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Le simple sens commun nous tiendrait lieu de code:
Il ne faudrait point tant de frais;

Au lieu qu'on nous mange, on nous gruge,

On nous mine par des longueurs;

On fait tant, à la fin, que l'huître est pour le juge,
Les écailles pour les plaideurs.

10. Le Chêne et le Roseau

LE chêne un jour dit au roseau :

<< Vous avez bien sujet d'accuser la nature; Un roitelet pour vous est un pesant fardeau; Le moindre vent qui d'aventure

Fait rider la face de l'eau,

Vous oblige à baisser la tête,

Cependant que mon front, au Caucase pareil,
Non content d'arrêter les rayons du soleil,
Brave l'effort de la tempête.

10 Tout vous est aquilon, tout me semble zéphyr.
Encor si vous naissiez à l'abri du feuillage

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Dont je couvre le voisinage,

Vous n'auriez pas tant à souffrir:
Je vous défendrais de l'orage;

Mais vous naissez le plus souvent

Sur les humides bords des royaumes du vent.
La nature envers vous me semble bien injuste.

35 nous: i.e., our possessions; mange, gruge, figuratively. — 37 l'huître les plaideurs: this idea is developed in fable 43, l'Huître et les Plaideurs.

...

Le Chêne et le Roseau, livre I, fable 22. From Aesop (Halm 1796). Regarded by many critics as the best fable in book I, if not, as he himself is said to have believed, the best that La Fontaine ever wrote. 11, 15 vous: i.e., reeds in general.

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- Votre compassion, lui répondit l'arbuste,
Part d'un bon naturel; mais quittez ce souci:

Les vents me sont moins qu'à vous redoutables; Je plie, et ne romps pas. Vous avez jusqu'ici

Contre leurs coups épouvantables

Résisté sans courber le dos;

Mais attendons la fin.» Comme il disait ces mots,
Du bout de l'horizon accourt avec furie

Le plus terrible des enfants

Que le nord eût portés jusque-là dans ses flancs.
L'arbre tient bon; le roseau plie.

Le vent redouble ses efforts,

Et fait si bien qu'il déracine

Celui de qui la tête au ciel était voisine,

Et dont les pieds touchaient à l'empire des morts.

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II. Le Lion et le Rat

Il faut, autant qu'on peut, obliger tout le monde:
On a souvent besoin d'un plus petit que soi.
De cette vérité deux fables feront foi,

Tant la chose en preuves abonde.

Entre les pattes d'un lion

Un rat sortit de terre assez à l'étourdie.

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26 enfants: the "children of the north are of course the violent winds. -31 celui ... morts: imitated from Virgil, Aeneid, IV, 445–6. Le Lion et le Rat, livre II, fable 11. From Aesop (Halm 256). A more elaborate as well as more interesting French version of the Greek fable is found in an epistle "A son Amy Lyon," sent by Clement Marot, while in prison in 1525, to his friend Lyon Jamet. The purpose of the epistre is shown in these lines (cf. Regnier, I, 444; and Les Euvres de Clement Marot, Lyon, 1597, pages 159–162):

Or viens me voir pour faire le Lyon :
Et ie mettray peine, sens, & estude
D'estre le Rat, exempt d'ingratitude.

ΙΟ

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Le roi des animaux, en cette occasion,
Montra ce qu'il était, et lui donna la vie.
Ce bienfait ne fut pas perdu.
Quelqu'un aurait-il jamais cru
Qu'un lion d'un rat eût affaire?
Cependant il avint qu'au sortir des forêts

Ce lion fut pris dans des rets,

Dont ses rugissements ne le purent défaire.
Sire rat accourut, et fit tant par ses dents
Qu'une maille rongée emporta tout l'ouvrage.
Patience et longueur de temps
Font plus que force ni que rage.

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IO

12. La Colombe et la Fourmi

L'AUTRE exemple est tiré d'animaux plus petits.

Le long d'un clair ruisseau buvait une colombe,
Quand sur l'eau se penchant une fourmis y tombe,
Et dans cet océan l'on eût vu la fourmis

S'efforcer, mais en vain, de regagner la rive.

La colombe aussitôt usa de charité:

Un brin d'herbe dans l'eau par elle étant jeté,
Ce fut un promontoire où la fourmis arrive.

Elle se sauve. Et là-dessus

Passe un certain croquant qui marchait les pieds nus. 16 l'ouvrage : i.e., les rets.

La Colombe et la Fourmi, livre II, fable 12. From Aesop (Halm 296). — 3 fourmis instead of fourmi is used in the early editions and in Regnier; in lines 3 and 8 to avoid hiatus, in 4 to rhyme with petits (cf. note on fable 3, line 24), and in 15 by analogy. In Old French the word was masculine, and ended in s in the nominative singular.

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Ce croquant, par hasard, avait une arbalète.
Dès qu'il voit l'oiseau de Vénus,

Il le croit en son pot, et déjà lui fait fête.
Tandis qu'à le tuer mon villageois s'apprête,
La fourmis le pique au talon.

Le vilain retourne la tête:

La colombe l'entend, part, et tire de long.
Le souper du croquant avec elle s'envole:
Point de pigeon pour une obole.

ΙΟ

13. Le Lièvre et les Grenouilles

UN lièvre en son gîte songeait

(Car que faire en un gîte, à moins que l'on ne songe?);
Dans un profond ennui ce lièvre se plongeait :
Cet animal est triste, et la crainte le ronge.
« Les gens de naturel peureux

Sont, disait-il, bien malheureux.

Ils ne sauraient manger morceau qui leur profite:
Jamais un plaisir pur; toujours assauts divers.
Voilà comme je vis: cette crainte maudite
M'empêche de dormir sinon les yeux ouverts.
Corrigez-vous, dira quelque sage cervelle.
Et la peur se corrige-t-elle ?

Je crois même qu'en bonne foi

12 l'oiseau de Vénus: i.e., the colombe, as in classical mythology.18 souper is soupé in the old editions and in Regnier; although souper is the form used in fable 22, line 41. Both forms were used in the 17th century; and also both dîner and dîné. — 19 point. . . obole: i.e., not an obole's worth for him.

From Aesop

Le Lièvre et les Grenouilles, livre II, fable 14. (Halm 237), two versions, in both of which the hares start to drown themselves, but are deterred as is the hare in this fable.

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Les hommes ont peur comme moi.»>
Ainsi raisonnait notre lièvre,

Et cependant faisait le guet.

Il était douteux, inquiet:

Un souffle, une ombre, un rien, tout lui donnait la fièvre.
Le mélancolique animal,

En rêvant à cette matière,

Entend un léger bruit: ce lui fut un signal
Pour s'enfuir devers sa tanière.

Il s'en alla passer sur le bord d'un étang.
Grenouilles aussitôt de sauter dans les ondes;
Grenouilles de rentrer dans leurs grottes profondes.
«< Oh! dit-il, j'en fais faire autant

Qu'on m'en fait faire! Ma présence
Effraie aussi les gens! je mets l'alarme au camp!
Et d'où me vient cette vaillance?
Comment! des animaux qui tremblent devant moi!
Je suis donc un foudre de guerre!

Il n'est, je le vois bien, si poltron sur la terre,
Qui ne puisse trouver un plus poltron que soi.»>

14. Le Coq et le Renard

SUR la branche d'un arbre était en sentinelle
Un vieux coq adroit et matois.

« Frère, dit un renard, adoucissant sa voix,

22 tanière: evidently a permanent refuge, whereas the gîte is merely a temporary resting-place on the surface of the ground.—24 de sauter: historical infinitive. — 26 j'en fais faire, etc., lit.: I make others do as much as I am made to do, i.e., I make others run away just as is done to me. - 32 Il is impersonal; supply "any one" after est.

Le Coq et le Renard, livre II, fable 15. In an Aesopic fable (Halm 225) a fox tries to lure a cock from a tree, and is set upon by

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