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grès social, au dix-neuvième l'économie politique n'a pas failli à sa mission; elle l'a défendu ainsi que l'ordre contre des utopies qui n'en ont que le masque, et qui sont au fond fort rétrogrades. Elle poursuit le grand combat de la liberté du commerce. Tout récemment encore, ce n'est pas sans doute par suite d'un amour immodéré des idées rétrogrades que le noble penseur qui écrivit les Harmonies économiques, Frédéric Bastiat, que le brillant professeur du Conservatoire des arts et métiers, mouraient tous deux sur la brèche, épuisés par la lutte. On n'a pas oublié, sans doute, le poignard qui frappait à Rome, dans Rossi, le représentant du seul progrès pratique et véritable. Dans la chaire du Collège de France, il y a bien peu d'années, à un moment de lutte ardente, un maître éminent revendiquait en termes éloquents et définissait le progrès, au nom de l'économie politique, dans un mémorable discours d'ouverture1. Allons plus loin, reconnaissons un fait que l'ingratitude des détracteurs de l'économie politique et que l'oubli des contemporains ont trop obscurci, c'est que cette grande idée de la perfectibilité, non plus seulement partiellement comprise, mais embrassée dans toute son étendue, a fait sa principale entrée dans le monde avec et par l'économie politique. C'est un jeune économiste, encore sur les bancs de la Sorbonne, c'est Turgot qui en est le principal auteur. Tandis que Vico avait fait tourner l'humanité dans le cercle éternel de ses ricorsi, tandis que Bacon voyait à peu près exclusivement le progrès dans les sciences, tandis que Pascal, esprit trop chagrin pour le

1 Du Progrès. Discours d'ouverture au Collège de France, par M. Michel Chevalier (8 janvier 1852).

mettre dans l'amélioration du sort des hommes sur une terre qu'il ne regardait, on le sait, que comme une vallée de larmes, le réduisait également, dans un incomparable langage, aux vérités scientifiques transmises comme un trésor qui s'accroît par l'expérience et le calcul d'une génération à l'autre, Turgot le plaçait, en outre, dans la condition sociale; il esquissait le tableau des principaux perfectionnements que la société avait accomplis, surtout à partir du moment où elle avait eu le christianisme pour guide. Condorcet, son disciple, commentait sa doctrine dans un Tableau resté plus célèbre, la complétait avantageusement sur quelques points, et la gâtait sur d'autres par un mélange de rêves illimités. Il la professait encore avec la plus intrépide confiance sous l'arrêt de mort qui le frappait et la scellait de son martyre.

Oui, l'économie politique le reconnaît, l'homme est perfectible; mais elle s'applique à ne pas laisser dégénérer cette vérité en utopie, à ne pas faire de ce flambeau qui éclaire une torche qui brûle. Non contente d'affirmer vaguement la perfectibilité sociale, elle en détermine les conditions, elle en fixe l'objet. Elle n'a pour cela qu'à rester fidèle à son point de départ, à la liberté et à la justice. Fermement attachée à l'idée du droit, inséparable de celle du devoir, elle n'ôte pas à l'individu, sous prétexte de fraternité, la responsabilité de son sort. Elle la lui laisse comme le titre même de sa dignité, comme le principe de sa force et comme l'aiguillon le plus sûr de tous les perfectionnements. Tandis que la plupart des écoles novatrices considèrent la propriété comme une institution en décadence continue, elle y voit au contraire un fait sans cesse plus affermi, à mesure qu'il s'est

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épuré des souillures de la viclence et de la fraude; par les effets mêmes de la propriete individuelle se genera lisant de plus en plus, elle montre s'accroissant les avaz tages communs à tous. Tandis que presque toutes ces écoles s'élèvent contre le capital mal compris, ele fait voir que ce capital, composé de toutes les matières sur lesquelles le travail s'exerce et de tous les instrumer's par lesquels il agit, destiné à suppléer en partie le travail humain par la puissance mécanique et à alimenter le fonds des salaires, est la substance même de toute amélioration du sort général. On a pretendu qu'elle combat l'association. Nullement; il est peu de formes de l'association pour produire, distribuer et consommer les fruits du travail et de l'épargne qu'elle n'ait ellemême recommandées. Elle lui demande seulement de n'être contraire ni à la propriété, ni à la liberté, ni à la justice. Ce qui leur est opposé ne lui parait justifiable ni devant la raison, ni devant l'utilité sociale.

Nulle donc des grandes idées que la civilisation moderne emprunte à la philosophie morale et à la philosophie de l'histoire, aucun de ces immortels principes de liberté, de sociabilité, de responsabilité, de justice, de progrès, principes vrais de tout temps, mais qui n'ont pas été de tout temps au même degré reconnus, et dont le développement est moderne, qui ne soit l'àme de l'économie politique. On ne saurait la convaincre d'erreur dans ses principes sans ébranler le fonds sur lequel vivent nos sociétés, et ce fonds, nous ne saurions trop le redire, c'est celui même de l'intelligence et de la conscience humaine de plus en plus remis en lumière. Il suit de là que la certitude de l'économie politique, quant à ses

bases philosophiques, est égale à celle même des idées les plus essentielles de l'esprit humain.

Il faut cesser, s'il en est ainsi, de contester sa valeur, de vouloir restreindre sa portée universelle; il faut cesser aussi de l'accuser au nom du spiritualisme. L'économie politique, on a pu s'en convaincre, n'est que la mise en œuvre de ses données principales. Si elle lui emprunte ses idées morales, elle suppose aussi les vertus pratiques qu'il est seul propre à engendrer, ou qui, du moins, sans lui, manquent de consécration: amour du travail et privation pour former le capital, équité pour le distribuer, tempérance et sagesse dans son emploi. Otez à l'homme le plus petit droit ou la plus petite vertu, s'il en est de tels, vous la frappez au cœur. Les qualités morales, les connaissances qui forment le trésor de l'âme et de l'esprit, ne sont pas seulement en elles-mêmes des richesses, elles sont pour l'économiste l'indispensable fondement de toutes les autres, la condition même de l'ordre et de la vie dans la sphère idu travail.

Nous pouvons maintenant aborder l'étude de l'économie politique avec plus de sécurité. Ce quid fixum inconcussumque que cherchait Descartes en métaphysique, ou nous nous trompons fort, eu nous l'avons en main. Nous possédons ces éléments stables et généraux, ces lois permanentes, nécessaires à une science pour se constituer si elles ne suffisent pas à la mettre en possession de toute vérité. Pour nous enlever la position que nous avons prise, il faudrait arracher à l'esprit humain ses plus solides croyances, à la civilisation ses principes les mieux établis. Il y a là de quoi nous rassurer pleinement sur la légitimité de l'économie politique et sur son avenir.

DU PRINCIPE DE PROPRIÉTÉ'

Les époques révolutionnaires qui, parmi les maux qu'elles causent, en font de grands à la science, ont pourtant, à ce dernier point de vue, quelques effets plus heureux. Elles forcent la société à réfléchir sur ellemême et à remonter à l'origine contestée de ses droits; elles obligent les sciences qui s'en occupent à pousser plus avant leurs investigations; elles leur défendent de rester superficielles ou inconséquentes. Il y a quelques années, un homme, qui représentait la logique des idées bien plus encore que l'entraînement des passions révolutionnaires, jetait comme un défi qu'une révolution devait bientôt suivre cette question fameuse : Qu'est-ce que la propriété ? Ce n'était pas seulement un cri de guerre; c'était, pour les sciences de l'ordre moral et politique, une mise en demeure de répondre et de s'entendre entre elles et avec elles-mêmes sur ce grave sujet, ce qui n'avait pas toujours eu lieu. L'économie politique, pour son compte, malgré les enseignements, trop oubliés sur ce point, qu'avaient donnés ses premiers fondateurs, était loin alors d'avoir, par tous ses organes accrédités, répondu à cette question fondamentale d'une façon uniforme et toujours satisfaisante. Des économistes célèbres gardaient sur elle, ou peu s'en 1 Discours d'ouverture des cours du Collège de France.

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