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«Et il sauvera la vie des malheureux.

«Il garantira leur existence contre la ruse de l'oppression. >> (Psaume XX.)

Et cette admirable sentence du prophète Amos: « Le droit coulera comme l'eau, et la justice comme une rivière intarissable. »

Je suis convaincu, pour ma part, que les événements futurs montreront, de plus en plus, tout ce que l'humanité doit et devra à ce peuple d'Israël, que quelques égarés — les ingrats! - veulent ramener au ghetto.

LES AVANTAGES DE LA DÉMOCRATIE

Quand la démocratie assure à un pays l'ordre et la liberté, ses avantages sont si évidents qu'il est à peine nécessaire de les faire ressortir.

L'homme n'est vraiment libre dans l'acception politique du mot, que quand il prend part au gouvernement de son pays. C'est dans ce sens surtout que les anciens entendaient la

liberté.

Celui qui est gouverné, non par des fonctionnaires qu'il a contribué à élire, mais par des autoritées constituées au-dessus de lui, est un sujet et non un citoyen.

Quand tous choisissent les magistrats de la République et font les lois directement ou par intermédiaires, le bien de tous sera le but poursuivi, ce qui doit être celui de tout gouvernement.

Ceux qui gouvernent peuvent être individuellement corrompus ou incapables; ils ne forment pas une caste séparée, en faveur de qui les lois seront faites et l'administration dirigée, comme sous un régime aristocratique.

Si tous interviennent dans la direction des affaires, la majorité peut abuser de son pouvoir, mais au moins ce sera dans l'intérêt du plus grand nombre et cette majorité est variable; elle peut être minorité demain, elle ne forme pas une classe fermée, poursuivant son intérêt particulier, avec perspicacité et persévérance.

Il n'y a pas eu d'aristocratie plus dévouée à la liberté, et plus digne de gouverner que celle de l'Angleterre. Cependant

E. DE LAVELEYE.

DÉMOCRATIE. - I.

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jusqu'aux réformes électorales récentes qui ont étendu largement le suffrage, il était facile de reconnaître que trop souvent la législation anglaise sacrifiait l'intérêt du peuple à celui des privilégiés, qui dominaient dans les deux Chambres.

La démocratie fortifie l'amour de la patrie parce que la République est leur chose propre, comme l'est leur commune ou leur maison; citoyens, il y sont les maîtres; son intérêt se confond avec le leur. Le patriotisme est alors une forme de l'égoïsme.

Le peuple français n'a commencé à aimer la France qu'après la Révolution, et depuis lors il l'a adorée. Voyez les auteurs qui ont écrit sous l'ancien régime: au XVIIe siècle, on trouve le culte du roi et au xvm, le culte de l'humanité; l'amour de la patrie est absent. Lisez Voltaire, qui représente l'esprit de son temps: les défaites de son pays ne sont pour lui qu'un texte à bons mots et il est prêt d'en féliciter son ami Frédéric II.

Pensez au patriotisme, et vos souvenirs évoqueront Athènes et Rome, la Suisse et les États-Unis.

L'un des bons effets de la démocratie est l'action « éducative » qu'elle exerce sur les citoyens. « C'est, dit Tocqueville, en participant à la législation que l'Américain apprend à connaître les lois; c'est en gouvernant qu'il s'instruit des formes de gouvernement. » Comment le gouvernement direct et le referendum peuvent-ils fonctionner en Suisse sans dommage? Parce que la démocratie pratiquée y a fait l'éducation politique du peuple tout entier. Le despotisme prépare mal les hommes à le remplacer par la liberté, et le malheur est que les nations longtemps opprimées sont ainsi engagées dans un cercle vicieux, dont elles ne peuvent sortir que par un violent effort et à la suite d'une série d'épreuves.

Quand la loi émane du peuple tout entier, elle a par ellemême plus de force qu'elle n'en peut avoir sous toute autre forme de gouvernement et son autorité est d'autant plus grande, qu'elle est approuvée directement par une majorité plus considérable. On en voit la raison: la loi est soumise au vote populaire; les deux partis, l'un qui la veut, l'autre qui la repousse, se comptent; le premier l'emporte; comment le second songerait-il à s'insurger? Il n'a pour lui ni le droit ni la force.

La loi étant faite par le peuple, lui sera favorable s'il est assez éclairé pour apercevoir en quoi consiste son intérêt. Elle aura donc pour appui le plus grand nombre des citoyens. Elle peut avoir pour adversaires les classes riches, mais cellesci ne s'insurgent pas. « L'égalité, c'est la paix », a dit Solon.

Il est vrai qu'elles peuvent conspirer et trouver un des leurs pour faire un coup d'État, s'il dispose de l'armée. Ceci revient à ce que je dis ailleurs une démocratie qui entretient une grande armée permanente n'est jamais sûre de l'avenir.

Le respect de la police est plus grand dans la démocratie que sous un autre régime. Aux États-Unis comme en Angleterre, l'agent de la force publique est respecté et considéré comme un ami et un allié. Chacun est prêt à lui venir en aide. En France, la police n'est aimée par personne et le peuple voit en elle un ennemi. D'où vient ce contraste? De ce que la police, en France, était un pouvoir arbitraire, agissant arbitrairement.

Aux États-Unis et en Angleterre, elle est un pouvoir qui est institué par les autorités municipales qu'élit le peuple et qui n'agit que conformément aux lois.

Tocqueville pense que la démocratie entendue dans le sens de l'égalité des conditions, rendra les révolutions moins fréquentes :

« Presque toutes les révolutions qui ont changé la face des peuples, ont été faites pour consacrer ou pour détruire l'inégalité. Écartez les causes secondaires qui ont produit les grandes agitations des hommes, vous en arriverez presque toujours à l'inégalité. Ce sont les pauvres qui ont voulu ravir les biens des riches ou les riches qui ont essayé d'enchaîner les pauvres. Si donc vous fondez un état de société où chacun ait quelque chose à garder et peu à prendre, vous aurez beaucoup fait pour la paix du monde. » (' (Tocqueville, La Démocratie en Amérique, L. V, chap. xxI.)

Toutefois, les avantages de la démocratie que j'indique dans ce livre ne sont obtenus, que si elle est établie chez un peuple assez moral et assez éclairé pour la pratiquer dignement.

CHAPITRE III

POURQUOI DANS LA DÉMOCRATIE LES HOMMES PRÉFÈRENT L'ÉGALITÉ A LA LIBERTÉ

Si dans la démocratie les hommes préfèrent l'égalité à la liberté, c'est, dit Tocqueville, parce que l'égalité forme le caractère distinctif de l'époque où nous vivons. Nullement; c'est pour une raison plus profonde. Les hommes qui apparaissent alors sur la scène sont les petites gens, ceux qui vivent du produit d'un travail manuel, en un mot le peuple. Or, ceux-là ne tardent pas à s'apercevoir que ces libertés politiques qu'ils ont désirées avec tant d'ardeur, pour lesquelles ils se sont soulevés, et qu'ils ont conquises au prix de leur sang, ne modifient guère leur condition.

Que m'importe la liberté d'agir comme je le veux, si je suis pauvre et qu'un autre vit dans l'opulence des produits de mon travail. Je suis électeur, je suis éligible, mais je manque de travail et je meurs de faim.

L'égalité des droits politiques ne me procure aucun avantage réel, si je ne puis y trouver le moyen d'améliorer mon sort.

Donnez à un peuple où les conditions sont très inégales, la liberté et même l'égalité des droits politiques, il n'aura de repos que quand il sera parvenu à établir une plus grande égalité de fait, dût-il, dans ses efforts infructueux pour l'établir, aboutir à l'anarchie et par suite au despotisme.

C'est en promettant aux pauvres d'augmenter leur bien-être, aux dépens des riches, que les tyrans de l'antiquité renversaient le gouvernement libre et s'emparaient du pouvoir. De nos jours,

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