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Le lecteur en est peut-être encore à se demander en quoi les considérations qui précèdent intéressent particulièrement l'étude du grec et en démontrent l'utilité. Je vais le dire en revenant à mon point de départ et au titre de cet article. La littérature grecque est une des plus imprégnées de réalités. D'autre part, la civilisation grecque nous est aujourd'hui bien connue par un prodigieux trésor de monuments qui nous permettent d'en suivre toute l'évolution, à l'aide de séries méthodiquement classées. L'accord entre les vestiges matériels et les vestiges littéraires de l'hellénisme est un accord parfait. Depuis Homère jusqu'à Lucien, il n'y a guère d'auteur dont le commentaire concret ne soit abondant et précis. Il y a là toute une masse de documents qui permet une instructive confrontation entre l'expression littéraire de la vie d'un peuple et sa civilisation. La reconstitution complète de cet ensemble est donc une véritable aubaine pédagogique; les résultats pratiques, au point de vue de la formation de l'esprit, sont, sur ce terrain d'élection, des plus appréciables. La netteté des constatations, la sûreté de l'observation sont de nature à frapper vivement les intelligences et constituent pour elles une incomparable école de précision. La vie et les livres s'éclairent mutuellement, sans compter les bénéfices qu'on peut attendre de l'analyse d'une langue où toutes les nuances les plus fines de la pensée trouvent à s'exprimer. De là l'intérêt très particulier qui s'attache à l'étude du grec. Dès qu'ils ont assez de maturité, nos étudiants sont extrêmement frappés de la supériorité de la littérature et de la langue grecques. Ils s'y intéressent parce qu'ils y trouvent à chaque pas l'expression de la vie. La langue elle-même, malgré ses difficultés, exerce sur eux l'attrait des choses ingénieuses et subtiles. Ils réussissent beaucoup mieux leurs thèmes grecs que leurs dissertations latines; au bout de

l'historien ne peuvent être précisés dans leur vrai sens qu'à l'aide des cartes de l'étatmajor italien, qu'il nous a fallu appeler à la rescousse. Ajoutons que, de ce rapprochement avec la réalité topographique, la supériorité de Polybe sur Tite-Live ressort avec éclat. Donc, pour l'appréciation de la méthode et des qualités essentielles du narrateur, savoir la précision, l'ordre, la vérité, ce genre de contrôle par les choses est des plus positifs : il devient un critérium littéraire. Veut-on établir un jugement sur d'autres indices que les procédés du style (car souvent, rien n'est plus impersonnel que le style et la langue d'un auteur) on n'a, pour certains écrivains, dont le témoignage est unique, d'autre ressource que la confrontation avec les réalités. Tel est, presque toujours, le cas pour Polybe. On pourrait, dans une certaine mesure, en dire autant pour Homère.

quelques mois de travail, ils arrivent à des résultats remarquables dans l'explication improvisée d'un texte qu'ils rencontrent pour la première fois, pourvu qu'on leur laisse quelques minutes de réflexion. On ne saurait soutenir que les études grecques soient en défaveur ou en décadence auprès de notre jeunesse studieuse. Ce n'est pas sur les explications bâclées du baccalauréat qu'on peut en juger sainement : c'est à l'examen des bourses de licence et aux épreuves écrites et orales de la licence elle-même qu'il faut se référer. (Je ne parle pas du concours d'agrégation, parce qu'il implique une sélection trop restreinte et une préparation très spéciale.) Un instrument d'éducation qui fait ainsi ses preuves justifie son utilité par ses succès. Les exercices nécessaires à l'apprentissage du grec, le thème et les explications, suffisent à leur œuvre l'expérience le démontre. Pourquoi donc persévérer à rendre plus ingrate et plus stérile la tâche des latinistes par le maintien suranné de la dissertation? N'est-ce pas autant de pris sur l'étude vivante, sur le commentaire intéressant des auteurs? N'est-ce pas, de parti pris, contribuer à accréditer cette légende que le latin est plus ennuyeux que le grec? L'exemple de certain latiniste éminent atteste que latin et ennui ne sont nullement synonymes. Si l'enseignement de M. Boissier a toujours. réussi à réconcilier ses auditeurs avec une littérature qui soulevait a priori quelques défiances, c'est que les leçons du maître ont toujours associé la vie littéraire à la vie réelle. Il est vrai que l'archéologie romaine, l'aînée de l'archéologie grecque, est venue plus tôt vivifier l'étude des auteurs: il y a plus de cent ans que Pompéi a livré ses secrets, tandis que l'Acropole, Tanagra, Olympie, Delphes ne sont ouvertes que d'hier. Par contre, les visions qu'elles nous donnent ont encore tout le charme de la fraîcheur. Aussi le péplos a-t-il déjà conquis tous les cœurs et toutes les scènes. Ce n'est pas aux hellénistes à se laisser conquérir les derniers.

GUSTAVE FOUGÈRES,

Maître de Conférences à l'Université de Paris.

LE LIVRET SCOLAIRE

Le Ministre de l'Instruction publique proposait, l'hiver dernier, au Conseil supérieur de réformer l'examen du baccalauréat en « généralisant l'emploi du livret scolaire »; ce livret, disait-il, « devra être consulté impérativement par le jury avant tout ajournement. » Et le Conseil, conformément à cette indication, votait la résolution suivante : « Lorsqu'un candidat a produit le livret scolaire prévu par l'article 6 du décret du 8 août 1890, il ne peut être ajourné, soit après l'épreuve écrite, soit après l'épreuve orale, sans que le jury ait examiné son livret... Mention de cet examen, signée par le président du jury, est portée sur le livret et sur le bulletin d'examen1». Ministre et Conseil supposent donc que les Facultés n'ont pas, jusqu'à présent, suffisamment tenu compte des livrets qui leur étaient présentés; Ministre et Conseil supposent que l'obligation d'examiner les livrets diminuera « l'aléa » du baccalauréat. Quel usage a-t-on fait du livret scolaire? Les formalités préconisées par le Conseil supérieur rendront-elles cet usage plus fréquent? Nous ne le chercherons pas; mais suffira-t-il d'examiner ces livrets pour perfectionner le baccalauréat? les livrets scolaires donnent-ils des renseignements certains sur la valeur des candidats? Voilà ce que nous apprendra peut-être une statistique établie d'après les livrets déposés à la Faculté des lettres de Rennes en 1900 et en 1901.

Pour vérifier un fait, il faut voir s'il n'est pas contredit par un autre. Pour contrôler les renseignements fournis par un livret scolaire, il faut comparer entre eux tous les livrets qui viennent d'un même établissement d'instruction. Nous avons donc réuni sur une même fiche les indications données sur leurs élèves par chacun des lycées (9 en 1900 et en 1901),

1. VII résolution relative au baccalauréat. - V. Temps du 25 décembre 1900. Si ce texte n'est pas authentique (le style de la dernière phrase autorise le doute), il ne trahit pas la pensée du Conseil.

collèges (12 en 1900, 11 en 1901), séminaires (9 en 1900, 10 en 1901), autres établissements libres (18 en 1900, 20 en 1901; qui présentaient à la Faculté des candidats à la deuxième partie du baccalauréat classique (lettres-philosophie). Cette simple juxtaposition révèle un certain nombre de causes d'erreurs que nous allons signaler. La bonne foi des chefs d'établissements et des professeurs est hors de cause; nous n'accusons personne d'avoir voulu tromper le jury; mais que la grande majorité des livrets donne au jury des renseignements incomplets, incertains ou insignifiants; que le livret scolaire, tel qu'il est rédigé, soit un document la plupart du temps sans valeur, c'est tout ce que nous voulons démontrer.

En premier lieu, il faut se rappeler que tous les élèves ne présentent pas leur livret. Sur 365 candidats, 23 sont dans ce cas en 1900 (soit 1/16) et 53, sur 381, en 1901 (soit 1/7). C'est peut-être lorsqu'il fait défaut que le livret donne sur la valeur de son titulaire les renseignements les plus sûrs: si l'élève ne croit pas devoir mettre sous les yeux des examinateurs ses places ou ses notes, c'est le plus souvent qu'il n'a pas intérêt à le faire. Sans doute quelques candidats n'ont pas de livret parce qu'ils ont fait ou achevé leurs études sans maitre retardés par une circonstance quelconque (service militaire, nécessité de gagner le pain quotidien), ils reprennent seuls, vers vingt-cinq ans, une préparation jadis commencée dans un collège. Mais de tels candidats sont rares; on en rencontre un par an. Dira-t-on que tous les candidats qui le désirent ne peuvent pas nous remettre leur livret parce qu'ils ont oublié la date prescrite pour le dépôt? Mais, en fait, le secrétariat de la Faculté reçoit jusqu'au jour de l'examen les livrets des retardataires. Ceux dont nous ne voyons pas le livret scolaire sont donc, en grande majorité, ceux dont le livret serait mauvais. L'examen des livrets déposés confirme cette hypothèse relative aux livrets absents: en 1900, 5 établissements publics (sur 21), 16 établissements libres (sur 27); en 1901, 11 établissements publics (sur 20), 22 établissements libres (sur 30) n'inscrivent dans les livrets qu'ils nous soumettent aucune place de dernier1: même si ce fait a d'autres causes, nous pouvons l'expliquer en sup

1. Il s'agit exclusivement, dans tout ce qui suit, des compositions en philosophie.

posant que le dernier de chaque classe ne s'est pas soucié de nous communiquer ses places. Il n'est pas absolument sùr, mais il est presque sur qu'un candidat sans livret est un mauvais candidat.

Ce n'est pas à dire que tout candidat pourvu d'un livret soit un bon candidat. Examinons en effet les renseignements qu'il nous apporte sur sa vie scolaire. Ils sont de trois sortes: chaque livret contient 1° les observations des professeurs sur le mérite de leur élève; 2° les notes, et 3° les places. obtenues par l'élève dans les compositions de l'année. Quelle est la valeur de ces trois sources d'informations?

Beaucoup de professeurs avouent par leur silence que leurs observations sur le mérite de leurs élèves n'auraient pas grande portée. Douze établissements libres en 1900, dix en 1901 s'abstiennent de remplir la colonne des « Observations », à moins qu'ils n'aient à signaler l'état maladif d'un de leurs élèves. Restent, en moyenne, quarante établissements où les professeurs prennent la peine de résumer leur impression sur les candidats. Mais combien donnent des détails utilisables, combien savent nuancer leurs appréciations de manière à renseigner exactement les examinateurs? Ils forment la minorité. La majorité hésite entre les banalités insignifiantes et les euphémismes trompeurs. Tous les candidats sont bons », « méritants »; leur « succès est désirable ». Du paresseux on vante l'intelligence, et du « crétin » le labeur. On laisse à l'examinateur le soin de lire entre les lignes et de traduire en clair ce langage mystérieux. Mais l'examinateur n'a pas toujours le moyen de déchiffrer cette énigme. Tous les professeurs ne prennent pas le soin de nous écrire comme l'ont fait certains, pris de scrupules - : « J'ai donné un bon livret au jeune X; je n'ai pas pu faire autrement, mais c'est un cancre. » Est-il vrai qu'on <<< ne puisse pas faire autrement »? Le professeur est-il obligé, soit par l'attitude des familles, soit par celle des chefs d'établissements à « donner un bon livret » à qui ne le mérite pas ? Il est d'autant plus permis d'en douter qu'en fait des professeurs rares il est vrai jugent sévèrement leurs élèves médiocres. En 1901, 11 établissements, 2 libres (sur 30) et 9 publics (sur 20, dont 7 lycées) donnent sur les qualités et les défauts de leurs élèves des renseignements détaillés. On

REVUE UNIV. (10 Ann., n° 8).
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