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Le président. Votre âge?

Courier. Quarante-neuf ans.

Le président. Comment avez-vous pu dire que la noblesse ne devait sa grandeur et son illustration qu'à l'assassinat, la débauche, la prostitution?

Courier. Voici ce que j'ai dit: Il n'y a pour les nobles qu'un moyen de fortune, et de même pour tous ceux qui ne veulent rien faire; ce moyen, c'est la prostitution. La cour l'appelle galanterie. J'ai voulu me servir du mot propre et nommer la chose par son nom.

Le président. Jamais le mot de galanterie n'a eu cette signification. Au reste, si l'histoire a fait quelques reproches à des familles nobles, ils peuvent également s'appliquer aux familles qui n'étaient pas nobles.

Courier. Qu'appelez-vous reproches, M. le président? Tous les Mémoires du temps vantent cette galanterie, et la noblesse en était fière comme de son plus beau privilége. La noblesse prétendait devoir seule fournir des maîtresses aux princes; et quand Louis XV prit les siennes dans la roture, les femmes titrées se plaignirent.

Le président. Jamais l'histoire n'a fait l'éloge de la drostitution.

Courier. De la galanterie, M. le président, de la galanterie.

Le président. Vous avez employé le mot de

prostitution. Vous savez ce que vous dites. Vous êtes un homme instruit. On rend justice à vos talens, à vos rares connaissances.

Courier. J'ai employé ce mot faute d'autre plus précis. Il en faudrait un autre; car, à dire vrai, cette espèce de prostitution n'est pas celle des femmes publiques; elle est différente et infiniment pire.

Le président. Comment la souscription pour, S. A. R. Mgr. le duc de Bordeaux ne vous a-t-elle inspiré que de pareilles idées?

Courier. Dans ce que j'ai écrit, il n'y a rien contre la famille royale.

Le président. Aussi n'est-ce pas de quoi l'on vous accuse ici.

Courier. C'est qu'on ne l'a pas pu, M. le président. On eût bien voulu faire admettre cette accusation; mais il n'y a pas eu moyen. On cherchait un délit plus grave; on n'a trouvé que ce prétexte d'offense à la morale publique.

Le président. Vous insultez une classe, une partie de la nation.

Courier. Je n'insulte personne. J'ai parlé des ancêtres de la noblesse actuelle, dans laquelle je connais de fort honnêtes gens qui ne vont point à la cour. J'en ai vu à l'armée faire comme les vilains, défendre leur pays. Serait-ce insulter les Romains de dire que leurs aïeux furent des voleurs, des brigands? Ferais-je tort aux Améri

cains si je les déclarais descendus de malfaiteurs et de gens condamnés à la déportation? J'ai voulu montrer l'origine des grandes fortunes dans la noblesse, et de la grande propriété.

Le président. Vous avez outragé tout le corps de la noblesse, l'ancienne et la nouvelle, et vous ne respectez pas plus l'une que l'autre.

Courier Sans m'expliquer là-dessus, je vous ferai remarquer, M. le président, que j'ai spécifié particularisé la noblesse de race et d'antique origine..

Le président. Eh bien dans l'ancienne noblesse, il y a des familles sans tache, qui ne doivent rien aux femmes les Noailles, les Richelieu.....

Courier. Les Richelieu ! Tout le monde sait l'histoire du pavillon d'Hanovre, et de la guerre d'Allemagne. Madame de Pompadour étant premier ministre.....

Le président. Assez point de personnalités.. Courier. Je réponds à vos questions, M. le président. Sans madame de Maintenon, les Noailles.... Le président. On ne vous demande pas ces détails historiques.

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Courier. La prostitution, M. le président; toujours la prostitution.

Le président. Les faveurs de la cour s'obtiennent sur le champ de bataille, par des services..... Courier. Par des femmes, M. le président.

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Le président. Votre décoration de la Légiond'Honneur, l'avez-vous donc eue par les femmes ?

Courier. Ce n'est pas une faveur, et je n'ai pas fait fortune: il s'agit des fortunes. Je n'ai jamais eu rien de commun avec la cour, et puis je ne suis pas noble.

Le président. Vous avez la noblesse personnelle, vous êtes noble.

Courier. J'en doute, M. le président, permettez-moi de vous le dire; je doute fort que je sois noble. Mais enfin, je veux bien m'en rapporter

à vous.

(A chaque réponse de l'accusé il s'élevait dans l'assemblée un murmure qui peu à peu se changeait en applaudissemens. L'avocat général. crut devoir mettre ordre à cela. M. le président, dit-il, ce bruit est contraire à la loi.)

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Le président. Messieurs, point d'applaudissemens. Vous n'êtes pas au spectacle. Je ferai sortir d'ici tous les perturbateurs. — Prévenu, vous avez dit que la cour mangerait Chambord.

Courier. Oui. Qu'y a-t-il en cela qui offense la morale?

Le président. Mais, qu'entendez-vous par la cour?

Courier. La définir serait difficile. Toutefois je dirai que la cour est composée des courtisans, des gens qui n'ont point d'autre état que de faire

valoir leur dévouement, leur soumission respectueuse, leur fidélité inviolable.

Le président. Il n'y a point chez nous de courtisans en titre. La cour, ce sont les généraux, les maréchaux, les hommes qui entourent le roi. Et que veut dire encore : Les prêtres donnent tout à Dieu? Cela est contre la religion.

Courier. Contre les prêtres tout au plus. Ne confondons point les prêtres avec la religion, comme on veut toujours faire.

Le président. Les prêtres sont désintéressés ; ils ne veulent rien que pour les pauvres.

Courier. Oui; le pape se dit propriétaire de la terre entière; c'est donc pour la donner aux pauvres. Au reste, ce que j'ai écrit n'offense pas même les prêtres; car il signifie simplement : Les prêtres voudraient que tout fût consacré à Dieu.

Après cet interrogatoire, où le public ne parut pas un seul moment indifférent, l'avocat-général, maître Jean de Broë, prit la parole, ou, pour mieux dire, prit son papier, car il lisait. C'est un homme de petite taille, qui parle de grands magistrats, et assure que la noblesse leur appartient de droit avec ce qui s'ensuit, honneurs et priviléges; d'où l'on peut sans faute conclure que, dans cette affaire, croyant plaider sa propre cause, et combattre pour ses foyers, il y aura mis tout son savoir. Il prononça un discours long, et que pen de gens auront lu imprimé dans le Moniteur, mais

A

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