ne servent qu'à marquer un droit qu'elle a et que vous ne lui laissez pas exercer : et vous ne faites pas, mais vous représentez ce que vous devriez faire. F. CORTEZ. N'est-ce pas beaucoup? La raison a si peu de pouvoir chez vous qu'elle ne peut seulement rien mettre dans vos actions qui vous avertisse de ce qui y devrait être. MONTEZUME. Mais vous vous souvenez d'elle aussi inutilement que certains Grecs, dont on m'a parlé ici, se souvenaient de leur origine. Ils s'étaient établis dans la Toscane, pays barbare selon eux, et peu à peu ils en avaient si bien pris les coutumes qu'ils avaient oublié les leurs. Ils sentaient pourtant je ne sais quel déplaisir d'être devenus barbares, et tous les ans, à certains jours, ils s'assemblaient : ils lisaient en grec les anciennes lois qu'ils ne suivaient plus et qu'à peine entendaient-ils encore; ils pleuraient et puis se séparaient. Au sortir de là ils reprenaient gaîment la manière de vivro du pays: il était question chez eux des lois grecques comme chez vous de la raison. Ils savaient que ces lois étaient au monde; ils en faisaient mention, mais légèrement et sans fruit encore les regrettaient-ils en quelque sorte; mais pour la raison, que vous avez abandonnée, vous ne la regrettez point du tout. Vous avez pris l'habitude de la connaître et de la mépriser. F. CORTEZ. Du moins quand on la connaît mieux on est bien plus en état de la suivre. MONTEZUME. Ce n'est donc que par cet endroit que nous vous cédons? Ah! que n'avions-nous des vaisseaux pour aller découvrir vos terres, et que ne nous avisions-nous de décider qu'elles nous appartenaient ! Nous eussions eu autant de droit de les conquérir que vous en eûtes de conquérir les nôtres. (FONTENELLE.) LOUIS XI ET PHILIPPE DE COMMINES. Les faiblesses et les crimes des rois ne sauraient être cachés. LOUIS XI. On dit que vous avez écrit mon histoire? PH. DE COMMINES. Il est vrai, sire, et j'ai parlé en bon domestique. LOUIS XI. Mais on assure que vous avez raconté bien des choses dont je me serais passé volontiers. PH. DE COMMINES. Cela peut être ; mais en gros j'ai fait de vous un portrait fort avantageux: voudriez-vous que j'eusse été un flatteur perpétuel, au lieu d'être un historien ? LOUIS XI. Vous deviez parler de moi comme un sujet comblé des grâces de son maître. PH. DE COMMINES. C'est le moyen de n'être cru de personne. La reconnaissance n'est pas ce qu'on cherche dans une histoire; au contraire, c'est ce qui la rend suspecte. LOUIS XI. Pourquoi faut-il qu'il y ait des gens qui aient la démangeaison d'écrire ! Il faut laisser les morts en paix et ne flétrir point leur mémoire. PH. DE COMMINES. La vôtre était étrangement noircie : j'ai tâché d'adoucir les impressions déjà faites; j'ai relevé toutes vos bonnes qualités; je vous ai déchargé de toutes les choses odieuses. Que pouvais-je faire de mieux ? LOUIS XI. Ou vous taire, ou me défendre en tout. On dit que vous avez représenté toutes mes grimaces, toutes mes contorsions lorsque je parlais tout seul, toutes mes intrigues avec de petites gens. On dit que vous avez parlé du crédit de mon prévôt, de mon médecin, de mon barbier, de mon tailleur; Vous avez étalé mes vieux habits. On dit que vous n'avez pas oublié mes petites dévotions, surtout à la fin de mes jours; mon empressement à ramasser des reliques, à me faire frotter depuis la tête jusqu'aux pieds de l'huile de la sainte ampoule, et à faire des pélerinages, par où je prétendais toujours avoir été guéri. Vous avez fait mention de ma petite Notre-Dame de plomb que je baisais dès que je voulais faire un mauvais coup; enfin de la croix de SaintLô, par laquelle je n'osais jurer sans vouloir garder mon serment, parce que j'aurais cru mourir dans l'année si j'y avais manqué. Tout cela est fort ridicule. PH. DE COMMINES. Tout cela n'est-il pas vrai? pouvais-je le taire? LOUIS XI. Vous pouviez n'en rien dire. PH. DE COMMINES. Vous pouviez n'en rien faire. LOUIS XI. Mais cela était fait, et il ne fallait pas le dire. PH. DE COMMINES. Mais cela était fait, et je ne pouvais pas le cacher à la postérité. LOUIS XI. Quoi! ne peut-on pas cacher certaines choses? PH. DE COMMINES. Et croyez-vous qu'un roi puisse être caché après sa mort, comme vous cachiez certaines intrigues pendant votre vie? Je n'aurais rien sauvé par mon silence, et je me serais deshonoré. Contentez-vous que je pouvais dire bien pis et être cru, et que je ne l'ai pas voulu faire. LOUIS XI. Quoi! l'histoire ne doit-elle pas respecter les rois? PH. DE COMMINES. Les rois ne doivent-ils pas respecter l'histoire et la postérité à la censure de laquelle ils ne peuvent échapper? Ceux qui veulent qu'on ne parle pas mal d'eux n ont qu'une seule ressource, qui est de bien faire. ÉRASISTRATE, HERVÉ. ERASISTRATE. (FENELON.) Vous m'apprenez des choses merveilleuses: quoi ! le sang circule dans le corps ? les veines le portent des extrémités au cœur, et il sort du cœur pour entrer dans les artères, qui le reportent vers les extrémités? HERVÉ. J'en ai fait voir tant d'expériences que personne n'en doute plus. ÉRASISTRATE. Nous nous trompions donc bien nous autres médecins ae l'antiquité, qui croyions que le sang n'avait qu'un mouvement très-lent du cœur vers les extrémités du corps, et on vous est bien obligé d'avoir aboli cette vieille erreur. HERVÉ. Je le prétends ainsi, et même on doit m'avoir d'autant plus d'obligation que c'est moi qui ai mis les gens en train de faire toutes ces belles découvertes qu'on fait aujourd'hui dans l'anatomie. Depuis que j'ai eu trouvé une fois la circulation du sang, c'est à qui trouvera un nouveau conduit, un nouveau canal, un nouveau réservoir. Il semble qu'on ait refondu tout l'homme. Voyez combien notre médecine moderne doit avoir d'avantages sur la vôtre. Vous vous mêliez de guérir le corps humain, et le corps humain ne vous était seulement pas connu. ÉRASISTRATE. J'avoue que les modernes sont meilleurs physiciens que nous; ils connaissent mieux la nature : mais ils ne sont pas meilleurs médecins; nous guérissions les malades aussi bien qu'ils les guérissent. J'aurais bien voulu donner à tous ces modernes, et à vous tout le premier, le prince Antiochus à guérir de sa fièvre quarte : vous savez comme je m'y pris et comme je découvris par son pouls qui s'émut plus qu'à l'ordinaire en la présence de Stratonice, qu'il était amoureux de cette belle reine, et que tout son mal venait de la violence qu'il se faisait pour cacher sa passion, Cependant je fis une cure aussi difficile et aussi considérable que celle-là sans savoir que le sang circulât; et je crois qu'avec tout le secours que cette connaissance eût pu vous donner, vous eussiez été fort embarrassé en ma place. Il ne s'agissait point de nouveaux conduits ni de nouveaux réservoirs ; ce qu'il y avait de plus important à connaître dans le malade, c'était le cœur. HERVÉ. Il n'est pas toujours question du cœur, et tous les malades ne sont pas amoureux de leur belle-mère comme Antiochus. Je ne doute point que faute de savoir que le sang circule, vous n'ayez laissé mourir bien des gens entre vos mains. ÉRASISTRATE. Quoi! vous croyez vos nouvelles découvertes fort utiles? HERVÉ. Assurément. ÉRASISTRATE. Répondez donc, s'il vous plaît, à une petite question que je vais vous faire pourquoi voyons-nous venir ici tous les Jours autant de morts qu'il en soit jamais venu? : HERVÉ. Oh! s'ils meurent, c'est leur faute, ce n'est plus celle des médecins. ÉRASISTRATE. Mais cette circulation du sang, ces conduits, ces canaux, ces réservoirs, tout cela ne guérit donc de rien? HERVÉ. On n'a peut-être pas encore eu le loisir de tirer quelque usage de tout ce qu'on a appris depuis peu; mais il est impossible qu'avec le temps on n'en voie de grands effets. ÉRASISTRATE. Sur ma parole, rien ne changera. Voyez-vous, il y a une certaine mesure de connaissances utiles que les hommes ont eue de bonne heure, à laquelle ils n'ont guère ajouté, et qu'ils ne passeront guère s'ils la passent. Ils ont cette |