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On m'élit roi, mon peuple m'aime;

Les diadèmes vont sur ma tête pleuvant:

Quelque accident fait-il que je rentre en moi-même,
Je suis gros Jean comme devant.

40. Le Savetier et le Financier

UN savetier chantait du matin jusqu'au soir;
C'était merveilles de le voir,

Merveilles de l'ouïr; il faisait des passages,
Plus content qu'aucun des sept sages.
Son voisin, au contraire, étant tout cousu d'or,
Chantait peu, dormait moins encor:

C'était un homme de finance.

Si, sur le point du jour, parfois il sommeillait,
Le savetier alors en chantant l'éveillait;

Et le financier se plaignait

Que les soins de la Providence

N'eussent pas au marché fait vendre le dormir,
Comme le manger et le boire.

En son hôtel il fait venir

Le chanteur, et lui dit : « Or çà, sire Grégoire,
Que gagnez-vous par an? Par an! ma foi, monsieur,
Dit, avec un ton de

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rieur,

Le gaillard savetier, ce n'est point ma manière

De compter de la sorte; et je n'entasse guère

42 fait-il: the inversion indicates that si or quand is understood. -43 gros Jean: plain John, a name given to simple peasants. Remember that La Fontaine's name was Jean.

Le Savetier et le Financier, livre VIII, fable 2. Perhaps suggested by a story of Bonaventure des Périers, in which, however, there is only one personage, the cobbler.-2 C'était merveilles: in modern French the verb would agree with the predicate instead of with ce, as here.

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Un jour sur l'autre : il suffit qu'à la fin
J'attrape le bout de l'année;

Chaque jour amène son pain.

-Eh bien, que gagnez-vous, dites-moi, par journée?
Tantôt plus, tantôt moins : le mal est que toujours
(Et sans cela nos gains seraient assez honnêtes),
Le mal est que dans l'an s'entremêlent des jours
Qu'il faut chômer; on nous ruine en fêtes;
L'une fait tort à l'autre; et monsieur le curé

De quelque nouveau saint charge toujours son prône.>>
Le financier, riant de sa naïveté,

Lui dit : « Je vous veux mettre aujourd'hui sur le trône.
Prenez ces cent écus; gardez-les avec soin,

Pour vous en servir au besoin.>>

Le savetier crut voir tout l'argent que la terre
Avait, depuis plus de cent ans,

Produit pour l'usage des gens.

Il retourne chez lui: dans sa cave il enserre
L'argent, et sa joie à la fois.

Plus de chant: il perdit la voix,

Du moment qu'il gagna ce qui cause nos peines.
Le sommeil quitta son logis;

Il eut pour hôtes les soucis,

Les soupçons, les alarmes vaines.

Tout le jour il avait l'œil au guet; et la nuit,

Si quelque chat faisait du bruit,

Le chat prenait l'argent. A la fin le pauvre homme
S'en courut chez celui qu'il ne réveillait plus:

<< Rendez-moi, lui dit-il, mes chansons et mon somme,
Et reprenez vos cent écus.»>

27 chômer is spelled chommer in Regnier (and generally so in 17th century). As the verb is intransitive, que may here be taken as equivalent to quand. — 28 monsieur le curé is continually announcing

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41. Le Rat et l'Éléphant

SE croire un personnage est fort commun en France:
On y fait l'homme d'importance,

Et l'on n'est souvent qu'un bourgeois.
C'est proprement le mal françois :

La sotte vanité nous est particulière.

Les Espagnols sont vains, mais d'une autre manière:
Leur orgueil me semble, en un mot,

Beaucoup plus fou, mais pas si sot.
Donnons quelque image du nôtre,

Qui sans doute en vaut bien un autre.

Un rat des plus petits voyait un éléphant

Des plus gros, et raillait le marcher un peu lent
De la bête de haut parage,

Qui marchait à gros équipage.

Sur l'animal à triple étage

Une sultane de renom,

Son chien, son chat et sa guenon,

Son perroquet, sa vieille, et toute sa maison,

S'en allait en pèlerinage.

some new saint's day which must be kept as a fête; l'une (fête) fait tort à l'autre (see tort) implies that there are already too many.

Le Rat et l'Éléphant, livre VIII, fable 15. From a French fable with the same title, published anonymously in 1670; the same idea is in Phædrus, I, 29, Asinus irridens aprum. La Fontaine's conclusion, however (lines 28-31), is entirely original.—4 françois: old spelling of français, rhyming with bourgeois.—6 Espagnols: in the 17th century Spaniards were represented on the French stage as bragging and boastful.-8 fou, sot: notice carefully the difference between these words and between orgueil and vanité. Cf. Beaumarchais, Barbier de Séville, III, 5: "Les hommes n'ayant guère à choisir qu'entre la sottise et la folie."-19 allait is singular, as if maison alone were the subject.

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Le rat s'étonnait les
que gens

Fussent touchés de voir cette pesante masse:

<< Comme si d'occuper ou plus ou moins de place
Nous rendait, disait-il, plus ou moins importants!
Mais qu'admirez-vous tant en lui, vous autres hommes?
Serait-ce ce grand corps qui fait peur aux enfants?
Nous ne nous prisons pas, tout petits que nous sommes,
D'un grain moins que les éléphants.>>

Il en aurait dit davantage;

Mais le chat, sortant de sa cage,

Lui fit voir, en moins d'un instant,
Qu'un rat n'est pas un éléphant.

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42. Les deux Pigeons

DEUX pigeons s'aimaient d'amour tendre:
L'un d'eux, s'ennuyant au logis,

Fut assez fou pour entreprendre
Un voyage en lointain pays.

L'autre lui dit: « Qu'allez-vous faire?

Voulez-vous quitter votre frère?

L'absence est le plus grand des maux:

Non pas pour vous, cruel! Au moins, que les travaux,
Les dangers, les soins du voyage,

Changent un peu votre courage.

Encor, si la saison s'avançait davantage!

27 Taine (p. 130), commenting on this fable, says: "Le bourgeois sait qu'il est bourgeois, et s'en chagrine. Sa seule ressource est de mépriser les nobles ou de les imiter."

From the Livre des

Les deux Pigeons, livre IX, fable 2. Lumières (quoted by Regnier, II, 512).— 1 Deux pigeons,— brothers (cf. line 6), though La Fontaine applies the fable (line 65) to lovers.II Encor implies that it would be better if the season, etc.

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Attendez les zéphyrs: qui vous presse? un corbeau
Tout à l'heure annonçait malheur à quelque oiseau.
Je ne songerai plus que rencontre funeste,

Que faucons, que réseaux. « Hélas! dirai-je, il pleut :
<< Mon frère a-t-il tout ce qu'il veut,

<< Bon souper, bon gîte, et le reste? >>

Ce discours ébranla le cœur

De notre imprudent voyageur;

Mais le désir de voir et l'humeur inquiète
L'emportèrent enfin. Il dit : « Ne pleurez point;
Trois jours au plus rendront mon âme satisfaite;
Je reviendrai dans peu conter de point en point
Mes aventures à mon frère;

Je le désennuierai. Quiconque ne voit guère
N'a guère à dire aussi. Mon voyage dépeint
Vous sera d'un plaisir extrême.

Je dirai: J'étais là; telle chose m'avint;

Vous y croirez être vous-même.»
A ces mots, en pleurant, ils se dirent adieu.
Le voyageur s'éloigne; et voilà qu'un nuage
L'oblige de chercher retraite en quelque lieu.
Un seul arbre s'offrit, tel encor que l'orage
Maltraita le pigeon en dépit du feuillage."
L'air devenu serein, il part tout morfondu,

Sèche du mieux qu'il peut son corps chargé de pluie;
Dans un champ à l'écart voit du blé répandu,
Voit un pigeon auprès: cela lui donne envie;
Il y vole, il est pris: ce blé couvrait d'un lacs

12 zéphyrs: the season is indicated by the name of the wind; cf. bisė, fable 1, line 4..-un corbeau: one of the birds used in foretelling the future; cf. in another fable (II, 17):

Le corbeau sert pour le présage;

La corneille avertit des malheurs à venir.

38 un pigeon: i.e., a decoy.—39 lacs rhymes with appâts, and depends

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