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refusent la dîme, et d'écraser contre la pierre les têtes de leurs enfans. Mais malheureusement tout n'est pas moines chez nous.

La nation (laissons là cette classe élevée pour qui le général Foy a tant d'estime depuis qu'il ne la protège plus, poignée de fidèles tout à vous, qui ne peut se passer de vous, et n'a de patrie qu'avec vous), la nation se divise en nobles et vilains des nobles, les uns le sont par la grace de Dieu, les autres par le bon plaisir de Napoléon. Lequel vaut mieux? on ne sait. Ce sont deux corps qui s'estiment, dit Foy, réciproquement, s'admirent, et volontiers prennent des airs l'un de l'autre. La Tulipe, homme de cour, a quitté son briquet pour se faire talon rouge: c'est maintenant, on le peut dire, un cavalier parfait, rempli de savoir-vivre et de délicatesse: on n'a pas meilleur ton que monsieur ou monseigneur le comte de la Tulipe. Et voilà ́Dorante hussard; depuis quand? depuis la paix. Sentant la caserne, si ce n'est peut-être le bivouac. Sous le fardeau de deux énormes épaulettes, il jure comme Lannes, bat ses gens comme Junot, et, faute de blessures, il à des rhumatismes, fruit de la guerre, entendez-vous, de ses campagnes de Hyde-Park et de Bond-Street; éperonné, botté, prêt à monter à cheval, il attend le boute-selle. L'esprit de Bonaparte n'est pas à Sainte-Hélène, il est ici dans les hautes classes.

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On rève, non les conquêtes, mais la grande parade; on donne le mot d'ordre, on passe des revues, on est fort satisfait. Un grand ne va point p.....r sans son état-major et le p..... d. M..... couche en bonnet de police. La vieille garde cependant grasseie et porte des odeurs.

Telle est l'admiration qu'ont les uns pour les autres ces gens de deux régimes en apparence contraires. Ils s'imitent, se copient. Ni les uns ni les autres ne vous donneront d'embarras. Vous trouverez des manières dans l'ancienne noblesse, et dans la nouvelle des formes. Les seigneurs vous 'accueilleront avec cette grace vraiment française et cette politesse chevaleresque, apanage de la haute naissance. Nos aimables barons, formés sur le modèle d'Elléviou, vous enseigneront la belle tenue de l'état-major de Berthier et l'étiquette des maréchaux, sans oublier le dévouement, l'enthousiasme, le feu sacré. Tout ce qui est issu de race, ou destiné à faire race, s'accommode sans peine avec vous. Ces gens qui tant de fois ont juré de mourir; ces gens toujours prêts à verser leur sang jusqu'à la dernière goutte pour un maître chéri, une famille auguste, une personne sacrée, ces gens qui meurent et ne se rendent pas sont de facile composition, et vous le savez bien. Mais il y a chez nous une classe moins élevée, quoique mieux élevée, qui ne meurt pour personne, et qui, sans dévoue

ment, fait tout ce qui se fait; bâtit, cultive, fabrique autant qu'il est permis; lit, médite, calcule, invente, perfectionne les arts, sait tout ce qu'on sait à présent, et sait aussi se battre, si se battre est une science. Il n'est vilain qui n'en ait fait son apprentissage, et qui là-dessus n'en remontre aux descendans des Duguesclin. Georges le laboureur, André le vigneron, Pierre, Jacques le bon homme, et Charles qui cultive ses trois cents ȧrpens de terre, et le marchand, l'artisan, le juge, l'avocat, et notre digne vicaire, tous ont porté les armes; tous vous ont fait la guerre. Ah! s'ils n'eussent jamais eu le grand homme à leur tête,...... sans la troupe dorée, les comtes, les ducs, les princes, les officiers de marque...., si la roture en France n'eût jamais dérogé, ni la valeur dégénéré en gentilhommerie, jamais nos femmes n'eussent entendu battre vos tambours.

Or, ces gens-là et leurs enfans, qui sont grandis depuis Waterloo, ne font pas chez nous si peu de monde, qu'il n'y en ait bien quelques millions n'ayant ni manières de Versailles, ni formes de la Malmaison, et qui, au premier pas que vous ferez sur leurs terres, vous montreront qu'ils se souviennent de leur ancien métier; car il n'est alliance qui tienne, et si vous venez les piller au nom de la très-sainte et très-indivisible Trinité, eux, au nom de leurs familles, de leurs champs, de leurs troupeaux, vous tireront

des coups de fusil. Ne comptant plus pour les défendre sur le génie de l'empereur, ni sur l'hé roïque valeur de son invincible garde, ils prendront le parti de se défendre eux-mêmes; fâcheuse résolution, comme vous savez bien, qui déroute la tactique, empêche de faire la guerre par raison démonstrative, et suffit pour déconcerter les plans d'attaque et de défense le plus savamment combinés. Alors, si vous êtes sages, rappelez-vous l'avis que je vais vous donner. Lorsque vous marcherez en Lorraine, en Alsace, n'approchez pas des haies, évitez les fossés, n'allez pas le long des vignes; tenez-vous loin des bois, gardez-vous des buissons, des arbres, des taillis, et méfiezvous des herbes hautes; ne passez point trop près des fermes, des hameaux, et faites le tour des villages avec précaution; car les haies, les fossés, les arbres, les buissons, feront feu sur vous de tous côtés, non feu de file ou de peloton, mais feu qui ajuste, qui tue; et vous ne trouverez pas, quelque part que vous alliez, une hutte, un poulailler qui n'ait garnison contre vous. N'envoyez point de parlementaires, car on les retiendra; point de détachemens, car on les détruira point de commissaires, car....... Apportez de quoi vivre; amenez des moutons, des vaches, des cochons, et puis n'oubliez pas de les bien escorter ainsi que vos fourgons. Pain, viande, fourrage et le reste, ayez provision de tout; car vous ne

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trouverez rien où vous passerez, si vous passez, et vous coucherez à l'air, quand vous vous coucherez; car nos maisons, si nous ne pouvons vous en écarter, nous savons qu'il vaut mieux les rebâtir que les racheter; cela est plus tôt fait, coûte moins. Ne vous rebutez pas, d'ailleurs, si vous trouviez, dans cette façon de guerroyer, quelques inconvéniens. Il y a peu de plaisir à conquérir des gens qui ne veulent pas être conquis, et nous en savons des nouvelles. Rien ne dégoûte de ce métier comme d'avoir affaire aux classes inférieures. Mais ne perdez point courage; car si vous reculiez, s'il vous fallait retourner sans avoir fait la paix ni stipulé d'indemnités, alors, alors, peu d'entre vous iraient conter à leurs enfans ce que c'est que la France en tirailleurs, n'ayant ni héros ni péquins.

Apprenez, dit le prophète, apprenez, grands. de la terre; c'est-à-dire, messieurs du congrès, renoncez aux vieilles sottises. Instruisez-vous, arbitres du monde ; c'est-à-dire, Excellences, regardez ce qui se passe, et faites-vous sages, s'il se peut. L'Espagne se moque de vous, et la France ne vous craint pas. Vos amis ont beau dire et faire, nous ne sonimes pas disposés à nous gouverner par vos ordres; et ni eux, avec leurs sept hommes, ni vous, avec vos sept cent mille, ne nous faites la moindre peur; partant, je ne vois nulle raison de changer notre allure pour vous

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