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humain, assoupissant, réparateur, sera accepté avec reconnaissance. On abdiquera volontiers entre ses mains l'exercice de la plupart des droits politiques, car adonné tout entier à la poursuite des plaisirs de la vie privée, nul n'aura ni le temps, ni le désir de s'occuper des affaires publiques.

LA FORMATION DES ÉTATS

ET LE DÉVELOPPEMENT DE LA COMMUNE

CHAPITRE PREMIER

DE L'ORIGINE OU DE LA FORMATION DES ÉTATS

La plupart des écrivains du xvne et du xvme siècle, surtout ceux qui revendiquaient la liberté pour les peuples, s'inspirent de la notion du covenant empruntée aux puritains et attribuent l'origine des sociétés à une convention faite entre les hommes vivant jusque-là isolés, à « l'état de nature ». Rousseau, dans le Contrat social, expose cette théorie de la façon que l'on sait. La réflexion et la connaissance de l'histoire l'ont fait abondonner à ce point qu'il est aujourd'hui superflu d'en montrer l'erreur.

Aristote, en ce sujet comme en tant d'autres, avait vu juste. L'homme, dit-il, est un animal politique, viços Ewov moλítixov, plus sociable même que les abeilles et les autres animaux qui vivent en commun. Cicéron dit très bien : Populi prima causa coeundi est non tam imbecillitas, quam naturalis quædam hominum quasi congregatio.

L'association politique se développe done spontanément, en raison de la nature même des hommes, du besoin qu'ils ont les uns des autres, de la faculté qu'ils ont de se communiquer leurs pensées par la parole, de la perception du bien et du mal c'est-à-dire du sentiment moral. « L'homme, dit Rossi, nait et vit dans la société comme le poisson dans l'eau. »

Fénelon dit aussi très bien : « Être sociable, c'est un caractère

essentiel de l'humanité. L'homme, antérieurement à tout contrat libre, à toute forme de gouvernement, à tout consentement exprès ou tacite, nait membre d'une société dont il doit préférer le bien public à son bien particulier, et par conséquent il n'est ni son maître ni sa loi à lui-même. » (Essai sur le Gouv. civ.)

Des familles unies par une langue commune se sont groupées en hordes, en tribus, en clans, en villages, en villes, en fédérations. Puis les États se sont formés par la réunion de ces associations spontanées autour d'un noyau central et sous l'action d'une force « formative ». Cette force a été tantôt celle d'une cité douée d'un génie spécial et supérieur, comme Rome, conquérant le monde connu; tantôt celle d'une dynastie, comme les Capet, formant la France, les Habsbourg, l'Autriche, les Hohenzollern, la Prusse; tantòt l'identité de la race et de la religion, comme aux États-Unis; tantôt la communauté des intérêts déterminant l'union, comme en Suisse.

Au début, on voit partout les hommes descendant d'un même ancêtre et parlant la même langue, s'associer en clans, se réunir pour la défense, en fédération, avec un lien très lâche, comme chez les Germains au temps de Tacite, et aujourd'hui encore chez les Indiens de l'Amérique ou chez les nègres de l'Afrique centrale: l'élément ethnique est alors la base de l'union. Plus tard, c'est le despotisme qui forme les États, principalement par des conquêtes, par des mariages ou par des achats à prix d'argent.

Maintenant, nous voyons à l'œuvre pour faire ou défaire les États deux forces: la conquête et le principe des nationalités. L'action de la première va diminuant, celle de la seconde grandissant.

LA CONQUÊTE

Jadis rien ne semblait plus honorable pour un roi que de faire des conquêtes: cela rentrait dans son rôle. Le plus grand service qu'il pût rendre à son peuple était, croyait-on, d'agrandir son territoire. Le conquérant était applaudi par ses sujets, chanté par les poètes, admiré par le monde entier. Il se ceignait le front de lauriers et nul ne demandait au prix de quelles hécatombes de combattants et de quelles dévastations de provinces, il les avait obtenus; car les souffrances des peuples n'avaient point d'écho. On lui élevait des arcs de triomphe, des colonnes, des monuments de tout genre, et la langue semblait toujours trop pauvre pour louer ses hauts faits. Écoutez quel concert d'éloges pour Louis XIV, pour Frédéric II, pour Napoléon! Avec quelle auréole de gloire ils traversent l'histoire, ces grands tueurs d'hommes, Alexandre et César! Allez à Paris, à Berlin, à Londres mème, la plupart des monuments sont destinés à perpétuer des noms de bataille et des souvenirs de conquète. Nul n'échappe à la contagion. Un roi pacifique entre tous, tombé pour avoir trop aimé la paix, Louis-Philippe, consacre le palais de Versailles à toutes les gloires de la France, et il n'y place que des tableaux de batailles et des statues de guerriers. Il croit devoir ramener les cendres d'un conquérant, dont il aurait fallu apprendre aux générations nouvelles à détester la mémoire. C'est ainsi qu'on inocule dans le sang des nations la passion de la gloire militaire et l'esprit de conquête. L'humanité est encore assez insensée pour adorer ses plus grands fléaux.

Il s'est fait cependant un progrès. Autrefois, les légistes, les historiens admettaient la conquête comme un moyen légitime d'acquérir des provinces nouvelles. Aujourd'hui, la conquête brutale, accomplie, comme jadis, tout simplement pour s'agrandir, n'est plus guère admise. Les auteurs du droit des gens qui se sont récemment occupés de ces questions, tant allemands que français, n'hésitent pas à dire que toute guerre entreprise dans un dessein de conquête mérite d'ètre flétrie par l'histoire comme un crime de lèse-humanité 1!

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La conquête ne s'accomplit plus sous son véritable nom; on l'appelle << annexion », et les États n'y ont recours que malgré eux, et sous l'empire, prétendent-ils, de la nécessité. Quand les États-Unis ont enlevé au Mexique la moitié de son territoire, c'est parce qu'ainsi seulement, disaient-ils, ils pouvaient faire respecter leurs frontières. C'est pour le même motif que l'Angleterre a annexé à son empire indien le pays des Sikhes, Delhi, une partie de la Birmanie, et que la Russie envahit peu à peu tout le bassin du Syr-Dahria et le Turkestan. Quand la Prusse, en 1866, s'est emparée du Hanovre, du SchleswigHolstein et de la Hesse, c'est au nom du principe des nationalités et pour fonder l'unité de « la grande patrie allemande ». Si en 1871, elle a exigé la cession de l'Alsace et de la Lorraine, c'est d'abord, a-t-elle prétendu, au nom de l'identité des origines ethniques, et en second lieu, en raison des besoins de la défense il fallait un boulevard en avant de la ligne du Rhin et les deux clefs de l'Allemagne, Metz et Strasbourg, devaient être remises à des mains allemandes. Conquérir n'est plus comme autrefois un haut fait dont on se glorifie, c'est un acte qu'on sent être en opposition avec les idées modernes et qu'on s'efforce de justifier, en invoquant un principe supérieur, ou la nécessité.

L'humanité a donc gagné ceci, que ceux même qui violent le droit des populations de disposer de leur sort, rendent

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(1) Voyez Les lois relatives à la guerre selon le droit des gens moderne, par M. Achille Morin, conseiller à la Cour de cassation. Eroberungen und Eroberungsrecht, von Dr F. V. Holzendorf. Volkerrechtliche Betrach tungen über den franzosisch-deutschen Krieg, 1870-1871,

von Prof.

Dr Bluntschli. Les faits de la dernière guerre au point de vue du droit international, par G. Rolin-Jacquemyns. Seebohm, On international Reform.

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