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Se niche et se blottit dans une huche ouverte.
Ce fut à lui bien avisé :

La gent trotte-menu s'en vient chercher sa perte.
Un rat, sans plus, s'abstient d'aller flairer autour :
C'était un vieux routier, il savait plus d'un tour;
Même il avait perdu sa queue à la bataille.

« Ce bloc enfariné ne me dit rien qui vaille,
S'écria-t-il de loin au général des chats:
Je soupçonne dessous encor quelque machine.
Rien ne te sert d'être farine;

Car, quand tu serais sac, je n'approcherais pas.>>>
C'était bien dit à lui; j'approuve sa prudence:
Il était expérimenté,

Et savait que la méfiance
Est mère de la sûreté.

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21. Le Geai paré des Plumes du Paon

UN paon muait: un geai prit son plumage;
Puis après se l'accommoda;

Puis parmi d'autres paons tout fier se panada,
Croyant être un beau personnage.

Quelqu'un le reconnut: il se vit bafoué,

40, 50 à lui: on his part.

From

Le Geai paré des Plumes du Paon, livre IV, fable 9. Phaedrus, I, 3: Graculus superbus et Pavo. This is one of the most widely known of all fables. The medieval and modern versions are of two kinds: some, including La Fontaine's, descend from Phaedrus; others are of an older type represented by Greek fables (Halm 200 b, etc.), and current through the Middle Ages in popular tradition. The graculus Aesopi became proverbial, just as the expression "borrowed feathers" is with us. Horace (Epist., I, iii, 18-20), like La Fontaine, applies the fable to plagiarists.

THE UNIVERSITY OF MICHIGAN LIDHANIES

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Berné, sifflé, moqué, joué,

Et par messieurs les paons plumé d'étrange sorte;
Même vers ses pareils s'étant réfugié,

Il fut par eux mis à la porte.

Il est assez de geais à deux pieds comme lui,
Qui se parent souvent des dépouilles d'autrui,
Et que l'on nomme plagiaires.

Je m'en tais, et ne veux leur causer nul ennui :
Ce ne sont pas là mes affaires.

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22. La Grenouille et le Rat

TEL, comme dit Merlin, cuide engeigner autrui,
Qui souvent s'engeigne soi-même.

J'ai regret que ce mot soit trop vieux aujourd'hui :

Il m'a toujours semblé d'une énergie extrême.

Mais afin d'en venir au dessein que j'ai pris,

Un rat plein d'embonpoint, gras, et des mieux nourris,
Et qui ne connaissait l'avent ni le carême,
Sur le bord d'un marais égayait ses esprits.

Une grenouille approche, et lui dit en sa langue:

<< Venez me voir chez moi; je vous ferai festin.>>

La Grenouille et le Rat, livre IV, fable 11. From a fable by Aesop (Halm 298), which is incorporated in the Life of Aesop, by Planudes; see extract in Appendix, and compare Introduction, p. 11. The descendants of a version by Phaedrus, now lost, made the fable well known in the Middle Ages. - I Tel... soi-même: quoted from a little book published at Paris in the first part of the 16th century, containing stories of Merlin, the famous enchanter of King Arthur's The words cuider and engeigner were antiquated even in La Fontaine's time (cf. line 3). — 7 avent, carême: seasons of fasting.

court.

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Messire rat promit soudain:

Il n'était pas besoin de plus longue harangue.
Elle allégua pourtant les délices du bain,
La curiosité, le plaisir du voyage,

Cent raretés à voir le long du marécage:

Un jour il conterait à ses petits-enfants

Les beautés de ces lieux, les mœurs des habitants,
Et le gouvernement de la chose publique

Aquatique.

Un point, sans plus, tenait le galant empêché:
Il nageait quelque peu, mais il fallait de l'aide.
La grenouille à cela trouve un très bon remède;
Le rat fut à son pied par la patte attaché;
Un brin de jonc en fit l'affaire.

Dans les marais entrés, notre bonne commère
S'efforce de tirer son hôte au fond de l'eau,
Contre le droit des gens, contre la foi jurée;
Prétend qu'elle en fera gorge chaude et curée;
C'était, à son avis, un excellent morceau.
Déjà dans son esprit la galante le croque.
Il atteste les dieux; la perfide s'en moque:
Il résiste; elle tire. En ce combat nouveau,
Un milan, qui dans l'air planait, faisait la ronde,
Voit d'en haut le pauvret se débattant sur l'onde.
Il fond dessus, l'enlève, et par même moyen
La grenouille et le lien.

Tout en fut: tant et si bien,
Que de cette double proie

L'oiseau se donne au cœur joie,

Ayant de cette façon

A souper chair et poisson.

30 galante is in the old editions and in Regnier galande; so in line 20, they have galand (cf. fable 7, line 4).—37 en fut: see être.

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La ruse la mieux ourdie
Peut nuire à son inventeur;
Et souvent la perfidie

Retourne sur son auteur.

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23. Le Vieillard et ses Enfants

TOUTE puissance est faible, à moins que d'être unie:
Écoutez là-dessus l'esclave de Phrygie.

Si j'ajoute du mien à son invention,

C'est pour peindre nos mœurs, et non point par envie :
Je suis trop au-dessous de cette ambition.
Phèdre enchérit souvent par un motif de gloire;
Pour moi, de tels pensers me seraient malséants.
Mais venons à la fable, ou plutôt à l'histoire
De celui qui tâcha d'unir tous ses enfants.

Un vieillard prêt d'aller où la mort l'appelait :
<< Mes chers enfants, dit-il (à ses fils il parlait),
Voyez si vous romprez ces dards liés ensemble;
Je vous expliquerai le nœud qui les assemble.>>
L'aîné les ayant pris, et fait tous ses efforts,
Les rendit, en disant : « Je le donne aux plus forts.>>
Un second lui succède, et se met en posture,
Mais en vain. Un cadet tente aussi l'aventure.
Tous perdirent leur temps; le faisceau résista :
De ces dards joints ensemble un seul ne s'éclata.
<< Faibles gens! dit le père, il faut que je vous montre

Le Vieillard et ses Enfants, livre IV, fable 18. From Aesop (Halm 103).—2 l'esclave de Phrygie: Aesop.-3 du mien: in fact, all the last part of the fable is original.—10, 27 prêt de would in modern French be prêt à; some editions have here près de.- 14 fait: participle with ayant understood.

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Ce que ma force peut en semblable rencontre.>>>
On crut qu'il se moquait; on sourit, mais à tort:
Il sépare les dards, et les rompt sans effort.

« Vous voyez, reprit-il, l'effet de la concorde:

Soyez joints, mes enfants, que l'amour vous accorde.»>
Tant que dura son mal, il n'eut autre discours.

Enfin se sentant prêt de terminer ses jours,

<< Mes chers enfants, dit-il, je vais où sont nos pères;
Adieu: promettez-moi de vivre comme frères;
Que j'obtienne de vous cette grâce en mourant.»
Chacun de ses trois fils l'en assure en pleurant.

Il prend à tous les mains; il meurt; et les trois frères
Trouvent un bien fort grand, mais fort mêlé d'affaires.
Un créancier saisit, un voisin fait procès:

D'abord notre trio s'en tire avec succès.

Leur amitié fut courte autant qu'elle était rare.
Le sang les avait joints; l'intérêt les sépare:
L'ambition, l'envie, avec les consultants,
Dans la succession entrent en même temps.

On en vient au partage, on conteste, on chicane:
Le juge sur cent points tour à tour les condamne.
Créanciers et voisins reviennent aussitôt,

Ceux-là sur une erreur, ceux-ci sur un défaut.

Les frères désunis sont tous d'avis contraire:

L'un veut s'accommoder, l'autre n'en veut rien faire.
Tous perdirent leur bien, et voulurent trop tard
Profiter de ces dards unis et pris à part.

43 erreur, défaut: i.e., on the pretext of mistakes of legal procedure.

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