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QUELQUES CONSEILS PRATIQUES

SUR LA

<< LECTURE EXPLIQUÉE >>

Le désarroi de la plupart des aspirants et surtout des aspirantes, à nos grands examens littéraires, quand il s'agit de l'épreuve orale nommée la « Lecture expliquée », amène un de ceux qui préparent à cette épreuve depuis un assez grand nombre d'années, à se demander si elle comporte une théorie, - laquelle? en un mot à préciser, pour luimême et pour ses lecteurs et lectrices, les données fournies sur ce point par une pratique déjà longue.

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Nous admettons que le morceau proposé est bien choisi, qu'il a un commencement, un milieu, une fin. Faut-il commencer aussitôt l'explication du texte? faut-il la faire précéder de quelques considérations générales sur le passage interpréter? faut-il réserver ces considérations pour la fin? Je ne crois pas que, sur ce point, on doive indiquer une règle absolue; ou plutôt il est permis de dire que le candidat qui se pose la question ne s'est pas mis, en étudiant préalablement le morceau (et dans tous les examens dont je parle, il est donné du temps, plus ou moins, pour cette étude préalable) dans ce que j'appellerai « l'état d'explication ». Ceci demande un éclaircissement.

Cet état peut se résumer en deux mots: laisser les lignes ou les vers auxquels on a affaire produire en nous une impression, leur impression, franche et directe; s'abandonner sincèrement à cette impression, se livrer à la pensée, au sentiment de l'auteur, ou, s'il s'agit d'un extrait théâtral, du personnage. En général, les candidats, volontairement ou non, suivent la marche inverse: ils se demandent d'abord ce qu'il pourrait bien «< y avoir à dire »; se poser cette question, c'est se glacer, c'est, si je puis dire, tourner le dos à la réponse. Assurément, même par ce procédé, on peut se donner encore la chance de quelques remarques intéressantes; on peut arriver à construire une explication : il y

manquera l'essentiel, l'effet naïf produit par des choses belles ou fortes sur une intelligence et un cœur qui ne résistent point, il y manquera le feu, l'âme véritable.

Mais, dira-t-on, c'est justement quand je suis ému, sincèrement ému, que je demeure muet ou que j'obtiens seulement une expression confuse de mon émotion. »> Sophisme facile à réfuter, puisqu'il ne s'agit plus ici d'une émotion imprévue, inconnue, produite par du nouveau, mais de l'émotion, très sincère pourtant, qu'une œuvre déjà vue, étudiée, approfondie, nous communique une fois de plus, après nous l'avoir déjà communiquée. Nous admettons en effet, sans démonstration, ce postulat, base d'un enseignement vivant, c'est que l'accoutumance à une œuvre quelconque de l'esprit ne nous rend pas incapables de la sentir encore et toujours dans sa fraîcheur.

Toutefois, il ne nous échappe point que l'on n'est pas ému par un fragment d'auteur, le jour d'un examen, identiquement comme les autres jours. Plusieurs éléments entrent dans cette émotion et la différencient de l'émotion purement esthétique. Tout d'abord, un élément nerveux, l'émotion de bien ou de mal faire, d'avoir une bonne ou une mauvaise note; puis, quelque sérieuse que soit l'étude faite préalablement d'un auteur, il est bien rare que l'on ait tendu toute son attention sur un passage court et délimité, ou si on l'a fait, ce n'était qu'exceptionnellement sur ce passage même, ou en tous cas, ce n'était pas dans les conditions de l'examen.

Sur ce dernier point, ce que les élèves appellent les « conditions de l'examen », je voudrais affirmer et démontrer qu'il y a, en général, malentendu, fausse position de la question. J'entends bien des aspirants me dire ou se dire : « Comment veut-on que j'explique devant un jury, comme j'expliquerais devant des élèves; et devant des élèves même, il tombe sous le sens que mon explication ne serait pas toujours la même, suivant que mon auditoire aurait deux, trois, quatre ans de plus ou de moins... Alors? » Je réponds: <«<La question est mal posée; il ne faut pas expliquer pour tel ou tel auditoire, il faut expliquer, j'oserai dire, pour soi, pour mettre au jour l'émotion interne, pour se dilater et se satisfaire en exprimant, en communiquant.

On a en face de soi des auditeurs, c'est bien vrai: mais si on a ressenti, si on ressent véritablement l'émotion du texte, on proportionne, même sans le vouloir, son explication aux exigences du moment. Il m'arrivera par exemple de faire plus de psychologie et moins de remarques linguistiques ou grammaticales, ou l'inverse, sur un texte que sur un autre, plus ou moins même que je ne le voulais d'abord: c'est que je me sentais, sur un des points et non sur l'autre, compris à demi-mot. Mon explication, pour être vivante, doit en effet s'inspirer en partie de la circonstance. — Ainsi, on le voit, tombe le problème si inquiétant pour nombre de candidats « Ai-je affaire à des juges? à des écoliers? » J'ai affaire, avant tout, à mon texte. Je dois le faire comprendre et le faire sentir; et presque toujours, si je suis réellement pénétré, mon émotion sera également intelligible à des critiques fins et à des élèves, à des élèves et à de fins critiques: l'idée de quelques légères nuances, nécessaires en effet, me sera, je le répète, inspirée à l'instant même par ce qu'on peut bien appeler le courant qui s'établit entre une intelligence touchée et vibrante, et des intelligences ouvertes et bien disposées.

Cette difficulté, qui n'en est pas une, étant écartée, il demeure indéniable qu'à l'émotion esthétique du texte se mêlent très souvent une émotion de peur et une émotion d'attention décuplée. Mais d'abord, ces éléments, le second surtout, peuvent intervenir très favorablement. Puis, le véritable « état d'explication », celui de l'esprit qui sollicite ardemment le texte, s'y plonge, s'en pénètre, tend nettement à annuler l'émotion de peur et même, quelque paradoxale que semble l'affirmation, l'émotion d'attention: l'extrême attention, en effet, se suffit à elle-même, et élimine tous les éléments hétérogènes, y compris cet émoi qui s'y mêlait tout d'abord. De la sorte, il reste bien vrai que le secret, le véritable secret de cet état, c'est de vouloir de toute sa force comprendre et sentir le texte, revivre la pensée exacte de l'auteur ou du personnage, la pensée de l'endroit précis qui nous est proposé, de la revivre et de rendre manifeste qu'on l'a revécue, qu'on la revit.

Le reste découle si le texte est indépendant, nul développement préalable; s'il dépend, le strict nécessaire pour le

mettre au point. En tous cas, à un moment ou à un autre, quelques phrases qui devront être précises, fortes, pleines, intenses, mais qui, brève et lumineuse quintessence de la beauté la plus intime et la plus foncière du fragment, viendront naturellement et en quelque sorte involontairement; je dis : « à un moment ou à un autre », c'est que l'expérience me prouve que cette partie capitale de l'épreuve, fruit direct de l'intelligence, à son summum de clarté, et de l'émotion, à son summum de force, apparait plus tôt ou plus tard, suivant les esprits, suivant les dispositions particulières du même esprit; seulement, cette minute est si intéressante pour l'auditeur, il a si bien le sentiment qu'alors se fait la fusion décisive entre l'interprète et son auteur, cette fusion même est si contagieuse, qu'à quelque moment qu'elle ait lieu, elle est la bienvenue: elle paie, en quelque sorte, la dette de tout esprit, de tout cœur bien faits à une œuvre belle; et n'est-ce pas là, en dernière analyse, ce que vise toute cette partie de notre enseignement qui met nos élèves en communication avec de beaux livres?

Répétons-le en finissant notre méthode, qui demande autant à la sensibilité qu'à l'intelligence, qui laisse et veut laisser du jeu aux dons, très variables en effet, de chacun des interprètes, prétend pourtant être une méthode, c'està-dire, en termes très bourgeois, un procédé utile pour bien faire et pour réussir: si les élèves l'entendent bien, ils reconnaîtront qu'elle ne les affranchit d'aucune des préoccupations qui les assiègent, mais souvent, pour leur malheur, si confusément, préoccupations du style, de la langue, de la psychologie, du mouvement dramatique ou logique, etc.....; qu'elle ne les affranchit pas surtout, durant les mois qui précèdent, de l'obligation d'une copieuse préparation générale. Elle met seulement ces préoccupations à leur vraie place, qui n'est pas la première; et elle met à la première ce qui mérite seul d'y être : le contact direct, profond, bienfaisant, entre un esprit d'une haute valeur, quelque limité que soit le fragment qui nous sert à l'atteindre, et nos esprits moindres, mais qui cherchent, trouvent, pour le propager peut-être, un rayon de l'idéal à ce contact.

CH. SALOMON,

Professeur de rhétorique au lycée Condorcet.

LA PART DU MÉDECIN DANS L'ÉDUCATION ET L'INSTRUCTION

Les médecins s'occupent beaucoup en ce moment de questions pédagogiques. Il ne faut ni s'en étonner ni s'en plaindre. Nous avons fait appel à leurs lumières pour répandre le goût des exercices physiques, pour lutter contre l'alcoolisme ou contre la tuberculose, quoi d'étonnant si, introduits par nous dans l'école, ils soient tentés de regarder et de juger ce qui s'y passe? Tant mieux après tout s'ils ne voient pas les choses sous le même angle que les professionnels. Il y a souvent plaisir et profit à écouter les voix du dehors.

Il serait donc aussi peu logique que peu aimable d'appliquer aux docteurs et aux hygiénistes le ne sutor ultra crepidam. Et s'il en est un pour qui le reproche serait particulièrement injuste, c'est sans contredit le docteur Paul Le Gendre, le très distingué médecin de l'hôpital Tenon. Déjà, dans une récente étude sur « la dyspepsie des collégiens», le docteur Le Gendre nous avait donné en une courte brochure un véritable traité de l'alimentation qui convient à la jeunesse. Il y a là vingt pages que nous ne saurions trop recommander, en passant, aux méditations des économes et des proviseurs.

Mais si l'on accepte volontiers les conseils des médecins quand il s'agit du régime alimentaire, on est plus sceptique dès qu'ils font mine d'intervenir dans les études, les programmes, le règlement intérieur du travail. Le docteur Le Gendre ne craint pas cependant de s'aventurer sur ce terrain brûlant. Il invoque en sa faveur l'opinion des philosophes et des éducateurs. Depuis Kant, Fichte et Pestalozzi, nous dit-il, jusqu'à Herbert Spencer, Bain, Fouillée, et J.-M. Guyau, tous insistent sur la nécessité de mettre les règles de l'éducation morale en harmonie avec les lois de la physiologie et de l'hygiène. « Je prétends prouver qu'au point de vue de l'éducation et de l'instruction des enfants, les médecins ne rendent pas la société contemporaine tous les services qu'ils pourraient lui rendre si elle les leur demandait et s'ils étaient mieux préparés à le faire. >>

Quels services pourraient donc rendre les médecins de concert avec les professeurs et les proviseurs des lycées? Vous devinez

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