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marquis mais, de grace, corrigez cette façon de parler. Je ne fus concurrent de personne à Chinon, n'ayant nulle part concouru, que je sache, avec qui que ce soit; je n'ai demandé ni souhaité d'être député, non que je ne tinsse à grand honneur d'être vraiment élu, comme dit BenjaminConstant; mais diverses raisons me le faisaient plutôt craindre que désirer les périls de la tribune, l'appréhension fondée de mal remplir l'attente de ceux qui me croyaient capable de quelque chose pour le bien général, plus que tout, l'embarras d'être d'une assemblée où je n'aurais pu me taire en beaucoup d'occasions sans trahir mon mandat, ni parler sans risquer d'outrepasser la mesure de ce qui s'y peut dire : vous m'entendez assez. Pour M. le marquis, de tels inconvéniens n'étaient point à redouter. Il sera dispensé de parler, et peut opiner du bonnet, chose qui ne m'eût pas été permise. Il n'aura qu'à recueillir les fruits de sa nomination; c'est pour lui une bonne affaire; aussi s'en était-il occupé de longue main avec l'attention et le soin que méritait la chose. Il a heureusement réussi ; aidé de toute la puissance du gouvernement, de son pouvoir comme maire du lieu, de son influence comme président, de sa fortune considérable; tandis que moi, son concurrent, pour user de ce mot avec vous, moi, laboureur, je n'ai bougé de ma charrue.

Quelques personnes, dont l'estime ne m'est nullement indifférente, m'ont blâmé de cette tranquillité. On n'exigeait pas de moi de tenir table ouverte comme un riche marquis, de loger, défrayer, nourrir et transporter à mes dépens les électeurs; mais on voulait qu'au moins je parusse à Chinon. Un homme de grand sens', qui s'est rendu célèbre en enseignant et pratiquant la philosophie, a dit à ce sujet qu'il ne donnerait sa voix, s'il était électeur, qu'à quelqu'un qui la demanderait, à un candidat déclaré: je n'ai pu savoir ses raisons. Il en a sans doute, et de fort bonnes. Quant à moi, le raisonnement, n'est pas ce qui me guide en cela, c'est une répugnance invincible à postuler, solliciter : j'ai pour moi des exemples à défaut de raisons. Montaigne et Bodin furent tous deux députés aux états de Blois sans l'avoir demandé. Pareille chose est arrivée de nos jours, en Angleterre, à Samuel Romilly, et je pense aussi à Sheridan. Voilà de graves autorités; vous me citerez Caton, qui demanda le consulat : ce n'est pas ce qu'il a fait de mieux; on lui préféra Vatinius, le plus grand maraud de ce temps-là. Mon désappointement, si j'eusse brigué, comme Caton, serait moins fâcheux que le sien. M. le marquis d'Effiat est un honnête homme, et même je crois ses scrutateurs de fort honnêtes gens aussi.

Le professeur Cousin.

D'ailleurs je suis élu, dans le sens de Benjamin, je suis vraiment élu, comme vous allez voir; car aux cent soixante voix que m'accorde le bureau de M. le marquis d'Effiat, si vous ajoutez celles des électeurs absens par différentes causes, qui tous étaient miens sans nul doute, et puis les voix de ceux des électeurs présens qui n'osèrent, sous les yeux de M. le marquis, écrire un autre nom que le sien, de ceux qui, ne sachant pas lire....., de ceux encore....., mais que sert? Voilà déjà bien plus que la majorité. Je puis donc dire que je suis l'élu du département, et que M. le marquis est l'élu des ministres. Cela vaut mieux pour lui, je crois; l'autre me convient davantage. Que si, sortant un peu de la salle électorale, nous prenious les votes de ceux qui paient moins de cent écus, ou n'ont pas trente ans d'âge, parmi ceux-là, monsieur, j'aurais beaucoup de voix. En effet, les amis de M. le marquis se trouvaient là tous dans cette salle, où pas un d'eux ne manqua de se rendre; gens dont la grande affaire, l'unique affaire était l'élection du marquis. Au lieu que mes amis, à moi, dispersés, occupés ailleurs, dans les champs, dans les ateliers, partout où se faisait quelque chose d'utile, n'étaient qu'en petite partie: la millième partie ne se trouvait pas là présente. J'ai pour amis tous ceux qui ne mangent pas du budget, et qui, comme moi, vivent de travail. Le nombre en est grand

dans ce pays et augmente tous les jours. En un mot, s'il faut vous le dire, mes amis ici sont dans le peuple; le peuple m'aime, et savez-vous, monsieur, ce que vaut cette amitié? Il n'y en a point de plus glorieuse; c'est de cela qu'on flatte les rois. Je n'ai garde, avec cela, d'envier au marquis la faveur des ministres, et ses deux cent vingt voix, pour lesquelles je ne donnerais pas, je vous assure, mes cent soixante, non quêtées, non sollicitées.

J'ai l'honneur d'être, etc.

Véretz, le 18 mai.

COURRIER FRANÇAIS. 1er février 1823.

(Le public entendit mal cette lettre : on y chercha des allusions qui n'y étaient pas. Ce fut la faute de l'auteur; le public ne peut avoir tort. Il s'agit d'un fait véritable, le procès de Paul-Louis Courier contre certains chasseurs anglais. Cette affaire fut arrangée par l'entremise de quelques amis.)

Au rédacteur du Courrier-Français.

MONSIEUR,

Apparemment vous savez, comme tout le monde, mon procès avec cet Anglais qui est venu chasser dans mes bois. Vous serez bien aise d'apprendre que nous nous sommes accommodés; la chose fait grand bruit. On ne parle que de cela depuis le

Chène-Fendu jusqu'à Saint-Avertin; et, comme il arrive toujours dans les affaires d'importance, on parle diversement. Les uns disent que j'ai bien fait d'entendre à un arrangement; que la paix vaut mieux que la guerre; que l'Angleterre est à ménager dans les circonstances présentes; qu'on ne sait ce qui peut arriver. Mais d'autres soutiennent que j'ai eu tort d'épargner ces coureurs de renards, qu'il en fallait faire un exemple, qu'il y va du repos de toute notre commune. Pour moi, c'était mon sentiment; aussi l'avais-je fait assigner, et j'allais parler de la sorte devant les juges:

Messieurs, d'après le procès-verbal qu'on vient de mettre sous vos yeux, vous voyez de quoi il s'agit. Monsieur Fisher, Anglais, cité devant vous plusieurs fois pour avoir chassé sur les terres de différens particuliers, autant de fois condamné, paie l'amende, et se croit quitte envers ceux dont il a violé la propriété. C'est une grande erreur que cela, et vous le sentirez, j'espère. Outre que ceux mêmes qui reçoivent de lui quelque argent ne sont point par-là satisfaits, plusieurs ne reçoivent rien, et souffrent par son fait; car nos terres, comme vous savez, étant, graces à Dieu, divisées en une infinité de petites portions et les héritages mêlés, avec ses chiens et ses piquears il ravage les champs de cent cultivateurs, ou de mille peut-être, et n'en dédom

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