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Súvapus. La force est la puissance d'agir et de pâtir, εἴς τε τὴ ποιεῖν εἴς τε τὸ παθεῖν, et Leibnitz ne fait que traduire Platon dans sa célèbre formule : « La substance même des choses consiste dans la puissance d'agir et de pâtir. » >> Toute connaissance atteste donc et démontre l'existence et l'être, parce que connaître est non seulement un acte qui implique une force qui agit, un être qui connaît, mais encore une force qui pâtit, c'est à dire un être qui est connu; car être connu, c'est encore être; on ne peut pas connaître ce qui n'est pas; le néant absolu n'est absolument l'objet d'aucune connaissance. La connaissance va à l'être, öpéyntaι toũ övtos. Tout ce qui est pensé, est; l'objet de toutes nos pensées est une réalité.

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La preuve de l'existence du mouvement et de ce qui est mû se tire également de la seule considération de l'acte de la connaissance. En effet, si tout était immobile, il n'y aurait aucune connaissance, il n'y aurait connaissance de rien; car si connaître est une action, l'objet connu est certainement dans un état passif, état qui ne pourrait jamais venir à quelque chose qui resterait en repos, dans une immobilité absolue. La connaissance est donc un mouvement, et il y a deux

1 Sophist., p. 249.

2 Leibnitz, De la Nature en elle-même, § 8.

3 Phédon, p. 65. Rép., V, p. 476.

4 Rép., V, p. 477, Α. Β. C. μὴ ἂν δὲ μηδαμή, πάντη ἄγνωστον.

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repos.

sortes de mouvements, l'un actif, l'autre passif. La passivité, la propriété d'être l'objet de la connaissance est ainsi, pour Platon, une espèce de mouvement. Enfin, la connaissance qui exige le mouvement implique aussi dans les choses et simultanément le Il faut, en effet, que l'objet, pour être connu, reste identique à lui-même, n'éprouve aucun changement essentiel, au moins pendant l'instant où il est perçu ; sans quoi on ne peut ni le saisir par une définition, ni le fixer même par un nom, puisqu'il est incessamment autre qu'il était auparavant et qu'il sera plus tard. On ne peut pas même dire qu'il puisse y avoir une connaissance quelconque, si tout change sans cesse et que rien ne subsiste; car si cette chose même que nous nommons la connaissance, ne cesse pas d'être la connaissance, la connaissance subsiste, et l'existence du repos est démontrée. Mais si cette forme de connaissance change sans cesse, comme il serait nécessaire si le mouvement était constant, universel, sans mesure et sans fin, elle se changerait à l'instant même en une autre forme et ne serait plus la connaissance; et si elle change sans cesse, sans cesse fuira la connaissance.

Si tout était livré à un perpétuel mouvement, rien ne pourrait plus être le même ni dans ses modes ni dans sa durée; les notions elles-mêmes seraient incessam

1 Théét., p. 156.

ment changeantes, et il n'y aurait aucune connaissance ni réelle ni apparente.

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Mais l'acte de la connaissance est un acte réel et certain; il implique donc d'abord l'être, et dans l'être le mouvement et le repos; il enferme dans son double point de vue cette double nécessité, qu'il y ait quelque chose d'immuable et de substantiel, et aussi quelque chose de mobile et de changeant dans les choses et dans les êtres, c'est à dire la vie; en tant qu'intelligence, la vie implique l'âme. 2

Il est impossible de croire que l'être dans lequel se produit la connaissance sous toutes ses formes, soit autre chose qu'une âme. La matière inerte, étendue et divisible en elle-même, ne peut pas être le sujet d'inhérence de l'unité, de la simplicité et du mouve

1 Théét., p. 181, s.q.q. Cratyle, p. 440. « Si ce qui connaît subsiste, si ce qui est connu subsiste également, cela ne ressemble guère à ce flux et à ce mouvement dont nous venons de parler, öpta övta poỷ oùdtv oùdi popă. » Sur quoi donc s'appuie Aristote pour affirmer (Mét. 1, 6) que « Platon dès sa jeunesse s'était familiarisé dans le commerce de Cratyle, son premier maître, avec cette opinion d'Héraclite que tous les objets sensibles sont dans un écoulement perpétuel, et qu'il n'y a pas de science possible de ces objets. Plus tard il conserva la même opinion. »

Le Cratyle prouve, dans les premières pages, que, puisqu'il y a une différence dans les noms, il y a une différence dans les choses; que leur existence n'est point relative à chaque individu, qu'elles ne se rapportent pas à nous, ne dépendent pas de nous, mais qu'elles subsistent par ellesmêmes, selon leur essence et leur nature, et que dans leurs changements même elles ont une essence fixe.

2 Sophist., p. 250.

3 Tim., p. 37, C.

ment qu'exige la connaissance.' Il ne peut pas y avoir de science là où il n'y a pas d'âme. L'âme est le sujet nécessaire de la connaissance: ainsi, celui qui connaît, est, et est une âme, un esprit. "

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3 On pourra me reprocher d'insister sur des rapprochements plus apparents que réels, de méconnaître la grande originalité de Descartes et de Leibnitz, en signalant dans Platon leurs principes et presque leurs formules; de confondre les systèmes et les époques; et enfin de ne pas tenir compte du mouvement varié de l'esprit humain. Ceux qui voudront bien poursuivre, seront peut-être étonnés de voir avec quelle force, quelle insistance Platon pose le principe psychologique de toute sa métaphysique; mais j'ose espérer qu'ils seront aussi convaincus qu'il n'y a dans ces rapprochements rien de forcé, dans ces analogies rien de superficiel et de fortuit. Ce n'est pas seulement la définition de la force que je retrouve identiquement et dans les mêmes termes chez Platon et chez Leibnitz, qui d'ailleurs a tant emprunté aux anciens, plus solides qu'on ne pense, comme il le reconnaissait lui-même ; c'est l'optimisme et presque l'harmonie préétablie, et M. V. Cousin a insisté avec force et grande raison sur cette analogie très importante. Leibnitz a signalé lui-même quelques points importants d'analogie entre ses doctrines et celles de Platon. (Ep. à Hansch. Dutens, tom. II, p. 222.) S'il est nécessaire de maintenir la différence des systèmes, de constater le progrès des idées et souvent l'opposition des principes, il est intéressant aussi et peut-être plus consolant encore, pour l'avenir de la philosophie, de montrer que certains principes, qui sont les principes de la connaissance même et les fondements de la morale, appartiennent pour ainsi dire à tous les esprits excellents, de tous les lieux et de tous les temps; si la variété, le mouvement trop souvent opposé de l'esprit humain a son intérêt et son attrait, la persistance avec laquelle il ne se lasse pas de répéter certaines maximes et de communier dans certaines pensées, a certes aussi sa grandeur; car nous reconnaissons là l'unité de notre nature morale, qui persiste à travers les mouvements et les accidents variés de l'histoire. D'ailleurs la gloire des grands penseurs des temps modernes n'a rien à redouter de ces rapprochements. Une découverte n'est pas dans les éléments qui la préparent, mais dans la puissance qui les rassemble, les concentre, les unit, les féconde, et en fait sortir tous les résultats, comme d'un foyer lumineux qui épanche à la fois tous ses rayons.

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L'homme est pourvu de deux sortes de connaissances, dont sa conscience lui révèle l'existence réelle et les différences. Ces deux formes de la connaissance humaine, qu'il est impossible au sophiste même de confondre, sont l'Intelligence et l'Opinion.

La première est une opération, une faculté, quel que soit le nom qu'on lui donne, par laquelle l'homme considère l'objet qu'il connaît, sans l'intervention d'aucune action des sens; il a le sentiment clair de la certitude infaillible, immuable, de la connaissance ainsi obtenue; il en peut rendre raison à lui-même et aux autres, et une raison satisfaisante: c'est la Science.

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L'autre mode de connaître est très inférieur; il a toujours besoin d'être accompagné ou précédé d'une sensation; la persuasion qu'il opère est variable et mobile; la connaissance qu'il produit est vague, conjecturale, ne s'appuie sur aucune raison certaine et ne peut pas rendre compte d'elle-même : c'est l'Opinion, la Conjecture, la Croyance."

Comment confondre ces deux facultés de connaître? Il y a des croyances vraies, et il y en a de fausses; mais on ne peut pas concevoir une science fausse :

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1 Tim., p. 28.

2 Rép., VI, p. 507.

3 Tim., p. 51.

4 Théét., p. 187, B.

5 Rép., V, p. 477, ἀναμάρτητον,

6 Tim., p. 51, ἀκίνητον.

7 Tim., p. 28, 51. Rép., V, p. 477, 478, 510. Gorgias, p. 454.

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