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timents, ces idées directrices peuvent être fort semblables chez des hommes qui les rattachent, en théorie, à des principes différents. On peut être juif ou chrétien, et avoir ou n'avoir pas l'habitude d'agir selon sa conscience, de se respecter soi-même, d'aimer ses proches, de chercher le bien de ses semblables. Les principes métaphysiques habitent, pour ainsi dire, une région supérieure, d'où ils ne descendent que rarement dans le domaine de l'action. En matière d'éducation, l'influence n'appartient donc pas seulement à ceux qui établissent, au point de vue théorique, les fondements derniers de la morale. Elle appartient tout autant à ceux qui développent les motifs immédiats d'action, et ces motifs, en fait, n'ont le plus souvent rien de métaphysique.

Il n'est donc pas vrai qu'une morale pratique fondée sur ces motifs soit une morale en l'air. Ce sera, au contraire, une morale très solide, très persuasive, très efficace, et d'ailleurs très libérale, car elle n'exclura aucun des systèmes métaphysiques; elle acceptera même volontiers leur concours, mais ne s'y asservira pas. Elle laissera aux familles, aux ministres des confessions différentes le soin de rechercher les principes et de les établir; et, quant à elle, sans entrer jamais en conflit avec les doctrines, elle se tiendra fermement sur le terrain solide de l'action, où elle trouvera beaucoup de bien à accomplir. Libre à chacun de couronner à sa guise l'édifice de la morale. Mais la première chose à faire, c'est de jeter dans les jeunes âmes les germes de toute vie morale, en y créant des habitudes sérieuses, droites, consciencieuses. Tel peut et doit être le rôle de l'éducation au lycée. Sans disputer sur les systèmes, un bon proviseur, de bons maîtres peuvent rappeler aux enfants le détail de leurs devoirs, sur lesquels tout le monde est d'accord. Ils peuvent aussi, chose plus importante, développer en eux l'habitude d'agir en interrogeant leur conscience. Ils peuvent déposer, dans ces jeunes consciences, des motifs d'agir très féconds et universellement acceptés le respect de soi-même (qui était, pour un Epictète, un souverain motif de faire le bien); le désir de plaire à leurs parents et à leurs maîtres, si puissant sur des âmes affectueuses et bien nées; le sentiment du bien public, qui ne peut choquer aucune croyance particulière, et qui est si conforme à l'idéal nécessaire de nos sociétés modernes et républicaines. Les exercices mêmes par lesquels se forme l'intelligence ont une vertu éducative qui leur est propre. Ils créent des habitudes de sérieux, d'attention, de régularité dans le travail, qui sont déjà des vertus morales. Ils font plus encore en donnant à la raison le pouvoir et le goût de comprendre, en lui apprenant à ne pas se payer de mots, à fuir l'à-peuprès, à être sincère envers elle-même, ils lui enseignent la probité intellectuelle, qui est à coup sûr un des fondements essentiels de la

vie morale, en même temps que la première condition des progrès de la pensée.

Qui oserait dire que l'Université, imbue de ces maximes et les faisant pénétrer de plus en plus dans sa pratique journalière, ne donnera pas aux jeunes générations une très haute éducation morale, la plus capable de faire d'honnêtes gens de ce temps-ci, des consciences fermes, libres et tolérantes? Telle est, si je ne me trompe, l'opinion des hommes expérimentés et réfléchis qui ont pris part aux discussions dont on va lire le résumé. Telle sera aussi, je l'espère, l'impression qui se dégagera de ces pages aux yeux des lecteurs attentifs et impartiaux.

ALFRED CROiset.

LE PRIX DU TABLEAU D'HONNEUR

La réforme que l'Assemblée des professeurs du petit lycée Janson-de-Sailly1 souhaite au sujet du prix d'Excellence est, pour ainsi dire, déjà accomplie, puisque, sauf très rares exceptions le prix d'Excellence est accordé à tort ou à raison à l'élève qui réussit le mieux les exercices de la classe principale, c'est-à-dire à celui qui est le plus souvent premier. On ne compte plus les points, comme jadis, mais on regarde les places; ce qui revient au même. Ainsi donc le prix qui répond le mieux aux prescriptions de l'article 23 des Instructions de 1890, ce n'est pas le prix d'Excellence, c'est le prix du Tableau d'honneur. Aussi la modification proposée par nos collègues du petit lycée Janson-de-Sailly n'entraînerait en somme nul changement dans les récompenses scolaires.

Mais ce n'est point pour arriver à cette constatation que j'attire l'attention des lecteurs de la Revue universitaire sur le prix du Tableau d'honneur et que je signale ce que tout le monde a remarqué depuis longtemps, à savoir que ce prix là est vraiment « un prix d'ensemble décerné aux élèves qui, dans chaque classe et dans chaque division, ont le mieux satisfait à tous leurs devoirs. » C'est une question plus haute que je voudrais proposer à l'examen de mes collègues.

Aux enfants consciencieux donnons-nous, je ne dis pas les récompenses, mais simplement les encouragements qu'ils méritent? Ces enfants, dont parfois l'intelligence est loin de valoir le caractère, ont-ils au lycée le sort que leurs qualités morales leur assureront plus tard dans la vie? Y appréciet-on leur désir de satisfaire maitres et parents, de mériter l'estime et l'affection des camarades, leur application à des exercices où ils ne réussissent que médiocrement, leur exac

1. Voir la Revue Universitaire du 15 juin, p. 47: le Prix d'excellence, par M. A. Salles, professeur au lycée Janson de Sailly.

titude, leur probité, leur ténacité..., bref toutes les qualités du cœur et de la volonté grâce auxquelles les hommes se font leur place, dit Claude Bernard, bien plus sûrement que par les dons les plus brillants de l'esprit? Nos palmarès n'ont-ils pas au contraire l'air de dire aux enfants : « C'est très joli d'être un brave garçon, de posséder toutes les qualités qui font estimer et honorer les hommes, mais ça ne sert à rien; soyez forts en version latine et nous vous tenons quittes du reste. »

N'importe-t-il pas de changer cela et de considérer la moralité et la force de caractère comme des valeurs auxquelles on ne décerne pas un prix, mais auxquelles il faut attacher leur prix, qui est très haut?

Par exemple, ne pourrait-on pas introduire dans les examens du baccalauréat ce qu'on appellerait une « cote morale»? Les élèves des établissements de l'État qui auraient mérité pendant les trois dernières années le prix du tableau d'honneur, décerné dans les conditions stipulées à l'article 23 des Instructions de 1890, auraient, sur production du livret scolaire, une avance de 5, 10 points au baccalauréat. Cette faveur ne porterait nul préjudice à ceux qui ne sont que de brillants élèves, mais elle rendrait quelque justice à ceux qui sont surtout de bons sujets. Et tant mieux si le même candidat se trouvait à la fois l'un et l'autre.

F. GACHE,

Professeur au lycée d'Alais.

HISTOIRE COMPARÉE DES LITTÉRATURES MODERNES

« Il se produit depuis quelques années, tant en France qu'à l'étranger, dans l'histoire comme dans la critique littéraire, un mouvement marqué vers l'étude comparative des littératures. Relations des diverses littératures entre elles, actions et réactions simultanées ou successives, influences sociales, esthétiques ou morales qui dérivent du croisement des races et du libre échange des idées, tout cela constitue un sujet d'études presque inépuisable et dont il n'est pas téméraire de prédire qu'il préoccupera de plus en plus les historiens. Cela est plus particulièrement vrai encore des historiens des littératures modernes : car ici l'histoire ne fait que s'assouplir au contact de la réalité, et, si les problèmes d'influences internationales sont posés plus souvent, c'est qu'en effet il n'y a plus, à la fin du XIX siècle, une seule nation dont la vie intellectuelle ne suppose un commerce plus ou moins suivi avec les nations étrangères. Comment donc l'historien des littératures modernes se désintéresserait-il d'un mouvement d'idées dont nous pouvons déjà entrevoir la portée, et dont les conséquences seront certainement considérables ? »

Ainsi s'exprimait, il y a moins de trois ans, le regretté Joseph Texte. Ce mouvement, dont il fut un des premiers à mesurer l'importance, ce professeur admirable, ce vrai savant à l'esprit large, prudent et sûr, était plus qu'aucun autre capable de le développer c'était à lui, semblait-il, qu'était réservé de donner une méthode à la science nouvelle qu'il contribuait à fonder. La mort nous l'a pris en pleine activité, en pleine jeunesse. Du moins les idées qui lui étaient chères ont-elles continué à faire leur chemin. Il y a un an, quelques semaines après que nous l'avions perdu, s'ouvrait pour la première fois à Paris un Congrès de littérature comparée. Du lundi 23 juillet au samedi 28, ce Congrès a tenu six séances, sous la présidence de M. Brunetière et de M. Van Hamel, professeur à l'Université de Groningue. On y a entendu une confé

1. Etudes de Littérature européenne, 1 vol. in-18 (Librairie Armand Colin).

REVUE UNIV. (10 Ann., n° 7). - II.

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