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des vues. Un établissement dont le sort dépend d'un budget voté par une Chambre populaire, n'a pas de sécurité. »

Toutefois, n'oublions pas que dans tout pays où règne un culte qui prétend dominer l'État et lui imposer ses lois, les fondations sont un danger, car elles constituent pour ce culte des instruments de pouvoir et des citadelles permanentes qui lui permettent de transformer le régime politique en théocratie.

LA LIBERTÉ DE RÉUNION

Elle est une conséquence naturelle de la liberté générale d'aller et de venir. Cependant en plusieurs pays, et notamment en France, depuis l'abus qu'en ont fait les clubs, à l'époque de la révolution française, elle n'était pas admise; on y voyait un danger permanent de troubles, d'insurrections et de révolutions. Sous le règne de Louis-Philippe, la défense de se réunir à plus de vingt personnes permettait au gouvernement de mettre obstacle même à l'exercice de la liberté des cultes.

Quand le droit de réunion est exercé d'une façon permanente et journalière, il cesse d'être dangereux, comme le prouve l'exemple de l'Angleterre et des autres pays libres, y compris la France sous la troisième République. Ici encore, il faut citer la Constitution belge, article 19 : « Les Belges ont le droit de s'assembler paisiblement et sans armes, en se conformant aux lois qui peuvent régler l'exercice de ce droit, sans néanmoins le soumettre à une autorisation préalable. Cette disposition ne s'applique pas aux rassemblements en plein air, qui restent entièrement soumis aux lois de police. »

E. DE LAVELEYE. DÉMOCRATIE. - I.

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CHAPITRE VII

LA LIBERTÉ DE CONSCIENCE

La plus naturelle, la plus précieuse et, en même temps, la plus contestée des libertés nécessaires est la liberté de conscience. Que de massacres elle a provoqués, que de sang elle

a fait couler! Toutefois en déplorant tant de cruautés commises, on doit reconnaître qu'elles l'ont été non pour des intérêts matériels, mais pour assurer le triomphe de la vérité. On les condamne, mais on ne peut s'empêcher d'y reconnaître une preuve de la noblesse de la conscience humaine.

En Grèce, on ne voit pas de persécutions religieuses. Quoique le polythéisme finit par accueillir dans son Panthéon les dieux étrangers, elles sévissent dans l'empire romain contre les chrétiens, non à cause de leurs dogmes, qu'on ne comprenait pas, mais parce qu'ils se refusaient à rendre hommage au César divinisé. Ils étaient poursuivis comme coupables de lèsemajesté et par conséquent de sacrilège et comme membres d'associations défendues. (Dig., liv. XLVI, t. XI, fr. 2.) Le jurisconsulte Paul écrivait au troisième siècle : « Ceux qui introduisent des religions nouvelles ou inconnues doivent être punis de la déportation ou de la mort. (Sent., 1. V, t. XXI, ch. 1.)

Pour justifier la tolérance qu'il accorde aux chrétiens, Constantin, dans l'édit de Milan en 313, proclame la liberté de conscience: « Qu'il soit permis à chacun de dévouer son âme à la religion qui lui convient. Il est évidemment conforme à la liberté de notre temps que chacun puisse, dans les choses divines, suivre le mode qu'il préfère (in colendo quod quisque diligeret habeat liberam facultatem). » C'était s'inspirer de l'idée

chrétienne des premiers temps, ainsi exprimée par saint Athanase: « C'est en convainquant que la vérité s'annonce. Mais où est la conviction, quand on menace de l'Empereur? où est le conseil, quand on menace du feu? »

L'ami de l'empereur Julien, le philosophe Thémistius, formule nettement la doctrine de la liberté de conscience et saint Augustin la défend d'abord. Mais plus tard, pour extirper l'hérésie des Donatistes qui lui fait horreur, il expose avec une force entraînante la théorie de l'intolérance destinée à devenir un dogme à partir du moyen âge. Justinien édicte des peines sévères contre les païens relaps et punit de mort certaines hérésies les Manichéens et surtout les Eutychéens « qui n'admettent en Jésus-Christ qu'une seule volonté ».

Pour savoir quelle est la doctrine orthodoxe de l'Église catholique sur ce point, il faut lire la correspondance échangée entre Bossuet et l'évêque de Montauban, à propos du point de savoir si l'on pouvait contraindre les protestants convertis par les dragonnades à aller à la messe. Bossuet, tout en admettant pleinement le droit de contraindre, estime qu'il ne faut pas en user, par respect pour la messe. (Lettre du 12 nov. 1700.) <«< Je déclare, dit-il, que je suis et que j'ai toujours été du sentiment, premièrement que les princes peuvent contraindre par des lois pénales tous les hérétiques à se conformer à la profession et aux pratiques de l'Église catholique; deuxièmement, que cette doctrine doit passer pour constante dans l'Église, qui non seulement a suivi, mais encore demandé de semblables ordonnances des princes.

« En établissant ces maximes comme constantes et incontestables parmi les catholiques, etc. 1 »>

L'évêque de Montauban, en répondant à Bossuet, cite les

(1) Bossuet avait exprimé la même opinion d'une façon plus dogmatique encore: « Ceux qui ne veulent pas souffrir que le prince use de rigueur en matière de religion, parce que la religion doit être libre, sont dans une erreur impie. Le roi sage brise les impies; il les met en poudre, en faisant rouler sur eux des chariots armés de fer, comme fit Gédéon à ceux de Joccoth et David aux enfants d'Ammon (Politique tirée de l'Ecriture, Liv. VII, art. 3, 10e prop. et art. 5, 15e prop.).

« Il est évident, dit-il ailleurs, que l'instruction toute seule, sans le secours de la puissance temporelle, n'aurait pas détruit un grand nombre d'hérésies qui se sont élevées depuis la naissance du christianisme. (Lettres à M. de Basville, XC.)

précédents, à l'appui de la pratique « de rigueur salutaire »>:

<< Saint Léon, dans sa 85 lettre à l'empereur Léon, lui adresse ces belles paroles: « Grand prince, vous devez punir les sectateurs de Nestorius, de Dioscore et d'Eutychès et ne pas permettre qu'ils divisent l'unité de l'Église.

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«Saint Grégoire, pape, dans sa lettre à Patrice, exarque d'Afrique, l'exhorte à employer le pouvoir que Dieu lui avait confié à la destruction de l'hérésie, et dans celle qu'il écrit à Aubibert, roi d'Angleterre, il le loue d'avoir procuré le progrès de la religion, par la terreur, par ses bienfaits, et par ses exemples.

« Saint Bernard, qui a été le plus doux et le moins sévère des pères de l'Église, dans le 60° sermon sur le Cantique des cantiques, conclut qu'il vaut mieux punir les hérétiques par le glaive de la puissance temporelle, que de souffrir qu'ils persistent dans leurs erreurs.

« C'est sur ces principes établis par une tradition constante de l'Église, que les empereurs chrétiens ont toujours donné des lois très sévères contre les hérétiques, pour les obliger à se réunir à l'Église catholique.

« On ne voit point que l'Église se soit jamais plainte de la sévérité de ces lois; au contraire, nous avons prouvé qu'elles avaient été pour la plupart approuvées, demandées et sollicitées par les conciles.»

Voilà ce que dit un savant évêque; il a raison, et il le prouve en invoquant les décisions de nombreux conciles, dont plusieurs œcuméniques.

Un grand nombre de conciles particuliers, notamment celui d'Aquilée en 381, celui de Milan, sous saint Ambroise, en 389, celui de Carthage en 400, celui de Milève en 418, implorèrent la puissance civile, pour en finir avec les hérétiques.

Le troisième concile d'Orléans (538), le concile de Tolède de 633, canon LVII, le sixième de Tolède (838), celui de Toulouse (1119), préludèrent à l'inquisition.— Le pape Innocent III, les conciles de Toulouse (1229), d'Arles (1234), de Narbonne (1245), de Béziers (1245), d'Albi (1234), achevèrent l'organisation de cette terrible institution qui devint le pouvoir exécutif de l'intolérance dogmatique. Deux conciles œcuméniques ont ordonné l'extermination des hérétiques. Le troisième concile œcuménique de Latran, sous Alexandre III, canon XXVII.

Voici ce que dit le canon III du quatrième concile de Latran (1216), qui fut œcuménique, sous le pontificat d'Innocent III:

« § 3. Que les autorités temporelles soient averties, exhortées et, s'il le faut, contraintes par la censure ecclésiastique, afin que, en

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