CHIMÈNE. Au sang de ses sujets un roi doit la justice. D. DIÈGUE. Pour la juste vengeance il n'est point de supplice. D. FERNAND. Levez-vous l'un et l'autre, et parlez à loisir. Vous parlerez après; ne troublez pas sa plainte. CHIMÈNE. Sire; mon père est mort; mes yeux ont vu son sang Mes pleurs et mes soupirs vous diront mieux le reste. D. FERNAND. Prends courage, ma fille, et sache qu'aujourd'hui CHIMÈNE. Sire, de trop d'honneur ma misère est suivie. Me parlait par sa plaie, et hâtait ma poursuite 2; 1 Scudéri ne reprit point ces hyperboles poétiques, qui, n'étant point dans la nature, affaiblissent le pathétique de ce discours. C'est le poëte qui dit que ce sang fume de courroux; ce n'est pas assurément Chimène; on ne parle pas ainsi d'un père mourant. Scudéri, beaucoup plus accoutumé que Corneille à ces figures outrées et puériles, ne remarqua pas même en autrui, tout éclairé qu'il était par l'envie, une faute qu'il ne sentait pas dans lui-même. (V.) L'espagnol dit, parlait par sa pluie: vous voyez que ces figures Par cette triste bouche elle empruntait ma voix. Don Diègue, répondez. D. FERNAND. D. DIÈGUE. Qu'on est digne d'envie Lorsqu'en perdant la force on perd aussi la vie! Je me vois aujourd'hui, pour avoir trop vécu, Ce que n'a pu jamais combat, siége, embuscade, Ce que n'a pu jamais Aragon ni Grenade, Ni tous vos ennemis, ni tous mes envieux, Le comte en votre cour l'a fait presque à vos yeux, recherchées sont dans l'original espagnol. C'était l'esprit du temps, c'était le faux brillant du Marini et de tous les auteurs. (V.) Digne de son pays, et digne de son roi. D. FERNAND. L'affaire est d'importance, et, bien considérée, Il est juste, grand roi, qu'un meurtrier périsse. D. FERNAND. Prends du repos, ma fille, et calme tes douleurs. M'ordonner du repos, c'est croître mes malheurs '. › Croître aujourd'hui n'est plus actif: on dit accroître; mals il me semble qu'il est permis en vers de dire, croître mes tourments, mes ennuis, mes douleurs, mes peines. (V.) ACTE TROISIÈME. SCÈNE PREMIÈRE. D. RODRIGUE, ELVIRE. ELVIRE. Rodrigue, qu'as-tu fait? où viens-tu, misérable? D. RODRIGUE. Suivre le triste cours de mon sort déplorable. ELVIRE. Où prends-tu cette audace et ce nouvel orgueil D. RODRIGUE. Sa vie était ma honte; Mon honneur de ma main a voulu cet effort. ELVIRE. Mais chercher ton asile en la maison du mort! D. RODRIGUE. Et je n'y viens aussi que m'offrir à mon juge. Je cherche le trépas après l'avoir donné. Mon juge est mon amour, mon juge est ma Chimène : Et j'en viens recevoir, comme un bien souverain, ELVIRE. Fuis plutôt de ses yeux, fuis de sa violence; D. RODRIGUE. Non, non, ce cher objet à qui j'ai pu déplaire Corneille, au lieu de j'évite cent morts, avait d'abord mis: Si pour mourir plus tôt je la puis redoubler. ELVIRE. Chimène est au palaïs, de pleurs toute baignee, Du moins, pour son honneur, Rodrigue, cache-toi. SCÈNE II. D. SANCHE, CHIMÈNE, ELVIRE. D. SANCHE. Oui, madame, il vous faut de sanglantes victimes : Malheureuse! CHIMÈNE. D. SANCHE. De grâce, acceptez mon service. CHIMÈNE. J'offenserais le roi, qui m'a promis justice. D. SANCHE. Vous savez qu'elle marche avec tant de langueur, On ne pouvait guère corriger plus mal: l'idée d'éviter tant de morts ne doit pas se présenter à un homme qui la cherche. Ces cent morts sont une expression vague, un vers fait à la håte. On ne connaissait pas encore cette pureté de diction, et cette éloquence sage et vraie que Racine trouva par un travail assidu, et par une méditation profonde sur le génie de notre langue. (V.) 1 Quelque insipidité qu'on ait trouvée dans le personnage de don Sanche, il me semble qu'il fait là un effet très-heureux en augmentant ja douleur de Chimène; et ce mot malheureuse, qu'elle prononce sans presque l'écouter, est sublime. Lorsqu'un personnage qui n'est rien par lui-même sert à faire valoir le caractère principal, il n'est point de trop. (V.) |