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Quels ont été les résultats pratiques de cette réforme de détail, et le régime nouveau est-il véritablement supérieur à l'ancien? Voilà ce que je voudrais examiner dans ce court article.

Constatons tout d'abord qu'il semble bien que le sens profond de la réforme n'ait pas été perçu des familles, qui continuent de voir dans le prix d'excellence un témoignage tangible de primauté scolaire et de prééminence. Les familles d'ailleurs ont une bonne raison de demeurer fidèles à l'ancienne acception, qui est que, dans la majorité des cas, c'est la même catégorie de très bons élèves qui, aujourd'hui comme hier, sous le nouveau comme sous l'ancien régime, monopolise le prix d'excellence.

Et quels sont les candidats nouveaux? « Ceux qui auront le mieux satisfait à tous leurs devoirs. » J'entends bien. On ne récompensait autrefois que le succès scolaire, « le travail de tête », comme dit, en son ironie bien tranchante, le rapporteur de 1890. Il faut aujourd'hui tenir compte d'autres éléments essentiels : conduite parfaite, application soutenue, volonté ferme, caractère bien trempé, etc... Or c'étaient, à de rares exceptions près, qualités coutumières chez les lauréats du vieux temps. Mais voici une objection. Dans une classe quelque peu nombreuse, ceux qui auront le mieux satisfait à tous leurs devoirs seront deux, trois, quatre, ou mème davantage, et le professeur perplexe sera embarrassé pour accorder la palme. Et de fait, nous assistons chaque année à la même petite scène où les scrupules du maître sont mis à une dure épreuve. Comment faire ? Il y a l'ex æquo... On décide donc que le prix d'excellence sera partagé. Il y a telle classe remarquable où le maitre, s'il l'osait, demanderait trois prix d'excellence. Cela s'est vu.

Ce qu'ont voulu surtout les réformateurs de 1890, c'est faire du prix d'excellence un « prix d'ensemble », attribué à l'élève qui aura donné toute satisfaction dans le plus de matières possible, et décerné par un vote de tous les maitres de chaque classe. Du coup, les exercices dits accessoires et tenus en moindre estime marchaient de pair avec les matières principales. Le professeur de gymnastique entrait dans le cénacle trop fermé des professeurs agrégés, et y jouissait du même droit de vote.

Sur ce point, il est permis de le dire après une expérience de dix années, la réforme a presque complètement échoué. Les notes d'exercices physiques n'ont pu entrer en ligne de compte, puisqu'il n'est personne qui ait mission de les donner. Le professeur de gymnastique n'a point cherché à exercer ses droits électoraux. Le maitre à chanter n'a pas cru devoir quitter son pupitre. L'aumônier s'est contenté de son prix d'instruction religieuse. Le professeur de dessin n'a paru à l'assemblée qu'à de rares intervalles. Restent tête à tête le professeur principal et les professeurs de langues vivantes, de sciences, d'histoire, en certaines classes. C'est déjà ce qui se passait autrefois. Seulement au vieux temps on faisait des pointages. Aujourd'hui on discute et l'on vote. Et c'est à peu près la seule différence. En fait, l'ensemble des professeurs de classe ne participe point à la réunion qui décide du prix d'excellence. Les pro

fesseurs de matières dites accessoires, qu'on y voulait amener, se sont d'eux-mêmes récusés. Et, en fin de compte, le régime nouveau ne diffère de l'ancien que par la discussion publique des titres des candidats et la part que prend l'administration — proviseur et répétiteurs au choix définitif de l'élu ou des élus.

Voici enfin un dernier point. « Il pourra y avoir un prix distinct pour les externes. » Il n'est pas téméraire de conclure de ce texte que la Commission réservait surtout aux internes et demi-pensionnaires les bénéfices de la réglementation nouvelle. Pourquoi de pareilles subdivisions dans une classe qui forme, du commencement de l'année à la fin, un tout bien homogène? Pourquoi également accorder un traitement particulier aux externes qui prennent de plus en plus part aux exercices intérieurs de gymnastique? Et qu'adviendra-t-il dans les classes où les externes forment la très grosse majorité ? En fait, dans beaucoup d'établissements, le régime nouveau a été compris ou traduit de la façon suivante le prix d'excellence est double; il comprend un prix spécial pour les internes, et un prix spécial pour les externes.

Sous la pression de cette jurisprudence, il est arrivé que le prix d'excellence a été accordé, dans l'une ou l'autre de ces deux catégories, non à un sujet de premier ordre, mais au moins médiocre des élèves composant la catégorie. On est allé plus loin encore. L'ex æquo n'étant point prévu, partant point interdit, dans la réglementation nouvelle, certaines classes se sont trouvées dotées de façon assez régulière de trois, et même de quatre prix d'excellence. L'abus était si manifeste qu'une circulaire récente a invité les assemblées de professeurs à s'abstenir de ces ex æquo, qui tendaient à diminuer de plus en plus l'antique prestige du prix d'excellence. Dans telles circonstances, il a fallu presque du courage à certains professeurs pour s'opposer à la nomination d'un élève simplement passable, d'une honnête moyenne, qui n'avait d'autre titre que de venir en tête de sa catégorie. Et ainsi le prix d'excellence a pris l'air d'une cote mal taillée qui ne répond plus à la haute idée que s'en font professeurs et élèves.

En résumé, le système nouveau n'a donné que d'assez médiocres résultats. Il devait être un prix d'ensemble, où les exercices physiques, par exemple, auraient eu leur cote particulière aussi bien que la version latine ou les mathématiques, et il a continué d'ètre réservé aux exercices principaux de la classe. Il devait être accessible aux élèves qui se seraient distingués par une application soutenue et un très méritoire effort de la volonté, et ces élèves ont eu presque toujours la route barrée par des camarades qui avaient fait preuve des mêmes qualités et y avaient joint une intelligence plus éveillée et l'habitude du succès; ils y ont même perdu, ces élèves moyens, de ne plus bénéficier de l'accessit d'excellence qu'on leur accordait autrefois et qui représentait de façon assez exacte la récompense de leur travail régulier. Il prête, en l'état actuel des choses, à des choix qu'il ne serait pas toujours aisé de justifier et à des éliminations parfois fâcheuses. Il a supprimé le meilleur de

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l'ancien prix d'excellence, le classement par ordre de mérite, qui donnait à ce prix sa valeur propre et son originalité.

Le mieux serait de revenir sans hésitation à l'ancienne méthode. C'est ce qu'a pensé l'assemblée des professeurs du petit lycée Janson-de-Sailly, qui à deux reprises différentes et à l'unanimité des membres présents s'est déclarée favorable au système d'autrefois avec prix et accessits. Les matières admises au prix d'excellence seraient les mêmes qu'autrefois, dessin compris, mais exclusion faite des exercices physiques qui ont par ailleurs leurs récompenses spéciales. Toutefois il y aurait lieu, à mon avis du moins, de faire une place à la conduite et à la tenue des élèves et d'accorder, de ce fait, un léger avantage aux internes qui portent tout le jour le poids de la discipline. Une avance d'un tiers (45 points contre 30 ou 30 contre 20) en faveur des internes me paraîtrait assez légitime. Je rends bien volontiers justice aux sentiments élevés qui ont guidé la Commission de 1890 et au louable souci qu'elle eut d'honorer, non seulement le talent naissant, mais la volonté qui s'affirme et le caractère qui se forme. Mais ces qualités diverses, elles se trouvent, à de rares exceptions près, réunies et fortement cimentées chez les élèves de tête. L'écolier intelligent et qui réussit possède déjà en raccourci les vertus de l'homme complet. Il est autre chose et mieux que le fort en thème raillé par les rancunes posthumes des ratés passés au journalisme. Il sait vouloir et conduit déjà sa vie. Il est quelqu'un. Les écoliers supérieurement doués et qui recueillent les succès sans labeur réel et comme en se jouant ne se rencontrent guère que dans les classes pauvres et médiocres. Et, lors même que l'un d'eux réussirait de temps à autre à se glisser au premier rang, l'inconvénient serait moindre que celui du prix d'excellence d'aujourd'hui qui accole sur le même rang, comme interne et externe, deux élèves notoirement inégaux, entre lesquels on pourrait légitimement insinuer deux, trois, quatre camarades supérieurs en mérite au second des élus.

A. SALLES, Professeur au lycée Janson.

LE BROUILLON DE « L'AIGLE DU CASQUE

V. HUGO, Légende des Siècles, XVII nouvelle série, 1x).

L'Aigle du Casque1 est écrit sur 17 feuillets in-folio de papier d'Arches gris bleu, assez fort, non reliés, mais numérotés de 1 à 17 et réunis dans un dix-huitième feuillet plié en deux, qui porte le titre du poème. Le texte n'occupe que la moitié du recto de chaque feuillet, laissant à gauche une marge égale, et comprend de 17 à 26 vers, le plus souvent de 20 à 23. L'écriture est haute, large, épaisse, et les ratures très appuyées, où la plume d'oie s'écrase, rendent souvent malaisé, parfois même impossible, le déchiffrement des mots recouverts. Les blancs, nettement ménagés ou indiqués entre parenthèses, sont beaucoup plus nombreux que dans l'édition ne varietur in-18, à laquelle je me réfère 2.

Le manuscrit, très remanié, parfois confus, a l'aspect d'un brouillon, non d'une copie reprise et corrigée. Beaucoup de corrections sont en effet contemporaines du premier texte; en voici des exemples: une fin de vers, écrite sur la ligne, sans rature, ne peut pas faire suite au premier jet du début, mais seulement à une correction, ef. infra v. 93; des fragments supprimés se retrouvent insérés dans le texte, sans surcharge, quelques vers plus loin, cf. v. 117 sq., 230-232; une rime, non corrigée, n'est possible qu'après la correction du vers précédent, cf. v. 255, 275, 277; un vers est laissé volontairement sans correspondant, dans l'attente d'une

1. Les candidats à l'agrégation de grammaire auront à expliquer cette pièce an concours de 1901; or, le manuscrit de la nouvelle série de la Légende des Siècles ne figure pas encore à la Bibliothèque nationale parmi les manuscrits de V. Hugo. Il eût été fâcheux qu'on manquát, pour l'intelligence de ce poème, du secours précieux qu'apporte la connaissance des corrections on des hésitations de l'auteur. De là ce travail que l'extrême bienveillance de M. P. Meurice, resté jusqu'ici dépositaire du manuscrit, m'a permis de mener à bonne fin. Je ne me suis pas proposé de faire une étude des procédés de composition de Hugo, mais seulement de donner, à défaut d'un fac-similé peut-être préférable, le relevé exact des transformations du texte avant la forme définitive; je suppose toujours celle-ci connue.

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V. Hugo surcharge rarement; il corrige en général dans l'interligne, au-dessus ou au-dessous, quelquefois en marge. Ces diverses dispositions donnent souvent le moyen de fixer la date relative des retouches. Je désigne par a), b), c), etc., les états successifs du texte. Les portions de vers intéressées par les corrections sont en italique.

2. Le ms. a, de plus que l'édition, des blancs après les v. 40, 73, 112, 135, 176, 205, 226, 297, 339.

addition maginale qui en amènera un, cf. v. 281-293; etc.

De plus, la marche même du récit parait d'abord un peu incertaine. Le v. 14 était, sous sa première forme, « Et maintenant disons comment vint la querelle », non « ce que fut la querelle »; il faisait attendre une explication du différend entre Angus et Tiphaine. Après le v. 15, deux vers, restés sans suite 1,

La jeunesse parfois dit d'un air triomphant
Des choses dont plus tard elle sent la piqûre;

étaient, soit, par avance, une allusion au serment de Jacques (v. 40), soit plutôt l'annonce de l'explication attendue. Les deux vers furent rayés et le développement repris avec un tout autre début, le v. 14 modifié, toute explication jugée inutile: « Le fond nul ne le sait »> (v. 16). Une copie présenterait un état moins incertain de l'œuvre ; des hésitations aussi considérables, quel qu'en soit le sens, ne semblent possibles que dans un brouillon.

Ce brouillon est daté, à la fin, du 5 août 1876; il n'y a aucune raison de suspecter l'authenticité de cette date.

Le titre inscrit sur la couverture, et devenu définitif, ne fut pas adopté tout d'abord : le premier était L'homme sans pitié ; l'autre n'est écrit qu'au-dessus de celui-ci, entre deux barres verticales, comme entre parenthèses, et un point d'interrogation le suit.

Outre l'hésitation sur la marche du récit après le vers 15, le développement primitivement conçu a été modifié par des additions 2: v. 25-26, addition marginale qui fournit un couple de rimes féminines nécessaire à l'alternance; -v. 118-135, « les spectateurs du combat, l'aspect du décor », produit de trois additions successives: a) 118 et 127-135, b) 118-120 et 123-126, c) 121-124; v. 151-160, « Angus et ses témoins », développement marginal des v. 155-136, d'abord seuls dans le texte ; v. 171-174, « le bouclier d'Angus », addition marginale amenée sans doute par le v. 195, « le bouclier de Tiphaine »; — v. 187-190, « le cheval de Tiphaine » ; v. 227249, (C Angus attaque Tiphaine », importante addition de tout un feuillet, qui nous montre Angus courageux, et non pas seulement téméraire ; — v. 281-292, « la poursuite dans le ravin », développement contemporain de la première forme, bien qu'écrit en marge; v. 301-308, « calme de la nature pendant la poursuite », repos dans le récit et effet de contraste ; v. 347-351; v. 361-370, amplification de deux vers beaucoup plus simples.

1. L'asterisque qui précède ces deux vers et la ponctuation du second prouvent qu'ils commençaient bien un développement nouveau.

2. Pour la justification de tout ce qui suit, cf. infra au numéro des vers.

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