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choses les plus cachées; qui change en de viles cendres ce qui nous avait paru, il n'y a qu'un moment, si pré cieux et si brillant; qui dans le temps même qu'il paraît couvert et presque éteint, agit avec plus de violence et de danger que jamais; qui noircit ce qu'il ne peut consumer, et qui sait plaire et briller quelquefois avant que de nuire.

C'est un orgueil secret qui nous découvre la paille dans l'œil de notre frère, et nous cache la poutre qui est dans le nôtre; une envie basse, qui, blessée des talents ou de la prospérité d'autrui, en fait le sujet de sa censure, et s'étudie à obscurcir l'éclat de tout ce qui l'efface; une haine déguisée, qui répand sur ses paroles l'amertume cachée dans le cœur; une duplicité indigne, qui loue en face et déchire en secret; une légèreté honteuse qui ne sait pas se vaincre et se retenir sur un mot, et qui sacrifie souvent sa fortune et son repos à l'imprudence d'une censure qui sait plaire; une barbarie de sang-froid qui va percer notre frère absent.

La médisance est un mal inquiet, qui trouble la société, qui jette la dissension dans les cités, qui désunit les amifiés les plus étroites, qui est la source des haines et des vengeances, qui remplit tous les lieux où elle entre de désordres et de confusion; partout ennemie de la paix, de la douceur et de la politesse. Enfin c'est une source pleine d'un venin mortel : tout ce qui en part est infecté et infecte tout ce qui l'environne; ses louanges mêmes sont empoisonnées, ses applaudissemens malins, son silence criminel; ses gestes, ses mouvements, ses regards, tout a son poison et le répand à sa manière.

LES FLEAUX DE DIEU.

(MASSILLON.)

C'est le moyen de faire souvent injustice que de juger toujours du mérite des conseils par la bonne fortune des événements. Ne nous laissons pas éblouir à l'éclat des choses qui réussissent: ce que les Grecs, ce que les Romains, ce que nous-mêmes avons appelé une prudence admirable, c'est une heureuse témérité,

Il y a eu des hommes dont la vie a été pleine de miracles, quoiqu'ils ne fussent pas saints et n'eussent pas dessein de l'être le Ciel bénissait toutes leurs fautes, le Ciel couronnait toutes leurs folies.

Il devait périr, cet homme fatal, il devait périr, dès le premier jour de sa conduite par une telle entreprise; mais Dieu voulut se servir de lui pour punir le genre humain et tourmenter le monde : la justice de Dieu voulait se venger, et avait choisi cet homme pour être le ministre de ses vengeances.

La raison concluait qu'il tombât d'abord par les maximes qu'il a tenues; mais il est demeuré long-temps debout, par une raison plus haute qui l'a soutenu. Il a été affermi dans son pouvoir par une force étrangère et qui n'était pas de lui, par une force qui appuie la faiblesse, qui arrète les chutes de ceux qui se précipitent, qui n'a que faire des bonnes maximes pour conduire les bons succès. Cet homme a duré pour travailler aux desseins de la Provi dence. Il pensait exercer sa passion, et il exécutait les arrêts du Ciel. Avant de se perdre, il a eu le loisir de perdre les peuples et les états, de mettre le feu aux quatre coins de la terre, de gâter le présent et l'avenir par les maux qu'il a faits, par les exemples qu'il a laissés.

Un peu d'esprit et beaucoup d'autorité, c'est ce qui a presque toujours gouverné le monde, quelquefois avec succès, quelquefois non, selon l'humeur du siècle, selon la disposition des esprits plus farouches ou plus apprivoisés.

Mais il faut toujours en venir là. Il est très-vrai qu'il y a quelque chose de divin, disons davantage, il n'y a rien que de divin dans les maladies qui travaillent les états. Ces dispositions, cette humeur, cette fièvre chaude de rébellion, cette léthargie de servitude, viennent de plus haut qu'on ne l'imagine. Dieu est le poète, et les hommes ne sont que les acteurs.

Ces grandes pièces qui se jouent sur la terre ont été composées dans le Ciel, et c'est souvent un faquin qui doit en être l'Atrée ou l'Agamemnon.

Quand la Providence a quelque dessein, il ne lui importe guère de quels instruments et de quels moyens elle se servc. Entre ses mains, tout est foudre, tout est tempête, tout est déluge, tout est Alexandre ou César.

Dieu dit lui-même de ces gens-là qu'il les envoie en sa colère, et qu'ils sont les verges de sa furcur. Mais ne prenez pas ici l'un pour l'autre les verges ne frappent ni ne blessent toutes seules; c'est l'envie, c'est la colère, c'est la fureur qui rend les verges terribles et redoutables.

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Cette main invisible donne les coups que le monde sent; il y a bien je ne sais quelle hardiesse qui menace de la part de l'homme; mais la force qui accable est toute de Dieu.

L'OUBLI DES PAUVRES.

(BALZAC.)

Combien de pauvres sont oubliés! combien demeurent sans secours et sans assistance! Oubli d'autant plus déplorable, que de la part des riches il est volontaire, et par conséquent criminel. Je m'explique : combien de malheureux réduits aux dernières rigueurs de la pauvreté, et que l'on ne soulage pas, parce qu'on ne les connaît pas, et qu'on ne veut pas les connaître ! Si l'on savait l'extrémité. de leurs besoins, on aurait pour eux, malgré soi, sinon de la charité, au moins de l'humanité. A la vue de leur misère, on rougirait de ses excès, on aurait honte de ses délicatesses, on se reprocherait ses folles dépenses, et l'on s'en ferait avec raison des crimes. Mais parce qu'on ignore ce qu'ils souffrent, parce qu'on ne veut pas s'en instruire, parce qu'on craint d'en entendre parler, parce qu'on les éloigne de sa présence, on croit en être quitte en les oubliant, et quelque extrêmes que soient leurs maux, on y devient insensible.

Combien de véritables pauvres que l'on rebute comme s'ils ne l'étaient pas, sans qu'on se donne et qu'on veuille se donner la peine de discerner s'ils le sont en effet! Combien de pauvres dont les gémissements sont trop faibles pour venir jusqu'à nous, et dont on ne veut pas s'approcher pour se mettre en devoir de les écouter! Combien de pauvres abandonnés! Combien de désolés dans les prisons! Combien de languissants dans les hôpitaux! Combien de honteux dans les familles particulières! Parmi ceux qu'on connaît pour pauvres, et dont on ne peut igno

rer ni même oublier le douloureux état, combien sont négligés! combien sont durement traités! combien manquent de tout, pendant que le riche est dans l'abondance, dans le luxe, dans les délices! S'il n'y avait point de jugement dernier, voilà ce que l'on pourrait appeler le scandale de la Providence, la patience des pauvres outragés par la dureté et par l'insensibilité des riches.

RAPIDITÉ DE LA VIE.

(BOURDALOUE.)

Les générations des hommes s'écoulent comme les ondes d'un fleuve rapide; rien ne peut arrêter le temps qui entraîne après lui tout ce qui paraît le plus immobile. Toimême, ô mon fils! mon cher fils' toi-même qui jouis maintenant d'une jeunesse si vive et si féconde en plaisirs, souviens-toi que ce bel âge n'est qu'une fleur qui sera presque aussitôt séchée qu'éclose; tu te verras changé insensiblement. Les grâces riantes, les doux plaisirs qui t'accompagnent, la force, la santé, la joie, s'évanouiront comme un beau songe; il ne t'en restera qu'un triste sou venir; la vieillesse languissante et ennemie des plaisirs viendra rider ton visage, courber ton corps et affaiblir tes membres, faire tarir dans ton cœur la source de la joie, te dégoûter du présent, te faire craindre l'avenir, te rendre insensible a tout, excepté à la douleur. Ce temps te paraît éloigné: hélas ! tu te trompes, mon fils; il se hâte, le voilà qui arrive; ce qui vient avec tant de rapidité n'est pas loin de toi, et le présent qui s'enfuit est déjà bien loin, puisqu'il s'anéantit dans le moment que nous parlons, et ne peut plus se rapprocher. Ne compte donc jamais, mon fils, sur le présent; mais soutiens-toi dans le sentier rude et âpre de la vie par la vue de l'avenir. Prépare-toi, par des mœurs pures et par l'amour de la justice, une place dans l'heureux séjour de la paix.

(FENELON.)

CÉRÉMONIE DES CENDRES.

Ces cendres que nous recevons prosternés aux pieds des ministres du Seigneur, nous apprennent que toutes ces grandeurs dont le monde se glorifie et dont l'orgueil des hommes se repait, que cette naissance dont on se pique, que ce crédit dont on se flatte, que cette autorité dont on est si fier, que ces succès dont on se vante, que ces biens dont on s'applaudit, que ces dignités et ces charges dont on se prévaut; que cette beauté, cette valeur, cette réputation dont on est idolâtre, que tout cela n'est que vanité et que mensonge. Car, que je m'approche du tombeau d'un grand de la terre, que j'en examine l'épitaphe, je n'y voi qu'éloges, que titres spécieux, que qualités avantageuses qu'emplois honorables; voilà ce qui paraît au dehors. Mai qu'on me fasse l'ouverture de ce tombeau, et qu'il me soit permis de voir ce qu'il renferme je n'y trouve qu'un cadavre hideux, qu'un tas d'ossements infects et desséchés, qu'un peu de cendres qui semblent encore se ranimer pour me dire à moi-même : Memento, homo, quia pulvis es, et in pulverem reverteris.

Elles nous apprennent que nous sommes bien insensés quand nous voulons faire dans le monde certaines figures qui ne servent qu'à flatter notre vanité; que ces rangs que nous disputons avec tant de chaleur, que ces droits que nous nous attribuons, ces points d'honneur dont nous nous entêtons, ces airs de domination que nous nous donnons, ces soumissions que nous exigeons, sont autant d'usurpations que fait notre orgueil en nous persuadant, aussi bien qu'au pharisien de l'Evangile, que nous ne sommes pas comme le reste des hommes; mais voyez si la mort n'égale pas toutes les conditions, et si dans les débris des tombeaux vous distinguerez le pauvre d'avec le riche, le roturier d'avec le noble, le faible d'avec le fort. Voyez si les cendres des souverains et des monarques sont différentes de celles des sujets et des esclaves. Ah! l'esclave et le roi ne sont là qu'une même chose; et ce fut la belle ré ponse que fit un philosophe à un fameux conquérant, lorsque, interrogé pourquoi il paraissait si attentif à contempler

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