n'a peur de parler ni d'entendre. J'imprime donc ceci, non pour le public, mais pour ces personnes seulement qui me font l'honneur de m'écrire sans me dire leur nom ni leur adresse.

Paul-Louis Courier, vigneron de la Chavonnière, bûcheron de la forêt de Larçay, laboureur de la Filonnière, de la Houssière, et autres lieux, à tous anonymes inconnus qui ces présentes verront, salut:

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