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mage qu'un seul qui a le temps et les moyens de lui faire un procès, c'est-à-dire le riche. Celui qui ne possède qu'un arpent, un quartier, raccommode sa haie comme il peut, refait son fossé; le blé foulé cependant ne se relève pas, ni la vigne froissée ne reprend son bourgeon. Le bonhomme disait, du temps de La Fontaine : Ce sont là jeux de princes, et on le laissait dire; mais aujourd'hui les princes mêmes ne se permettent plus de pareils jeux; et l'on m'assure qu'en Angleterre, dans son pays, M. Fisher ne ferait pas ce qu'il fait ici. Je ne sais et ne veux point trop examiner ce qui en est; mais vous y pourrez réfléchir, et m'entendez à demi-mot. Votre pensée, sans doute, n'est pas qu'on doive tout en· durer de messieurs les Anglais, et qu'ils puissent ici, chez nous, ce qu'ils n'osent chez eux ni ailleurs.'

Vous jugerez celui-ci d'après nos lois françaises; vous ne sauriez guère faire autrement, et la chose même semble juste au premier coup d'œil. Cependant il y a beaucoup à dire. Si j'allais, moi Français, en Angleterre chasser sur les terres de M. Fisher, ne croyez pas, messieurs, que je fusse jugé d'après la loi commune, ainsi qu'un Anglais natif. Les étrangers, en ce pays-là, sont tolérés, non protégés; une loi est établie pour eux, contre eux serait plutôt le mot. En vertu de cette loi qu'on appelle alien-bill, si on

faisait là quelque sottise, comme de courir avec une meute à travers vignes et guérets (il n'y a point de vignes, je le sais bien, faute de soleil, en Angleterre ; mais je parle par supposition), si je commettais là de semblables dégâts, d'abord on me punirait d'une peine arbitraire, selon le bon plaisir du juge, puis je serais banni du royaume, ou, pour mieux dire, déporté; cela s'exécute militairement. L'étranger qui se conduit mal ou déplaît, on le prend, on le mène au port le plus proche, on l'embarque sur le premier bâtiment prêt à faire voile, qui le jette sur la première côte où il aborde. Voilà comme on me traiterait si j'allais chasser sur les terres de M. Fisher, ou même, sans que j'eusse chassé, si M. Fisher témoignait n'être pas content de moi dans son pays. Pour un même délit, on distingue les étrangers des nationaux; on ne punit point l'un comme l'autre. Et quoi de plus juste en effet? Puis-je, avec mon hôte, en user comme je ferais avec mes enfans? Si mon hôte casse mes vitres, je les lui fais payer, je le bats, je le chasse; mon fils, je le gronde seulement. Vous comprenez la différence, grande sans doute, et cette loi admirable de l'alien-bill que je voudrais voir appliquer à M. Fisher, non pas les nôtres, faites pour nous. De notre part, ce serait justice, réciprocité, représailles; non pas le faire jouir avec nous des bénéfices d'une société dont il ne sup-.

porte aucune charge. Soyons, si vous voulez, plus polis que les Anglais, afin de conserver le caractère national; ne chassons pas M. Fisher. Sans l'embarquer ni le conduire où peut-être il n'aurait que faire, prions-le de s'en aller et ne point revenir; enfin, délivrons-nous de lui, qui trouble l'ordre de céans. Si vos pouvoirs, messieurs, ne s'étendent pas jusque-là, c'est un grand mal, et c'est le cas de demander une loi exprès. J'en veux bien faire la pétition au nom de toutes nos communes, et m'offre pour cela volontiers, quelque danger qu'il puisse y avoir, comme je le sais par expérience, à user de ce droit aujourd'hui.»>

J'avais ce discours dans ma poche, et l'aurais lu au tribunal, sans y changer une syllabe; car lorsqu'il faut improviser, j'appelle mon ami Berville; mais comme je montais l'escalier, plus animé, plus échauffé que je ne le fus jamais, l'Anglais vint à moi, me parla, me fit parler par des personnes auxquelles on ne peut rien refuser. Que voulez-vous? Ma foi, monsieur, l'affaire en est demeurée là. J'en suis fâché, lorsque j'y pense, car enfin l'intérêt de toute la commune a cédé, en cette rencontre, aux recommandations, sollicitations de femmes, d'amis, que sais-je? C'est, je crois, la première fois que cela soit arrivé en France, et, sans doute, ce sera la dernière.

Je suis, monsieur, etc.

COURRIER FRANÇAIS.

4 octobre 1823.

A monsieur le Rédacteur du Courrier Français.

MONSIEUR,

Dans une brochure publiée sous mon nom en pays étranger, on attaque des gens que je ne connais point, et d'autres que j'honore. L'imposture est visible; peu de personnes, je crois, y ont été trompées. Cependant je vous prie, à telle fin que de raison, de vouloir bien déclarer que cet écrit n'est pas de moi. On y parle de grands, ce que je ne fais point sans quelque nécessité; on y blâme de gouvernement d'actes, selon moi, pernicieux. En ce sens je pourrais être auteur de la brochure mais on blâme en ennemi, ce n'est pas ma manière; je suis aussi loin de haïr que d'approuver le gouvernement dans la marche qu'il suit; je n'en espère pas de sitôt un meilleur, et le crois moins mauvais que ceux qui l'ont précédé.

:

Annoncez, je vous prie, ma traduction de Longus, qui s'imprime à présent, corrigée, terminée : c'est un joli ouvrage, un petit poème en prose, où il s'agit de moutons, de bergers, de gazons; la première édition fut saisie à Florence par ordre de l'empereur Napoléon-le-Grand : j'imprimai le grec à Rome, il fut saisi de même. Revenu à Paris, quand il n'y eut plus d'empereur,

et toujours occupé de Chloé, de ses brebis, je retouchais ma version, lorsqu'on me mit en prison à Sainte-Pélagie: ce fút là que je fis ma seconde édition; la troisième va bientôt paraître chez Merlin, quai des Augustins, beau papier, impression de Didot.

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Parlez un peu, je vous prie, dans vos feuilles de ma belle traduction d'Hérodote, fort belle suivant mon opinion. Des personnes habiles, sur un premier essai qui parut l'an passé, en ont dit leur avis, qui n'est pas tout-à-fait d'accord avec le mien. Je leur réponds aujourd'hui par un autre fragment traduit du même auteur, avec une préface où je défends ma méthode, expose mes principes, montrant d'une façon claire et incontestable que j'ai raison contre la critique dont pourtant je tâche de profiter : croire conseil est ma devise.

Annoncez l'édition des Cent nouvelles nouvelles, à laquelle je travaille avec M. Merlin, jeune libraire instruit, qui m'est d'un grand

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