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mais par malheur j'y étais propre : il fallait un calculateur, ce fut un danseur qui l'obtint. Il ne me restait plus qu'à voler je me fais banquier de pharaon. Alors, bonnes gens! je soupe en ville, et les personnes dites comme il faut m'ouvrent poliment leur maison, en retenant pour elles les trois quarts du profit. J'aurais bien pu me remonter; je commençais même à comprendre que pour gagner du bien, le savoir-faire vaut mieux que le savoir... Mais, comme chacun pillait autour de moi, en exigeant que je fusse honnête, il fallut bien périr encore. Pour le coup, je quittai le monde; et vingt brasses d'eau m'en allaient séparer, lorsqu'un Dieu bienfaisant m'appelle à mon premier état. Je reprends ma trousse et mon cuir anglais; puis, laissant la fumée aux sots qui s'en nourrissent, et la honte au milieu du chemin, comme trop lourde à un piéton, je vais rasant de ville en ville, et je vis enfin sans souci.....

O bizarre suite d'événements! Comment cela m'est-il arrivé ? Pourquoi ces choses, et non pas d'autres ? Qui les a fixées sur ma tête? Forcé de parcourir la route où je suis entré sans le savoir, comme j'en sortirai sans le vouloir, je l'ai jonchée d'autant de fleurs que ma gaîté me l'a permis: encore je dis ma gaîté, sans savoir si elle est plus à moi que le reste, ni même quel est ce moi dont je m'occupe un assemblage informe de parties inconnues, puis un chétif être imbécile, un petit animal folâtre, un jeune homme ardent au plaisir, ayant tous les goûts pour jouir, faisant tous les métiers pour vivre; maître ici, valet là, selon qu'il plaît à la fortune; ambitieux par vanité; laborieux par nécessité, mais paresseux... avec délices; orateur selon le danger; poète par délassement; musicien par occasion! amoureux par folles bouffées : j'ai tout vu, tout fait, tout usé. Puis l'illusion s'est détruite.

(BEAUMARCHAIS.)

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LIVRE VII.

LETTRES.

LETTRE DE BALZAC

A M. D'AMBLEVILLE.

Rome, 25 décembre 1621.

Monsieur,

Je vous attends en la saison du jasmin et des roses, et vous fais l'essai des plaisirs de Rome, afin que vous ne soyez pas empoisonné à votre arrivée. Il est certain que nous sommes ici au pays des belles choses, et que, pour y être heureux, il faut seulement ne pas être aveugle. Le soleil a encore la force de nous faire mûrir des raisins et de nous faire naître des fleurs, et tout l'hiver tombe sur les montagnes voisines, afin que nous ne manquions point de neige pour le mois d'août. Mais si vous voulez que je vienne aux choses plus essentielles, et que je ne vous cèle rien, vous devez savoir qu'il n'y a lieu au monde où la vertu soit si proche du vice, ni où le bien soit plus mêlé avec le mal. Je vous dirai le reste sur les bords du Tibre et dans ces ruines précieuses où je vais rêver une fois le jour, et marcher sur les pas de ceux qui ont mené les rois en triomphe. S'il y avait moyen d'y trouver un peu de la bonne fortune de Sylla et de la grandeur de Pompée, au lieu des médailles qu'on y cherche, j'aurais meilleure rai

son de vous convier de venir. Toutefois, pourvu que vous soyez encore vous-même, et que par un vœu solennel vous ayez renoncé au monde et à ses folies, assurez-vous que c'est en ce pays que votre félicité vous attend, et qu'y étant une fois, vous tiendrez pour bannis tous ceux que vous aurez laissés en France.

LETTRE DE VOITURE

A M. LE PRÉSIDENT DE MAISONS.

Monsieur,

Madame de Marsilly s'est imaginé que j'avais quelque crédit auprès de vous, et moi qui suis vain, je ne lui ai pas voulu dire le contraire. C'est une personne qui est aimée et estimée de toute la cour et qui dispose de tout le parlement. Si elle a bon succès d'une affaire dont elle vous a choisi pour juge, et qu'elle croie que j'y ai contribué en quelque chose, vous ne sauriez croire l'honneur que cela me fera dans le monde, et combien j'en serai plus agréable à tous les honnêtes gens. Je ne vous propose que mes intérêts pour vous gagner; car je sais bien, monsieur, que vous ne pouvez être touché des vôtres; sans cela je vous promettrais son amitié; c'est un bien pour lequel les plus sévères juges se pourraient laisser corrompre, et dont un si honnête homme que vous doit être tenté. Vous le pouvez acquérir justement; car elle ne demande de vous que la justice. Vous m'en ferez une que vous me devez, si vous me faites l'honneur de m'aimer toujours autant que vous avez fait autrefois, et si vous croyez que je suis, etc.

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Je n'ai point d'autre excuse à vous donner du long temps que j'ai été à vous écrire, et à m'acquitter de ce que je vous dois, que ma paresse; outre la mienne naturelle, j'ai encore contracté celle du pays où je suis, qui passe sans doute en fainéantise toutes les nations du monde,

La paresse des Espagnols est si grande, qu'on ne les a jamais pu contraindre à balayer devant leurs portes, et il en coûte quatre-vingt mille écus à la ville. Quand il pleut, ceux qui apportent du pain à Madrid des villages, ne viennent point, quoiqu'ils le vendissent mieux, et souvent il y faut envoyer la justice. Quand le blé est cher en Andalousie, s'ils en ont en Castille, ils ne prennent pàs la peine de l'y envoyer, ni les autres d'en venir quérir, il faut qu'on leur en porte de France ou d'ailleurs. Quand un villageois, qui a cent arpens, en a labouré cinquante, s'il croit en avoir assez, il laisse le reste en friche; ils laissent les vignes venir d'elles-mêmes et sans y rien faire. Un Italien qui tailla la sienne, en trois ans la racheta de prix. La terre d'Espagne est très-fertile; leur soc n'entre que quatre doigts dedans, et souvent rapporte quatre-vingts pour un; ainsi, s'ils sont pauvres, ce n'est que parce qu'ils sont rogues et paresseux.

LETTRE DE RACINE

A SON FILS.

Fontainebleau, 8 octobre 1692.

Je voulais presque me donner la peine de corriger les fautes de votre version, et vous la renvoyer en l'état où il faudrait qu'elle fût; mais j'ai trouvé que cela me prendrait trop de temps à cause de la quantité d'endroits où vous n'avez pas attrapé le sens. Je vois bien que les épîtres de Cicéron sont encore trop difficiles pour vous, parce que pour les bien entendre il faut posséder parfaitement l'histoire de ce temps-là, et que vous ne la savez point. Ainsi je trouverais plus à propos que vous me fissiez à votre loisir une version de cette bataille de Trasymène dont vous avez été si charmé, à commencer par la description de l'endroit où elle se donna. Ne vous pressez point, et tournez la chose le plus naturellement que vous pourrez. J'approuve fort vos promenades à Auteuil; mais faites bien concevoir à M. Despréaux combien vous êtes reconnaissant de la bonté qu'il a de s'abaisser à s'entretenir avec vous. Vous pouvez prendre Voiture parmi mes livres, si cela vous fait plaisir; mais il faut un grand choix pour lire ses lettres. J'aimerais

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