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de la Commune passaient leur temps à se faire arrêter les uns les autres; c'était la parodie du système toujours suivi en France.

Pour mettre un terme à ce régime, il faut faire comme les Anglais, déclarer les fonctionnaires responsables de toute mesure illégale, qu'ils aient ou non obéi à des ordres supérieurs. La résistance à l'arbitraire, même par la force, est considérée en Angleterre comme parfaitement légale, et, s'il en résulte mort d'homme, c'est un simple homicide excusable. Le fonctionnaire qui a agi illégalement est condamné, et il ne peut se justifier, en s'abritant derrière les ordres de ses chefs.

Cette législation peut avoir ses inconvénients; mais le pire de tous, pour un pays qui veut être libre, c'est d'être à la merci des décisions arbitraires du pouvoir.

Il faut d'abord proclamer les libertés nécessaires en quelques lignes claires et à l'abri de toute équivoque, en mettant à néant toutes les anciennes lois restrictives. Il faut ensuite que tout fonctionnaire qui ne respecte pas les lois soit responsable de ses actes et puisse être poursuivi devant la justice, sans autorisation préalable; c'est ainsi seulement que la liberté sera assurée, et qu'on répandra le respect de la légalité qui manque à tous les partis et qui a manqué à presque tous les gouver

nements.

C'est en vain qu'on garantira la liberté dans des chartes sonores; qui garantira ces garanties?

En fin de compte, il n'y a qu'un moyen de mettre fin à l'arbitraire, c'est d'établir la responsabilité complète et sans exception de tout fonctionnaire civil ou militaire. Ce seront alors les tribunaux qui deviendront la sauvegarde de tous les droits, et, comme cela doit être dans un pays libre, - la justice imposera à tous les pouvoirs le respect des lois.

Les seuls droits qui soient respectés sont ceux qui savent se défendre.

Le malheur de la France, c'est que, poursuivant la liberté avec passion, elle n'a jamais voulu prendre le chemin qui y conduit.

Elle a détruit les corps indépendants, anéanti les autonomies. locales, centralisé toutes les fonctions, accordé tout pouvoir à des agents irresponsables, rendu impossible toute résistance

légale, et élevé ainsi un colosse qui absorbe toute la vie nationale et qui, dans l'enivrement de la toute-puissance, a, trop souvent, amené le pays à sa perte.

La France n'hésite pas à renverser les dynasties, elle n'ose se décider à restreindre les exorbitantes prérogatives du pouvoir qui provoque ces révolutions incessantes; au contraire, après chaque crise, elle les augmente, croyant assurer mieux ainsi la stabilité des institutions politiques.

Il est temps de revenir de cette erreur; il faut restreindre de toute façon la sphère d'action du pouvoir souverain, en fractionnant l'administration en services indépendants et non hiérarchiques, en rétablissant les institutions provinciales et en armant puissamment les citoyens contre l'arbitraire des fonctionnaires. Alors seulement le mot de république deviendra synonyme de celui de liberté.

CHAPITRE II

LA RESPONSABILITÉ DES FONCTIONNAIRES

Ce point est si important que je crois utile d'y consacrer un chapitre spécial.

Tout agent du pouvoir exécutif, depuis le premier ministre, jusqu'au dernier garde-champêtre ou militaire, doit pouvoir être poursuivi, s'il a violé la loi, sans difficulté, sans frais, sans autorisation préalable, devant les tribunaux ordinaires, et non devant un Conseil d'État ou une juridiction spéciale. Il ne faut pas qu'il puisse se retrancher derrière un ordre reçu, faisant ainsi retomber la responsabilité sur ses chefs qui le lui ont donné. Celui-là qui a agi doit être frappé, car c'est l'acte illégal qu'il faut prévenir. S'il était nécessaire, pour que cet acte soit puni, de remonter, d'échelon en échelon, toute l'échelle hiérarchique, on arriverait souvent au ministre, qu'il n'est pas facile d'attraire en justice, car il faudrait, soit obtenir l'autorisation du Parlement, soit le traduire devant une cour spéciale, soit provoquer une crise ministérielle qu'on voudra éviter.

Si le fonctionnaire, quel qu'il soit, sait qu'en cas de violation de la loi, c'est lui seul qui en subira la peine, il hésitera à commettre un acte illégal, et ainsi le pouvoir exécutif verra fléchir en ses mains les moyens de porter atteinte aux droits des citoyens. Plus d'une fois, en Angleterre, comme le rapporte Robert Peel en ses Mémoires, le gouvernement a dû renoncer à mettre à exécution, en Irlande, des mesures de compression dont la légalité était douteuse, crainte de ne pas trouver d'agents

disposés à encourir des chances de poursuites devant des jurys, qui les auraient certainement condamnés 1.

Quand ce principe de la responsabilité absolue et directe de tout agent du pouvoir est généralement accepté et appliqué, il offre dans un pays libre la meilleure garantie contre les entreprises illégales du gouvernement. La résistance à tout acte illégal sera aussi permise, mais aux risques et périls de qui résiste. Les tribunaux ordinaires décideront.

Voici ce que porte à ce sujet le Code pénal belge :

Article 151. « Tout acte arbitraire et attentatoire aux libertés et aux droits garantis par la Constitution, ordonné ou exécuté par un fonctionnaire ou officier public, par un dépositaire ou agent de l'autorité ou de la force publique, sera puni d'un emprisonnement de quinze jours à un an. »

(1) V. les Mémoires de sir Robert Peel, traduction par Emile de Laveleye, passim.

CHAPITRE III

LA LIBERTÉ DE LA PRESSE

La liberté de la presse est le complément indispensable de la souveraineté du peuple. Il faut que le peuple soit averti de tout, pour qu'il puisse exprimer sa volonté en connaissance de

cause.

Par elle, les abus sont dénoncés et les fonctionnaires mis sous l'œil du public. Voyez que de malversations, que de vénalité dans les seuls pays où elle n'existe pas, en Russie et en Turquie. Jamais le pouvoir ne sait le mal qui se commet, ni les vols dont il est la victime. Que peut faire le gouvernement? Inspecter les employés. Mais si ceux-ci achètent les inspecteurs, le public est plus rançonné et le gouvernement plus volé encore, car il y a deux ou trois catégories de fonctionnaires à payer.

La liberté de la presse est le complément indispensable du régime parlementaire, le boulevard nécessaire des libertés publiques.

C'est le journal qui forme l'opinion, prépare les élections et ainsi décerne le gouvernement. C'est avec raison qu'on a nommé la presse le quatrième pouvoir. D'ailleurs que craint-on? Plus le journal est violent, moins il a d'autorité. Plus il y a de journaux, moins chacun d'eux a de puissance. Nulle part le journal n'exerce moins d'influence sur les opinions qu'aux États-Unis, sauf en faisant connaître les faits.

En France, tant que les journaux ont été des entreprises privilégiées et qu'ils étaient rares, leur puissance était énorme. Un article du Journal des Débats renversait un ministère,

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