Page images
PDF
EPUB

LETTRE DE FONTENELLE

AU CARDINAL DE FLEURY.

4 novembre 1726.

Monseigneur, mon laconisme (1) va être plus grand que jamais. Je n'ai pas seulement besoin de vous dire sur quel sujet je vous fais mon très-sincère compliment. Je suis avec un profond respect, etc.

AU MÊME.

5 juin 1717.

Monseigneur, il y avait excessivement long-temps qu'il ne s'était vu une conduite ou une action de ministre, dont tout le monde sans exception fût content. Je suis, etc.

AU MÊME.

31 décembre 1727.

Monseigneur, parmi toutes vos dignités, il vous en manque une dont je suis revêtu, moi; et comme je suis bon Français, je vous la souhaite de tout mon cœur; bien entendu pourtant que j'en jouirai long-temps encore, aussi bien que quelques successeurs que j'aurai. Je suis, etc.

AU MÊME.

Monseigneur, le mot de l'énigme était que je suis doyen de l'Académie-Française. C'est la dignité que je vous souhaitais, et que je vous souhaite encore, sous les conditions plus amplement expliquées dans ma lettre. Je suis, etc.

(1) Le cardinal lui avait écrit précédemment: Tres-touché de voire laconisie. que tout le monde devrait suivre, hors vous,

[merged small][merged small][ocr errors][merged small]

Vous voyez, Madame, qu'il ne faut pas avoir trop de bonté pour moi, et que je sais bien en abuser. En vérité il est honteux que je vous aie obéi si exactement sur la défense que vous me faisiez de vous écrire. Il est vrai que cela avait l'air de vous obéir, et par conséquent très-bon air de ce côté-là! mais ne voyais-je pas bien que c'était une ironie piquante sur ma maudite paresse, et ne devais-je pas m'en ressentir, et repousser l'ironie en vous écrivant bien vite? c'était bien-là aussi mon premier dessein : l'exécution en aurait dû être prompte, mais de jour en jour il s'y est toujours présenté quelque obstacle, qui n'en aurait pas été un pour un honnête homme, mais qui suffisait pour un infâme paresseux. Ce qui me justifie un peu, c'est que s'il était question de la moindre affaire qui vous regardât, oh! non-seulement j'écrirais, mais j'agirais, j'irais, je viendrais; on n'a pas un vice dans toute sa perfection, non plus qu'une vertu. Je vous suis très-sérieusement et très-tendrement obligé, madame, de l'intérêt que vous voulez bien prendre à ma santé. Elle est toujours à peu près la même, et je ne baisse jusqu'à présent que par degrés assez peu sensibles. Je serais un ingrat, si je me plaignais de la nature à cet égard. On me prèche de tous côtés la sobriété, que je pratique peu; mais la gourmandise est encore pour moi un vice incurable aussi bien que la paresse. Ces deux-là mises ensemble font un joli caractère. C'est dommage que vous les ayez oubliées dans ce portrait qui a tant fait d'honneur a Mile Le Couvreur.

VOLTAIRE A Mme DUPUY,

Femme du secrétaire perpétuel de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, qui, plusieurs années avant son mariage, avait consulté l'auteur sur les livres qu'elle devait lire.

Aux Délices, près Genève, le 20 juin 1756.

Je ne suis, mademoiselle, qu'un vieux malade, et il faut que mon état soit bien douloureux, puisque je n'ai pu répondre plus tôt à la lettre dont vous m'honorez, et que je ne vous envoie que de la prose pour vos jolis vers. Vous me demandez des conseils; il ne vous en faut point d'autre que votre goût. L'étude que vous avez faite de la langue italienne doit encore fortifier ce goût avec lequel vous êtes née, et que personne ne peut donner. Le Tasse et l'Arioste vous rendront plus de services que moi, et la lecture de nos meilleurs poètes vaut mieux que toutes les leçons; mais puisque vous daignez, de si loin, me consulter, je vous invite à ne lire que les ouvrages qui sont depuis longtemps en possession des suffrages du public, et dont la réputation n'est point équivoque. Il y en a peu mais on profite bien davantage en les lisant, qu'avec tous les mauvais petits livres dont nous sommes inondés. Les bons auteurs n'ont de l'esprit qu'autant qu'il en faut, ne le recherchent jamais; pensent avec bon sens, et s'expriment avec clarté. Il semble qu'on n'écrive plus qu'en enigmes. Rien n'est simple, tout est affecté, on s'éloigne en tout de la nature, on a le malheur de vouloir mieux faire que nos maîtres.

Tenez-vous-en, mademoiselle, à tout ce qui plaît en eux. La moindre affectation est un vice. Les Italiens n'ont dégénéré, après le Tasse et l'Arioste, que parce qu'ils ont voulu avoir trop d'esprit, et les Français sont dans le même cas. Voyez avec quel naturel Mme de Sévigné et d'autres dames écrivent. Comparez ce style avec les phrases entortillées de nos petits romans: je vous cite les héroïnes de votre sexe, parce que vous me paraissez faite pour leur ressembler. Il y a des pièces de Mme Deshoulières qu'aucun auteur de nos jours ne pourrait égaler. Si vous voulez que ie vous cite des hommes, voyez avec quelle

clarté, quelle simplicité notre Racine s'exprime toujours. Chacun croit en le lisant, qu'il dirait en prose tout ce que Racine a dit en vers: croyez que tout ce qui ne sera pas aussi clair, aussi simple, aussi élégant, ne vaudra rien du tout.

Vos réflexions, mademoiselle, vous en apprendront cent fois plus que je ne pourrais vous en dire. Vous verrez que nos bons écrivains, Fénelon, Bossuet, Racine, Despréaux employaient toujours le mot propre. On s'accoutume à bien parler en lisant souvent ceux qui ont bien écrit ; on se fait une habitude d'exprimer simplement et noblement sa pensée sans effort. Ce n'est point une étude, il n'en coûte aucune peine de lire ce qui est bon, et de ne lire que cela. On n'a de maître que son plaisir et son goût.

Pardonnez, mademoiselle, à ces longues réflexions, ne les attribuez qu'à mon obéissance à vos ordres. J'ai l'honneur d'être avec respect, etc.

LETTRE DE VOLTAIRE

A LORD HARVEY, GARDE-DES-SCEAUX D'ANgleterre,
SUR LOUIS XIV.

juillet 1740.

Je fais compliment à votre nation, mylord, sur la prise de Porto-Bello, et sur votre place de garde-des-sceaux. Vous voilà fixé en Angleterre; c'est une raison pour moi d'y voyager encore. Ne jugez point, je vous prie, de mon essai sur le siècle de Louis XIV, par les deux chapitres imprimés en Hollande avec tant de fautes qui rendent mon ouvrage inintelligible; mais surtout soyez un peu moins fâché contre moi de ce que j'appelle le siècle dernier, le siècle de Louis XIV. Je sais bien que Louis XIV n'a pas eu l'honneur d'être le maître, ni le bienfaiteur d'un Bayle, d'un Newton, d'un Halley, d'un Addisson, d'un Dryden : mais, dans le siècle qu'on nomme de Léon X, ce pape Léon X avait-il tout fait? n'y avait-il pas d'autres princes qui contribuèrent à polir et à éclairer le genre humain? cependant le nom de Léon X a prévalu, parce qu'il encouragea les arts plus qu'aucun autre. Eh! quel roi a donc en ceìa rendu plus de services à l'humanité que Louis XIV?

Quel roi a répandu plus de bienfaits, a marqué plus de goût, s'est signalé par de plus beaux établissements? Il n'a pas fait tout ce qu'il pouvait faire, sans doute, parce qu'il était homme; mais il a fait plus qu'aucun autre, parce qu'il était un grand homme. Ma plus forte raison pour l'estimer beaucoup, c'est qu'avec des fautes connues, il a plus de réputation qu'aucun de ses contemporains; c'est que, malgré un million d'hommes dont il a privé la France, et qui tous ont été intéressés à le décrier, toute l'Europe l'estime, et le met au rang des plus grands et des meilleurs monarques.

Nommez-moi donc, mylord, un souverain qui ait attiré chez lui plus d'étrangers habiles, et qui ait plus encouragé le mérite dans ses sujets. Soixante savants de l'Europe recurent à la fois des récompenses de lui, étonnés d'en être

connus.

[ocr errors]

Quoique le roi ne soit pas votre souverain, leur écrivait M. Colbert, il veut être votre bienfaiteur, il m'a commandé de vous envoyer la lettre-de-change ci-jointe comme un gage de son estime. » Un Bohémien, un Danois, recevaient de ces lettres datées de Versailles. Guillemini bâtit une maison à Florence, des bienfaits de Louis XIV; il mit le nom de ce roi sur le frontispice; et vous ne voulez pas qu'il soit à la tête du siècle dont je parle!

Ce qu'il a fait dans son royaume doit servir à jamais d'exemple. Il chargea de l'éducation de son fils et de son petit-fils les plus éloquents et les plus savants hommes de l'Europe. Il eut l'attention de placer trois enfants de Pierre Corneille, deux dans les troupes, et l'autre dans l'église. Il excita le mérite naissant de Racine par un présent considérable pour un jeune homme inconnu et sans bien; et quand ce génie se fut perfectionné, ses talents, qui souvent sont l'exclusion de la fortune, firent la sienne. Il eut plus que de la fortune, il eut la faveur, et quelquefois la familiarité d'un maître, dont un regard était un bienfait; il était en 1688 et en 1689 de ces voyages de Marly, tant brigués par les courtisans; il couchait dans la chambre du roi pendant ses maladies, et lui lisait ces chefs-d'œuvre d'éloquence et de poésie qui décoraient ce beau règne.

Louis XIV songeait à tout; il protégeait les académies

« PreviousContinue »