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Tous les gens querelleurs, jusqu'aux simples mâtins,
Au dire de chacun, étaient de petits saints.

L'âne vint à son tour, et dit : « J'ai souvenance
Qu'en un pré de moines passant,

La faim, l'occasion, l'herbe tendre, et, je pense,
Quelque diable aussi me poussant,

Je tondis de ce pré la largeur de ma langue.

Je n'en avais nul droit, puisqu'il faut parler net.»>
A ces mots on cria haro sur le baudet.

Un loup, quelque peu clerc, prouva par sa harangue
Qu'il fallait dévouer ce maudit animal,

Ce pelé, ce galeux, d'où venait tout leur mal.
Sa peccadille fut jugée un cas pendable.

Manger l'herbe d'autrui! quel crime abominable!
Rien que la mort n'était capable
D'expier son forfait: on le lui fit bien voir.

Selon que vous serez puissant ou misérable,
Les jugements de cour vous rendront blanc ou noir.

37. Le Héron

Un jour, sur ses longs pieds, allait, je ne sais où,
Le héron au long bec emmanché d'un long cou.
Il côtoyait une rivière.

L'onde était transparente ainsi qu'aux plus beaux jours; 5 Ma commère la carpe y faisait mille tours

Avec le brochet son compère.

Le héron en eût fait aisément son profit:

Tous approchaient du bord; l'oiseau n'avait qu'à prendre.

64 blanc ou noir: i.e., innocent or guilty.

Le Héron, livre VII, fable 4. The idea of this fable is found in various versions; but in none of them is the heron used.

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Mais il crut mieux faire d'attendre
Qu'il eût un peu plus d'appétit :

Il vivait de régime, et mangeait à ses heures.
Après quelques moments l'appétit vint: l'oiseau,
S'approchant du bord, vit sur l'eau

Des tanches qui sortaient du fond de ces demeures.
15 Le mets ne lui plut pas; il s'attendait à mieux,
Et montrait un goût dédaigneux

Comme le rat du bon Horace.

<< Moi, des tanches! dit-il, moi, héron, que je fasse Une si pauvre chère? Et pour qui me prend-on ? » 20 La tanche rebutée, il trouva du goujon.

<«< Du goujon! c'est bien là le dîner d'un héron!
J'ouvrirais pour si peu le bec! aux dieux ne plaise!»
Il l'ouvrit pour bien moins: tout alla de façon
Qu'il ne vit plus aucun poisson.

25 La faim le prit: il fut tout heureux et tout aise
De rencontrer un limaçon.

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Ne soyons pas si difficiles:

Les plus accommodants, ce sont les plus habiles;
On hasarde de perdre en voulant trop gagner.
Gardez-vous de rien dédaigner,

Surtout quand vous avez à peu près votre compte.
Bien des gens y sont pris. Ce n'est pas aux hérons
Que je parle: écoutez, humains, un autre conte;
Vous verrez que chez vous j'ai puisé ces leçons.

17 le rat du bon Horace: an allusion to Horace's version (Satires, II, vi, verse 87) of the fable of the town rat and the country rat (cf. fable 4 in this book). — 33 un autre conte: another fable, La Fille, VI, 5, not included in this edition.

બચાવ પ

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38. Le Coche et la Mouche

DANS un chemin montant, sablonneux, malaisé,
Et de tous les côtés au soleil exposé,

Six forts chevaux tiraient un coche.
Femmes, moines, vieillards, tout était descendu;
L'attelage suait, soufflait, était rendu.

Une mouche survient, et des chevaux s'approche,
Prétend les animer par son bourdonnement,
Pique l'un, pique l'autre, et pense à tout moment
Qu'elle fait aller la machine,

S'assied sur le timon, sur le nez du cocher.
Aussitôt que le char chemine,

Et qu'elle voit les gens marcher,

Elle s'en attribue uniquement la gloire,

Va, vient, fait l'empressée: il semble que ce soit
Un sergent de bataille allant en chaque endroit
Faire avancer ses gens et hâter la victoire.

La mouche, en ce commun besoin,

Se plaint qu'elle agit seule, et qu'elle a tout le soin;
Qu'aucun n'aide aux chevaux à se tirer d'affaire.
Le moine disait son bréviaire :

Il prenait bien son temps! une femme chantait:
C'était bien de chansons qu'alors il s'agissait!
Dame mouche s'en va chanter à leurs oreilles,
Et fait cent sottises pareilles.

Après bien du travail, le coche arrive au haut:
« Respirons maintenant! dit la mouche aussitôt :
J'ai tant fait que nos gens sont enfin dans la plaine.
Çà, messieurs les chevaux, payez-moi de ma peine.»>

Le Coche et la Mouche, livre VII, fable 9. Probably from Phaedrus, III, 6, Musca èt mula; though neither this nor the similar fable of Aesop (Halm 235) is exactly like La Fontaine's.

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Ainsi certaines gens, faisant les empressés,
S'introduisent dans les affaires :

Ils font partout les nécessaires,
Et, partout importuns, devraient être chassés.

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39. La Laitière et le Pot au Lait

PERRETTE, sur sa tête ayant un pot au lait
Bien posé sur un coussinet,

Prétendait arriver sans encombre à la ville.
Légère et court vêtue, elle allait à grands pas,
Ayant mis ce jour-là, pour être plus agile,
Cotillon simple et souliers plats.

Notre laitière ainsi troussée

Comptait déjà dans sa pensée

Tout le prix de son lait, en employait l'argent;
Achetait un cent d'œufs, faisait triple couvée :
La chose allait à bien par son soin diligent.
« Il m'est, disait-elle, facile

D'élever des poulets autour de ma maison;
Le renard sera bien habile

S'il ne m'en laisse assez pour avoir un cochon.
Le porc à s'engraisser coûtera peu de son;

La Laitière et le Pot au Lait, livre VII, fable 10.
The history
of this fable is traced in an interesting essay by Max Müller, On the
Migration of Fables. It originated in India; in the Sanskrit versions,
a Brahman builds up an imaginary fortune on a dish of rice, which
he breaks by an accidental blow. The story passed, with variations,
into many languages; the earliest version with a milkmaid is in a
medieval Latin collection. La Fontaine's source was probably the
French prose version by Bonaventure des Périers (16th century). Cf.
the story of Gripus the fisherman in Plautus, Rudens; and note on
line 28, below.

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Il était, quand je l'eus, de grosseur raisonnable:
J'aurai, le revendant, de l'argent bel et bon.
'Et qui m'empêchera de mettre en notre étable,
Vu le prix dont il est, une vache et son veau,
Que je verrai sauter au milieu du troupeau? »
Perrette là-dessus saute aussi, transportée :

Le lait tombe; adieu veau, vache, cochon, couvée.
La dame de ces biens, quittant d'un œil marri
Sa fortune ainsi répandue,

Va s'excuser à son mari,

En grand danger d'être battue.
Le récit en farce en fut fait;
On l'appela le Pot au lait.

Quel esprit ne bat la campagne?
Qui ne fait châteaux en Espagne?

Picrochole, Pyrrhus, la laitière, enfin tous,

Autant les sages que les fous.

Chacun songe en veillant; il n'est rien de plus doux:
Une flatteuse erreur emporte alors nos âmes;

Tout le bien du monde est à nous,

Tous les honneurs, toutes les femmes.

Quand je suis seul, je fais au plus brave un défi;
Je m'écarte, je vais détrôner le sophi;

17 Il était: Perrette's imagination is so strong that she speaks as if she already had the pig, which is still referred to in line 20, il est -28 en farce: reference to a passage in Rabelais' Gargantua, where Picrochole boasts of the conquests he will make, and someone replies: "J'ai grand peur que toute ceste entreprinse sera semblable à la farce du pot au laict." Here, however, a shoemaker takes the place of the milkmaid. 31 châteaux en Espagne: an expression used in France as early as the 13th century for imaginary projects, air-castles. — 32 Picrochole: see note on line 28. Pyrrhus, a king of Epirus, who

-

dreamed of conquering the world.

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