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ancien ami: il part, îl va du côté du Levant; il passe audessus de la mer Méditerranée et vogue avec ses ailes dans les airs, comme un navire avec ses voiles dans les ondes de Téthys. Il arrive à Alexandrie; de là il continue son chemin, traversant les terres jusqu'à Alep. En y arrivant, il salue les autres pigeons de la contrée, qui servent de courriers réglés, et il envie leur bonheur. Aussitôt il se répand parmi eux un bruit qu'il est venu un étranger de leur nation, qui a traversé des pays immenses. Il est mis au rang des courriers; il porte toutes les semaines les lettres d'un bacha, attachées à son pied, et il fait vingt-huit lieues en moins d'une journée. Il est orgueilleux de porter les secrets de l'état, et il a pitié de son ancien compagnon, qui vit sans gloire dans les trous de son colombier. Mais un jour, comme il portait des lettres d'un bacha soupçonné d'infidélité par le Grand-Seigneur, on voulut découvrir par les lettres de ce bacha s'il n'avait point quelque intelligence secrète avec les officiers du roi de Perse: une flèche tirée perce le pauvre pigeon, qui d'une aile traînante se soutient encore un peu pendant que son sang coule. Enfin il tombe, et les ténèbres de la mort couvrent déjà ses yeux. Pendant qu'on lui ôte les lettres pour les lire, il expire plein de douleur, condamnant sa vaine ambition et regrettant le doux repos de son colombier où il pouvait vivre en sûreté avec son ami.

LA FABLE ET L'ALLEGORIE.

(FENELON.)

Tous les matins une jeune déesse ouvre les portes de l'Orient et répand la fraîcheur dans les airs, les fleurs dans la campagne et les rubis sur la route du soleil. A cette annonce, la terre se réveille et s'apprête à recevoir le dieu qui lui donne tous les jours une nouvelle vie; il paraît, il se montre avec la magnificence qui convient au souverain des cieux. Son char, conduit par les heures, vole et s'enfonce dans l'espace immense qu'il remplit de flammes et de lumière. Dès qu'il parvient au palais de la sou

veraine des mers, la nuit, qui marche éternellement sur ses traces, étend ses voiles sombres et attache des feux sans nombre à la voûte céleste.

Alors s'élève un autre char dont la clarté douce et consolante porte les cœurs sensibles à la rêverie : une déesse le conduit; elle vient en silence recevoir les tendres hommages d'Endymion. Cet arc, qui brille de si riches couleurs et qui se courbe d'un bout de l'horizon à l'autre, ce sont les traces lumineuses du passage d'Iris, qui porte à la terre les ordres de Junon. Ces vents agréables, ces tempêtes horribles, ce sont des génies qui tantôt se jouent dans les airs, tantôt luttent les uns contre les autres, pour soulever les flots.

Au pied de ce coteau est une grotte, asile de la fraîcheur et de la paix. C'est là qu'une nymphe bienfaisante verse de son urne intarissable le ruisseau qui fertilise la plaine voisine; c'est de là qu'elle écoute les vœux de la jeune beauté qui vient contempler ses attraits dans l'onde fugitive. Entrez dans ce bois sombre, ce n'est ni le silence, ni la solitude qui occupe votre esprit : vous êtes dans la demeure des dryades et des sylvains, et le secret effroi que vous éprouvez est l'effet de la majesté divine.

(BARTHÉLEMY.)

L'AURORE.

O toi qui d'un sourire fis naître le printemps, douce Aphrodite, belle Vénus, sois-moi favorable! Tu sors du sein des flots, entourée de zéphyrs et d'amours; fille du soleil et de la mer, brillante Aurore de l'année, viens me ranimer avec toute la nature! Les poètes et les peintres te représentent sur notre horizon, devançant le char de ton père, attelé de chevaux fougueux conduits par les heures. Mais lorsque tu te montres à l'équateur, sur l'horizon de notre pôle, tu es la mère de toutes les aurores qui doivent y apparaître. Elles sortent de dessous ton manteau de pourpre, couvertes de perles orientales et vêtues de robes de mille couleurs; les jours et les nuits les dispersent sur

tous les sites du globe, au sommet des rochers, sur la surface des lacs, parmi les roseaux des fleuves, dans les clairières des forêts. Pour toi, suivie des saisons, tu couvres d'un seul jet les flancs cristallisés du pôle, et ses vastes campagnes de neige de ton voile de safran et de vermillon. Mère du printemps, couronne de tes roses naissantes ma tête couverte de soixante hivers; console-moi des ressouvenirs du passé, des malaises du présent et des inquiétudes de l'avenir; ramène ma vieillesse à ces moments heureux de mon adolescence, lorsque, levé à tes premières clartés pour étudier de tristes leçons, l'ame flétrie par des maîtres imbéciles et cruels, à la vue de tes rayons, je sentais encore que j'avais un cœur. Apparais-moi comme tu apparus à la création, lorsque notre globe terrestre, à ton premier aspect, tourna sur ses pôles et se couvrit de verdure; montre-toi à moi comme tu t'y montreras, lorsque, dégagée du poids de mon argile, mon ame, s'élevant de la terre vers le soleil, abordera aux rivages d'un orient éternel !

Viens me guider dans ces vallées de ténèbres et sur ces champs de boue, que toi seule vivifies. Je désire rappeler à des hommes ingrats la route du bonheur qu'ils ont perdu, et la tracer à des enfants innocents. Je vais, à ta lumière, leur montrer sur la terre une divinité bienfaisante. Ma théologie n'aura rien de triste et d'obscur : mon école est au sein des prairies, des bois et des vergers; mes livres sont des fleurs et des fruits, et mes arguments des jouissances.

(BERNARDIN DE SAINT-PIERRE.)

LES QUATRE SAISONS.

LE PRINTEMPS.

L'ame de la nature, l'aimable déesse du printemps, a rompu les chaînes qui la retenaient captive, balancée sur l'aile des zéphyrs, elle descend du haut des cieux épurés par son baleine et réjouis de sa présence. Une vapeur légère, émanée d'elle et comme imprégnée de verdure, décèle sa trace vivifiante; sa taille efface celle de la messa

gère des dieux, ses traits ceux de la plus jeune des Grâces; l'éclat de la rose nouvellement épanouie le cède à celui de son teint. Un des replis de son voile sert d'asile à un nid de fauvettes; la mère y couve les précieux fruits de ses amours, retenus encore dans leur faible prison. La fille de Vénus s'écoute préluder avec complaisance; elle incline sa belle tête, où mille fleurs variées s'épanouissent et se renouvellent sans cesse ; elles lui tiennent lieu de tresses ondoyantes; elles forment seules son diadème et sa coiffure. Ici le narcisse majestueux, la renoncule, l'anémone et la tulipe orgueilleuse rivalisent de magnificence et se dispu› tent le prix de la beauté; là l'humble violette et la flexible hyacinthe brillent du plus doux éclat et rehaussent par le suave mélange de leurs teintes azurées la pourpre et l'or de la rose naissante; de volages papillons, des essaims bourdonnants s'enivrent des parfums qu'exhalent leurs calices. La jeune déesse, à la vue des prodiges qu'elle-même a opérés, sent une joie secrète inonder son cœur. Le sourire du bonheur siége sur ses lèvres vermeilles; mais son but est atteint tout jouit, tout est heureux par ses bienfaits et la face de la nature est renouvelée.

L'ÉTÉ.

Le fils brillant du soleil, le radieux été règne à son tour; ses regards majestueux et doux s'abaissent vers la terre; il vient perfectionner l'ouvrage du printemps; sa tête et sa poitrine robuste, siége des principes ignés, en lancent de tous côtés les émanations; des jets de flammes forment sa brillante chevelure; d'une main il retient près de lui le Sirius, qui souffle de ses naseaux ses exhalaisons malignes; de l'autre il verse abondamment l'urne des eaux fécondantes; du mélange de deux principes, le chaud et l'humide, il compose les nuages orageux; il les foule de son pied puissant et les abaisse vers la terre. Mais l'orage est près de se dissiper; déjà, dans une région presque dégagée de vapeurs, brille à l'œil consolé l'éclatante écharpe d'Iris. Le vêtement de l'été se peint de la verdure la plus vive. Le lézard européen, à demi caché sous les replis obscurs, s'y tapit, et là, comme à l'ombre d'un épais buis

son, il brave impunément les feux du jour. Plus loin, la cigale imprévoyante voltige et s'épuise en frivoles chansons, tandis que la fourmi laborieuse garnit en silence ses magasins. A l'autre extrémité du manteau, un reptile dangereux des contrées soumises au joug du brillant équateur déploie fièrement ses orbes redoublés, et, dressant sa tête audacieuse vers celle du Dieu, il semble allumer aux rayons de sa chevelure le noir venin dont il se gonfle et les couleurs variées de son armure étincelante. Cependant l'été bienfaisant à produit son effet, du sein de ce riche vêtement qui le couvre il laisse échapper libéralement les moissons dorées, douce récompense dont il paie avec usure les sueurs du laboureur infatigable.

L'AUTOMNE.

Personnifié sous les traits d'une déité, le riche automne vient enfin accomplir les promesses du printemps; la déesse incline son visage vermeil, et, souriant à la terre qu'elle regarde avec une complaisance maternelle, elle partage la joie et le bonheur qu'elle lui procure, et de sa main droite elle secoue sa chevelure dorée, d'où s'échappe une pluie intarissable de mille fruits divers. De la gauche elle presse avec amour sa mamelle féconde, et en fait jaillir une liqueur douce et vermeille, dont les heureux chfants de Cybèle seront bientôt abreuvés. Son vêtement se colore du vert brillant de l'été, où s'entremêlent cépendant quelques-unes des teintes fletries dont l'hiver, qui doit lui succéder bientôt, vient áttristér la nature. Une écharpe légère, dont la couleur rappelle la verdure du printemps, entoure ses reins, et se balance mollement, gonflée par les zéphyrs, imáge allégorique de la seconde séve de l'année, qui paraît braver les approches de l'hiver et faire un dernier effort pour se soustraire à sa puissance. De ses pieds nus, colorés du vermillon des roses, et qu'un léger brouillard environne, elle foule la pourpre et l'or des raisins. Cette fille bienfaisanté de l'été prépare ainsi elle-même la liqueur de Bacchus, ce baume salutaire qui charme les soucis des mortels, et dont la chaleur pénétrante soutient et vivifie leurs forces épuisées. Outre ces

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