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la nation la sécurité générale, la justice en appel, la force publique, les voies de communication, et même, en certaine mesure, les finances; il ne faut pas que les administrateurs momentanés de la commune puissent dilapider son avoir, engager trop son avenir, ni appauvrir le fonds d'où l'État lumême tire son revenu.

Cette part d'intervention peut être assurée à l'État, soit par la voie administrative comme, en général, sur notre continent, soit par des lois très détaillées, dont les cours de justice imposent, le cas échéant, l'observation, comme aux États-Unis.

La formation naturelle de l'État est celle-ci : l'association spontanée des familles constitue la commune; l'association des communes, le canton ou la province; l'association des provinces, la nation, l'État. Mais une fois l'État constitué il faut qu'il dispose des moyens de maintenir, de défendre son unité et de développer ses ressources. C'est ce qui a souvent fait défaut aux États non centralisés dans le passé.

CHAPITRE XI

LA COMMUNE EN ANGLETERRE ET AUX ÉTATS-UNIS

Dans la Bretagne anglo-saxonne, avant la conquête des Normands, le village, le tunscip, réglait les intérêts locaux dans l'assemblée générale de tous les habitants: le tunscipmot. Leur affaire la plus importante était le partage périodique des terres communes. Le tunscip était un petit État rural souverain.

Plus tard, sous le régime féodal, le manoir s'empara peu à peu de la plus grande partie de ces terres communales et le reste devint propriété privée des cultivateurs. L'un des principaux objets dont l'autorité locale avait à s'occuper vint à disparaître, ainsi que la responsabilité collective, qui formait un lien puissant entre les familles voisines. Le manoir et le pouvoir central accaparèrent d'autres attributions, notamment celles qui concernaient la justice, et ainsi la commune civile, le tunscip, s'effaça pour faire place à la commune ecclésiastique, le parish1.

Toutefois, dans les actes anciens, le mot town est encore souvent employé dans le sens de parish. Le parish meeting, appelé aussi vestry meeting, remplaça le tunscipmot. Tous les chefs de famille continuaient à se réunir, chaque année, pour régler directement les intérêts communaux; mais, à mesure que la cour et les agents du manoir attiraient à eux la décision

(1) Le mot anglais parish vient, par le français et le latin, du mot gree Tapoxia, indiquant un groupe d'hommes différents du reste de la poplation. Vestry est pris du mot vestiarium, le vestiaire, le lieu où l'on conservait les vêtements ecclésiastiques.

des affaires civiles, leurs soins s'appliquèrent plus exclusivement aux affaires de l'Église. Cependant, au xvie siècle, la commune, le town ou parish, continuait à s'occuper de maintenir l'ordre sur son territoire, de secourir les pauvres, d'entretenir l'église et les grands chemins, et de régler la jouissance des biens communaux, ainsi que de tout ce qui n'était pas devenu « manorial », c'est-à-dire relevant du manoir. A cet effet, l'assemblée du village pouvait imposer certaines taxes et faire des règlements locaux (bylaws, lois du bie ou by, village, dans les langues scandinavo-germaniques). Pouvaient assister à l'assemblée tous ceux qui avaient un intérêt dans les décisions à prendre, par conséquent ceux qui avaient une habitation dans le village ou qui y « fumaient des terres ». La convocation se faisait dans l'église, avant ou après le service, ou parfois sur la place du marché. Des réunions avaient lieu régulièrement pour la reddition des comptes, pour l'élection des fonctionnaires et, extraordinairement, pour décider une réparation urgente aux chemins, à l'église et pour la levée des impôts.

Le fonctionnaire principal était le constable qui avait charge de la police et de l'arrestation des malfaiteurs, chose très importante, car la paroisse, le town, était pécuniairement responsable des vols et des assassinats commis sur son territoire. Il avait le droit de nommer des gardes, surtout pour la nuit; il représentait la commune auprès des autorités du comté. Les churchwarden ou marguilliers, aussi élus par les habitants, formaient un corps qui veillait à l'entretien de l'église, des vêtements du pasteur et à toutes les nécessités du culte.

Les maîtres des pauvres, overseers of the poor, donnaient des secours aux indigents, conformément à la loi d'Élisabeth, et levaient, à cet effet, une taxe spéciale consentie par les contribuables. Les marguilliers convoquaient, chaque année, les habitants pour choisir deux hommes probes qui étaient chargés d'entretenir les chemins et de régler la prestation des six jours de corvée que chacun devait, chaque année, à cet effet. En outre, sous des noms très différents jurats, questmen, swornmen, sidesmen, etc., et avec des attributions mal définies, on rencontrait, dans chaque village, un groupe d'hommes composé principalement d'anciens constables et de church

warden, élus par les habitants et qui avaient pour mission d'assister de leurs avis les fonctionnaires communaux. Ils devinrent plus tard le select vestry en Angleterre et les townsmen, prudential men ou selectmen dans la Nouvelle-Angleterre. Jusque-là, le gouvernement direct avait été complètement exercé par les citoyens; mais bientôt, en Amérique, on vit apparaître un corps représentatif.

Les institutions communales des Anglo-Saxons, transportées au delà de l'Atlantique, y recurent une vie nouvelle qui les rapprocha du tunscipmot primitif, sous l'influence démocratique du christianisme réformé, que les puritains et les Pilgrim fathers pratiquaient dans leur nouvelle patrie. Comme le dit un auteur qui a étudié à fond les origines de la démocratie aux États-Unis, le président Portet : « Tout ce qui caractérise la vie politique de la Nouvelle-Angleterre vient du meeting house, de la salle d'assemblée religieuse. Sa construction a été l'origine de toutes les communautés qui s'y sont fondées, et c'est d'elle qu'émanent les traits distinctifs de leur histoire.

Quand les émigrés anglais s'établissent dans la baie de Massachusetts, on voit naître parmi eux le gouvernement communal d'une façon pour ainsi dire naturelle. Ainsi, à Rochester-Town, le 8 octobre 1633, ils se réunissent et décident qu'à certains jours, le son du tambour appellera tous les habitants de la « plantation» à l'église, afin d'y arrêter, dans l'intérêt général, des règlements auxquels tous seront tenus de se soumettre, et de choisir douze hommes qui ordonneront toute chose jusqu'à la prochaine assemblée mensuelle. Ces hommes choisis, ces selectmen, formèrent plus tard le conseil municipal.

Le township constitua l'unité politique primordiale, la molécule organique, dont la multiplication et l'union constituèrent l'État. Le township faisait tous ses règlements locaux (by-laws), à condition qu'ils ne fussent pas contraires aux lois générales; il avait une cour de justice et une compagnie de milice; il choisissait sans contrôle tous ses fonctionnaires et élisait les délégués qui le représentaient au general court, c'est-à-dire à l'assemblée plénière de la province.

Pour prendre part à la réunion ordinaire des habitants, qui avait lieu, chaque année, en mars, comme chez les Francs et les anciens Germains, il fallait posséder une propriété,

freehold, d'un certain revenu. En outre, les selectmen, dont le nombre variait de trois à neuf, devaient convoquer une assemblée extraordinaire chaque fois que dix freeholders le demandaient.

Le gouvernement direct était le principe essentiel. Les électeurs nommaient des fonctionnaires spéciaux pour chaque service, au lieu de confier ces soins d'administration aux conseillers communaux, comme nous le faisons en Europe. Dans la réunion du mois de mars, on choisissait le constable, qui veillait au maintien de l'ordre et parfois à la rentrée des impôts, le surveillant des chemins (surveyor of the highways) qui avait le droit de requérir les corvées de travail manuel et de charroi nécessaires pour l'entretien des routes, les maîtres des pauvres (overseers of the poor) qui distribuaient les secours aux indigents et aux infirmes, les percepteurs des impôts (collector of taxes) qui prélevaient les contributions levées en proportion de l'avoir de chacun, le secrétaire (town clerk) qui inscrivait dans des registres les votes émis, les règlements arrêtés, les dépenses votées, les naissances, les décès et les mariages, et qui citait à comparaître devant la cour de justice locale, les surveillants des haies (fence viewers) qui veillaient à ce que toutes les clôtures fussent en bon état et « hautes au moins de 4 pieds », les gardiens (wardens) qui s'occupaient de tout ce qui concernait la moralité, — ivresse, cruauté à l'égard des animaux, actes obscènes, immoraux et sacrilèges, enfin les membres du grand et du petit jury.

et

Dans les villages des États-Unis, l'ancienne forme démocratique du gouvernement s'est donc maintenue à peu près intacte et, comme en Grèce et dans les Landsgemeinde des cantons primitifs de la Suisse, ce sont les habitants réunis sur la place publique, à certaines époques, qui font les règlements, votent les dépenses et les impôts, nomment les fonctionnaires et, en somme, s'administrent eux-mêmes directement. C'est le self-government dans toute la force du terme. Mais, dans certaines localités, la population s'est accrue et la richesse s'est accumulée : des villes se sont formées. L'État en a fait des «< corporations », c'est-à-dire des « cités », en leur donnant une charte qui détermine leur régime administratif. Il ne pouvait maintenir le gouvernement direct du town meeting, c'est-à-dire de l'assem

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