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nulle part. J'en conclus aussitôt que leur affaire était faite; qu'ils perdraient la partie, et paieraient le dîner dont ils ne mangeaient pas; je ne me suis point trompé.

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J'étais là le plus petit des grands propriétaires, ne sachant où me placer parmi tant d'honnêtes gens qui payaient plus que moi, quand je trouvai, devinez qui? Cadet Roussel, vieille connaissance, à qui je dis, en l'abordant : Qu'as-tu, Cadet? puis je me repris: Qu'avez-vous, M. de Cadet? ( car c'est sa nouvelle fantaisie de mettre un de avec son nom, depuis qu'il est éligible et maire de sa commune). Je vous vois soucieux, inquiet. Ce n'est pas sans sujet, me dit-il. J'ai trois maisons, comme vous savez l'une est celle de mon père, où je n'habite plus; l'autre appartenait ci-devant à M. le marquis de.... chose, qui s'en alla, je ne sais pourquoi, dans le temps de la révolution. J'achetai sa maison pendant qu'il voyageait. C'est celle où je demeure et me trouve fort bien. La troisième appartenait à Dieu, et de même je m'en suis accommodé. Je viens de voir là-bas, vers la droite, des gens qui parlaient de restituer, et disaient que de mes trois maisons la dernière doit retourner à Dieu, les deux autres pourraient servir à recomposer une grande propriété pour le marquis. A ce compte, je n'aurais plus de maison. Je vous avoue que cela m'a donné à penser. C'est dommage pour vous, lui dis-je, que d'autres

comme vous, peu amis de la restitution, ne se trouvent point ici. On ne les a pas invités, et je m'étonne de vous y voir, Ah! me dit-il, c'est que je pense bien. Je ne pense point comme la canaille. Je vois la haute société, ou je la verrai bientôt du moins, car mon fils me doit présenter chez ses parens. —Qui? quels parens? — Eh! oui, mon fils de la Rousselière se marie, ne le savezvous point? il épouse une fille d'une famille................ Ah! il sera dans peu quelque chose. J'espère par son moyen arranger tout. J'entends, vous voudriez par son moyen voir la haute société et ne point restituer.-Justement. - Garder l'hôtel de chose et y recevoir le marquis? — C'est cela. — Vous aurez de la peine.

Comme je regardais curieusement partout, t, j'aperçus Germain dans un coin, parlant à quelquesuns de la gauche; il semblait s'animer, et, m'approchant, je vis qu'il s'agissait entre eux de ce qu'on devait écrire sur ces petits billets. Écrivez, disait-il, écrivez le bonhomme Paul, qui demeure là-haut, sur le coteau du Cher. Il n'est pas jacobin, mais il ne veut point du tout qu'on pende les jacobins; il n'aime pas Bonaparte, mais il ne veut point qu'on emprisonne les bonapartistes : nommez-le, croyez-moi. Il sait écrire, parler; il vous défendra bien vous êtes sûrs au moins qu'il ne vous vendra pas; c'est quelque chose à présent. Non, répondirent-ils, ce Paul n'est pas des no

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tres. Il en sera bientôt, reprit Germain, car on l'a vu toujours du parti opprimé. Aristocrate sous Robespierre, libéral en 1815, il va être pour vous, et ne vous renoncera que quand vous serez forts, c'est-à-dire insolens. Non, nous voulons des nôtres. Mais personne n'en veut; vous allez être seuls, et que pensez-vous faire?

Rien, nous voulons ceux-là. Ils ne savent pas grand chose, et sont peut-être un peu sujets à caution. Mais ce sont nos compères, et Paul, dont vous parlez, n'est compère de personne. Germain, à ce discours: Mes amis, leur dit-il, je crois que vous serez pendus, vous et les vôtres oui, pendus à vos pruniers, et j'aurai le plaisir. d'y avoir contribué. Car je vais de ce pas me joindre à messieurs de droite, et voter avec eux. Que me faut-il à moi, culbuter les ministres; pour cela les ultras sont aussi bons que d'autres, sinon meilleurs. Adieu.

Je voulais passer avec lui du côté des honnêtes gens. Mais en chemin je trouvai des ministériels qui parlaient de places, et disaient, Il n'y en a point qui soit sûre. Comme j'entends un peu la fortification, je m'arrêtai à les écouter. Il n'y en a pas une, disaient-ils, sur laquelle on puisse compter. C'est sans doute, leur dis-je, que les remparts ne sont pas bien entretenus, ou faute d'approvisionnement? Ils me regardaient étonnés. Oui, reprit un d'eux, que je meure s'il y a une

place à présent qu'aucune Compagnie d'Assurance voulût garantir pour un mois. Cependant, leur dis je, il me semble qu'avec de grandes demilunes, des fronts en ligne droite et un bon défilement, on doit tenir un certain temps. Ils me regardèrent plus surpris que la première fois, et le même homme continua: Ma foi, vu leur peu de sûreté, les places aujourd'hui ne valent pas grand'chose. Vous voulez dire, lui répliquai-je, que les meilleures ont été livrées à l'ennemi.

Comme je semblais les gêner, je m'en allai, fâché de quitter cette conversation, et plus loin je rencontrai l'honnête procureur, qui passe pour mener tout le parti noble ici. C'est Calas ou Colas qu'on le nomme, je crois; garçon d'un vrai mérite. Avez-vous remarqué que depuis quelque temps les nobles nulle part ne font rien, s'ils ne sont menés par des vilains? Qu'est-ce que Lainé, de Villèle, Ravez, Donnadieu, Martainville, sinon' les chefs de la noblesse, et tous vilains? Sans eux, que deviendrait le parti des puissances étrangères, réduit à M. de Marcellus? et, chez ces puissances, qu'aurait fait la noblesse allemande, si les vilains ne l'eussent entraînée contre l'armée de Bonaparte, qui elle-même alla très-bien, étant menée par des vilains, mal aussitôt qu'elle fut commandée par des nobles; autre point à noter. Mais où en étions-nous? à Colas, procureur et chef de la noblesse. Je suis content, disait-il, oui,

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je suis fort content de M. de Duras, il a du caractère, et je n'aurais pas cru qu'un gentilhomme, un duc......., aussi, l'ai-je fait président de notre club des Carmélites, club d'honnêtes gens. Nous nous assemblâmes hier, lui président, moi secrétaire; nous avons tous prêté serment entre les mains de M. le duc. Ils ont juré foi de gentilhomme, moi, foi de procureur, et j'ai fait le procès-verbal de la séance. Mais, le bon de l'affaire, c'est que le préfet s'est avisé d'y trouver à redire. Là-dessus nous l'avons mené. de la bonne manière, et M. de Duras a montré ce qu'il est. Monsieur, lui a-t-il dit, je vous défends, au nom de mon gouvernement, de vous mêler des élections. Voilà parler cela, et voilà ce que c'est que de la fermeté. Le pauvre préfet n'a su que dire. Je vous assure, moi, que la noblesse a du bon, et fera quelque chose, Dieu aidant, avec les puissances étrangères. Tout cela ne demande qu'à être un peu conduit, et j'en fais mon affaire.

Il continua, et je l'écoutais avec grand plaisir, quand le président, m'appelant, me donna un de ces billets où il fallait écrire deux noms. Pour moi, j'y voulais mettre Aristide et Caton. Maison me dit qu'ils n'étaient pas sur la liste des éligibles J'écrivis Bignon et un autre; Bignon, vous le connaissez, je crois, celui qui ne veut pas qu'on proscrive; et je m'en allai comme j'étais venu, à travers les gendarmes.

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