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sont les conclusions même du rapporteur au Congrès de cette discussion, M. Pecqueur, professeur à l'Athénée de Liège.

Ce souci de donner aux langues vivantes la dignité et le rôle des langues anciennes dans l'éducation secondaire. explique pourquoi on a si chaudement discuté au Congrès, dans la même séance, sur les méthodes d'enseignement des langues étrangères. Les apprendre d'une manière pratique, de manière à les parler et à les écrire par les procédés de la méthode intuitive ou directe, ne serait-ce pas les abaisser au niveau d'une instruction professionnelle? Le comte Pouchkine a fort bien exposé les origines de cette méthode pratique recommandée par Vietor de Marburg, pratiquée en Allemagne, à Francfort, d'abord, à Altona, dans le duché de Bade, en Suède par le professeur Palmgren, à Paris par le professeur Schweitzer. Il a reconnu sans doute la difficulté de trouver de bons maîtres, la nécessité d'en former, le poids de la tâche que cette méthode leur impose, mais il en a vu et apprécié les résultats, surtout dans les classes inférieures. M. Van Herp, régent à l'École de Liège, est un apôtre. convaincu de la réforme : il célèbre ses avantages, ses résultats; et il a vivement recommandé l'emploi des caractères phonétiques, des tableaux de Hotzel, l'Anschauungstoff. comme on dit au delà du Rhin. D'autre part, M. Melon, professeur à l'Institut de la Louvière, n'est pas un adversaire moins résolu de l'ancien système des thèmes et des traductions emprunté à l'étude des langues mortes. Ce qui m'a le plus frappé, dans la résistance opposée à ces réformes par les partisans de la méthode actuelle, ce sont leurs motifs, présentés très nettement par M. Scharff, de l'Athénée de Verviers. Ils ne veulent pas d'un enseignement qui se réglerait ainsi par la nécessité de parler une langue étrangère, d'écrire une lettre commerciale, et de pouvoir se nourrir d'une littérature de faits divers et d'annonces de journaux. Apprendre un idiome vivant, pour lire ses productions littéraires, et, sans se soucier de parler ni d'écrire, être en état de communiquer avec les grands écrivains de l'étranger, voilà la vraie tâche, à la fois plus et moins étendue d'un écolier moderne. Lui proposer les moyens de pratiquer les langues, comme les enfants auprès de leurs bonnes, ou les soldats d'Algérie auprès des Arabes, c'est le détourner de la véritable voie où

doivent le conduire les humanités pour former son cœur, son esprit, son talent, au contact des grandes littératures modernes. Ces critiques ont à leur tour provoqué des répliques, notamment celle de M. Poiry, professeur à l'Athénée de Bruxelles, persuadé que l'usage pratique d'une langue permettra mieux l'étude de sa littérature. J'ai tenu cependant à les exposer sans réserve pour marquer la préoccupation qui animait le débat, l'un des plus vifs du Congrès, la crainte de voir l'étude des langues modernes réduite, par la méthode intuitive, à des leçons pratiques indignes du rang, incompatibles avec l'objet très haut que ses représentants lui assignent.

Le Congrès en revanche s'est prononcé tout de suite et à l'unanimité pour l'emploi de la méthode intuitive, des tableaux et des projections lumineuses dans l'enseignement de l'histoire et de la géographie. Il a tout à fait approuvé l'utilité proclamée par MM. Van der Linden de l'Athénée d'Anvers, et Dufief de l'Athénée de Bruxelles de mettre les élèves en contact constant, par la lecture et par les yeux, avec les différentes époques de la civilisation et les aspects typiques de la nature et du monde. Cette unanimité m'a paru fort éloquente.

Le même accord s'est produit sur la proposition faite par M. Beurdeley, au nom de la presse française de l'Enseignement dont il est le dévoué Président. Il a demandé la création d'un Bureau ou Office international de l'Enseignement et d'un bulletin qui en serait l'organe. M. Darway, l'honorable délégué de la Hongrie, a même exprimé le vœu que cet office devint assez autorisé pour exercer une action sur l'enseignement dans les différents pays, qu'il pùt servir aux gouvernements comme d'un conseil tout au moins consultatif. Le Congrès n'avait pas à se prononcer par un vote qui eût décidé cette création immédiatement. Mais l'idée lui a paru, dans les termes du moins où la formulait M. Beurdeley, excellente: l'une des principales difficultés que les gouvernements rencontrent dans leurs projets de réforme, c'est le risque, le danger même d'expériences souvent incertaines. On sait ce que l'on modifie le résultat seul éclaire, parfois trop tard, sur la valeur de ce qu'on croyait une réforme. L'expérience des pays voisins est presque la seule ressource des réforma

teurs, en cette matière délicate. Si le Congrès de Bruxelles avait eu cet effet bienfaisant, et même ce seul effet de mettre à leur disposition pour l'avenir un office permanent de renseignements indispensables, son œuvre serait une date dans l'histoire de la pédagogie internationale.

Il a eu d'ailleurs bien d'autres résultats qu'en termes excellents M. le professeur Discailles a proclamés, en présence du Ministre de l'Instruction publique belge, dans la séance de clôture: l'examen approfondi, avant et pendant le Congrès, de questions nombreuses posées devant l'opinion publique de tous les pays, examen d'autant plus précieux qu'il a pu être fait avec le concours des représentants de ce pays. La publication des travaux en apportera des preuves plus complètes et plus concluantes que ce trop court compte rendu. A ceux qui les liront, ces travaux feront sans doute la même impression que nous avons emportée de Bruxelles : l'ardente émulation de tous les maîtres de l'enseignement secondaire à servir de leur mieux la nation qui leur confie le soin de son génie. et de sa prospérité; leur étroite et féconde solidarité, que ne limitent pas les frontières; l'espoir enfin que tous les hommes éclairés, associés à leurs recherches mettent dans leur dévouement et leur clairvoyance. Tous ces efforts, tous ces résultats justifient le vœu formé par nos hôtes de Bruxelles qu'une nouvelle assemblée internationale continue l'œuvre de celleci prochainement.

ÉMILE BOURGEOIS.

Maitre de conférences à l'École normale supérieure.

LES RÉFORMES DE L'ENSEIGNEMENT

LETTRE DE M. A. RIBOT, DÉPUTÉ, PRÉSIDENT DE LA COMMISSION PARLEMENTAIRE DE L'ENSEIGNEMENT, AU MINISTRE DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE.

Monsieur le Ministre et Cher collègue,

Voici près de deux années que la commission de l'enseignement a soumis à la Chambre des députés les résultats de l'enquête sur l'enseignement secondaire. La Chambre, absorbée par d'autres débats, n'a pas encore délibéré sur nos propositions. Il est temps d'aboutir. Rien n'est pire que cette longue incertitude pour les familles, pour les études et pour l'autorité de la Chambre des députés. Vous l'avez si bien compris que vous avez annoncé l'intention de demander, au nom du gouvernement, que la discussion des conclusions de la commission soit mise à l'ordre du jour d'une des premières séances de la prochaine session extraordinaire.

En prévision de ce débat, vous avez eu avec la commission plusieurs entretiens. Il nous a paru nécessaire de préciser les points sur lesquels vous êtes d'accord avec la commission et ceux où il subsiste quelques divergences de vues.

Tel est l'objet de la présente lettre.

I

Réformes dans l'organisation et le régime des lycées.

La commission a demandé, à titre de mesure préliminaire, la disjonction du budget de l'internat de celui du lycée proprement dil. C'est aujourd'hui une chose accomplie. A partir de 1902, les comptes et la gestion financière de l'externat et de l'internat seront indépendants. Si l'on s'arrêtait là, cette séparation des écritures n'aurait qu'une portée tout à fait restreinte. La commission, d'accord avec vous, a voulu préparer une réforme dans le gouvernement et la vic intérieure des lycées.

On peut dire que l'ancien internat a vécu. Il n'a plus guère de défenseurs. Ce qu'on réclame, de toutes parts, c'est une éducation qui, en se rapprochant le plus possible de la vie de famille (ce sont les expressions mêmes dont vous vous êtes servi) développe chez l'entant l'énergie corporelle et la personnalité morale, l'habitue à vivre dans une atmosphère de liberté, forme le caractère en même temps que l'intelligence. On a fait des efforts pour introduire dans nos lycées ce type d'une éducation à la fois plus douce et plus virile que celle d'autrefois. Mais rien n'est plus difficile que de transformer les vieilles disciplines auxquelles tout s'est adapté, les habitudes d'esprit des proviseurs, des professeurs et des surveillants, aussi bien que les bâtiments de nos lycées. La pression de l'opinion publique peut seule håter l'accomplissement de cette œuvre. Elle se fait sentir de plus en plus. Ce n'est pas un symptôme qu'on puisse dédaigner que la création récente ou projetée de collèges, tels que l'école des Roches, le collège de Normandie, l'école libre secondaire de Liancourt, le collège de l'Estérel. Si les familles dont les ressources sont modestes ont une tendance à préférer à l'internal des lycées les pensions tenues par des instituteurs, où l'éducation à un caractère plus familial, c'est encore un signe qu'il convient de ne pas négliger.

L'Université peut entreprendre, avec les immenses ressources dont elle dispose, ce qu'on commence à faire autour d'elle. En le faisant, elle n'oubliera pas qu'elle doit rester ouverte à tous. Le prix élevé de la pension n'arrête pas des familles riches; il est même pour quelques-unes d'entre elles une garantie de sélection à laquelle elles ne sont pas insensibles. Il écarterait les enfants dont les familles ne peuvent s'imposer de lourds sacrifices. Mais l'État n'est pas dans la situation d'une association particulière. Quand il bâtit un lycée, il ne fait pas entrer en ligne de compte, pour le calcul du prix de la pension des élèves, les sommes qu'il dépense. Les professeurs sont payés sur le budget. On ne s'attend pas à ce que les frais d'études supportés par les familles puissent suffire à couvrir la dépense de leurs traitements. L'instruction publique, à tous les degrés, est une charge de l'État. C'est l'idée qu'on s'en fait en Allemagne aussi bien qu'en France. Si l'instruction secondaire fait encore exception chez nous, l'abaissement des frais d'études de nos lycées au niveau des frais d'études de l'enseignement supérieur est demandé par la commission de l'enseignement et, sur ce point, vous êtes d'accord, en principe, avec elle. L'établissement de comptabilités séparées pour l'enseignement et pour le pensionnat rend plus facile cette réduction des frais d'études. Tout n'est pas mêlé et confondu comme autrefois, et ce qui incombe principalement à l'État, c'est-à-dire les dépenses de l'enseignement, est maintenant distinct de ce qui incombe

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