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de cacher les outrages de la maladie, de la fortune, et des ans, sous la pompe vaine du cérémonial. Il faut bien pardonner aux princes d'être les régulateurs de l'étiquette, puisqu'ils en sont les premiers esclaves.

En France, depuis le berceau jusqu'à la tombe, malades ou bien portant, à table, au conseil, à la chasse, à l'armée, au milieu de leur cour, ou dans leur intérieur, les princes étaient soumis au cérémonial. Ses lois indiscrètes les suivaient jusque dans les mystères du lit nuptial. Qu'on juge ce qu'une princesse, élevée dans la simplicité des cours d'Allemagne, jeune, vive, aimante et franche, devait éprouver d'impatience contre des usages tyranniques qui, ne lui permettant pas un seul instant, d'être épouse, mère, amie, la réduisait au glorieux ennui d'être toujours reine! La femme respectable, que sa charge plaçait auprès d'elle comme un ministre vigilant des lois de l'étiquette, au lieu d'en alléger le poids, lui en rendait le joug insupportable. Encore n'était-ce que demi-mal, quand ces lois vénérables n'atteignaient que les personnes du service: la reine prenait le parti d'en rire. Je veux laisser madame Campan, raconter à ce sujet, une anecdote qui la concerne.

«Madame de Noailles, dit elle, dans un fragment manuscrit, était remplie de vertus je ne pourrais prétendre le contraire. Sa piété, sa charité, des mœurs à l'a bri du reproche, la rendaient digne d'éloges, mais l'étiquette était pour elle une sorte d'atmosphère : au moindre dérangement de l'ordre consacré, on eût dit qu'elle allait étouffer, et que les principes de la vie lui manquaient. »

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Un jour je mis, sans le vouloir, cette pauvre dame dans

une angoisse terrible; la reine recevait je ne sais plus qui: c'était, je crois, de nouvelles présentées; la dame d'honneur, la dame d'atours, le palais était derrière la reine. Moi j'étais auprès du lit avec les deux femmes de service. Tout était bien, au moins je le croyais. Je vois tout à coup les yeux de madame de Noailles attachés sur les miens. Elle me fait un signe de la tête, et puis ses deux sourcils se lèvent jusqu'au haut de son front, redescendent, remontent; puis de petits signes de la main s'y joignent. Je jugeais bien, à toute cette pantomime, que quelque chose n'était pas comme il fallait; et tandis que je regardais de côté et d'autre, pour me mettre au fait, l'agitation de la comtesse croissait toujours. La reine s'aperçut de tout ceci, elle me regarda en souriant ; je trouvai moyen de m'approcher de S. M., qui me dit alors à mivoix : Détachez vos barbes, ou la comtesse en mourra. Tout ce mouvement venait des deux épingles maudites qui retenaient mes barbes, et l'étiquette du costume disait: Barbes pendantes. »

Ce fut cependant ce dédain des graves inutilités de l'étiquette qui devint le prétexte des premiers reproches adressés à la reine. De quoi n'était pas capable, en effet, une princesse qui pouvait se résoudre à sortir sans paniers, et qui, dans les salons de Trianon, au lieu de discuter la question de la chaise et du tabouret, invitait tout le monde à s'asseoir (1)? Le parti anti-autrichien,

(1) On ne pardonnait pas même à la reine la suppression des usages les plus ridicules. Les respectables douairières, qui avaient passé leur innocente jeunesse à la cour de Louis XV, et même sous la régence, voyaient un outrage aux mœurs dans l'abandon des paniers. Madame Campan

lui permettre de continuer ses fonctions de lectrice auprès de mesdames.

Ici commencent véritablement les mémoires de madame Campan, mémoires, dont le premier chapitre consacré à la peinture de la cour de Louis XV, n'est qu'un piquant avant-propos. Dans un espace de vingt ans, depuis les fêtes du mariage jusqu'à l'attaque du 10 août, madame Campan ne quitta presque point Marie-Antoinette. Du côté de la souveraine, tout était bonté, confiance, abandon: on verra si madame Campan n'y répondit point par une reconnaissance, une fidélité, un dévouement, à l'épreuve du malheur comme au-dessus de tous les périls. En parlant de Marie-Antoinette, elle a peint la haine de ses ennemis, l'avidité de ses flatteurs, et le désintéressement des vrais amis qu'elle pouvait compter quoique assise sur le trône. Toutefois comme elle se renferme le plus souvent dans le cercle intérieur où se plaisait Marie-Antoinette, il est indispensable de jeter un coup d'œil sur l'esprit et surtout sur les mœurs de la société à cette époque."

Je ne rappellerai point les scandaleuses années de la régence, temps où la cour, échappant à la contrainte d'une longue hypocrisie, associait aux emportemens de la débauche les sarcasmes de la plus audacieuse impiété. Mais je dois m'arrêter un moment au règne de Louis XV, par

pour un adorateur du crédit et de la fortune. Mon avis, ajoute madame Campan, eût été d'aller au-devant d'un homme qui montrait un caractère si différent de ce qu'on rencontrait sans cesse dans la position où le sort nous avait placés. »

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Le même écrit contient plusieurs détails qu'on ne lira point sans inté rêt dans le troisième volume.

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ce que la corruption y présenta véritablement deux époques distinctes. Richelieu fut le modèle et le héros de la première époque. S'aimer sans plaisir, se livrer sans combat, se quitter sans regrets, traiter le devoir de faiblesse, l'honneur de préjugé, la délicatesse de fadeur, telles étaient les mœurs du temps : la séduction avait son code, et l'immoralité était réduite en principes. Bientôt on se lassa même de ces succès rapides, peut-être parce que la facilité du triomphe en diminuait trop le mérite. Les gens de cours, les riches financiers entretenaient à grands frais des beautés qu'ils n'étaient pas même obligés de connaître le vice était un luxe de la vanité; l'état de courtisane menait rapidement à la fortune, j'ai presque dit à la considération..

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Dans les années qui précédèrent et qui suivirent l'avénement de Louis XVI au trône, la société présentait un spectacle nouveau. Les mœurs n'étaient pas meilleures, elles étaient différentes. Par un étrange abus, les désordres semblaient trouver une excuse dans les idées philosophiques qui s'accréditaient de jour en jour. Leurs nouveaux partisans débitaient de si nobles maximes, pensaient, discouraient si bien, qu'ils n'étaient pas forcés de bien agir. Il était permis d'être mari volage, épouse infi dèle à ceux qui parlaient avec respect, avec enthousias me, des saints devoirs du mariage. L'amour de la vertu et de l'humanité dispensait d'avoir des mœurs. Les femmes discutaient, au milieu de leurs amans, sur les moyens de régénérer l'ordre social. Il n'y avait pas de philosophe, admis dans un des cercles à la mode, qui ne se comparât modestement à Socrate chez Aspasie; et Diderot, auteur téméraire des Pensées philosophiques, écrivain li

lui permettre de continuer ses fonctions de lectrice auprès de mesdames.

Ici commencent véritablement les mémoires de madame Campan, mémoires, dont le premier chapitre consacré à la peinture de la cour de Louis XV, n'est qu'un piquant avant-propos. Dans un espace de vingt ans, depuis les fêtes du mariage jusqu'à l'attaque du 10 août, madame Campan ne quitta presque point Marie-Antoinette. Du côté de la souveraine, tout était bonté, confiance, abandon: on verra si madame Campan n'y répondit point par une reconnaissance, une fidélité, un dévouement, à l'épreuve du malheur comme au-dessus de tous les périls. En parlant de Marie-Antoinette, elle a peint la haine de ses ennemis, l'avidité de ses flatteurs, et le désintéressement des vrais amis qu'elle pouvait compter quoique assise sur le trône. Toutefois comme elle se renferme le plus souvent dans le cercle intérieur où se plaisait Marie-Antoinette, il est indispensable de jeter un coup d'œil sur l'esprit et surtout sur les mœurs de la société à cette époque.

Je ne rappellerai point les scandaleuses années de la régence, temps où la cour, échappant à la contrainte d'une longue hypocrisie, associait aux emportemens de la débauche les sarcasmes de la plus audacieuse impiété. Mais je dois m'arrêter un moment au règne de Louis XV, par

pour un adorateur du crédit et de la fortune. Mon avis, ajoute madame Campan, eût été d'aller au-devant d'un homme qui montrait un caractère si différent de ce qu'on rencontrait sans cesse dans la position où le sort nous avait placés.

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Le même écrit contient plusieurs détails qu'on ne lira point sans inté rêt dans le troisième volume.

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