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vage et la brebis timide sont-elles accourues pour le réchauffer de leurs toisons? Lorsque, errant sans défense et sans asile, il entendit, la nuit, les hurlements des bêtes féroces qui demandaient de la proie, a-t-il supplié le chien généreux en lui disant : « Sois mon défenseur, et tu seras mon esclave? » Qui aurait pu lui soumettre tant d'ani maux qui n'avaient pas besoin de lui, qui le surpassaient en ruse, en légèreté, en force, si la main qui, malgré sa chute, le destinait encore à l'empire, n'avait abaissé leurs têtes à l'obéissance?

Comment l'homme, d'une raison moins sûre que leur instinct, a-t-il pu s'élever jusque dans les cieux, mesurer le cours des astres, traverser les mers, conjurer le tonnerre, imiter la plupart des ouvrages et des phénomènes de la nature? C'est ce qui nous étonne aujourd'hui; mais je m'étonne bien plutôt que le sentiment de la divinité eût parlé à son cœur bien avant que l'intelligence des ouvrages de la nature eût perfectionné sa raison. Voyez-le, dans l'état sauvage, en guerre perpétuelle avec les éléments, avec les bètes féroces, avec ses semblables, avec lui-même, souvent réduit à des servitudes qu'aucun animal ne voudrait supporter; et il est le seul être qui montre jusque dans la misère le caractère de l'infini et l'inquiétude de l'immortalité. Il élève des trophées, il grave ses exploits sur l'écorce des arbres : il prend le soin de ses funérailles, et il révère les cendres de ses ancêtres, dont il a reçu un héritage si funeste. Il est sans cesse agité par ses passions; quand il n'est pas la victime de ses semblables, il en est le tyran; et seul il a connu que la justice et la bonté gouvernaient le monde, et que la vertu élève l'homme au Ciel. Il ne reçoit à son berceau aucun présent de la nature, ni douces toisons, ni plumages, ni défenses, ni outils pour une vie si pénible et si laborieuse; et il est le seul être qui invite des dieux à sa naissance, à son hymen et à son tombeau. Quelque égaré qu'il soit par des opinions insensées, lorsqu'il est frappé par les secousses imprévues de la joie ou de la douleur, son ame, d'un mouvement involontaire, se réfugie dans le sein de la Divinité. Il s'écrie: « Ah! mon Dieu!» Il tourne vers le ciel des mains suppliantes et des yeux baignés de larmes

pour y chercher un père. Ah! les besoins de l'homme attestent la providence d'un Être suprême. Il n'a fait l'homme faible et ignorant qu'afin qu'il s'appuyât de sa force et qu'il s'éclairât de sa lumière; et bien loin que le hasard ou des génies malfaisants règnent sur une terre où tout concourait à détruire un être si misérable, sa conservation, ses jouissances et son empire prouvent que dans tous les temps un Dieu bienfaisant a été l'ami et le protecteur de la vie humaine.

(BERNARDIN DE SAINT-PIERRE.)

NÉCESSITÉ DE LA RELIGION.

Roi de la création, l'homme n'est investi que par la religion seule du vrai titre en vertu duquel il exerce cet empire. Aux rapports qu'il avait avec ses égaux, avec la longue échelle des êtres placés au-dessous de lui, la religion vint joindre un nouvel ordre de relations avec une région placée au-dessus de lui. En lui ouvrant l'accès de ce monde plus élevé, elle lui explique le rôle qu'il joue dans celui où il est momentanément placé, comme elle lui explique la création elle-même. Sans elle, ses regards ne se porteraient qu'à son niveau ou à ses pieds; elle les dirige vers les sommités éternelles, vers la source du vrai, du bon et du beau. La religion seule lui révèle et sa propre nature, et sa vraie destinée. Par elle il se reconnaît comme l'enfant de Dieu; par elle il entre en possession d'un avenir. Éclairé par elle, il comprend les limites qui l'obsèdent de toutes parts, le besoin qu'il éprouve de s'en affranchir, parce qu'il découvre comment il s'en dégagera un jour par un perfectionnement progressif. Il comprend la lutte dans laquelle il est engagé, parce qu'il y voit une épreuve salutaire, parce qu'il aperçoit la couronne qui lui est réservée à la suite du triomphe. Le flambeau de la religion répand une vive et bienfaisante lumière sur les trois mystères de la naissance, de la vie, de la mort. La religion est donc indispensable à l'homme, en ce qu'elle lui apprend ce qu'il est, ce qu'il est venu faire sur cette terre, où il va; en ce qu'elle lui apporte ses

titres de famille, le met en possession de son héritage, et se charge de satisfaire à toutes les ambitions de son cœur,

LA PIÉTÉ.

(DE GERANDO.)

Il se rencontre des hommes qui n'aiment point Dieu, et qui ne le craignent point : fuyez-les, car il sort d'eux une vapeur de malédiction.

Fuyez l'impie, car son haleine tue; mais ne le haïssez pas, car qui sait si déjà Dieu n'a pas changé son cœur?

L'homme qui, même de bonne foi, dit: Je ne crois point, se trompe souvent. Il y a bien avant dans l'ame, jusqu'au fond, une racine de foi qui ne sèche point.

La parole qui nie Dieu brûle les lèvres sur lesquelles elle passe, et la bouche qui s'ouvre pour blasphémer est un soupirail de l'enfer.

L'impie est seul dans l'univers. Toutes les créatures louent Dieu, tout ce qui sent le bénit, tout ce qui pense l'adore l'astre du jour et ceux de la nuit le chantent dans leur langue mystérieuse.

Il a écrit au firmament son nom trois fois saint.

Gloire à Dieu dans les hauteurs des cieux !

Il l'a écrit aussi dans le cœur de l'homme, et l'homme bon l'y conserve avec amour; mais d'autres tâchent de l'effacer.

Paix sur la terre aux hommes dont la volonté est bonne! Leur sommeil est doux, et leur mort est encore plus douce; car ils savent qu'ils retournent vers leur Père.

Comme le pauvre laboureur, au déclin du jour, quitte les champs, regagne sa chaumière, et, assis devant la porte, oublie ses fatigues en regardant le ciel : ainsi, quand le soir se fait, l'homme d'espérance regagne avec joie la maison paternelle, et, assis sur le seuil, oublie les travaux de l'exi. dans les visions de l'éternité.

(DE LA MENNAIS.)

NÉCESSITÉ D'ÉTUDIER LA RELIGION.

Que ceux qui combattent la religion apprennent au moins quelle elle est avant de la combattre. Si cette religion se vantait d'avoir une vue claire de Dieu, et de le posséder à découvert et sans voile, ce serait la combattre que de dire qu'on ne voit rien dans le monde qui le montre avec cette évidence. Mais puisque, au contraire, elle dit que les hommes sont dans les ténèbres et dans l'éloignement de Dieu, qu'il s'est caché à leur connaissance, et que c'est même le nom qu'il se donne dans les Ecritures: Deus absconditus (Isaïe, XIV. 15), et puisque enfin elle travaille également à établir ces deux choses, que Dieu a mis des marques sensibles dans l'Église pour se faire reconnaître à ceux qui le chercheraient sincèrement, et qu'il les a couvertes néanmoins de telle sorte, qu'il ne sera aperçu que de ceux qui le cherchent de tout leur cœur; quel avantage peuvent-ils tirer, lorsque dans la négligence où ils font profession d'être de chercher la vérité, ils crient que rien ne la leur montre, puisque cette obscurité où ils sont, et qu'ils objectent à l'Eglise, ne fait qu'établir une des choses qu'elle soutient, sans toucher à l'autre, et confirmer sa doctrine bien loin de la ruiner?

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Il faudrait, pour la combattre, qu'ils criassent qu'ils ont fait tous leurs efforts pour la chercher partout, et même dans ce que l'Église propose pour s'en instruire, mais sans aucune satisfaction. S'ils parlaient de la sorte, ils combattraient, à la vérité, une de ses prétentions; mais j'espère montrer ici qu'il n'y a point de personne raisonnable qui puisse parler de la sorte, et j'ose même dire que jamais personne ne l'a fait. On sait assez de quelle manière agissent ceux qui sont dans cet esprit. Ils croient avoir fait de grands efforts pour s'instruire, lorsqu'ils ont employé quelques heures à la lecture de l'Écriture, et qu'ils ont interrogé quelque ecclésiastique sur les vérités de la foi. Après cela, ils se vantent d'avoir cherché sans succès dans les livres et parmi les hommes. Mais, en vérité, je ne puis m'empêcher de leur dire ce que j'ai dit souvent, que cette négligence n'est pas supportable. Il ne s'agit pas ici de l'intérét

léger de quelque personne étrangère, il s'agit de nousmêmes et de notre tout

L'immortalité de l'ame est une chose qui nous importe si fort, et qui nous touche si profondément, qu'il faut avoir perdu tout sentiment pour être dans l'indifférence de savoir ce qui en est. Toutes nos actions et toutes nos pensées doivent prendre des routes si différentes, selon qu'il y aura des biens éternels à espérer ou non, qu'il est impossible de faire une démarche avec sens et jugement, qu'en la réglant par la vue de ce point qui doit être notre premier objet.

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Ainsi notre premier intérêt et notre premier devoir sont de nous éclaircir sur ce sujet d'où dépend toute notre conduite et c'est pourquoi, parmi ceux qui n'en sont pas persuadés, je fais une extrême différence entre ceux qui travaillent de toutes leurs forces à s'en instruire, et ceux qui vivent sans s'en mettre en peine et sans y penser.

Je ne puis avoir que de la compassion pour ceux qui gémissent sincèrement dans ce doute, qui le regardent comme le dernier des malheurs, et qui, n'épargnant rien pour en sortir, font de cette recherche leur principale et leur plus sérieuse occupation. Mais pour ceux qui passent leur vie sans penser à cette dernière fin de la vie, et, qui par cette seule raison qu'ils ne trouvent pas en eux-mêmes des lumières qui les persuadent, négligent d'en chercher ailleurs, et d'examiner à fond si cette opinion est de celles que le peuple reçoit par une simplicité crédule, ou de celles qui, quoique obscures d'elles-mêmes, ont néanmoins un fondement très-solide, je les considère d'une manière toute différente. Cette négligence dans une affaire où il s'agit d'euxmèmes, de leur éternité, de leur tout, m'irrite plus qu'elle ne m'attendrit : elle m'étonne et m'épouvante; c'est un monstre pour moi. Je ne dis pas ceci par le zèle pieux d'une dévotion spirituelle. Je prétends, au contraire, que l'amourpropre, que l'intérêt humain, que la plus simple lumière de la raison doit nous donner ces sentiments. Il ne faut voir pour cela que ce que voient les personnes les moins éclairées.

Il ne faut pas avoir l'ame fort élevée pour comprendre qu'il n'y a point ici de satisfaction véritable et solide; que

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