Page images
PDF
EPUB

en lui inspirant plus de respect, deviendra son guide et son maître.

Les amis de l'Église, s'ils voyaient clair, pousseraient à l'incamération, afin d'avoir un clergé vivant uniquement du budget, comme le soldat, et libre ainsi de ne s'occuper que de sa mission spirituelle et de la propagande en faveur de la puissance de l'Église.

L'ÉGLISE AU SERVICE DE L'ÉTAT

le

L'influence du culte sur les peuples étant énorme, surtout en pays catholique, l'État, s'il n'admet pas la séparation et s'il ne veut pas lui faire la guerre, sera amené à contracter une alliance avec l'Église, en la faisant tourner à son profit. En Angleterre, en Russie, en Turquie, le problème est résolu chef de l'État est, en même temps, le chef de la hiérarchie ecclésiastique. C'est ce que voulait Louis XIV, c'est ce qu'a poursuivi Napoléon en une série de mesures, dont j'emprunte le détail à M. Taine. (La Reconstruction de la France en 1800, L'Église.)

la

Le principe de Napoléon est qu'il faut une religion au peuple et que cette religion doit être dans la main du gouvernement. « La Constituante, dit Siméon, avait reconnu avec raison que religion étant un des plus anciens et des plus puissants moyens de gouverner, il fallait la mettre, plus qu'elle n'était, sous la main du gouvernement. » De là l'idée de la constitution civile du clergé, que Napoléon réalisa, mais en s'entendant avec le pape. La puissance publique doit être souveraine en tout, dit Portalis << Elle n'est rien si elle n'est tout. » L'empereur se réserva le droit de nommer les évêques et d'agréer les curés; ceux-ci, payés par lui, deviendront donc ses fonctionnaires, ses créatures. En vertu du Concordat et du Statut légal de l'Église, il détermine ses dogmes et ses canons, sa hiérarchie, son régime interne, ses circonscriptions territoriales, ses sources de revenu, son casuel, son enseignement, sa liturgie. Aucune assemblée ecclésiastique ne peut se réunir et publier

une décision sans l'approbation du gouvernement. Tous les professeurs des séminaires sont nommés par l'État et leur enseignement doit avoir pour base les maximes de l'Église gallicane, les propositions défendues par Bossuet et adoptées par le clergé de France en 1682. Les honoraires dus aux prètres pour l'administration des sacrements étant une taxe levée sur les citoyens, c'est au pouvoir civil à les fixer. Ce pouvoir doit intervenir dans la publication des indulgences, parce qu'elles pourraient être accordées pour des causes contraires à la tranquillité publique; il doit savoir « quelle est l'autorité qui accorde ces indulgences, quelles personnes fixeront le terme et la durée des prières extraordinaires ».

Napoléon dissout et interdit toute association « formée sous prétexte de religion ». S'il en autorise quelques-unes, c'est parce qu'il les juge utiles à ses desseins, mais leurs supérieurs doivent être sous sa main. Si une communauté n'accepte pas le supérieur qu'il désigne, il la frappe et envoie les récalcitrants en prison. Après avoir autorisé des maisons de missionnaires, il les supprime. « Je vous rends responsable, écrit-il à son ministre des cultes (1809), si d'ici à un mois il y a encore en France des missions et des congrégations. » Aucune pièce émanant de la cour de Rome ne peut être publiée sans l'autorisation du gouvernement. Un ecclésiastique qui aura entretenu une correspondance avec une cour étrangère, même sur des matières religieuses, sans autorisation, sera puni d'amende et d'emprisonnement. Les écoles où se forment les aspirants à la prètrise seront sous la main de l'autorité; elle y nommera des hommes dévoués au gouvernement, qui enseigneront, outre la théologie, une « sorte de philosophie et une honnête mondanité. Il ne faut pas abandonner à l'ignorance et au fanatisme le soin de former les jeunes prêtres. » <«<< Que les séminaristes ne s'avisent pas de pratiquer des doctrines fausses que l'État proscrit et n'entreprennent pas de désobéir au pouvoir civil pour obéir au pape ou à leur évêque. » Ils seront, sur l'heure, incorporés dans l'armée et envoyés sur les champs de bataille. Afin d'avoir le clergé complètement à sa dévotion il faut, dit l'empereur, réduire le nombre des curés inamovibles et augmenter celui des desservants qu'on peut changer à volonté. Le préfet et l'évêque s'entendent pour arrêter les nominations

et les déplacements. Tous les prêtres sont ainsi amenés à une sorte d'obéissance passive comme les soldats au régiment. Au moindre signe d'indépendance, ils sont brisés et réduits à la mendicité. Le ministre des cultes a soin d'envoyer, en toute occasion, aux évêques, les canevas de leur mandement dont ils n'ont garde de s'écarter.

A ce tableau s'ajoute un dernier trait. Tout miracle était sévèrement interdit'. Les vierges de Lourdes et de la Salette auraient été enfermées dans une forteresse ou dans une maison de santé.

Ce système, poursuivi par un despote de génie armé d'une autorité sans limites, ayant finalement échoué, un gouvernement démocratique ne s'avisera pas de l'imiter.

(1) En 1811, la sœur d'un soldat du village de Haesdonck, tué à Wagram, avait reçu la visite du mort, qui lui avait remis un mouchoir ensanglanté pour prouver la réalité de l'apparition. Ce miracle attira un concours de monde extraordinaire. Le préfet de police l'apprit à Paris : il savait que Napoléon ne tolérait pas les miracles et il écrivit la lettre suivante au préfet du département de l'Escaut, le comte d'Houdetot:

Paris, le 3 mars 1811.

« Je suis informé, Monsieur, que l'idée d'un prétendu miracle qui se serait opéré dans le village de Haesdonk, près de Termonde, a attiré dans ce lieu une affluence si prodigieuse d'individus du diocèse de Gand, que ce n'est pas exagérer en l'évaluant à cent mille personnes. Je ne puis concevoir, Monsieur, que vous ayez souffert cette jonglerie faite pour entretenir parmi les peuples de vos contrées les idées de merveilleux et de superstition auxquelles ils se montrent déjà si enclins. Les ministres de Sa Majesté devraient-ils être obligés de tracer aux autorités éloignées la marche qu'elles ont à suivre dans des circonstances semblables?

Quand ils sont avertis du mal, il a produit son effet; il est bien temps alors de prendre des mesures pour y remédier! Je vous invite, Monsieur, à donner des ordres pour qu'on fasse disparaître sur-le-champ jusqu'à la dernière trace de ce prétendu miracle et à faire en sorte que des mystifications de cette espèce ne se renouvellent plus dans votre département.

Agréez, Monsieur, l'assurance de ma considération.

« LE DUC DE ROVIGO. »

Le préfet fit saisir par les gendarmes le mouchoir du spectre, et le pèlerinage qui allait s'organiser ne put apporter au village et au curé d'Haesdonck les bénédictions et les profits que procurent aujourd'hui les miracles réussis. Je dois la communication de ce document très curieux à M. l'avocat du Bois, de Gand.

CHAPITRE IV

ÉVITER LA LUTTE CONTRE LE CULTE DOMINANT

Il faut éviter la lutte contre le culte dominant. Il est dangereux pour tout gouvernement d'entrer en lutte avec le culte pratiqué par un grand nombre de citoyens; il l'est surtout pour un gouvernement démocratique parce qu'il s'appuie, non sur la contrainte, mais sur la libre adhésion de tous. Pour le comprendre, il faut voir comment Taine parle de cette puissance dont disposent encore les Églises de nos jours. (Revue des Deur Mondes, mai 1891.)

<«< Si les sociétés locales sont fondées sur la proximité des habitations et des corps, les sociétés morales sont formées par l'accord des esprits et des âmes; en les tenant, on tient, non plus les dehors, mais le dedans de l'homme, on a prise, et directement, sur sa pensée, sur sa volonté, sur son ressort interne; alors seulement on dispose de lui, et on peut le manier tout entier, à discrétion. A cet effet, le principal objet de l'État conquérant est la conquête des Églises; à côté et en dehors de lui, elles sont dans la nation les grandes puissances; non seulement leur domaine est autre que le sien, mais encore il est bien plus profond. Par delà la patrie temporelle et le court fragment d'histoire humaine que perçoivent les yeux de la chair, elles embrassent et présentent aux yeux de l'esprit le monde entier et sa cause suprême, l'ordonnance totale des choses, les perspectives infinies de l'éternité passée et de l'éternité future. Par-dessus les actions corporelles et intermittentes que la puissance civile prescrit et conduit, elles gouvernent l'imagination, la conscience et le cœur, toute la vie intime,

« PreviousContinue »